R. Jouvent L’Encéphale, 2007 ; 33 : 713-5, cahier 4
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jeu (7, 12) (figure 2). Ainsi, aussi bien en termes de pré-
vention des rechutes que de réversibilité ad integrum, le
fait de rester déprimer a un coût, même si le tableau
dépressif n’est constitué que de quelques symptômes
résiduels. Cela a également un coût neuronal, qui peut
même entraîner des répercussions sur l’axe II : lorsque
les épisodes se répètent, ils finissent par atteindre la per-
sonnalité.
L’atteinte hippocampique n’est pas celle d’une
démence : il n’y a pas de diminution du nombre de neu-
rones hippocampiques, mais une diminution de la taille
de leurs corps cellulaires et de leurs neuropiles, c’est-à-
dire de leur fonctionnalité (13) ; la densité neuronale et
gliale augmente, mais la connectique, le réseau dendri-
tique, diminuent. Les mécanismes impliqués dans cette
atrophie hippocampique sont liés aux stress répétés :
ces derniers entraînent d’une part des sécrétions pro-
longées de glucocorticoïdes, responsables d’une inhibi-
tion de la neurogenèse et d’une atrophie des dendrites,
et d’autre part une diminution de la sécrétion de BDNF,
responsable d’une diminution de la prolifération et de la
survie neuronale. Les travaux d’épigénétique mettront
sans doute en évidence, à l’avenir, des mécanismes
complémentaires.
Des travaux chez l’animal montrent que l’arborescence
dendritique des neurones hippocampiques s’assèche lors
de l’équivalent d’un épisode dépressif, et se restaure lors
de la réversibilité de l’épisode. Dans la dépression, en ce
qui concerne l’hippocampe et sans doute également le
cortex préfrontal, le corps cellulaire reste à peu près intact,
mais la connectique s’effondre, avec de moins en moins
d’arborescence et donc de moins en moins d’informations
transmises.
La répétition des épisodes dépressif laisse donc des
cicatrices cérébrales de plus en plus importantes sur le
plan de l’anatomie et du fonctionnement biologique : ces
altérations anatomo-fonctionnelles retentissent en parti-
culier au niveau de la richesse des connexions interneu-
ronales.
IMPACT SUR LA COGNITION ET L’ÉMOTION
Ces cicatrices neuronales ont une contrepartie cogni-
tive et émotionnelle, qui correspond aux zones cérébrales
touchées : contrôle exécutif, attention, raisonnement,
expression et modulation émotionnelle pour le cortex
préfrontal ; attribution émotionnelle pour l’amygdale ; et
mémorisation pour l’hippocampe.
Lors d’un premier épisode, le déficit est modéré, tou-
chant surtout les fonctions attentionnelles et exécutives
(figure 3). Mais la comparaison des sujets ayant pré-
senté un seul épisode versus de multiples épisodes mon-
tre une aggravation progressive du déficit cognitif
observé dans les premiers épisodes, sans réelle spéci-
ficité du déficit cognitif (1, 5, 9). Chaque épisode laisse
une trace, une séquelle cognitive, de moins en moins
réversible ; le suivi longitudinal des déprimés récurrents
montre qu’après chaque nouvel épisode, la cognition est
plus sévèrement altérée, et la récupération plus lente et
moins intense (9).
Avec la répétition des accès, il persiste en dehors des
épisodes des troubles cognitifs de plus en plus nets ; il y
a sans doute une continuité entre d’une part les symptô-
mes résiduels et leurs conséquences sur le comportement
dans la vie quotidienne, et d’autre part les signes cognitifs
résiduels que sont la perte de flexibilité mentale, de sou-
plesse psychique, les difficultés dans la formation de con-
cepts, dans les stratégies de résolution de problème, dans
la gestion des situations complexes.
La dépression comprend donc bien des aspects
neuro-biologiques et neuro-cellulaires (déficits morpho-
logiques, structuraux et fonctionnels), mais aussi des
aspects cognitifs, avec une rigidification progressive des
processus cognitifs. Les uns comme les autres génèrent
et maintiennent le pathos affectif. À l’avenir, il est pro-
bable que les psychiatres proposeront aux patients qui
mettent en avant des troubles de mémoire ou de con-
centration des tests cognitifs, tests de dépistage rapide
ou d’exploration plus poussée, qui pourront être répétés
après le traitement de l’épisode, pour objectiver l’amé-
lioration et surtout mettre en place des stratégies théra-
peutiques de remédiation. Des études contrôlées sont
en cours à la Salpêtrière pour tester les effets de la remé-
diation cognitive chez les sujets déprimés récurrents :
celles-ci devraient confirmer l’hypothèse de l’opportu-
nité de la remédiation assistée par ordinateur pour per-
mettre aux déprimés de relancer cette neuro-dynamique
si importante pour un fonctionnement social et émotion-
nel normal.
FIG. 2. — Facteurs cliniques (d’après 12).
Days of Untreated Depression
Total Hippocampal
Volume (mm3)
0 1 000 2 000 3 000 4 000
2 500
3 000
3 500
4 000
4 500
5 000
5 500
6 000
1. Premier épisode dépressif : pas d’atrophie
Frodl et al., 2002 ; MacQueen et al., 2003
2. Atrophies aggravées par la répétition des épisodes
Corrélation entre durée totale des épisodes et volume
hippocampique
MacQuenn et al., 2003
3. Interaction avec le traitement
FIG. 3. — La cognition au premier épisode dépressif
Témoins N = 81
Déprimés N = 14
– 1,5
– 1,0
– 0,5
0,0
0,5
1,0
Fonctions
exécutives
Attention Mémoire Motricité Saptial
• Déficit modéré
• Attention et Fonctions exécutives