L’Encéphale, 2007 ;
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39-48 Validité du concept de dépression vasculaire : une revue de la littérature
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L’hypothèse d’une étiologie vasculaire des hypersignaux
retrouvés chez les jeunes patients bipolaires (36) ainsi
que chez les unipolaires d’âge moyen (54) n’a pas été
testée. Lenze
et al.
ont comparé les IRM de 24 patientes
(âge moyen = 53 ans) présentant un trouble dépressif
récurrent sans antécédents de pathologie vasculaire à un
groupe de sujets sains et n’ont pas retrouvé de différence
dans le nombre d’hypersignaux de la substance blanche
(58). Après régression multiple, le nombre des lésions
apparaît corrélé à l’âge et au statut thymique. Les auteurs
ont conclu que si les facteurs de risques cardio-vasculai-
res sont très probablement responsables des corrélations
entre anomalies radiologiques et dépression, la dépres-
sion elle-même pourrait être impliquée dans la genèse de
certains hypersignaux. Les résultats d’une étude plus
récente sont également en faveur d’une origine plurifac-
torielle de ces hypersignaux chez les sujets déprimés
(41).
L’objectivation d’un lien entre le siège des anomalies
radiologiques et certaines caractéristiques cliniques des
dépressions du sujet âgé constitue un élément de la vali-
dité de construction des dépressions vasculaires. Une
méta-analyse a montré que la sévérité de la symptoma-
tologie dépressive était inversement corrélée à la distance
séparant la lésion du cortex frontal dans l’hémisphère gau-
che mais pas à droite (71). Tupler
et al.
ont
étudié, chez
des sujets âgés, les localisations des anomalies radiolo-
giques de 69 déprimés à début tardif, 45 déprimés préco-
ces et 37 contrôles (106). Il y avait davantage d’hypersi-
gnaux de la substance blanche profonde chez les
déprimés à début tardif que chez les déprimés précoces
et le groupe contrôle. Ils ont également noté une corréla-
tion entre lésions de la substance blanche de l’hémisphère
gauche et début tardif du trouble ainsi qu’une association
entre lésions sous-corticales gauches (particulièrement
du putamen) et de la substance blanche antérieure droite,
et le caractère mélancolique de l’épisode. D’autres
auteurs ont trouvé des corrélations entre l’importance des
lésions (69), l’atteinte des noyaux de la base (3) et la sévé-
rité de l’épisode dépressif et de l’atteinte des fonctions
supérieures.
Certains résultats d’imagerie fonctionnelle sont égale-
ment en faveur de la validité de construction des dépres-
sions vasculaires. Kimura
et al.
ont comparé les flux san-
guins cérébraux régionaux de 9 déprimés vasculaires à
ceux de 11 déprimés non vasculaires, ne présentant pas
de différences en termes d’âge, d’âge de début des trou-
bles, de sexe, de sévérité de l’épisode (51). Les évalua-
tions ont été réalisées durant l’épisode et en période de
normothymie. Comme décrit antérieurement (35), les
auteurs ont trouvé un flux sanguin régional frontal anté-
rieur plus important chez les patients en rémission que
durant leur épisode dépressif. Ils ont également montré
que la perfusion cérébrale sanguine au niveau frontal
antérieur gauche apparaissait significativement moins
importante dans le groupe des déprimés vasculaires par
rapport au groupe des déprimés non vasculaires et ce,
quel que soit l’état thymique. Oda
et al.
ont comparé les
flux sanguins régionaux de 12 patients déprimés avec
hypersignaux de la substance blanche à l’IRM à ceux de
11 déprimés sans anomalies radiologiques et de 25
volontaires sains (75). Les auteurs ont trouvé une dimi-
nution du flux sanguin dans les lobes frontaux, temporaux
et dans le gyrus cingulaire des deux hémisphères chez
les sujets déprimés, quel que soit leur statut radiologique
par rapport au groupe contrôle. Par ailleurs, la présence
d’hypersignaux était inversement corrélée à la perfusion
sanguine mesurée dans les régions du cortex orbitaire,
du thalamus, du cervelet et des noyaux gris de la base.
Ces résultats sont en faveur de dysfonctionnements spé-
cifiques de certaines structures sous-corticales (réseau
striato-pallido-thalamo-cortical) chez les patients avec
dépression vasculaire, surajoutés aux anomalies cortica-
les qu’ils partagent avec les déprimés non vasculaires.
Cependant, ces résultats ne permettent pas de conclure
si les différences observées témoignent de l’existence
d’un groupe distinct de dépressions ou si elles ne sont
que le reflet de la pathologie cérébrovasculaire associée
chez les sujets répondant aux critères de dépression vas-
culaire.
Histologie
Thomas
et al.
ont mené plusieurs études en
post-mor-
tem
sur l’histologie des hypersignaux présents chez les
patients déprimés âgés. La présence de plaques d’athé-
rome sur les artères coronaires et cérébrales (100), les
analyses immunohistochimiques de la microglie, des
macrophages, des astrocytes (103) ainsi que les concen-
trations plus importantes de la molécule d’adhésion inter-
cellulaire I (ICAM-I) au niveau de la substance blanche
profonde et de la substance grise du cortex préfrontal dor-
solatéral (99) ont conduit ces auteurs à conclure à la
nature ischémique des hypersignaux constatés à l’IRM.
D’autres auteurs se sont intéressés à un autre marqueur
de l’ischémie, la protéine gliale fibrillaire acide, protéine
de la charpente de l’astrocyte, lui-même impliqué dans
l’astrogliose secondaire à une ischémie cérébrale (33).
Une plus grande concentration de cette protéine a été
retrouvée au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral des
sujets déprimés par rapport aux sujets contrôles. Macros-
copiquement, la rigidité des artères carotidiennes et fémo-
rales, étudiée sur une cohorte de 3 704 patients âgés de
60 ans et plus, a été corrélée à la dépression indépen-
damment de l’athérosclérose (104).
Au total, si les pathologies vasculaires semblent impli-
quées dans la survenue d’épisodes dépressifs et si les
localisations spécifiques de lésions cérébrales semblent
corrélées à certaines formes de dépressions, les don-
nées sur la pathogénie des dépressions vasculaires ne
sont pas toutes concordantes. À ce jour, il n’est pas pos-
sible d’affirmer que les résultats d’imagerie fonctionnelle
et d’histologie chez les patients répondant aux critères
de dépression vasculaire reflètent effectivement le rôle
de facteurs vasculaires dans la pathogénie d’un groupe
distinct de dépressions ou sont le témoin d’une comor-
bidité fortuite entre dépression et pathologie cérébrovas-
culaire.