Dépressions sévères : relation médecin/patient

© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
L’Encéphale (2009) Supplément 7, S310–S313
Disponible en lignesur www.sciencedirect.com
journalhomepage: www.elsevier.com/locate/encep
Dépressions sévères : relation médecin/patient
Severe depression : the doctor/patient relationship
P-M Llorca
CMP B, CHU Clermont-Ferrand, Université d’Auvergne
Résumé La relation médecin-malade est un élément essentiel en médecine. Elle revêt une importance
majeure lors de la prise en charge d’une dépression. Sa qualité a un rôle dans l’identification du trouble,
mais aussi dans la mise en œuvre de stratégies thérapeutiques précoces et pertinentes. De même, cette
relation présente des spécificités dans les dépressions sévères. Une relation partenariale, basée sur une
approche active du clinicien, mais aussi permettant une décision partagée avec le patient en ce qui
concerne la prise en charge, semble être la plus appropriée. Il existe des possibilités d’évolution
importante dans la pratique médicale permettant d’optimiser la thérapeutique chez les sujets souffrant
de dépression.
* Auteur correspondant.
L’auteur a déclaré des conits d’intérêts avec Lilly, Lundbeck, Servier.
MOTS CLÉS
Dépression sévère ;
Partenariat ; Décision
partagée ; Attitudes
vis-à-vis du
traitement ; Approche
pluridisciplinaire
KEYWORDS
Severe depression ;
Partnership ; Shared
decision ; Beliefs
toward treatment ;
Pluridisciplinary
approach
Abstract The relation between doctor and patient is of great importance in clinical practice. For
treating depression, a patient-centered model of practice helps to acquire necessary diagnostic
information, but also to understand the patient’s subjective experience of presenting problems and the
patient’s psychosocial context. That seems to be an important point to focus on in clinical practice, to
improve the treatment of depressed patients. On the other hand, depressed patients with higher
involvement in medical decisions have a higher probability of improving their symptoms. Interventions
to increase patient involvement in decision-making may be an important mean of improving care for and
outcomes of depression. One of the goals clinicians may have, is to achieve shared understanding
between patient and themselves about the patient’s problems and their treatment.
En médecine, la relation médecin-malade est un élément
essentiel de la prise en charge. Chez le patient déprimé, il
s’agit à l’évidence d’un des fondements de cette prise en
charge. Sa qualité a une importance, du repérage clinique
jusqu’à l’organisation du suivi à court et moyen terme. Ses
caractéristiques peuvent être un vrai frein à l’identication
et à la caractérisation clinique du trouble présenté, retar-
dant ainsi la mise en place d’une thérapeutique. Elles peu-
vent également inuencer les modalités de prise en charge
– tant médicamenteuse que psychothérapeutique – et donc
l’évolution, favorisant ainsi l’apparition d’une dépression
répondant mal, voire évoluant de façon chronique.
Toutefois, peut-on considérer qu’il y a des spécicités
de cette relation lors des dépressions sévères ?
Dépressions sévères : relation médecin/patient S311
Dans un premier temps, nous allons évoquer les diffé-
rents aspects de la communication soignant-soigné. Dans
un second temps, nous évoquerons les caractéristiques de
cette relation et son impact chez les patients présentant
un épisode dépressif majeur.
Aspects généraux de la relation
soignant-soigné
Il s’agit, d’une relation, comme souvent évoqué, inégale de
par sa nature, et hiérarchisée de façon variable entre deux
personnes que tout semble opposer dans un schéma sou-
vent caricatural.
Les différents modèles les plus classiques de la relation
soignant-soigné sont :
Le modèle paternaliste basé sur la notion de bienfaisance. Le decin est le seul qui sait ce qui est « bien » (ou
« bon ») pour son patient et l’informe sans discussion des
décisions prises. La relation est dans ce cas très hiérarchi-
sée, unilatérale. Cette approche était la règle jusqu’aux
années 50. Ce modèle est aujourd’hui « périmé » (bien
qu’il soit loin d’avoir disparu dans un certain nombre de
situations).
Le modèle autonomiste. Il met au premier rang l’autono-mie du patient, mais qui, à l’extrême, peut aboutir à un
médecin simplement prestataire de services, le patient
décidant de son bien propre.
Aujourd’hui, un nouveau type de relation médicale tend
à s’installer, situé sur un continuum entre relation paterna-
liste et modèle autonomiste, et centré sur la notion de par-
tenariat.
Les Anglo-saxons parlent de modèle centré sur le patient
(« patient-centered model ») par opposition au modèle cen-
tré sur le médecin ou la maladie (« doctor or disease-cente-
red model »). Dans ce cas, l’interaction médecin-patient a
pour objectif non seulement le recueil d’informations néces-
saires au diagnostic, mais aussi le recueil des expériences
subjectives du patient vis-à-vis de sa pathologie et des élé-
ments du contexte psycho-social. Le but est de construire
une compréhension partagée des manifestations présentées
par le sujet an d’établir un plan de traitement dans ce
registre partenarial précédemment évoqué.
Pour Greeneld et al. et Stewart [5, 9], ce type d’inte-
raction favorise la qualité du contrôle de la maladie (en
particulier dans les troubles chroniques), l’observance au
traitement, la santé physique et aussi la réduction des
coûts de santé.
Qualité de la relation médecin-malade
et exploration clinique chez les patients
déprimés
Plusieurs études ont évalué les différentes modalités d’in-
teraction entre soignant et soigné au moment de l’évalua-
tion clinique dans des populations de patients présentant
un épisode dépressif.
Epstein et al. [4] ont exploré le caractère systématique
du recueil et de l’évaluation des plaintes du patient
déprimé par le clinicien. Ces auteurs ont montré qu’une
évaluation systématique et structurée était associée à un
taux de prescription d’antidépresseur (de façon adaptée)
plus élevé que lorsque cette lorsque médecin ne recueille
que les demandes spontanées du patient. C’est une rela-
tion active de la part du médecin mais aussi du patient qui
permet d’améliorer l’identication clinique des épisodes
dépressifs (et donc la mise en place du traitement néces-
saire). Il ne faut donc pas se contenter d’attendre l’expres-
sion des manifestations cliniques, il faut les chercher…
Schwenk et al. [8] ont mont que, dans une population
de 1 001 patients déprimés traités, la majorité souhaitait une
relation partenariale basée sur le partage des informations.
Linden et al. [7], rapportent une analyse qualitative
décrivant le contenu des entretiens entre médecins et
patients déprimés, au cours de l’évolution de leur maladie.
Ils montrent l’existence de trois phases qui se succèdent :
une première phase est consacrée à l’exploration des dif-
cultés existentielles du sujet et à la construction de l’al-
liance thérapeutique ;
une seconde est centrée sur l’évaluation de l’évolution et le maintien de l’alliance ;
la troisième phase quant à elle, est basée la présentation des stratégies de prévention de la rechute.
Il faut noter que lors de ces évaluations par le médecin
ne sont pas recherchés :
la survenue d’effets indésirables liés au traitementles changements cognitifs présentés par le patientmais aussi, de façon surprenante, les idées suicidaires.
Cette approche qui porte sur le contenu montre la
dynamique de la relation soignant-soigné, mais aussi les
manques en terme d’information recueillie.
Une relation basée sur un
partenariat
, dans laquelle le
médecin explore de
façon active
tous les aspects cliniques
de la maladie dépressive est à la fois
attendue par la majo-
rité des patients, mais aussi gage de meilleure identica-
tion clinique et donc d’amélioration du choix des stratégies
à employer
. Il semble exister, dans les quelques études de la
littérature, une « marge de progression » importante chez
les cliniciens pour mettre en place ce mode de relation. On
peut faire l’hypothèse que des modalités plus hiérarchisées
ou associées à une moindre implication dudecin altèrent
l’identication du trouble et donc la qualité de la prise en
charge favorisant ainsi une évolution moins favorable.
Relation médecin-malade et stratégie
de traitement
La problématique de la décision partagée en médecine
explorée par de nombreux auteurs est également au centre
de ce type de relation dans le domaine de la dépression.
Clever et al. [3], dans une étude portant sur 1 706 patients,
ont évalué la relation entre d’une part le sentiment subjectif
d’être impliq dans lescisions médicales et d’autre part,
P-M LlorcaS312
l’évolution de la symptomatologie dépressive et la concor-
dance de la prise en charge avec les recommandations profes-
sionnelles. Les auteurs montrent que plus les patients sont
impliqués dans les décisions médicales les concernant,
meilleure est l’évolution clinique mais aussi la concordance
des soins reçus avec les recommandations professionnelles.
Dans cette étude, une relation soignant-soigné qui intè-
gre ce partage d’information, y compris dans le domaine du
choix thérapeutique, améliore tant l’évolution clinique du
patient déprimé que la qualité du soin prodigué par le
médecin (mesuré par la correspondance aux recommanda-
tions professionnelles). Ceci souligne une fois de plus l’im-
portance de l’interaction.
Schwenk et al. [8], dans l’étude évoquée précédem-
ment, soulignent que dans leur échantillon, 75 % des
patients préfèrent une approche de décision partagée pour
le choix du traitement. Les patients qui estiment avoir été
insufsamment informés, sont ceux qui présentent le plus
d’effets indésirables précoces mais aussi la moins bonne
observance au traitement.
Toutefois, a contrario, il faut souligner que 25 % des
patients semblent préférer une relation plus hiérarchisée
avec leur médecin, peut être plus rassurante.
Donc si la modalité
partenariale
semble plébiscitée et
présenter le plus d’intérêt pour la
qualité et l’efcacité des
soins
, il ne faut pas perdre de vue que, comme toute inte-
raction, la relation soignant-soigné reste idiosyncrasique.
Aspects spéciques dans la relation
médecin-malade
Dans cette relation, de nombreuses composantes ont un
rôle. Leur identication améliore l’analyse de la relation et
son utilisation pertinente dans la prise en charge.
Croyances du patient
Aikens et al. [1] ont exploré les divers aspects de la dépres-
sion chez 81 patients déprimés suivis en médecine géné-
rale. Ils montrent que l’observance au traitement est
fortement corrélée aux croyances (« beliefs ») du patient
concernant sa maladie et les thérapeutiques. Ces croyan-
ces sont basées sur l’équilibre perçu par le sujet déprimé
entre la nécessité du traitement et les soucis provoqués par
celui-là. Les auteurs proposent une typologie de 4 attitudes
différentes vis-à-vis du traitement :
scepticismeindifférenceambivalenceacceptation
La recherche des
croyances du sujet en ce qui concerne
la maladie et le traitement
, en se basant éventuellement
sur une typologie de ce genre, est un des éléments qui doit
être pris en compte par le clinicien et contribuer à la qua-
lité de la relation soignant-soigné En effet les croyances ne
peuvent être modiées par la simple injonction, elles doi-
vent être évaluées de façon soigneuse pour être éventuel-
lement modiées.
Personnalité du médecin
Peu d’auteurs se sont penchés de façon systématique sur l’im-
portance de la personnalité du médecin dans les modalis de
relation avec les patients dans le cadre de la dépression.
Chapman et al. [2] ont mis en évidence le rôle de per-
sonnalité du médecin dans le type d’interaction observable
entre soignant et sujet déprimé. Quarante-six soignants
ont ainsi complété un questionnaire de personnalité, alors
que les caractéristiques de leur interaction, avec des
patients présentant soit une dépression soit un trouble de
l’adaptation, étaient évaluées.
Les praticiens présentant une personnalité « ouverte »
sont à la fois plus « performants » en terme d’exploration
clinique, mais aussi plus directifs pour l’utilisation des
recommandations professionnelles de prise en charge.
Les médecins les plus anxieux eux-mêmes, ont plus de
difculté à aborder les différentes facettes cliniques de la
maladie.
Il faut également noter que la durée d’exercice est un
facteur de pondération : en effet plus elle est longue
meilleure sera la capacité d’exploration clinique. Ce qui
souligne l’importance de l’expérience.
Comme on le voit, si en tant que soignant on semble se
bonier avec le temps,
l’identication de ses propres dif-
cultés
est un élément à prendre en compte car celles-ci
inuencent les capacités d’exploration clinique et de déci-
sion thérapeutique.
Intensité de la dépression
La sévérité de la dépression a un rôle sur la nature et la
qualité de la relation soignant-soigné.
Katon et al. [6] ont mené une étude chez 215 patients
déprimés traités soit de façon habituelle, soit dans le cadre
d’interventions pluridisciplinaires structurées. L’intervention
structurée pluridisciplinaire (associant médecin généraliste
et psychiatre) est supérieure en terme d’observance, d’ef-
cacité sur la symptomatologie dépressive mais aussi d’attitu-
des vis-à-vis des thérapeutiques antidépressives.
Chez les sujets présentant les formes les moins sévères
de dépression dans cet échantillon, cette intervention pluri-
disciplinaire n’est pas supérieure ni en terme de satisfaction
envers les soins ni en terme d’amélioration des symptômes.
Compte tenu de la nature de l’intervention pluridisci-
plinaire basée notamment sur le partage d’information
entre médecin et patient, on peut inférer de ces données
que les formes les plus sévères (en terme d’intensité symp-
tomatique) sont les plus sensibles à une relation soignant-
soigné partenariale. L’effet porte sur la symptomatologie,
mais aussi sur les attitudes envers les thérapeutiques et la
qualité perçue des soins.
Comme on le voit, les formes les plus sévères de dépres-
sion en termes d’intensité symptomatique,
justient d’autant
plus la mise en place d’une relation partenariale
qui favo-
rise la qualité de la prise en charge.
En conclusion, la relation soignant-soigné est, bien plus
que la connaissance technique, au cœur de la pratique
médicale. Chez les patients déprimés, une relation parte-
nariale basée sur l’échange ouvert d’informations, la prise
Dépressions sévères : relation médecin/patient S313
[2] Chapman BP, Duberstein PR, Epstein RM et al. Patient-cen-
tered communication during primary care visits for depressive
symptoms : what is the role of physician personality ? Med
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health outcomes : a review. CMAJ. 1995 ; 152 (9) : 1423-33.
en compte du vécu subjectif du patient (notamment vis-à-
vis des traitements) et la décision partagée semble essen-
tielle. En effet, elle favorise le repérage clinique et est
souvent associée à une pratique rigoureuse prenant en
compte les recommandations professionnelles. Elle peut
donc éviter que certaines dépressions, du fait de retard au
diagnostic ou de traitements mal conduits (en terme de
durée par exemple) ne deviennent « difciles ». De même,
dans les formes sévères, ce type de relation semble plus
efcace. La notion de décision partagée semble également
une pratique très efciente. Toutefois, la qualité de la
relation nécessite que les praticiens puissent se remettre
en question et prendre en compte leurs propres spécicités
ou difcultés.
Références
[1] Aikens JE, Nease DE, Jr., Nau DP et al. Adherence to mainte-
nance-phase antidepressant medication as a function of
patient beliefs about medication. Ann Fam Med 2005 ; 3 (1) :
23-30.
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