L’Encéphale (2011) 37, 15-17

publicité
L’Encéphale (2011) 37, 15-17
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Les antipsychotiques atypiques chez l’adolescent :
quels enjeux pour l’avenir ?
D. Cohen
Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France
Consommations et prescriptions
En France, les indications, en pratique courante, des antipsychotiques atypiques (ou antipsychotiques de seconde génération) sont les épisodes psychotiques aigus ; les schizophrénies ;
les troubles du comportement (comme l’agressivité) associés
ou non au retard mental et au trouble envahissant du développement ; les formes sévères du syndrome de Gilles de la
Tourette ; le trouble bipolaire et la dépression délirante ; et
le syndrome d’hyperactivité-déficit de l’attention.
Aux États-Unis, les données de la FDA montrent que trois
produits (la rispéridone, l’aripiprazole et la quétiapine)
représentent l’essentiel des prescriptions d’antipsychotiques atypiques chez les enfants et adolescents jusqu’à
17 ans. Ces mêmes données nord- américaines indiquent
que 250 000 enfants de moins de 6 ans ont reçu une prescription d’antipsychotique en 2008 [6].
En France, les données sur les prescriptions en santé mentale chez l’enfant sont issues de deux sources : les données
de la CNAM analysées par Acquaviva et al. [1] et celles de
la MGEN analysées par Kovess et al. [7]. Les données de la
CNAM montrent un taux de prescription d’antipsychotiques
significatif dans la population des 15-18 ans, puisqu’il
approche 1 % chez les garçons [1] (Tableau 1).
Correspondance.
Adresse e-mail : [email protected] (D. Cohen).
© L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés.
Tableau 1 Estimation de la prévalence française
dans l’utilisation des antipsychotiques en 2004
0-4
5-9
10-14
15-18
Tous
Garçons (‰)
Filles (‰)
Tous (‰)
[0,62 ; 0,64]
[3,0 ; 3,1]
[4,5 ; 4,6]
[7,4 ; 7,6]
[4,1 ; 4,2]
[0,38 ; 0,39]
[1,2 ; 1,3]
[1,9 ; 2,0]
[5,9 ; 6,0]
[2,5 ; 2,6]
[0,51 ; 0,52]
[2,1 ; 2,2]
[3,2 ; 3;3]
[6,6 ; 6,8]
[3,3 ; 3,4]
Études d’efficacité disponibles
Les études randomisées d’efficacité des antipsychotiques
en pédiatrie ont été réalisées, en vue d’une indication
d’AMM, dans la schizophrénie, le trouble bipolaire, et les
troubles du comportement associés à l’autisme ou au
retard mental, avec des nombres de sujets inclus relativement importants. Ainsi, aux États-Unis, l’aripiprazole,
l’olanzapine, la quétiapine, et la rispéridone ont une autorisation de la FDA pour la manie bipolaire, de 10 à 17 ans
(13 à 17 ans pour l’olanzapine), et pour la schizophrénie
de l’adolescent de 13 à 17 ans. L’aripiprazole et la rispéridone ont de plus une autorisation pour les troubles du
16
D. Cohen
comportement (irritabilité et agressivité) associés à l’autisme et aux retards mentaux, de 6 à 17 ans [2].
En France, les AMM chez l’enfant et l’adolescent
concernant les antipsychotiques portaient uniquement,
jusqu’en 2007, sur les antipsychotiques de première génération. Depuis lors, deux produits ont obtenu une AMM :
l’aripiprazole (10 à 30 mg) dans la schizophrénie de l’adolescent de plus de 15 ans ; et la rispéridone (2 à 8 mg), dans
les troubles graves du comportement dans le retard mental
et les syndromes autistiques entre 6 et 11 ans, et dans les
schizophrénies et psychoses à partir de 15 ans.
Profils d’effets secondaires
Le problème de la tolérance neurologique est le problème central en matière d’antipsychotiques. Il faut bien
faire la distinction entre dystonies tardives et dyskinésies
tardives (Tableau 2). Chez le sujet jeune, ce sont les dystonies tardives qui posent des problèmes graves. Il s’agit de
manifestations touchant préférentiellement le tronc, dont
le sujet a totalement conscience, et donc dont il souffre [4].
Une étude très importante de pharmacovigilance a été
publiée aux États-Unis sur plus de 4 millions de prescriptions d’olanzapine, dont 24 000 chez des enfants et
23 400 chez des adolescents [8]. Cette étude montre un
risque relatif 4 à 5 fois plus important de sédation, de prise
de poids et de dystonies/dyskinésies tardives chez l’enfant
par rapport à l’adulte, ainsi qu’un risque relatif de sédation
2 fois plus élevé et de prise de poids 3 fois plus élevé chez
l’adolescent par rapport à l’adulte. Mais cette étude reste
très peu citée…
Pour préciser cette question des effets adverses des
antipsychotiques atypiques chez l’enfant et l’adolescent,
nous avons mené une méta-analyse en recherchant toutes
les études de la littérature concernant ce sujet. Nous avons
retenu 41 études pertinentes, regroupant 4000 patients
correspondant à 93 bras. Ces études étaient, soit contrôlées contre placebo, soit comparant deux molécules entre
Tableau 2 Distinction entre dystonies tardives
et dyskinésies tardives
Dystonies tardives
Dyskinésies tardives
Sujet jeune
Au cours du traitement
Homme
Souffrance importante
Handicap sévère
Rémission rare
Amélioré
par les anti-cholinergiques
Réponse à la clozapine
Sujet âgé
Après le traitement
Femme
Souffrance rare
Peu de handicap
Rémission fréquente
Aggravation
sous anti-cholinergiques
Pas de réponse
à la clozapine
elles, soit naturalistes. Leur durée était généralement
brève (moins de 12 semaines). Les données recueillies
concernaient la prise de poids, la sédation, les données
métaboliques, et la symptomatologie extra-pyramidale.
Dans la méta-analyse bayésienne effectuée, tous les types
de comparaisons sont pris en compte dans l’analyse et les
calculs probabilistes de manière simultanée en fonction du
nombre de sujets inclus et du nombre d’études comparatives.
Concernant la prise de poids, les résultats montrent une
prise de poids moyenne par sujet significativement plus
grande sous produit actif que sous placebo avec tous les
antipsychotiques atypiques (la moins marquée avec l’aripiprazole et la plus marquée avec l’olanzapine), sauf sous
ziprasidone ; ils montrent également une proportion de
sujets présentant une prise de poids significative plus
grande avec la clozapine et l’olanzapine, et moins grande
avec la ziprasidone. Concernant les données métaboliques,
l’olanzapine et la rispéridone augmentent significativement la glycémie vs placebo ; l’olanzapine et la quétiapine
augmentent significativement le cholestérol et les triglycérides plasmatiques [5]. L’importance clinique des anomalies métaboliques retrouvées ne paraît pas considérable
pour les endocrinologues d’enfants et d’adolescents ; mais
il s’agit ici de données de court terme, et ces modifications
deviennent sans doute beaucoup plus pertinentes lorsqu’on
retient les indications habituelles des antipsychotiques
(schizophrénies et troubles bipolaires), qui sont des indications de long ou très long terme [3].
Concernant la sédation, celle-ci apparaît significativement supérieure au placebo pour tous les produits, même
si elle est nettement plus marquée pour la clozapine. Enfin,
concernant les effets extra-pyramidaux, ils sont également
présents chez un nombre significativement plus grand de
sujets que sous placebo avec tous les produits, et en particulier la ziprasidone. Ces données sur la ziprasidone semblant différer de celles retrouvées chez l’adulte, on peut se
poser la question d’un profil de tolérance particulier des
adolescents pour cette molécule [5].
Nous avons résumé dans le tableau suivant de manière
qualitative les principaux effets secondaires des antipsychotiques atypiques tels qu’appréciés dans ce travail de
méta-analyse (Tableau 3).
Conclusion
Les antipsychotiques atypiques sont donc des molécules qui
ont fait la preuve de leur intérêt dans plusieurs indications
chez l’enfant et l’adolescent. L’efficacité symptomatique
parait équivalente d’une molécule à l’autre. Toutefois, les
effets secondaires sont plus nombreux que chez l’adulte ;
il faut donc être attentif à ne pas dériver vers une inflation
de prescriptions. Le profil d’effets secondaires apparaît
très différent d’une molécule à l’autre, comme le montre
Les antipsychotiques chez l’adolescent : quels enjeux pour l’avenir ?
17
Tableau 3 Résumé des effets secondaires des APA rapports dans les études à court terme (≤ 1res semaines) [5]
Aripiprazole
Clozapine
Olanzapine
Quetiapine
Risperidone
Ziprasidone
Ò Poids
+
++++
++++
+++
++
+/-
Ò Glucose
+/-
?
+
+/-
++
0
Ò Cholesterol
0
?
+++
++++
0
0
Ò Triglycérides
0
+++
++++
++++
+/-
0
Hyperprolactinemie
0
?
+++
+/-
++++
++
Sédation
++
++++
++
+
++
++
S. extrapyramidal
+
0
++
+/-
+
++++
le tableau précédent. Les antipsychotiques atypiques ne
devraient donc pas être considérés comme une classe en
soi, homogène : ils se différencient des antipsychotiques de
première génération du fait de leur moindre incidence
d’effets extra-pyramidaux, mais il faut connaître molécule
par molécule le profil de tolérance des antipsychotiques
atypiques pour les prescrire à bon escient.
[2]
[3]
[4]
Conflits d’intérêts
[5]
Dr. Cohen a reçu des honoraires de consultations (ScheringPlough, Bristol-Myers Squibb, Otsuka, Janssen, SanofiAventis).
[6]
Références
[7]
[1]
Acquaviva E, Legleye S, Auleley GR, et al. Psychotropic medication in the French child and adolescent population: prevalence estimation from health insurance data and national
self-report survey data. BMC Psychiatry 2009;9:72.
[8]
Bonnot O, Holzer L. Les antipsychotiques de seconds generations chez l’enfant et l’adolescent. Neuropsychiatrie de
l’Enfance et de l’Adolescence (à paraitre).
Bonnot O, Inaoui R, Lloret Linares C, et al. Principe de surveillance des effets métaboliques, de l’hyperprolactinémie
et du rythme cardiaque pour les antipsychotiques atypiques
chez l’enfant et l’adolescent. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2010;58:431-8.
Charfi F, Cohen D, Houeto Jl, et al. Tardive dystonia induced by
atypical neuroleptics: a case report with olanzapine. Journal
of Child and Adolescent Psychopharmacology 2004;14:151-4.
Cohen D, Bonnot O, Bodeau N, et al. Adverse effects of second generation antipsychotics in children and adolescents: a
bayesian meta-analysis (soumis à publication).
Governale L, Mehta H. Outpatient use of atypical antipsychotic agents in the pediatric population : years 2004-20082009; http://www.fda.gov/downloads/AdvisoryCommittees/
CommitteesMeetingMaterials/PediatricAdvisoryCommittee/
UCM193204.pdf. Accessed 07/26, 2010.
Sevilla-Dedieu C, Kovess-Masféty V. Psychotropic medication
use in children and adolescents: a study from France. J Child
Adolesc Psychopharmacol 2008;18:281-9.
Woods SW, Martin A, Spector SG, et al. Effects of development on olanzapine-associated adverse events. J Am Acad
Child Adolesc Psychiatry 2002;41:1439-46.
Téléchargement