Génétique des troubles bipolaires et environnement S125
Au fi nal, le phénotype peut correspondre soit à un système
précis de régulation, soit un système plus distribué tou-
chant à la machinerie de la cellule.
L’une des études princeps les plus importantes dans le
domaine des interactions gène environnement est celle
publiée par Caspi et al. [4], dans une cohorte de population
générale. Cette étude établit que les différents polymor-
phismes du gène du transporteur de la sérotonine infl uent
sur le risque de dépression ou de passage à l’acte violent en
fonction des expériences antérieures. Lorsqu’il n’y a pas,
dans la vie des sujets, d’événement stressant important,
ancien ou récent, le risque de troubles dépressifs n’est pas
différent quelque soit le génotype. En revanche, au fur et
à mesure que le sujet est, dans son existence, confronté à
des stress, une différence apparaît entre les différents
génotypes : les porteurs de l’allèle S du transporteur de la
sérotonine sont ainsi beaucoup plus vulnérables à la dépres-
sion après exposition au stress que les sujets porteurs de
l’allèle L.
Stress et troubles bipolaires
Certaines études ont montré que l’existence d’un stress
récent est associée à une réponse au traitement de moins
bonne qualité dans les formes précoces de trouble bipo-
laire de l’adolescent [9]. Une association a également été
montrée entre événements de vie traumatiques et abaisse-
ment du taux sérique de BDNF [8]. Un troisième travail a
montré que les enfants à haut risque pour les troubles bipo-
laires ont un taux de cortisol plus élevé en condition basale,
bien que cette différence s’efface en cas de stress social
[5]. Parallèlement aux interactions gène-environnement,
on décrit aussi des interactions gène-gène-environnement.
Un travail de Mandelli et al. [12] montre ainsi une interac-
tion entre le gène de la COMT, le gène du transporteur de
la sérotonine, et le stress, dans l’année précédent le pre-
mier épisode thymique.
Mécanisme des interactions
gène-environnement
Les gènes sont inclus dans une molécule complexe, chaîne
d’acides nucléiques, elle-même enroulée autour d’histones,
auxquelles s’ajoutent d’autres protéines. La fonctionnalité
d’un segment de chromosome est déterminée par des méca-
nismes multiples : acétylation, méthylation, phosphoryla-
tion, ubiquitination et ribosylation des acides aminés des
histones. La méthylation est le mécanisme le mieux connu.
La molécule d’ADN peut être modifi ée de manière durable
et transmissible, non pas seulement par un changement de
séquence (mutation) mais par la méthylation des îlots CpG,
le plus souvent localisés dans les régions régulatrices (pro-
motrices) des gènes. Il en résulte généralement un effet
inhibiteur sur l’expression du gène : le transcript (messa-
ger) est peu synthétisé et en conséquence, la protéine cor-
respondante aussi. Ce mécanisme est probablement
quantitatif : en fonction du nombre et de la localisation des
méthylations, la transmission serait modifi ée.
Des expériences intéressantes réalisées chez l’animal
illustrent l’implication des mécanismes de méthylation
dans l’infl uence de l’environnement sur le comportement
[13]. À la naissance de ses petits, les rates ont un compor-
tement de léchage et de protection des petits. Une acti-
vité de léchage insuffi sante de la rate induit des
modifi cations durables de comportement, une plus grande
réactivité au stress et un niveau d’expression du récepteur
au glucocorticoïde plus élevé chez les ratons, persistant à
l’âge adulte. De plus, chez les femelles, ces modifi cations
sont transmises à leur propre descendance. En revanche,
ces modifi cations sont réversibles en cas d’élevage croisé :
des petits issus de ces rates élevées par de « bonnes
mères » auront une meilleure réactivité au stress, par rap-
port à ceux élevés par leur « mauvaise mère ». Cet effet
passe par une modulation de l’expression génique, met-
tant en jeu méthylation du promoteur du récepteur au
glucocorticoide et hyper-acétylation des histones. Chez
l’animal, des traitements dé-acétylants ou méthylants
(malheureusement très toxiques) réversent l’effet des
« mauvais traitements ». Ces voies sont aussi sous le
contrôle de la sérotonine.
Chez l’homme, une étude en post-mortem [1], réalisée
chez des patients bipolaires, montre, sur du tissu préfron-
tal, que le niveau de méthylation est inférieur chez les
schizophrènes et les bipolaires par rapport aux contrôles.
Cette hypo-méthylation est associée à une augmentation
de l’expression de la COMT (enzyme de dégradation des
catécholamines), et il existe une corrélation négative avec
l’expression du récepteur D1 à la dopamine.
Stress oxydatif cellulaire
Différents résultats montrent une implication des phéno-
mènes de stress oxydatif dans les troubles de l’humeur. La
réponse des gènes de la chaîne respiratoire mitochondriale
dans les lymphocytes en cas de stress (privation de glucose)
tend vers une down-regulation chez les bipolaires, au
contraire de l’up-regulation observée chez les contrôles
[15]. Le nombre d’épisodes de manie chez des bipolaires
euthymiques apparaît corrélé au taux d’oxyde nitrique
(NO) [18]. Enfi n, l’épisode initial de manie est associé à un
déséquilibre de la balance stress oxydatif/défense, le
lithium étant peut-être capable de faciliter la défense face
à un tel stress [11].
Une revue de la littérature évaluant une centaine de
gènes dans le trouble bipolaire [3] souligne la convergence
des résultats vers les voies de contrôle des systèmes de
phosphorylation associées au stress. Cette revue retrouve
plus de 100 gènes, impliquant les facteurs de croissance
comme le BDNF, des facteurs de survie comme le phospha-
tidyl-inositol, les systèmes glutamatergiques… Ces systè-
mes sont liés. Par exemple, le cycle du folate a des effets
sur la fonction glutamatergique, sur les systèmes redox, sur
les fonctions mitochondriales, et donc, par cet intermé-
diaire, sur les fonctions synaptiques et sur l’expression des
gènes, infl uençant au fi nal sur la neuroplasticité et le neu-
rodéveloppement [6].