L’Encéphale (2013) 39, S145-S148 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP Clinique des manies mixtes Clinical description of mixed mania M. Maurela*, R. Belzeauxa, E. Fakraa, M. Cermolaccea, D. Dassab, M. Duboisb, J.-A. Micoulaud Franchia, N. Corréarda, J.-M. Azorina aSHU bPôle Psychiatrie Adultes-Pavillon Solaris, Hôpital Sainte-Marguerite de Psychiatrie Centre, Hôpital de la Conception, Bd Baille, 13006 Marseille, France MOTS CLÉS Troubles bipolaires ; Manie mixte ; DSM-5 ; État mixte ; Suicide ; Anxiété ; Caractéristiques psychotiques KEYWORDS Bipolar disorders; Mixed mania; DSM-5; Mixed state; Suicide; Anxiety; Psychotic features Résumé Les états mixtes du DSM-IV sont devenus les manies et dépressions mixtes du nouveau DSM-5. La principale nouveauté est l’apparition de neuf spéciÀcations, dont celle de mixité. Ces spéciÀcations non exclusives permettront de mieux isoler certaines catégories cliniques, et ainsi de mieux y répondre sur le plan thérapeutique. Une clinique dimensionnelle riche permet d’isoler un facteur de mixité, régulièrement associé à un facteur anxieux et un facteur psychotique, qui sont deux autres de ces spéciÀcations. Ceci incite à la plus grande prudence dans l’établissement d’un diagnostic, et à la plus grande vigilance dans la prise en charge de ces situations cliniques. © L’Encéphale, Paris, 2013. Tous droits réservés. Summary DSM-IV mixed states have become the mixed mania and mixed depression in the new DSM-5. One noticeable point is the introduction of nine speciÀcations, among which the “with mixed features” speciÀcation. These non exclusive speciÀcations may contribute to a more precise identiÀcation of mixed clinical pictures, and therefore to offer a more efÀcient therapeutic answer. Different dimensional approaches are widely documented. They allow the isolation of a mixed factor which is clinically associated with two other speciÀcations: anxious distress and psychotic features. These severity markers may encourage clinicians to be alert about the risk of misdiagnosis, and cautious in the management of these clinical situations. © L’Encéphale, Paris, 2013. All rights reserved. *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Maurel). © L’Encéphale, Paris, 2013. Tous droits réservés. S146 Introduction La clinique des manies mixtes est complexe. La coexistence requise dans la perspective catégorielle du DSM-IV, de tous les critères de l’état maniaque et de tous les critères de l’état dépressif dans un même temps, pour déÀnir un état mixte était pour la majorité des auteurs réductrice. Ce champ trop étroit ne correspondait pas à celui des cliniciens, pas plus qu’à celui des recommandations thérapeutiques de consensus. Il ne répondait pas non plus aux besoins de la recherche, comme en témoignent les données épidémiologiques dont les résultats ont souffert d’une grande variabilité. Ceci rejoint Angst pour qui ces critères étaient remplis pour moins de la moitié des patients actuellement traités comme présentant un état mixte [1,2]. L’introduction d’un axe plus dimensionnel était une nécessité. Cette modiÀcation apparaît sous la forme de différentes spéciÀcations de l’état maniaque, non exclusives les unes des autres. Quelles que soient les approches de cette entité clinique en voie de déÀnition, les caractéristiques cliniques se rejoignent. Elles convergent vers des états globalement plus sévères, marqués par une forte association à des éléments anxieux et psychotiques, une réponse thérapeutique moins bonne et sont associées à un pronostic général plus pessimiste que dans les formes pures de manie. Approche catégorielle La dernière édition du DSM-5, propose des changements notables en ce qui concerne les états dits mixtes jusqu’alors, qui disparaissent au proÀt de deux catégories : les dépressions mixtes et les manies mixtes, qui de plus bénéÀcient de spéciÀcations cliniques. En premier lieu, le critère A, pivot de la déÀnition du trouble, est modiÀé. L’hyperactivité apparaît. Cette « augmentation de l’activité ou de l’énergie orientée vers un but » devient une condition nécessaire et donc restrictive et suscite certaines réserves et polémiques [2]. Le critère A requiert donc, comme dans la version précédente, une humeur euphorique ou irritée, et désormais une hyperactivité que l’on peut comprendre ici comme une agitation psychomotrice. Un critère d’exclusion disparaît : celui d’état mixte. L’état mixte restrictif et peu opérant du DSM IV devient ainsi un état maniaque à part entière. Ce qui, sur le plan de la pratique était déjà le cas pour de nombreux cliniciens, en particulier grâce aux travaux de Henry [3]. EnÀn, une note rejoint littérature et pratique clinique. Elle stipule qu’un épisode maniaque qui survient sous traitement antidépresseur mais qui persiste au-delà des effets physiologiques de ce traitement est une preuve sufÀsante pour un épisode maniaque, et donc pour un diagnostic de M. Maurel, et al. Trouble Bipolaire I [4]. Ceci implique des modiÀcations du critère d’exclusion qui reste d’usage concernant un tableau lié à l’effet physiologique d’un toxique ou d’une pathologie somatique, puisqu’il ne s’applique plus aux antidépresseurs. En second lieu, des spéciÀcations apparaissent et concernent l’ensemble des troubles bipolaires. Elles ne sont pas exclusives les unes des autres et permettent d’évaluer la sévérité du trouble, selon leur nombre. Ces spéciÀcations introduisent une plus large palette de situations cliniques dans cette approche pourtant typiquement catégorielle du DSM. Elle concerne les cas où, bien que ne satisfaisant pas aux critères d’un trouble bipolaire caractérisé, le clinicien peut cependant considérer que le diagnostic de trouble bipolaire est applicable. Elles peuvent également préciser un trouble bipolaire caractérisé. SpéciÀcations du DSM-5 : • Avec troubles anxieux • Avec éléments de mixité • Avec cycles rapides • Avec caractéristiques mélancoliques • Symptômes atypiques (anomalies de la réactivité émotionnelle par exemple) • Avec symptômes psychotiques (congruents et non congruents) • Avec catatonie • Avec début péri-puerpéral • Avec saisonnalité [4]. La spéciÀcation « avec éléments de mixité », se divise en critères de manie (hypomanie) mixte et critères de dépression mixte. La manie (hypomanie) mixte dispose désormais d’une traduction critériologique propre, qui est la suivante : A. Tous les critères pour un épisode maniaque ou hypomaniaque sont remplis, et au moins 3 des éléments suivants sont présents : 1. Prédominance d’une humeur dysphorique ou déprimée 2. Diminution de l’intérêt ou du plaisir pour presque toutes les activités 3. Ralentissement psychomoteur (observé) 4. Fatigue ou perte d’énergie 5. Sentiment de dévalorisation ou culpabilité inappropriée 6. Idées récurrentes de mort, ou de suicide ou tentative de suicide B. Les symptômes de mixité sont observables par l’entourage et sont une modiÀcation du comportement habituel. C. Si les critères de manie et de dépression sont remplis, le diagnostic est celui d’état maniaque. D. Les symptômes mixtes ne sont pas attribuables à une substance [4]. Les critères A et C, dont le dernier reprend la requaliÀcation globale de l’état mixte du DSM-IV par l’état maniaque du DSM-5, sont novateurs même si l’ensemble de la déÀnition fait encore débat [5]. Globalement, l’ensemble de ces modiÀcations critériologiques, dans une tradition strictement catégorielle, Clinique des manies mixtes introduit une certaine part proportionnelle de clinique dimensionnelle, fragmentant le continuum en catégories plus ouvertes, plus Ànes, et donc plus prometteuses. Approche dimensionnelle Au-delà de l’actualité catégorielle, l’entité clinique de manie mixte ou d’état mixte a été explorée par de nombreuses équipes. Certaines se sont intéressées à différentes dimensions, pour partie communes, et ont fait émerger des symptômes ou cohortes de symptômes, ou de dimensions assorties d’une validité clinique incontestable. Trois principales contributions sont évoquées ci-dessous. • La dimension dysphorique de Bertshy. Qui associe trois symptômes fondamentaux déÀnissant la dysphorie : Tension interne, Impulsivité et Irritabilité [6]. • L’index de mixité de Swann : cet index, déÀni à partir de plusieurs variables cliniques de mixité, est corrélé positivement aux scores d’anxiété et de psychose lors d’un épisode [7]. • La notion de réactivité émotionnelle développée par Henry, en particulier des liens entre l’hyper réactivité émotionnelle et la composante maniaque de la mixité [8,9]. Épidémiologie et clinique Globalement, un état mixte est un tableau schématiquement sévère. Sévère dans sa présentation et potentiellement dans son évolution. Compte tenu de la grande inhomogénéité des critères retenus et de la disparité des seuils de déÀnition, les données épidémiologiques et cliniques sont parfois très différentes. Elles sont dans la plupart des cas cependant orientées dans la même direction [5]. La prévalence est estimée en moyenne à 31 %, elle est comprise selon les études entre 7 % et 66 %, cette importante différence est directement liée à la plus ou moins grande ouverture des critères diagnostiques utilisée [10]. Leur fréquence est signiÀcativement supérieure chez la femme, avec des résultats plus homogènes de 63 % à 67 % des cas [8,11]. L’âge de survenue d’un premier épisode est généralement admis comme plus précoce, de plus, la survenue d’un état mixte antérieur augmente signiÀcativement le risque d’en présenter un ultérieurement [12,13]. La présence de comorbidités est fréquente, principalement addictives et anxieuses, elles grèvent le pronostic [11,14]. Les rechutes sont plus fréquentes [15]. Le risque suicidaire est élevé [3,16]. Sur le plan strictement symptomatique, la mixité, est souvent associée à des éléments psychotiques ainsi qu’à un niveau d’anxiété élevé [17]. Ce noyau anxieux, du moins S147 les scores d’anxiété au cours des états mixtes, sont corrélés positivent, de façon robuste, à ceux des facteurs psychotique et dysphorique [5,17-19]. Au total, le pronostic est moins bon que dans les autres formes d’états thymiques aigus d’autant que la réponse médicamenteuse est plus difÀcile à obtenir, les intervalles libre plus courts et le retentissement fonctionnel plus important [17,20-22]. Conclusion Les manies mixtes, qui apparaissaient jusqu’alors dans la littérature dans le champ des états mixtes, bénéÀcient dans la dernière version du DSM d’une critériologie spéciÀque. En dehors de cette actualité, de nombreux éléments issus d’approches dimensionnelles sont individualisés, en lien avec la présentation clinique spéciÀque de la mixité. Celle-ci implique les notions de sévérité, d’éléments psychotiques, anxieux et dysphoriques conduisant souvent à des erreurs de diagnostic, de comorbidités plus nombreuses, d’un risque suicidaire élevé, de rechutes plus fréquentes, d’une réponse au traitement moins bonne. La nouvelle approche du DSM-5 est globalement plus ouverte que la précédente, et permet de mieux colorer la catégorie de sa présentation clinique. Les prochaines études utilisant cette nouvelle grille pourront, si la validité des critères est bonne, permettre d’élaborer des stratégies thérapeutiques plus afÀnées [1,23]. Liens d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt pour cet article. Références [1] Angst J, Gamma A, Clarke D, et al. Subjective distress predicts treatment seeking for dépression, bipolar, anxiety, panic, neurasthenia and insomnia severity spectra. Acta Psychiatr Scand 2010;122:488-98. [2] Angst J. Bipolar disorders in DSM-V: strengths, problems ans perspectives. 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