10 Actualité Santé Psychiatrie Trouble bipolaire ou schizophrénie ? Les psychiatres reconnaissent la difficulté à reconnaître les troubles bipolaires comme tels, par rapport à la schizophrénie, et pas seulement lors des premières manifestations de la maladie. e diagnostic s’avère particulièrement difficile lorsqu’il s’agit d’états mixtes caractérisés par l’association simultanée de nombreux symptômes dépressifs et maniaques. C ela dit, certains aspects cliniques et épidémiologiques ainsi que la prise en considération de l’ensemble des symptômes peuvent étayer la différenciation du trouble bipolaire de la schizophrénie. Infos ... Une pathologie mal connue Schématiquement, on distingue les troubles bipolaires de type I, caractérisés par une alternance d’épisodes dépressifs et maniaques et les troubles bipolaires de type II avec les épisodes dépressifs entrecoupés de périodes d’hypomanie (manie modérée). Dans environ un tiers des cas il persiste, en dehors des épisodes aigus, des symptômes plus atténués permanents. De nombreux patients maniaco-dépressifs sont diagnostiqués dans un premier temps comme dépressifs. Devant une répétition d’épisodes dépressifs il est donc primordial de rechercher l’alternance de l’humeur. Critères diagnostiques Il est acquis que les symptômes psychotiques (idées délirantes, hallucinations, troubles graves du comportement) ne sont pas spécifiques à la schizophrénie et apparaissent dans bien d’autres états psychiatriques. Pourtant, en pratique, les critères diagnostiques de la schizophrénie restent toujours largement fondés sur ces symptômes. Cette attitude est susceptible de retarder le diagnostic des patients atteints de troubles bipolaires, voire d’entraîner une évolution défavorable faute d’avoir reçu un traitement adapté. Comme il ressort des recherches de l’équipe du Pr. J.-P. Olié, on manque de critères discriminants lors des premiers épisodes psychotiques aigus, et d’ailleurs l’idée d’un support neurobiologique commun des troubles bipolaires et de la schizophrénie a fait son chemin. Les bouffées délirantes aiguës (syndrome délirant hallucinatoire et interprétatif) survenant chez les sujets sans antécédents psychiatriques peuvent être provoquées par une prise de toxique, rester des épisodes psychiatriques sans lendemain (dont l’étiologie est inconnue) ou constituer une forme d’entrée possible dans la schizophrénie ou dans un trouble bipolaire de l’humeur. Il faut aussi savoir que le trouble Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005 bipolaire doit être évoqué devant une réponse atypique à l’antidépresseur laquelle est considérée comme un élément de suspicion de la nature bipolaire de la dépression : en effet, les patients atteints de troubles bipolaires présentent une amélioration anormalement rapide des signes dépressifs mais peuvent basculer dans l’état mixte ou un état d’excitation maniaque. Pour éviter le virage de l’humeur, la prudence est de mise quant à la posologie de l’antidépresseur, et une surveillance accrue de la réaction du malade est nécessaire afin de pouvoir adjoindre rapidement un thymorégulateur ou ajuster sa posologie. Quelques données de la recherche On s’est aperçu que les caractéristiques des troubles du cours de la pensée sont différentes : dans la manie (psychotique ou non), il s’agit d’un discours accéléré, extravagant avec déraillement, alors que chez les schizophrènes la désorganisation de la pensée (syndrome dissociatif) se manifeste par des propos incohérents et fragmentés. Le raisonnement perd de sa logique, le contact apparaît froid et étrange. Par ailleurs, les schizophrènes présentent des symptômes positifs et négatifs sans troubles de l’humeur manifestes ou prédominants. En revanche, certains auteurs soulignent que l’impulsivité associée aux troubles de l’humeur a une place centrale dans la manie et que moins de 50 % des épisodes maniaques compren- nent des manifestations psychotiques. D’autres recherches ont mis en lumière le fait que les symptômes négatifs (anhédonie, émoussement affectif) sont intenses et plus souvent présents chez les patients schizophrènes en comparaison avec les patients atteints de troubles bipolaires. De plus, la corrélation entre l’existence d’une évolution défavorable et la présence des symptômes négatifs n’était retrouvée que dans la schizophrénie, ce qui renvoie à la dichotomie proposée par E. Kraepelin pour introduire la distinction entre la psychose maniaco-dépressive et la démence précoce. Quant aux études du suivi prolongé, elles ont montré que les patients schizophrènes ont des rémissions moins fréquentes (et avec un niveau de fonctionnement social plus altéré) que chez les patients bipolaires. Enfin, ces derniers ont souvent une comorbidité avec les troubles paniques (en particulier ceux qui souffrent d’état mixte) alors que cela est observé rarement chez les patients schizophrènes. Progrès grâce à la recherche On en sait un peu plus sur la schizophrénie grâce à la recherche fondamentale : par exemple, on a découvert dans cette pathologie des troubles de la reconnaissance des expressions faciales des émotions (en particulier le déficit pour les expressions de peur par rapport aux sujets déprimés), et ces anomalies sont mises en parallèle avec les troubles des interactions sociales. D’autres travaux utilisant l’imagerie fonctionnelle en tomographie par émission de positons ont montré que l’hypoactivation des aires du réseau neuronal olfactif pourrait expliquer les faibles performances des patients schizophrènes dans les tâches de reconnaissance et d’identification des odeurs. LC