S. Tardieu et al. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 697-704, cahier 1
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duits dans les années 1950 en raison de leur activité anti-
délirante et antihallucinatoire, les neuroleptiques ont révo-
lutionné le devenir et le pronostic de la schizophrénie. Le
champ thérapeutique de la schizophrénie s’est enrichi
depuis ces dernières décennies de molécules, les anti-
psychotiques atypiques (clozapine, amisulpride, rispéri-
done, olanzapine, par exemple) ayant pour caractéristi-
ques communes une activité antipsychotique égale ou
supérieure à celle des neuroleptiques classiques avec un
minimum d’effets secondaires, comme le rapportent les
essais cliniques (35).
Malgré les progrès des 50 dernières années, la schi-
zophrénie demeure une des affections les plus difficiles,
parfois à identifier, toujours à traiter. La réinsertion des
patients schizophrènes est un objectif désormais partagé
par l’ensemble des professionnels de soins et des parte-
naires naturels du patient, famille, entourage (30). Elle est
surtout et avant tout souhaitée par les patients eux-mêmes
(42). Aussi, l’impact de la prise en charge des patients
schizophrènes et des stratégies pharmacologiques sur
l’état de santé du patient et sa qualité de vie constituent
un enjeu de taille pour l’évaluation du système de soins
(et ses modalités de prise en charge) d’autant que les con-
naissances sur le sujet sont parcellaires ou limitées, pour
les médicaments antipsychotiques, aux études menées
dans les conditions expérimentales des essais cliniques.
Alors que l’activité et la satisfaction sexuelles contri-
buent de manière importante à la qualité de vie d’un sujet,
peu de travaux se sont attachés à étudier les comporte-
ments sexuels, notamment chez le patient schizophrène.
L’évaluation des fonctions sexuelles est quasi absente
lors des premières phases cliniques du développement,
davantage orientées vers l’efficacité et la tolérance des
molécules (cardiaque, neurologique ou hépatique) (35).
COMPORTEMENTS SEXUELS CHEZ LE PATIENT
SCHIZOPHRÈNE
Le domaine de la sexualité est infiltré des valeurs pro-
pres du patient et des conceptions qu’il en a à travers son
histoire, son éducation et son expérience. Alors que l’acti-
vité et la satisfaction sexuelles contribuent de manière
importante à la qualité de vie d’un sujet, peu de travaux
se sont attachés à étudier ces comportements. Plusieurs
arguments peuvent expliquer ce manque d’information :
difficulté des patients à en parler, difficulté des médecins
et autres professionnels de santé à aborder ce sujet, ou
encore absence d’outil adéquat d’évaluation des compor-
tements sexuels.
Les différentes modifications du comportement sexuel
peuvent porter, entre autres, sur le désir, la stimulation,
l’activité sexuelle, l’orgasme, les dysfonctionnements
sexuels et la satisfaction sexuelle. Ces aspects sont à dis-
tinguer des troubles des fonctions reproductives (aménor-
rhée, galactorrhée, gynécomastie) et des troubles de
l’identité sexuelle. De plus, les études publiées se limitent
souvent à aborder un seul aspect des fonctions sexuelles,
et ce pour une population constituée exclusivement de
sujets du même sexe.
Par ailleurs, différents facteurs peuvent modifier ces
comportements sexuels, comme l’apparition de certaines
pathologies (psychiatriques, cardio-vasculaires, dia-
bète…), la prise de traitement (certains antidépresseurs,
antipsychotiques…) ou bien certaines circonstances de la
vie.
La fréquence et la sévérité des troubles sexuels sont
probablement sous-estimées. Les patients rapportent
spontanément des troubles sexuels dans 3-33 % des cas
alors que ce pourcentage s’élève à 58-96 % si la question
est posée par le médecin (46). Une étude réalisée auprès
de 68 psychiatres a montré que seulement 10 % d’entre
eux demandent à leurs patients s’ils ont des effets secon-
daires médicamenteux d’ordre sexuel, et 2/3 des méde-
cins informent rarement ou jamais leurs patients de cette
éventualité (51).
Plus spécifiquement, la relation entre la schizophrénie
et le comportement sexuel est complexe (4, 41). Certaines
modifications du comportement sexuel chez le patient
schizophrène pourraient être liées à un manque d’intérêt
pour l’activité sexuelle, ceci étant dû à un faible degré de
compétence sociale, au manque d’expérience de relation
sexuelle et au fort taux de célibataires (41). De plus, cer-
tains symptômes (hallucinations, délire) pourraient affec-
ter l’activité sexuelle du patient schizophrène (4, 49).
Une étude comparant les comportements sexuels des
schizophrènes de sexe masculin à des sujets témoins a
montré qu’il n’y a pas de différence significative concer-
nant la satisfaction sexuelle et la stimulation. En revanche,
chez les patients schizophrènes non traités, une fré-
quence plus importante de la masturbation, de certains
dysfonctionnements sexuels (absence d’érection ou éja-
culation prématurée notamment) ainsi qu’une diminution
du désir ont été observées dans cette même étude (2).
Un suivi de 350 patientes schizophrènes au Canada a
montré que les plaintes les plus fréquentes étaient
l’absence de partenaires (60 %), une diminution du désir
(40 %), le viol (40 %), l’aménorrhée (20 %), l’échange de
biens contre une relation sexuelle (20 %), une augmen-
tation du désir (20 %). À un moindre degré, les problèmes
de dyspareunie, de lubrification et de troubles menstruels
étaient aussi signalés (49). Plus généralement, et comme
déjà noté par d’autres auteurs (13), si la majorité des
patients schizophrènes souffrent d’une diminution de leur
activité sexuelle, certains présentent au contraire une aug-
mentation de cette activité.
Certains de ces résultats sont confirmés dans une
étude récente qui rapporte que les dysfonctionnements
sexuels sont plus importants chez les patients schizo-
phrènes que dans la population générale. En effet, 82 %
des hommes et 96 % des femmes schizophrènes rappor-
tent au moins un dysfonctionnement sexuel. Les hommes
rapportent, entre autres, des troubles concernant l’érec-
tion et l’éjaculation ainsi qu’une diminution du désir (32).
Cependant, il semble que, depuis quelques années, l’acti-
vité sexuelle des patients schizophrènes aurait tendance