Validité du concept de dépression vasculaire : NOSOLOGIE

L’Encéphale,
33 :
2007, Janvier-Février
39
NOSOLOGIE
Validité du concept de dépression vasculaire :
une revue de la littérature
J. THUILE
(1)
, C. EVEN
(2)
, J.-D. GUELFI
(3)
(1) Chef de Clinique assistant, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, service du Professeur Guelfi, Centre Hospitalier Sainte-
Anne, Université Paris V-René Descartes, Paris.
(2) Praticien Hospitalier, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, service du Professeur Guelfi, Centre Hospitalier Sainte-Anne,
Paris.
(3) Praticien Hospitalier-Professeur des Universités, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Uni-
versité Paris V-René Descartes, Paris.
Travail reçu le 21 avril 2005 et accepté le 20 septembre 2005.
Tirés à part :
J. Thuile (à l’adresse ci-dessus).
Validity of vascular depression as a specific diagnostic : a review
Summary. Introduction.
A number of authors have suggested that cerebrovascular disease may predispose, precipitate,
or perpetuate some geriatric depressive syndromes. These « vascular depressions » may result from damage of striato-
pallido-thalamo-cortical pathways which frequently occurs in cerebrovascular disease.
Method.
We have searched the
English and French literature published between 1996 (when the « vascular depression » hypothesis was first stated)
and December 2004 through the Medline computer database and examined the validity of the concept of « vascular
depression » thanks to four levels of validity : face validity, descriptive validity, construct validity and predictive validity.
The face validity is the extent to which experts agree about the existence of a nosological entity.
Results.
The reviews
published in this field broadly support the concept of « vascular depression » as a specific disorder. However many authors
highlighted the fact that depression has been shown to precede vascular diseases and that depression and vascular
diseases may both share some pathogenic or genetic determinants. These interactive and co-morbid relationships
between depression and cerebrovascular diseases are difficult to disentangle. The descriptive validity refers to the degree
of the clinical specificity of a disorder. It appears only moderate regarding the clinical studies carried out on this issue.
However, a late-onset, the absence of a family history of mental illness, the lack of insight, lassitude, psychomotor retar-
dation, a greater disability and particular neuropsychological dysfunctions may be associated with vascular depression.
The construct validity, which refers to the degree to which the physiopathological processes involved in an illness are
understood, appears difficult to establish because of the complex interactive relationships between cerebrovascular
disease and depression. However, cerebrovascular diseases may contribute to the occurrence of depressive symptoms
independently of its psychosocial burden. The predictive validity refers to the degree to which a syndrome is characterized
by a specific response to treatment or a specific natural history. As regards response to treatment, vascular depression
appears rather specific in the sense of a worse response to antidepressants and electroconvulsive therapy. The studies
on the natural history of vascular depression lead to inconsistent results. According to some authors, this relative resistance
to treatment may be explained by structural rather than functional, and thus potentially irreversible disruption in neural
networks.
Conclusion.
In conclusion, the systematic review of the validity of vascular depression broadly supports this
concept. However, further studies are needed to decipher the relationships between depression and cerebrovascular
disease. Finally, we suggest that it could be more relevant for future researches in this field if the diagnostic criteria for
vascular depression were narrowed and required the presence of both neuro-imaging changes and cerebrovascular
disease.
Key words :
Late-onset depression ; Psychogeriatrics ; Validity ; Vascular depression.
J. Thuile
et al.
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
39-48
40
Résumé.
L’hypothèse selon laquelle une pathologie céré-
brovasculaire peut prédisposer, précipiter ou entretenir
certaines dépressions du sujet âgé par l’intermédiaire de
perturbations du réseau neuronal striato-pallido-thalamo-
cortical a été développée par Alexopoulos
et al.
qui ont pro-
posé le concept de « dépression vasculaire ». Dans le but
d’examiner la validité de cette catégorie diagnostique,
nous avons réalisé une revue de la littérature explorant
quatre niveaux de validation : validité de surface, validité
descriptive, validité de construction et validité prédictive.
Les validités de surface et prédictive apparaissent bonnes.
Les validités descriptive et de construction semblent
moyennes au regard des données actuelles. Cette métho-
dologie nous a permis de conclure en faveur du concept
de dépression vasculaire et donne un éclairage sur les
liens complexes qui unissent dépression et pathologies
vasculaires. D’autres études utilisant des critères diagnos-
tiques plus restrictifs doivent être menées pour confirmer
la validité de ce diagnostic et mieux en cerner les spécifi-
cités.
Mots clés :
Dépression tardive ; Dépression vasculaire ; Psycho-
gériatrie ; Validité.
INTRODUCTION
Une étiologie neurologique centrale spécifique de cer-
taines dépressions à début tardif a été suggérée par
Alexopoulos en 1990 qui relevait alors la forte prévalence
de troubles neurologiques chez les patients présentant un
premier épisode dépressif de début tardif (4). Alexopoulos
et al.
ont émis l’hypothèse qu’une pathologie cérébrovas-
culaire pouvait prédisposer, précipiter ou entretenir cer-
taines dépressions du sujet âgé par l’intermédiaire de per-
turbations du réseau neuronal striato-pallido-thalamo-
cortical (8). Ils ont dès lors proposé le concept de
« dépression vasculaire » (9) ainsi que les critères per-
mettant de porter ce diagnostic
(tableau I)
. Des travaux
menés parallèlement par une autre équipe ont également
conduit à l’établissement de critères diagnostiques de
dépression vasculaire
(tableau II)
(96).
Cette revue de la littérature examine la validité du con-
cept de dépression vasculaire à travers quatre niveaux de
validation : 1) la validité de consensus ou de surface ; 2) la
validité descriptive ; 3) la validité de construction ; 4) la
validité prédictive. Cette méthodologie a été proposée par
Spitzer et Williams pour examiner la validité d’une entité
diagnostique nouvelle (87) et a été notamment utilisée
pour examiner la validité du concept de dépression sai-
sonnière (19, 87).
Notre recherche bibliographique a été réalisée à l’aide
de la banque de données informatisée Medline, en utili-
sant des combinaisons des mots clés
vascular, cerebro-
vascular, cardiovascular disease, depression, mood
disorders, hyperintensities, magnetic resonance imaging
et
CT-scanner
. Nous avons également effectué une
recherche ascendante à partir des premiers articles obte-
nus.
VALIDITÉ DE CONSENSUS OU DE SURFACE
La validité de surface est définie comme le degré avec
lequel des experts s’accordent sur l’existence d’une
pathologie et son individualisation nosologique.
Une recherche bibliographique à l’aide de la banque de
données informatisée Medline utilisant le mot clé
vascular
depression
permet d’obtenir 55 articles publiés entre 1996
et 2004, par des équipes américaines, européennes et
asiatiques. L’intérêt pour ce type de dépression apparaît
grandissant (19 publications en 2004 contre 8 en 2002 et
seulement 4 en 1997). Parmi ces publications, 29 corres-
pondent à des études testant le concept de dépression
vasculaire par confrontation à des données cliniques, épi-
démiologiques, d’imagerie cérébrale, histologiques,
d’évolution et de réponse thérapeutique. Vingt-quatre
d’entre elles soutiennent le concept de dépression vascu-
laire. Une recherche bibliographique plus exhaustive uti-
lisant diverses combinaisons des mots clés cités en intro-
duction a retrouvé 15 revues de la littérature sur ce thème
publiées en langue anglaise ou française dans des revues
indexées entre 1996, date d’apparition du concept et 2004
(1, 8, 15, 16, 23, 28, 34, 57, 62, 80, 82, 90, 92, 98, 101).
Deux d’entre elles traitent plus spécifiquement des
TABLEAU I. —
Critères des dépressions vasculaires
selon Alexopoulos
et al.
1
Caractéristiques principales
• Pathologie vasculaire évidente cliniquement et/ou sur les
résultats d’examens complémentaires ou facteurs de risques
cardio-vasculaires. Les manifestations cliniques peuvent
inclure les antécédents d’accidents vasculaires cérébraux ou
d’accidents ischémiques transitoires, les signes cliniques
neurologiques focalisés, la fibrillation auriculaire, les douleurs
angineuses, les antécédents d’infarctus du myocarde, les
sténoses carotidiennes, l’hypertension artérielle et les
dyslipidémies. Les résultats d’examens complémentaires
peuvent inclure les hypersignaux significatifs de la substance
blanche dans le territoire des artères perforantes, les séquelles
d’infarctus cérébraux, les occlusions carotidiennes ou la
sténose du polygone de Willis
Dépression débutant après 65 ans ou changement dans le
cours évolutif d’un épisode dépressif après le début d’une
pathologie vasculaire chez un patient avec une dépression de
début non tardif
Caractéristiques secondaires
Altération des fonctions supérieures consistant entre autres
en des perturbations des fonctions exécutives (planification,
organisation, séquençage et capacité d’abstraction)
Ralentissement psychomoteur
Idéation dépressive limitée (par exemple, peu de culpabilité
exprimée)
Faible reconnaissance du trouble
Impotence fonctionnelle
Absence d’antécédents familiaux de troubles de l’humeur
1. Les caractéristiques principales sont obligatoires chez tous les
patients. Les caractéristiques secondaires sont attendues chez la plu-
part des patients mais pas systématiquement.
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
39-48 Validité du concept de dépression vasculaire : une revue de la littérature
41
dépressions post-accidents vasculaires cérébraux
(dépressions post-AVC) (1, 34) et étudient leur validité ou
leur appartenance au groupe des dépressions vasculai-
res. Les treize autres revues concluent globalement à
l’existence des dépressions vasculaires comme entité
nosologique distincte. Certains auteurs émettent cepen-
dant des réserves en rappelant la probable hétérogénéité
du trouble (16). D’autres, sans réfuter la validité du con-
cept, proposent que son acception prenne en compte la
complexité des liens entre dépression et pathologies vas-
culaires (101). Ainsi, pour Camus
et al.
(23), la dépression
reste une pathologie plurifactorielle qui peut elle-même
entretenir, aggraver ou précipiter des pathologies céré-
brovasculaires. Pour Ramasubbu, l’interdépendance
existant entre dépression et pathologies cérébrovasculai-
res rend le concept de dépression vasculaire peu heuris-
tique (82). Il insiste également sur la notion de comorbidité.
La coexistence des deux troubles chez un même malade
pourrait être la conséquence d’un terrain et de facteurs
étiopathogéniques communs sans nécessairement que
l’un représente un facteur étiologique pour l’autre. En fait,
la plupart des auteurs insistent sur la nécessité de définir
au mieux les critères permettant d’individualiser les
patients pour lesquels l’étiologie vasculaire apparaît pré-
dominante et de garder à l’esprit les liens complexes exis-
tant entre dépression, pathologies vasculaires et facteurs
étiologiques communs à ces troubles. Comme nous le ver-
rons plus loin, le lien de causalité reste l’élément le plus
discuté du concept de dépression vasculaire. On notera
enfin que les dépressions vasculaires ne figurent pas dans
les classifications nosographiques internationales et
qu’aucun critère provisoire n’y est proposé.
Ces critiques mises à part, un consensus se dégage
en faveur de la validité du concept de dépression vascu-
laire, certains auteurs émettant même l’hypothèse que
des désordres cérébrovasculaires pourraient être à l’ori-
gine d’autres troubles de l’humeur comme les « manies
vasculaires » (92).
VALIDITÉ DESCRIPTIVE
La validité descriptive est définie comme le degré de
spécificité des aspects cliniques d’un trouble. Nous étu-
dions ici la spécificité des aspects sémiologiques et neu-
ropsychologiques des dépressions vasculaires.
Aspects sémiologiques
Plusieurs auteurs ont cherché à mettre en évidence des
différences sémiologiques entre les dépressions à début
tardif et celles à début précoce. Les patients dont le pre-
mier épisode survient après 60 ans auraient moins d’évé-
nements de vie traumatiques dans leurs antécédents (46),
moins de troubles de personnalité (22), moins d’idées de
culpabilité (32) mais davantage de troubles cognitifs (10)
que les patients du même âge dont le premier épisode est
survenu avant 60 ans. Toutefois, ces résultats n’ont pas
toujours été répliqués et l’âge de début du trouble n’est
pas un élément suffisant pour définir une catégorie dis-
tincte de patients (21). Devant la fréquence plus élevée
d’accidents vasculaires cérébraux des noyaux de la base
retrouvée chez les patients déprimés âgés à début tardif
(45), et du fait de la connexion de ces structures avec le
cortex préfrontal, lui-même siège d’anomalies radiologi-
ques (30), Alexopoulos
et al.
ont émis l’hypothèse que des
symptômes frontaux pourraient être plus spécifiques des
sujets âgés déprimés atteints d’une pathologie cérébro-
vasculaire (8).
Plusieurs études cliniques ont été menées en indivi-
dualisant les déprimés vasculaires, soit sur la présence
de facteurs de risques cardio-vasculaires, soit sur la pré-
sence d’anomalies radiologiques à l’IRM. Alexopoulos
et al.
(9) ont comparé 33 patients de plus de 60 ans dia-
gnostiqués « déprimés vasculaires » sur la présence de
pathologies cardio-vasculaires, à 32 déprimés appariés
pour l’âge et le sexe. Ils ont trouvé, dans le groupe
« dépression vasculaire », plus de troubles des fonctions
supérieures, un ralentissement plus important, moins
d’agitation et de sentiment de culpabilité et un moindre
insight. Pour Simpson
et al.
, le ralentissement psychomo-
teur serait corrélé à l’importance des hypersignaux de la
substance blanche (86). Krishnan
et al.
, après comparai-
son de 32 déprimés vasculaires, définis par des critères
d’imagerie cérébrale, à 57 déprimés non vasculaires, ont
trouvé un âge de début plus tardif, une moindre fréquence
des dépressions avec caractéristiques psychotiques et
des antécédents psychiatriques familiaux, une plus
TABLEAU II. —
Critères des dépressions vasculaires
de Taylor
et al.
(2002).
Critères principaux
(le diagnostic nécessite
obligatoirement le critère A, plus BI ou BII ou BIII)
A :
la dépression survient dans un contexte clinique et/ou de
preuve paraclinique (neuro-imagerie) de pathologie vasculaire
ou d’altération neuropsychologique
BI :
les manifestations cliniques peuvent inclure des
antécédents d’AVC ou d’épisode ischémique transitoire, ou des
signes neurologiques d’atteinte focale
BII :
les anomalies en neuro-imagerie peuvent inclure des
signaux d’hyperintensité de la substance grise ou de la
substance blanche (critère de Fazekas > 2, ou des lésions
> 5 mm de diamètre et de forme irrégulière), des lésions
confluentes de la substance blanche, ou des infarctus corticaux
ou sous-corticaux
BIII :
les atteintes cognitives se manifestent par des troubles des
fonctions exécutives (planification, organisation, séquençage,
abstraction), de la mémoire ou de la vitesse du traitement de
l’information
Critères secondaires
Début de la dépression après 50 ans ou modification
importante dans l’évolution d’une dépression ayant débuté
avant 50 ans après le début d’une maladie vasculaire
Désintérêt ou perte de plaisir marqué
Ralentissement psychomoteur
Absence d’antécédents familiaux de troubles de l’humeur
Atteinte marquée des activités de la vie quotidienne
J. Thuile
et al.
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
39-48
42
grande fréquence de l’anhédonie et de l’impotence fonc-
tionnelle dans le groupe « dépression vasculaire » (55).
Plus récemment, la même équipe a trouvé moins de trou-
bles de la libido et davantage de déficits dans les activités
instrumentales de la vie quotidienne et de lassitude (défi-
nie par la difficulté à initier ou répéter régulièrement une
action) dans le groupe des déprimés vasculaires (56).
Nebes
et al.
ont noté une baisse de la motivation, des trou-
bles de concentration et une indécision plus importante
chez les patients déprimés avec anomalies cérébrales à
l’imagerie (72). À l’inverse, pour Licht-Strunk
et al.
, seule
l’impotence fonctionnelle s’avère plus importante chez
des sujets déprimés avec pathologies vasculaires que
chez des déprimés sans pathologies vasculaires (60).
Aspects neurocognitifs
Une atteinte des fonctions supérieures est fréquem-
ment rencontrée dans la dépression (67). Celle-ci con-
cerne particulièrement la mémoire, l’attention et certaines
fonctions frontales dans les formes sévères de dépression
(25). L’existence de déficits spécifiques de certains sous-
types de dépressions reste peu claire à ce jour. Austin
et al.
ont montré que les déprimés endogènes pourraient
présenter davantage de perturbations des fonctions fron-
tales que les déprimés non endogènes (13). Certains
auteurs ont trouvé une association entre des hypersi-
gnaux de la substance blanche et des troubles de la
mémoire, de la fluence verbale, des difficultés dans les
épreuves de dénomination et une atteinte des fonctions
exécutives (9, 52, 59). Une seule étude, rétrospective et
portant sur 11 patients, a rapporté des résultats contraires
(74).
Au total, les résultats obtenus à propos de la sémiologie
même des dépressions vasculaires varient selon les
auteurs. Les différences dans les critères diagnostiques
de dépression vasculaire utilisés d’une étude à l’autre
pourraient expliquer cette variabilité. Cependant, l’âge de
début tardif, l’absence d’antécédents psychiatriques fami-
liaux, le défaut d’insight, la perte d’initiative, le ralentisse-
ment psychomoteur, certains troubles des fonctions supé-
rieures et une plus grande impotence fonctionnelle en
seraient plus spécifiques.
VALIDITÉ DE CONSTRUCTION
La validité de construction est définie comme le degré
de connaissance que l’on a de l’étiopathogénie d’un trou-
ble. Nous l’étudions ici à travers les données disponibles
sur l’épidémiologie, l’imagerie et de l’histologie des
dépressions vasculaires.
Épidémiologie
Avant l’émergence du concept de dépression vascu-
laire, Post
et al.
avaient observé que des pathologies céré-
brovasculaires survenaient chez certains patients 2 à
3 ans avant leur première admission en psychiatrie pour
un trouble de l’humeur (79). On peut en inférer que ces
troubles neurologiques favorisent l’apparition d’un syn-
drome dépressif quelques années après. On sait que la
prévalence de la dépression est particulièrement impor-
tante chez les patients souffrant d’hypertension artérielle
(81), de pathologies coronariennes (24), de démence vas-
culaire (94) et d’accidents ischémiques transitoires (49).
Tiemeier
et al.
ont trouvé une plus grande prévalence de
troubles dépressifs chez les patients déprimés âgés d’au
moins 60 ans présentant les pathologies artérioscléroti-
ques les plus sévères (105). L’ensemble de ces résultats,
certes inconstamment répliqués (26, 63), est compatible
avec l’hypothèse étiopathogénique des dépressions vas-
culaires mais ne permet aucune inférence de causalité
entre pathologies vasculaires et dépression. D’autres étu-
des ont montré que la présence de symptômes dépressifs
était corrélée à la survenue ultérieure de pathologies car-
dio-vasculaires et cérébrovasculaires (12, 31, 37, 50) et
pourrait multiplier par 2,7 le risque d’accident vasculaire
cérébral jusqu’à 10 ans après la première évaluation de
l’humeur, indépendamment des autres facteurs de ris-
ques cardio-vasculaires (76). Mast
et al.
ont déterminé
dans une étude prospective le poids respectif de différen-
tes variables, dont les troubles cardio-vasculaires, dans
l’apparition d’un épisode dépressif chez les personnes
âgées (65). Ils ont contrôlé par régression logistique
l’impact des troubles cardio-vasculaires pour d’autres
variables telles que les symptômes dépressifs initiaux,
l’état de santé général, le degré d’impotence fonctionnelle,
les troubles cognitifs, l’âge, le sexe et d’autres variables
psychosociales chez 100 patients suivis pendant 18 mois.
La survenue de symptômes dépressifs était positivement
corrélée à l’importance de la pathologie vasculaire, indé-
pendamment des autres variables.
Imagerie cérébrale
Le lien entre dépression et accident vasculaire cérébral
a été observé bien avant l’apparition du concept de
dépression vasculaire (42). Indépendamment des
dépressions dites post-AVC, survenant dans les suites
d’accidents vasculaires cérébraux cliniquement parlants,
l’association entre symptômes dépressifs et anomalies
radiologiques témoignant d’infarctus cérébraux silen-
cieux, a également été mise en évidence. Une plus
grande fréquence d’hypersignaux de la substance blan-
che ou grise en T2 à l’IRM a été observée chez les patients
âgés déprimés à début tardif par rapport aux patients dont
le trouble a débuté avant 60 ans (29, 40, 45, 54, 84) et
aux sujets âgés sains (59). Une association entre ces
hypersignaux et d’autres troubles ou facteurs de risques
vasculaires a également été retrouvée chez le sujet sain
(39). Si, comme nous le verrons plus loin, l’étude histo-
logique de ces hypersignaux a permis de montrer que
nombre d’entre eux étaient la conséquence de micro-
infarctus et de démyélinisation d’origine ischémique (20,
64), tout hypersignal de la substance blanche n’est pas
nécessairement dû à une pathologie ischémique (102).
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
39-48 Validité du concept de dépression vasculaire : une revue de la littérature
43
L’hypothèse d’une étiologie vasculaire des hypersignaux
retrouvés chez les jeunes patients bipolaires (36) ainsi
que chez les unipolaires d’âge moyen (54) n’a pas été
testée. Lenze
et al.
ont comparé les IRM de 24 patientes
(âge moyen = 53 ans) présentant un trouble dépressif
récurrent sans antécédents de pathologie vasculaire à un
groupe de sujets sains et n’ont pas retrouvé de différence
dans le nombre d’hypersignaux de la substance blanche
(58). Après régression multiple, le nombre des lésions
apparaît corrélé à l’âge et au statut thymique. Les auteurs
ont conclu que si les facteurs de risques cardio-vasculai-
res sont très probablement responsables des corrélations
entre anomalies radiologiques et dépression, la dépres-
sion elle-même pourrait être impliquée dans la genèse de
certains hypersignaux. Les résultats d’une étude plus
récente sont également en faveur d’une origine plurifac-
torielle de ces hypersignaux chez les sujets déprimés
(41).
L’objectivation d’un lien entre le siège des anomalies
radiologiques et certaines caractéristiques cliniques des
dépressions du sujet âgé constitue un élément de la vali-
dité de construction des dépressions vasculaires. Une
méta-analyse a montré que la sévérité de la symptoma-
tologie dépressive était inversement corrélée à la distance
séparant la lésion du cortex frontal dans l’hémisphère gau-
che mais pas à droite (71). Tupler
et al.
ont
étudié, chez
des sujets âgés, les localisations des anomalies radiolo-
giques de 69 déprimés à début tardif, 45 déprimés préco-
ces et 37 contrôles (106). Il y avait davantage d’hypersi-
gnaux de la substance blanche profonde chez les
déprimés à début tardif que chez les déprimés précoces
et le groupe contrôle. Ils ont également noté une corréla-
tion entre lésions de la substance blanche de l’hémisphère
gauche et début tardif du trouble ainsi qu’une association
entre lésions sous-corticales gauches (particulièrement
du putamen) et de la substance blanche antérieure droite,
et le caractère mélancolique de l’épisode. D’autres
auteurs ont trouvé des corrélations entre l’importance des
lésions (69), l’atteinte des noyaux de la base (3) et la sévé-
rité de l’épisode dépressif et de l’atteinte des fonctions
supérieures.
Certains résultats d’imagerie fonctionnelle sont égale-
ment en faveur de la validité de construction des dépres-
sions vasculaires. Kimura
et al.
ont comparé les flux san-
guins cérébraux régionaux de 9 déprimés vasculaires à
ceux de 11 déprimés non vasculaires, ne présentant pas
de différences en termes d’âge, d’âge de début des trou-
bles, de sexe, de sévérité de l’épisode (51). Les évalua-
tions ont été réalisées durant l’épisode et en période de
normothymie. Comme décrit antérieurement (35), les
auteurs ont trouvé un flux sanguin régional frontal anté-
rieur plus important chez les patients en rémission que
durant leur épisode dépressif. Ils ont également montré
que la perfusion cérébrale sanguine au niveau frontal
antérieur gauche apparaissait significativement moins
importante dans le groupe des déprimés vasculaires par
rapport au groupe des déprimés non vasculaires et ce,
quel que soit l’état thymique. Oda
et al.
ont comparé les
flux sanguins régionaux de 12 patients déprimés avec
hypersignaux de la substance blanche à l’IRM à ceux de
11 déprimés sans anomalies radiologiques et de 25
volontaires sains (75). Les auteurs ont trouvé une dimi-
nution du flux sanguin dans les lobes frontaux, temporaux
et dans le gyrus cingulaire des deux hémisphères chez
les sujets déprimés, quel que soit leur statut radiologique
par rapport au groupe contrôle. Par ailleurs, la présence
d’hypersignaux était inversement corrélée à la perfusion
sanguine mesurée dans les régions du cortex orbitaire,
du thalamus, du cervelet et des noyaux gris de la base.
Ces résultats sont en faveur de dysfonctionnements spé-
cifiques de certaines structures sous-corticales (réseau
striato-pallido-thalamo-cortical) chez les patients avec
dépression vasculaire, surajoutés aux anomalies cortica-
les qu’ils partagent avec les déprimés non vasculaires.
Cependant, ces résultats ne permettent pas de conclure
si les différences observées témoignent de l’existence
d’un groupe distinct de dépressions ou si elles ne sont
que le reflet de la pathologie cérébrovasculaire associée
chez les sujets répondant aux critères de dépression vas-
culaire.
Histologie
Thomas
et al.
ont mené plusieurs études en
post-mor-
tem
sur l’histologie des hypersignaux présents chez les
patients déprimés âgés. La présence de plaques d’athé-
rome sur les artères coronaires et cérébrales (100), les
analyses immunohistochimiques de la microglie, des
macrophages, des astrocytes (103) ainsi que les concen-
trations plus importantes de la molécule d’adhésion inter-
cellulaire I (ICAM-I) au niveau de la substance blanche
profonde et de la substance grise du cortex préfrontal dor-
solatéral (99) ont conduit ces auteurs à conclure à la
nature ischémique des hypersignaux constatés à l’IRM.
D’autres auteurs se sont intéressés à un autre marqueur
de l’ischémie, la protéine gliale fibrillaire acide, protéine
de la charpente de l’astrocyte, lui-même impliqué dans
l’astrogliose secondaire à une ischémie cérébrale (33).
Une plus grande concentration de cette protéine a été
retrouvée au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral des
sujets déprimés par rapport aux sujets contrôles. Macros-
copiquement, la rigidité des artères carotidiennes et fémo-
rales, étudiée sur une cohorte de 3 704 patients âgés de
60 ans et plus, a été corrélée à la dépression indépen-
damment de l’athérosclérose (104).
Au total, si les pathologies vasculaires semblent impli-
quées dans la survenue d’épisodes dépressifs et si les
localisations spécifiques de lésions cérébrales semblent
corrélées à certaines formes de dépressions, les don-
nées sur la pathogénie des dépressions vasculaires ne
sont pas toutes concordantes. À ce jour, il n’est pas pos-
sible d’affirmer que les résultats d’imagerie fonctionnelle
et d’histologie chez les patients répondant aux critères
de dépression vasculaire reflètent effectivement le rôle
de facteurs vasculaires dans la pathogénie d’un groupe
distinct de dépressions ou sont le témoin d’une comor-
bidité fortuite entre dépression et pathologie cérébrovas-
culaire.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !