M. Maurel et al.S24
Introduction
La littérature concernant les aspects cliniques et thérapeu-
tiques d’un épisode maniaque est extrêmement riche, mais
elle n’explore qu’exceptionnellement le caractère princeps
de l’épisode. Ainsi, les recommandations de consensus
concernant le traitement d’un accès maniaque sont identi-
ques quel que soit son rang. Or, ce premier épisode se dis-
tingue des autres sur différents aspects.
En premier lieu, l’identication clinique en est plus dif-
cile, non seulement parce qu’il est le premier mais aussi
parce que sa présentation est souvent atypique. Il impose
une évaluation clinique et paraclinique strictes an de l’at-
tribuer sans erreur à un trouble bipolaire de type I dont il
va alors, par dénition, signer le début.
En second lieu, ce premier contact avec le système de
soins d’un patient qui traverse une expérience vitale inédite
et souvent traumatique est aussi le moment où doit se met-
tre en place le traitement au long cours de la maladie bipo-
laire elle-même. En effet, la répétition des épisodes est
fréquente, puisqu’au moins 50 % des patients vont présenter
un nouvel accès maniaque dans les seules quatre années sui-
vant l’épisode index [21]. L’hypothèse d’une sensibilisation
acquise lors de la répétition des accès pourrait rendre
compte de l’augmentation de la durée des épisodes ulté-
rieurs et de leur plus grande facilité à survenir [15]. Le pro-
nostic fonctionnel est lui considérablement aggravé par la
répétition des accès, et si près de deux tiers des patients
travaillent après un premier épisode, seulement un tiers le
font après plusieurs épisodes et dans 10 % des cas à peine
occupent un emploi correspondant à leurs compétences [4].
Ainsi, le moment où il apparaît le plus important d’instaurer
un traitement préventif est également celui où il est proba-
blement le plus difcile de le mettre en place [3, 14].
Enn, si un premier épisode maniaque peut survenir à
tout âge, la population la plus exposée est celle des sujets
jeunes. Les recommandations thérapeutiques actuelles
mériteraient sans doute d’être examinées plus attentive-
ment à la lumière de cet aspect.
Identication d’un premier épisode
maniaque
L’identication clinique d’un premier épisode maniaque est
souvent difcile en raison du manque de spécicité de cer-
tains critères diagnostiques. La question du diagnostic dif-
férentiel peut se poser avec de nombreux tableaux
psychiatriques tels les troubles de la personnalité border-
line ou les troubles anxieux, la difculté la plus fréquente
est représentée par les épisodes délirants aigus et la schi-
zophrénie [8].
Près de 60 % des patients présentant un trouble bipo-
laire développent au moins un symptôme psychotique au
cours de leurs accès [6]. Ces symptômes, longtemps quali-
és d’atypiques, sont extrêmement fréquents. Les élé-
ments hallucinatoires, délirants, congruents ou pas à
l’humeur, les troubles de l’organisation idéique et même la
catatonie qui est présente dans près de 30 % des états
maniaques n’ont en fait rien d’inhabituel [1, 10, 20]. Leur
présence n’apparaît donc pas comme un facteur discrimi-
nant pour le diagnostic différentiel et rend compte de l’ins-
tabilité du diagnostic d’un premier épisode psychotique
[3].La présentation clinique et l’existence de comorbidités
sont de plus inuencées par l’âge de survenue. On retrouve
par exemple chez les sujets jeunes une plus grande fré-
quence de symptômes psychotiques, de formes mixtes, de
cycles rapides, d’une irritabilité. L’usage de toxiques est
également très courant [3, 18]. Chez les sujets âgés de plus
de 65 ans les syndromes confusionnels sont courants de
même que les intrications médicamenteuses. Les psychoses
puerpérales posent en revanche moins de problèmes dia-
gnostiques.
Enn, un premier épisode maniaque peut être la pre-
mière manifestation d’une pathologie somatique. La litté-
rature à ce sujet est très abondante et si certaines
pathologies sont classiques telles les dysthyroïdies et autres
maladies endocriniennes, le lupus érythémateux aigu dissé-
miné, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaque, les
encéphalites notamment liées au VIH ou certaines isché-
mies cérébrales, d’autres sont plus surprenantes comme la
maladie de Wilson [12]. Ces manies inaugurales isolées
imposent donc la pratique systématique d’examens para-
cliniques, biologiques et morphologiques.
Les premiers accès maniaques déclenchés par une subs-
tance toxique ou médicamenteuse ont un statut discrète-
ment différent, pouvant révéler un trouble bipolaire
jusqu’alors non exprimé ou induire les troubles par leur
effet propre. De telles situations sont décrites avec les
traitements antidépresseurs, certes, mais aussi avec des
agonistes dopaminergiques comme la cocaïne, les amphé-
tamines, la méthamphétamine ainsi que d’autres toxiques :
psychodysleptiques, cannabis, alcool. Sont également
concernés les corticoïdes, l’interféron ainsi que certains
antimitotiques.
Dans tous les cas, l’anamnèse est indispensable et quel-
quefois déterminante pour relier l’épisode à un trouble
bipolaire. L’importance des antécédents familiaux et per-
sonnels est classique, il faut y ajouter la valeur de signes
thymiques antérieurs ainsi que leur apparition ou leur modi-
cation au cours du traitement. La durée de constitution des
troubles est également à préciser, un état maniaque classi-
que se mettant souvent en place de façon progressive.
Traitement d’un premier épisode
maniaque
Relation thérapeutique
La relation thérapeutique qui s’établit lors du premier
contact avec un patient est déterminante. Dans le cas d’un
premier accès maniaque il est opportun d’instaurer le plus
rapidement possible une alliance thérapeutique de qualité
qui va soutenir l’acceptation du traitement médicamenteux
lors de la phase aiguë et son observance à plus long terme.
Si la littérature scientique traditionnelle s’accorde sur ce
point, elle est paradoxalement très pauvre sur les caracté-