États mixtes S183
Le rationnel de cette modifi cation repose notamment
sur le fait qu’une proportion importante de sujets pré-
sentant un épisode maniaque ou dépressif, présente des
symptômes de tonalité thymique opposée, sans qu’on
puisse pour autant – compte tenu du caractère restrictif
des critères diagnostiques – porter le diagnostic d’épisode
mixte. Ainsi, Goldberg et al. [24] observaient dans une
population de 1 380 patients bipolaires présentant un
épisode dépressif majeur, seulement 1/3 d’épisode dépres-
sif « pur » et 54 % de dépression avec 1 à 3 symptômes
maniaques.
Les sujets déprimés présentant jusqu’à 3 symptômes de
la lignée maniaque pourraient par ailleurs être considérés
comme présentant une vulnérabilité élevée à la bipola-
rité [10]. Cette approche suggère une nouvelle place de la
mixité, passant dans les classifi cations actuelles d’entité
syndromique « indépendante », à une dimension des épi-
sodes thymiques, dans le futur DSM.5, ayant un impact à
la fois en termes de pronostic et d’évolution, mais aussi
d’approche thérapeutique. Le groupe de travail du DSM.5 a
ainsi fait la proposition d’introduire cette notion de « carac-
téristique mixte » pouvant être portée aussi bien chez un
sujet maniaque, qu’hypomaniaque ou déprimé. Il convient
toutefois d’attendre la publication de la version défi nitive
du DSM.5 prévue en mai 2013.
Épidémiologie
La prévalence des états mixtes est largement dépendante de
la défi nition employée. Dans diverses études prospectives, la
fréquence de survenue varie entre 19 et 66 %, si l’on utilise
les critères de la CIM 10 ou les critères de Cincinnati [25].
Il existe dans la plupart des études une prédominance
féminine. L’âge de début (premiers symptômes, premier
traitement ou première hospitalisation) ne semble pas
spécifi que dans cette population.
Dans une étude menée dans un échantillon de
1 000 patients présentant un état maniaque, Hantouche
et al. [26] ont retrouvé un symptôme dépressif chez 204
sujets (18,7 %) et deux symptômes chez 331 (30,4 %). Les
symptômes les plus fréquents étaient la labilité émotion-
nelle, l’irritabilité puis l’humeur dépressive et la fatigue.
Les sujets présentant un épisode mixte étaient plus souvent
de sexe féminin, pour lesquels l’errance diagnostique avait
été signifi cativement plus fréquente, avec notamment des
diagnostics initiaux de troubles de la personnalité ou de
comorbidité anxieuse.
Une cohorte de 771 patients souffrant d’état
maniaque [27] a permis d’isoler un échantillon important
de patients présentant un état mixte (34 %). Ce dernier
était caractérisé par une surreprésentation féminine, une
évolution récente marquée par de plus nombreux épisodes,
un nombre supérieur d’antécédents de tentatives de
suicide et de cycles rapides et une atteinte fonctionnelle
plus marquée (tant dans la vie quotidienne que sur le plan
professionnel).
Aspects évolutifs
De nombreuses études ont étudié la survenue et l’évolution
des états mixtes.
Tout d’abord, peu de données permettent d’établir un
pattern saisonnier, chez les patients présentant des états
mixtes. Cassidy et Caroll [28] ont décrit un pic de survenue à
la fi n de l’été, les manies pures survenant, pour ces auteurs,
plutôt au printemps. L’impact de la saisonnalité dans la
tonalité des décompensations thymiques, bien que faisant
l’objet de descriptions anciennes, reste une donnée mal
connue. À l’extrême, la théorie chronobiologique infra-
dienne pourrait tendre vers une modélisation du risque de
mixité des épisodes dépressifs, qui serait d’autant plus grand
qu’ils surviendraient à distance de la fi n de l’automne ou
de l’hiver. La pertinence de ce modèle en pratique clinique
courante reste bien entendu toute relative.
Sur le plan thérapeutique, il est assez communément
admis que les épisodes mixtes répondraient plus mal aux
sels de lithium, mais aussi de façon plus globale, aux
thérapeutiques mises en œuvre. Pourtant, les études
portant spécifi quement sur les options thérapeutiques des
épisodes mixtes, se confrontent à d’importantes diffi cultés
méthodologiques, notamment en termes de défi nition de
ces épisodes, ce qui pourrait fi nalement nuire à la mise en
évidence, avec un bon niveau de preuve, d’une effi cacité
thérapeutique [29].
Comme retrouvés dans les analyses en cluster évoquées
précédemment, les sujets présentant des états mixtes sem-
blent avoir une trajectoire dépressive prédominante, avec
des périodes de rémission plus courtes et moins nombreuses,
et également une moins bonne récupération [19,25,30].
À partir des résultats d’études prospectives, au cours de
la trajectoire d’un patient, le caractère mixte ou « pur » des
épisodes semble persister, contrairement aux descriptions de
Carlson et Goodwin [9] évoquées précédemment.
Comorbidités – Suicidalité
L’abus de substance est une comorbidité plus fréquente lors
de la survenue d’états mixtes. Une fois de plus les impréci-
sions méthodologiques rendent les résultats de la littérature
diffi ciles à interpréter. Cette comorbidité altère toutefois le
pronostic et la réponse au traitement [31].
La comorbidité anxieuse favoriserait la survenue d’épi-
sodes mixtes dans le cours évolutif du trouble bipolaire [26].
Deux mécanismes pourraient expliquer cette association :
• la prescription plus fréquente d’antidépresseurs pour trai-
ter le trouble anxieux, favoriserait les virages dysphoriques
de l’humeur ;
• il existerait une instabilité accrue de l’humeur du fait de
la comorbidité (effet spécifi que du trouble anxieux).
La mortalité par suicide est 30 fois plus élevée dans
le trouble bipolaire que dans la population générale [32].
Chez les patients présentant un épisode mixte, la suicidalité
semble plus importante, bien que les données soient discu-
tées en fonction de la méthodologie des différentes études.
Dans une étude réalisée chez des adolescentes, la présence
d’un état mixte multiplie par 4 le risque de geste suicidaire
par rapport à celle d’un état dépressif majeur [33]. Dans
une cohorte de patients maniaques ou mixtes, 54,5 % des
patients mixtes étaient suicidaires contre 2 % des patients
présentant une manie « pure » [34].
La non- résolution d’un état mixte serait associée à un
risque accru de répétition des gestes suicidaires [32].
Pour certains, la présence d’idées suicidaires au cours
d’un épisode maniaque oriente plus fortement vers le dia-
gnostic d’état mixte avec une bonne valeur prédictive [35].
Ces patients doivent donc être considérés comme à haut
risque suicidaire.