Dépression vasculaire : intérêts et limites du concept I. FABRE (1), T. GALLARDA (1) INTRODUCTION PRÉSENTATION CLINIQUE La dépression vasculaire est un concept clinique émergent. En 1995, Krishnan et Mac Donald (23) suggèrent que la dépression à début tardif est liée à des modifications cérébrovasculaires d’origine athérosclérotique. Ils introduisent le terme de dépression artériosclérotique. Dans ce modèle, les facteurs de risque d’athérosclérose incluent : hypertension artérielle, diabète et dyslipidémie. Les lésions cérébrovasculaires s’accumulent jusqu’à un certain seuil critique, à partir duquel les symptômes dépressifs apparaissent : ce sont des facteurs de vulnérabilité dépressive. Les facteurs psychosociaux, tels qu’événements de vie négatifs, désafférentation sociale, interviennent comme facteurs précipitants. Par ailleurs, le tableau clinique de la dépression vasculaire est relativement spécifique. Sur le plan symptomatique, on décrit un ralentissement psychomoteur marqué (37), peu d’agitation, une apathie et des troubles cognitifs fréquents (1, 2, 3). Il y a peu d’idées suicidaires, peu de sentiments de culpabilité et peu de caractéristiques psychotiques. DÉFINITIONS En 1997, deux définitions de la dépression vasculaire sont proposées : clinique, par Alexopoulos (4, 6), et radiologique, à l’imagerie cérébrale par résonance magnétique cérébrale, par Krishnan (22). La dépression vasculaire est une dépression à début tardif, après l’âge de 60 ans, associée à des facteurs de risque vasculaire, au moins l’existence d’une hypertension artérielle. En outre, la dépression vasculaire est caractérisée par des lésions confluentes de la substance blanche profonde ou des lésions multiples de la substance grise sous-corticale (18, 24). Critères diagnostiques Afin de spécifier les caractéristiques vasculaires d’un trouble dépressif, on retiendra les critères diagnostiques suivants, en faveur du « sous-type vasculaire » (38) : – le début tardif, après 50 ans, ou l’évolution d’une dépression à début précoce, avant 50 ans, au cours d’une maladie vasculaire ; – la perte d’intérêt ; – le ralentissement psychomoteur ; – l’incapacité dans les activités quotidiennes instrumentales ou d’entretien personnel ; – l’absence d’antécédents familiaux de troubles de l’humeur. Il n’existe pas de critère opérant de dépression vasculaire. Cependant, on peut proposer les critères suivants de recherche : – dépression majeure selon le DSM IV ; – âge de début tardif, c’est-à-dire premier épisode dépressif, après 55 ans ; – hyperintensités à l’IRM cérébrale, avec un score lésionnel supérieur à 2 à l’échelle de Scheltens (35), c’està-dire des lésions périventriculaires supérieures à 5 millimètres ou des lésions étendues de la substance blanche. (1) Unité d’évaluation de troubles psychiques et du vieillissement, SHU Psychiatrie, CH Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1141-4, cahier 4 S 1141 I. Fabre, T. Gallarda Étiologie Plusieurs mécanismes étiologiques semblent impliqués dans la survenue de la dépression vasculaire. En effet, de nombreuses données suggèrent le poids de la maladie cérébrovasculaire et des affections médicales au cours du vieillissement (10). Des facteurs génétiques, tels que l’allèle Epsilon 4 de l’apolipoprotéine E (33, 44) et l’hyperhomocystéinémie plasmatique (20), semblent moins impliqués, de même que la personnalité pré-morbide. Évolution En outre, il existe des liens entre anomalies cérébrovasculaires et symptomatologie clinique, au cours du temps. Les facteurs de risque vasculaire sont des facteurs prédictifs de progression des lésions de la substance blanche. L’évolution longitudinale de ces lésions conduit à court terme, à des troubles cognitifs et une faible réponse au traitement antidépresseur (19). À long terme, on observe une chronicité des symptômes dépressifs et une incapacité fonctionnelle (21). Ainsi, la sévérité radiologique des lésions de la substance blanche signe la gravité clinique. Association temporelle et gradient biologique L’association entre lésions en neuro-imagerie et dépression au cours de la dépression vasculaire, suggère l’existence d’un gradient biologique (36). Ce gradient revêt deux aspects : quantitatif, selon la sévérité des lésions, et qualitatif, selon la localisation des lésions. Ainsi, au-dessus d’une certaine charge lésionnelle, les lésions de la substance blanche s’expriment cliniquement (13, 14). De plus, les lésions frontales de la substance blanche, les lésions des ganglions de la base et les lésions gauches, sont fréquentes au cours de la dépression vasculaire (Greenwald et al., 1998, 45 ; Taylor et al., 2003). L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1141-4, cahier 4 Ils montrent que l’athérome, atteinte des artères de gros et moyen calibre, est fréquente, et décrivent une gliose astrocytaire (12). Ces modifications neuropathologiques s’observent électivement dans le cortex dorso-latéral, préfrontal gauche (41, 43). La cascade d’événements neuropathologiques impliqués dans la dépression vasculaire, inclut ICAM-1, molécule d’adhésion intercellulaire, exprimée en cas d’ischémie, par les cellules endothéliales cérébrales (42). De plus, l’immunoréactivité de la protéine glio-fibrillaire acide, GFAP, est aussi augmentée au cours de la gliose, qui fait partie de la réponse inflammatoire classique du système nerveux central, en cas d’ischémie cérébrale (41, 43). Quels liens entre lésions neuroradiologiques et lésions histologiques ? La dépression du sujet âgé, la dépression vasculaire en particulier, s’associe à un certain nombre de modifications structurales cérébrales : atrophie cérébrale frontale droite relative (8), perte de l’asymétrie frontale droite/gauche (26). On décrit souvent un gradient d’asymétrie des volumes frontaux. L’atténuation de cette asymétrie volumétrique « normale » des régions frontales serait la base structurale des troubles dépressifs tardifs. Atrophie frontale, c’est-à-dire diminution de volume du lobe frontal et hyperintensités, c’est-à-dire augmentation de volume des lésions cérébrales, représentent deux mécanismes complémentaires et indépendants de dépression tardive (27). En effet, l’âge accroît l’atrophie cérébrale et la comorbidité médicale, donc les hyperintensités, conduisant à la dépression tardive. L’âge n’exerce pas d’effet délétère direct sur l’humeur, mais il compromet indirectement les structures cérébrales et prédispose à des troubles thymiques tardifs (26). Modèles étiopathogéniques Par ailleurs, la dépression, au décours d’un accident vasculaire cérébral, est un cas particulier de dépression vasculaire (46). En effet, la localisation lésionnelle semble être un facteur prédictif dominant dans la pathogénie de la dépression vasculaire (32). Un modèle physiopathologique intégrant l’ensemble des données histologiques, cliniques et radiologiques, a été proposé par Pugh et al. (32). Ce modèle sous-cortico-frontal intègre donc facteurs de risque, lésions vasculaires des petits vaisseaux ou microangiopathie sous-corticale ischémique, et modifications neuroradiologiques. Le dysfonctionnement sous-cortico-frontal se traduit par des syndromes gériatriques cognitifs (troubles attentionnels et des fonctions exécutives, mémoire de travail), moteur (chutes) et surtout affectif (dépression). Études neuropathologiques TRAITEMENTS Dans une importante série d’études post-mortem, Thomas et al. testent l’hypothèse de la dépression vasculaire (40). La dépression vasculaire est un modèle de dépression tardive résistante, suscitant de nombreux enjeux thérapeutiques (5). Un cas particulier : la dépression post-AVC S 1142 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1141-4, cahier 4 De nouvelles thérapeutiques pourraient inclure l’association de traitements antidépresseurs (9, 30), les traitements de potentialisation par inhibiteurs calciques (39). On retiendra particulièrement l’intérêt des thérapeutiques non invasives telles que la stimulation magnétique transcrânienne (17, 28), les techniques de réhabilitation cognitive (thérapie de résolution de problèmes) (7, 11), les inhibiteurs de l’acétylcholine estérase et la mémantine. CONCLUSION La dépression vasculaire est une dépression organique, liée à des modifications cérébrovasculaires d’origine athérosclérotique, peu sensible au traitement antidépresseur pharmacologique (25). Perspectives : vers de nouvelles entités cliniques ? Le concept de dépression vasculaire peut être inclus dans un vaste spectre pathologique. Dépression vasculaire, trouble cognitif vasculaire et démence sous-corticale ischémique pourraient appartenir à un continuum physiopathologique unique. La dépression sous-corticale ischémique définie à l’IRM est assez spécifique du fait de critères de définition peu inclusifs (25). Le trouble cognitif vasculaire désigne des tableaux cliniques hétérogènes, dont le trouble cognitif léger d’origine vasculaire ou vascular mild cognitive impairment (31). Enfin, la démence sous-corticale ischémique correspond à un stade tardif de la maladie cérébrovasculaire (15, 16, 34). Références 1. ALEXOPOULOS GS. Clinical and biological interactions in affective and cognitive geriatric syndromes. Am J Psychiatry 2003a ; 160 : 811-4. 2. ALEXOPOULOS GS. Vascular disease, depression, and dementia. J Am Geriatr Soc 2003b ; 51 : 1178-80. 3. ALEXOPOULOS GS, KIOSSES DN, KLIMSTRA S et al. Clinical presentation of the « depression-executive dysfunction syndrome » of late life. Am J Geriatr Psychiatry 2002 ; 10 : 98-106. 4. ALEXOPOULOS GS, MEYERS BS, YOUNG RC et al. Clinically defined vascular depression. Am J Psychiatry 1997b ; 154 : 562-5. 5. ALEXOPOULOS GS, MEYERS BS, YOUNG RC et al. Executive dysfunction and long-term outcomes of geriatric depression. 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