L’Encéphale (2012) 38, S110-S115 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Interventions psychothérapeutiques et psychosociales et endophénotypes dans les troubles bipolaires Psychotherapeutic and psychosocial interventions and endophenotypes in bipolar disorders N. Correarda,*, S N. Elissaldea,, J.-M. Azorina,, E. Fakraa,, R. Belzeauxa, aPôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France MOTS CLÉS Troubles bipolaires ; Endophénotypes ; Interventions psychothérapeutiques et psychosociales KEYWORDS Bipolar disorders; Endophenotypes; Psychotherapeutic and psychosocial interventions Résumé Maladies à déterminisme complexe, les troubles bipolaires, impliquent à la fois des facteurs de vulnérabilité environnementale et génétique. La caractérisation de ces vulnérabilités permettrait d’une part, une meilleure connaissance de leur étiologie et d’autre part, d’envisager le développement de nouvelles thérapeutiques, plus spécialisées, voire préventives. La recherche en psychiatrie génétique a permis de mettre en évidence des endophénotypes candidats associés aux troubles bipolaires. Ce sont des « traits » cliniques ou biologiques dits endogènes, plus simples, biologiquement plus élémentaires que les phénotypes cliniques et « liés » plus directement aux conséquences physiologiques des gènes et de leurs polymorphismes. Cibler certains d’entre eux avec des interventions psychothérapeutiques et psychosociales adaptées, pourrait réduire les conséquences liées à leur expression et ainsi avoir une action sur l’évolution de la maladie mais aussi préventive. © L’Encéphale, Paris, 2012 Summary Diseases with complex determinism, bipolar disorders, involve at the same time environmental and genetic factors of vulnerability. The characterization of these vulnerabilities would allow a better knowledge of their etiology and envisage the development of therapeutics, more specialized, even preventive. The research in genetic psychiatry allowed to highlight endophenotype candidates associated to bipolar disorders. They are endogenous clinical or biological features, biologically more elementary than phenotypes and more directly bound to the physiological consequences of genes and their polymorphisms. Targeting some of them with specific psychotherapy and psychosocial interventions could reduce the consequences of their expression and so have an action on the course of the disease and also preventive. © L’Encéphale, Paris, 2012 Introduction Les troubles bipolaires, dont la prévalence est de 1 à 2 % en population générale, sont des affections dont le déterminisme est complexe. L’existence d’une vulnérabilité génétique dans les troubles bipolaires est établie. La *Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (N. Correard) © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. recherche d’endophénotypes, qui pourrait aider à discriminer les facteurs protecteurs ou favorisants l’émergence de la pathologie chez des sujets vulnérables, permettrait également d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques, plus focalisées, voire ayant un impact préventif. Dans ce contexte, parmi les approches thérapeutiques, Interventions psychothérapeutiques et psychosociales et endophénotypes dans les troubles bipolaires S111 nous ferons ici la revue de la littérature des interventions psychothérapeutiques et psychosociales qui pourraient avoir un rôle à jouer dans ces nouvelles perspectives de soin. Après avoir présenté les approches psychothérapeutiques et psychosociales centrées ou adaptées aux troubles bipolaires, nous présenterons les endophénotypes candidats susceptibles d’être ciblés par celles-ci. Vulnérabilité génétique aux troubles bipolaires Prises en charge psychothérapeutiques et psychosociales dans les troubles bipolaires Les études familiales, de jumeaux et les études d’adoption, en démontrant le rôle important que jouent les facteurs génétiques dans la vulnérabilité aux troubles bipolaires, ont justifié le développement de la recherche en psychiatrie génétique en particulier des études de liaison, d’association et de criblage du génome. Les études de génétique suggèrent que la vulnérabilité génétique aux troubles bipolaires serait le produit de différences génétiques, ou polymorphismes de certains gènes spécifiques. Mais la réplication de ces résultats est difficile et a entraîné une double réflexion méthodologique. La première s’est intéressée à démembrer l’hétérogénéité des troubles bipolaires pour identifier les sous-types homogènes et plus génétiquement déterminés afin de faciliter l’identification des facteurs de vulnérabilité génétique. C’est en particulier la définition des troubles bipolaires dont l’âge de début est précoce. La seconde concerne le choix des méthodes d’épidémiologie génétique qu’il convient d’appliquer pour identifier les facteurs de vulnérabilité génétique de pathologies multifactorielles complexes, dont on ne connaît pas le modèle génétique. Dans ce cadre, l’approche fondée sur le concept d’endophénotype [1] permet une « dissection génétique » des troubles psychiatriques plus efficace que sur la base des phénotypes cliniques habituels [2]. Les endophénotypes sont des « traits » cliniques ou biologiques dits endogènes, plus simples, biologiquement plus élémentaires que les phénotypes cliniques et « liés » plus directement aux conséquences physiologiques des gènes et de leurs polymorphismes [3]. Il peut s’agir de dysfonctionnements neurophysiologiques, biochimiques, endocrinologiques, neuro-anatomiques, cognitifs et neuropsychologiques, qui, dans de nombreux cas, n’entraînent pas directement de symptômes manifestes nommés alors exophénotypes. Les principales caractéristiques théoriques des endophénotypes sont d’être : • spécifiques du trouble ; • indépendants de l’état (c’est-à-dire sans fluctuation au cours de l’évolution de la maladie, en particulier en fonction de l’intensité des symptômes) ; • présents chez les membres d’une même famille ; • héritables (l’endophénotype est associé à une variation génétique et montre une co-ségrégation avec la maladie) ; • distribués de façon normale dans la population générale ; • évaluables de façon sensible et spécifique, bien qu’ils ne soient pas forcément quantitatifs [2,4,5]. L’identification d’endophénotypes et donc de marqueurs de vulnérabilité aux troubles bipolaires, pourrait permettre d’envisager de nouvelles modalités thérapeutiques, plus spécifiques, qui pourraient avoir une action sur l’évolution de la maladie mais également un intérêt préventif. Actuellement, dans le domaine des prises en charge psychothérapeutiques et psychosociales, certaines approches ciblent déjà ou pourraient cibler totalement ou partiellement un certains nombre d’endophénotypes candidats, dans le but de réduire les conséquences liées à leur expression. Plusieurs interventions spécifiquement centrées ou adaptées à la prise en charge des troubles bipolaires ont montré leur efficacité. La psychoéducation dans les troubles bipolaires Les mesures psycho-éducatives consistent en une information structurée, et en une éducation, des patients et/ou leurs familles. La psychoéducation a pour objectif d’apprendre à connaître le trouble, de favoriser la prise de conscience et l’acceptation de la maladie, d’améliorer l’observance du traitement, de permettre la reconnaissance des symptômes précurseurs d’une rechute, de diminuer les symptômes résiduels, d’augmenter les capacités à faire face aux conséquences psychosociales des épisodes, d’éviter l’usage et l’abus de toxiques, de permettre la régularisation des styles de vie, la prévention des conduites suicidaires, l’amélioration du bien-être et de la qualité de vie entre les épisodes et d’établir et maintenir une alliance thérapeutique. Perry et al. [6] montrent que l’association de la psychoéducation à la prise en charge médicale, entraîne une réduction significative du risque de rechutes maniaques. Colom et al. [7], montrent que la psychoéducation, comparativement à une intervention de soutien non structurée et non spécifique, entraîne une diminution significative des récidives (ou apparition d’un nouvel épisode) maniaques, hypomaniaques et dépressives chez des patients normothymiques. Ces résultats se confirment après un suivi de 5 ans pour un sous-groupe de patients souffrant d’un trouble bipolaire de type II [8]. Promulguer un programme de psychoéducation aux « aidants » de patients euthymiques entraîne une diminution significative du nombre de récidives maniaques et hypomaniaques chez les patients [9]. Ces études suggèrent donc que la psychoéducation est efficace, en adjonction à la prise en charge médicale, pour la prévention des épisodes de manie, d’hypomanie et de dépression dans les troubles bipolaires de type 1 et de type 2. La psychoéducation pourrait avoir un rôle préventif chez des sujets à haut risque de développer un trouble bipolaire comme chez les individus présentant un trouble bipolaire en permettant aux premiers de limiter le nombre de facteurs de risques de développer la maladie et aux seconds de réduire l’impact des facteurs favorisants une récidive thymique. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) Les thérapies comportementales et cognitives pour les troubles bipolaires ont pour objectif de diminuer les rechutes thymiques en proposant d’améliorer l’observance médicamenteuse, d’identifier de manière précoce les prodromes S112 dépressifs ou maniaques, d’apprendre aux patients différents moyens comportementaux et cognitifs pour combattre les premiers symptômes ; d’apprendre la technique de résolution de problème pour réduire les conséquences psychosociales de la maladie, d’identifier les facteurs de stress personnels qui augmentent la probabilité des rechutes, d’aider à l’identification de l’humeur, des cognitions et des comportements (récapitulatif sur la vie entière du trouble bipolaire, feuille de route des principaux symptômes dépressifs et maniaques, graphe quotidien de l’humeur). Lam et al. [10] ont réalisé une étude sur un échantillon de 123 patients randomisés en deux groupes : un groupe contrôle recevant uniquement une prise en charge médicale et un groupe qui a suivi un programme de thérapie cognitive et comportementale, d’une quinzaine de séances, combiné avec la prise en charge médicale. Les résultats montrent que le groupe de patients qui a bénéficié de la thérapie cognitive et comportementale, récidivaient significativement moins et étaient moins fréquemment hospitalisés, la durée des épisodes était significativement moins longue, les patients présentaient également moins de symptômes subsyndromaux, géraient mieux leurs épisodes maniaques et avaient un meilleur fonctionnement social. Scott et al. [11] ont comparé 42 patients souffrant d’un trouble bipolaire dont la moitié a suivi un programme de thérapie cognitive et comportementale en individuel d’une durée de 6 mois (soit 22 séances environ) associé à la prise en charge médicale et l’autre n’a reçu que la prise en charge médicale. Les auteurs observent, après la thérapie cognitive et comportementale, une amélioration significative de la symptomatologie dépressive et de l’observance du traitement. La thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (IPSRT) Dans leur modèle d’instabilité, Goodwin et Jamison [12] postulent l’existence de trois facteurs impliqués dans la récidive thymique : les événements de vie éprouvants, la non observance médicamenteuse et la dérégulation des rythmes circadiens. Ils postulent également que les individus souffrant d’un trouble bipolaire sont biologiquement vulnérables à la dérégulation des rythmes circadiens et que certains facteurs (comme voyager à travers des fuseaux horaires, changement de saisons, stresseurs psychosociaux) peuvent également aggraver la perturbation de l’horloge biologique notamment les rythmes veille/sommeil. Cette dysrégulation va avoir une incidence sur la production de symptômes. La thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux se fonde sur l’hypothèse que mettre en place des rythmes sociaux stables et réguliers et développer l’adaptation aux changements de routines et la gestion plus efficace des problèmes interpersonnels comme le deuil pathologique, les conflits interpersonnels, la transition de rôle difficiles, les déficits interpersonnels, devraient entraîner une meilleure régulation des rythmes circadiens et ainsi diminuer le risque de récidive. Frank et al. [13] montrent qu’administrer au cours du traitement en aigu un programme de thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux chez des patients présentant un épisode thymique (dépressif, maniaque ou mixte), augmente significativement la durée de la normothymie, la régularité ainsi que la stabilité des rythmes sociaux et réduit significativement le nombre de récidives sur une période de deux ans, comparativement à ceux qui ont reçu une prise en charge clinique intensive. Miklowitz et al. [14] comparent, l’efficacité, N. Correard et al. sur une période de 9 mois, de 30 séances de thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (ou de TCC ou de Family Focused Therapy) à un soin collaboratif abrégé (3 séances sur une période de 6 mois) chez des patients souffrant d’un trouble bipolaire de type I ou II présentant un épisode dépressif majeur. Les trois psychothérapies intensives permettent d’obtenir un nombre significativement plus important de rémissions et une réduction significativement plus importante du temps pour obtenir la rémission. Donc la thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux semble efficace, en adjonction au traitement médicamenteux, pour augmenter la stabilité des rythmes sociaux, prévenir les rechutes thymiques et permettre un rétablissement plus rapide. La thérapie centrée sur la famille La thérapie centrée sur la famille peut également être indiquée dans la prise en charge des troubles bipolaires. La période qui suit immédiatement l’hospitalisation est difficile à gérer pour les familles de patients bipolaires et peut conduire à une désorganisation du fonctionnement de celles-ci. En outre, les styles comportementaux généralement adoptés par les familles tel qu’un haut niveau d’expression émotionnelle, de l’hostilité, des critiques, des interactions conflictuelles et négatives, un déni du trouble, peuvent participer au déclenchement de nouveaux épisodes thymiques. Le but ultime est de rétablir un nouvel équilibre et aider la famille à faire face à la maladie en favorisant la connaissance des troubles bipolaires ; l’acceptation du traitement ; la conscience du lien entre évènements de vie stressants, rupture des rythmes sociaux et épisodes thymiques ; l’acquisition de stratégies de prévention des rechutes ; le retour à des relations plaisantes et fonctionnelles entre les membres de la famille (techniques de communication et résolution de problèmes). Miklowitz et al. [15] ont conduit une étude auprès de 101 patients souffrant d’un trouble bipolaire randomisés en deux groupes, l’un recevant 21 séances de thérapie centrée sur la famille en adjonction au suivi médical et l’autre une intervention moins intensive. Les résultats montrent une diminution significative du nombre de récidives et des symptômes thymiques ainsi qu’une amélioration significative de l’observance médicamenteuse. Miklowitz et al. [16] ont sélectionné 13 enfants, de patients présentant un trouble bipolaire de type I ou II, satisfaisant aux critères d’épisode dépressif majeur, trouble cyclothymique ou trouble bipolaire non spécifié, pour participer, avec leur famille, à 12 séances de thérapie centrée sur la famille réparties sur 4 mois. Les résultats montrent une diminution significative des symptômes thymiques et une amélioration significative du fonctionnement psychosocial. La thérapie centrée sur la famille semble prometteuse pour réduire le risque de conversion syndromique des jeunes à hauts risques de développer un trouble bipolaire. La remédiation cognitive La remédiation cognitive consiste en un ensemble de techniques rééducatives qui visent à restaurer les fonctions cognitives défaillantes ou à y pallier. Des études ont montré que, dans les troubles bipolaires, les déficits cognitifs entraînent une diminution du fonctionnement dans les domaines du travail, de la famille et des Interventions psychothérapeutiques et psychosociales et endophénotypes dans les troubles bipolaires relations sociales [17-23] et sont associés un faible niveau de qualité de vie [24]. L’efficacité de la remédiation cognitive sur le fonctionnement cognitif et psychosocial a souvent été étudiée dans la schizophrénie et peu dans les troubles bipolaires. Deckersbach et al. [25] ont ciblé spécifiquement les déficits des fonctions exécutives, qui sont associés à un fonctionnement psychosocial défectueux, avec un programme de remédiation cognitive chez des patients atteints d’un trouble bipolaire. Les résultats montrent une amélioration significative du fonctionnement exécutif et psychosocial. Quels endophénotypes candidats cibler avec les interventions psychothérapeutiques et psychosociales ? Parmi les endophénotypes candidats mis en évidence, certains pourraient être ou sont déjà la cible de certaines interventions psychothérapeutiques et psychosociales recommandées dans les troubles bipolaires. Les endophénotypes neurocognitifs La méta-analyse de Bora et al. [25] est basée sur 45 études réalisées chez des patients bipolaires euthymiques. Ces études comparent les performances cognitives de 1446 patients avec celles de 1524 sujets contrôles. Parmi elles, 17 portent sur les apparentés sains de patients souffrant de troubles bipolaires (443 apparentés sains de patients souffrant d’un trouble bipolaire et 797 contrôles sains). Les résultats montrent que des déficits d’inhibition, de flexibilité et d’attention soutenue (plus spécifiquement les difficultés à détecter les cibles au CPT) sont significativement plus importants chez les patients souffrant de troubles bipolaires et leurs apparentés sains que chez les sujets contrôles. Ces résultats permettent de considérer ces déficits comme des endophénotypes candidats crédibles pour les troubles bipolaires. Cibler les endophénotypes cognitifs candidats avec un programme de remédiation cognitive pourrait optimiser la réponse au traitement et améliorer le fonctionnement psychosocial dans les troubles bipolaires. Un tel programme devrait avoir trois objectifs. Premièrement, proposer de la psychoéducation sur les troubles cognitifs associés aux troubles bipolaires dans le but de faire le lien entre les plaintes subjectives, les difficultés de fonctionnement psychosocial et les déficits cognitifs objectivés par le bilan neuropsychologique, permettrait d’augmenter la motivation à participer au programme de remédiation cognitive. Deuxièmement, ils viseraient l’amélioration du fonctionnement des processus d’inhibition et de flexibilité cognitive, d’une part en permettant aux patients de développer un traitement cognitif de contrôle à l’aide du « Problem Solving Training » [26] et du « Goal Training Management » [27,28]. Et, d’autre part, en utilisant des techniques de restauration (stimulation intensive des fonctions déficitaires), de rééducation écologique (travail spécifique d’une tâche proche de la vie quotidienne), de thérapie cognitive et comportementale comme remplacer un schéma comportemental par un autre plus adapté (prise de conscience, autorégulation ou modification des comportements) et développer une meilleure gestion émotionnelle des situations cognitivement exigeantes. S113 Troisièmement, pour les déficits d’attention soutenue, les techniques de restauration, de rééducation écologique et les stratégies de compensation pourraient être utilisées. L’impulsivité Corraze et Albaret [29] définissent l’impulsivité comme des réponses ou des actions exécutées sans prendre la peine d’un temps de réflexion. Ces auteurs soulignent le caractère plurifactoriel de l’impulsivité : réflexion insuffisante avant la réponse, difficulté à contrôler l’inhibition, incapacité à attendre une récompense (toute attente du renforcement devient très vite insupportable), incapacité à contrôler ses comportements en rapport avec les exigences de l’environnement. Bien que la présence d’une impulsivité élevée soit associée à la symptomatologie maniaque aigue [30], plusieurs études montrent la présence d’une impulsivité significativement plus élevée chez des individus souffrant de trouble bipolaire de type 1 en phase d’euthymie comparativement à des sujets sains contrôles [31-35]. Des études familiales, de jumeaux et d’adoption montrent, que les apparentés sains de patients souffrant d’un trouble bipolaire, ont une impulsivité significativement plus élevée [3639] et une réponse d’inhibition (qui implique certains aspects de l’impulsivité) significativement plus perturbée [40,41] que des sujets contrôles. Récemment, Lombardo et ses collaborateurs [31], ont trouvé que le score d’impulsivité à la BIS-11 était significativement plus élevé chez les patients présentant un trouble bipolaire de type 1 que chez leurs apparentés sains qui, eux-mêmes, avaient un score d’impulsivité significativement plus élevé que les sujets contrôles. Ces résultats suggèrent ainsi la participation d’une composante génétique dans l’impulsivité et en font ainsi un endophénotype candidat. La composante d’inhibition de l’impulsivité pourrait être ciblée, comme nous l’avons dit plus haut, avec des techniques appartenant au champ de la remédiation cognitive (« Problem Solving Training », « Goal Training Management », techniques de restauration et de rééducation écologique). Certaines techniques de thérapie cognitive et comportementale pourraient également avoir leur utilité en permettant d’augmenter la conscience des situations qui génèrent des comportements impulsifs, en restructurant les cognitions dysfonctionnelles en lien avec les comportements impulsifs, en développant la gestion des émotions, en apprenant à utiliser la technique « stop and go » et des comportements alternatifs, ainsi qu’en développant des techniques de communication et d’affirmation de soi. L’anxiété Contreras et al. [42] ont trouvé dans leur étude que l’anxiété trait (niveau d’anxiété qu’un individu ressent habituellement dans sa vie), mesurée à l’aide de l’inventaire d’anxiété trait et état (STAI), était significativement plus importante chez des individus souffrant d’un trouble bipolaire de type 1 que chez leurs apparentés sains qui, eux-mêmes, avaient une anxiété trait significativement plus forte que des sujets contrôles sains. Ces résultats permettent de postuler que l’anxiété trait peut être un endophénotype candidat pour le trouble bipolaire 1. Les techniques de thérapie cognitive et comportementale, adaptées aux troubles anxieux, seraient intéressantes pour S114 cibler l’anxiété, notamment les techniques émotionnelles (relaxation, cohérence cardiaque…), la restructuration cognitive, la résolution de problème, les techniques d’exposition, les techniques d’affirmation de soi et de communication. Si les difficultés de communication et l’expression d’un haut niveau d’émotion au sein de la famille, influent sur le niveau d’anxiété, la thérapie centrée sur la famille pourrait avoir également avoir un intérêt. N. Correard et al. Conclusion Le « neuroticisme », qui est l’un des cinq facteurs du modèle de la personnalité à cinq facteurs (ou Big Five), désigne une disposition : aux émotions négatives (comme l’anxiété, la colère, la dépression) ; à une réactivité émotionnelle accrue (s’émouvoir face à des événements qui n’affectent peu ou pas la plupart des gens, à percevoir les situations ordinaires comme menaçantes et les frustrations mineures comme insurmontables) ; à des réactions négatives plus longues. En outre, les émotions éprouvées peuvent entraver les capacités à raisonner, à prendre des décisions et à faire face aux situations stressantes. Nowakowska et al. [43] montrent, dans leur étude, que les patients présentant un trouble bipolaire ont des scores de « neuroticisme », mesurés avec le « the Revised NEO Personality Inventory » (NEO-PI-R) [44], significativement plus élevés que les sujets contrôles sains. Les études de jumeaux suggèrent, quant à elles, que l’héritabilité des traits de personnalité du modèle à cinq facteurs se situerait entre 40 % et 60 % [45- 47]. La thérapie cognitive et comportementale de la dépression et la thérapie des schémas de Young [48] peuvent être utiles pour cibler le « Neuroticisme ». Les études génétiques sont en faveur de l’existence d’endophénotypes dans les troubles bipolaires. Présents avant et pendant la maladie, mais également chez les apparentés sains, ils participent à la vulnérabilité aux troubles bipolaires. Un des objectifs des approches psychothérapeutiques et psychosociales pourrait être, en ciblant spécifiquement certains endophénotypes, de limiter les conséquences de leur expression, par conséquent d’améliorer le cours de la maladie, et d’avoir une action préventive. Notamment, pour certains endophénotypes candidats, comme les déficits neurocognitifs, l’impulsivité, l’anxiété, le « neuroticisme » et les rythmes circadiens, il serait possible d’envisager une prise en charge intégrant, sous forme de modules, des techniques issues de différentes approches. Premièrement, un tel programme devrait proposer de la psychoéducation sur les troubles bipolaires incluant, de l’information sur les déficits cognitifs. Deuxièmement, un module de remédiation cognitive qui adresserait spécifiquement les endophénotypes neurocognitifs et la composante cognitive de l’impulsivité. Troisièmement, un module centré sur la régulation des rythmes circadiens avec les techniques issues de la thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux et des Thérapies Cognitives et Comportementales des troubles bipolaires. Quatrièmement un module, utilisant des techniques issues des TCC pour cibler l’anxiété, l’impulsivité et le « neuroticisme », telles que la restructuration cognitive, la thérapie centrée sur les schémas, les techniques de gestion des émotions et les techniques comportementales. Enfin, la thérapie centrée sur la famille pourrait également être utile dans le cas ou le contexte familial pourrait favoriser l’augmentation de l’expression de ces endophénotypes. Les rythmes circadiens Déclaration d’intérêts Les rythmes circadiens sont des rythmes biologiques d’une durée de 24 heures environ. Ils se manifestent par des variations cycliques d’un grand nombre de paramètres physiologiques (activité métabolique, sécrétion d’hormones, veille-sommeil…). Les individus souffrant d’un trouble bipolaire en phase d’euthymie présentent une instabilité des rythmes circadiens [49], sont plus sensibles aux influences environnementales, telles que les conditions climatiques et les changements de saison [50] et ont une perturbation significative du fonctionnement relié au sommeil caractérisé par un faible niveau d’activité journalière et des insomnies nocturnes [51]. Les résultats d’études de jumeaux, dans des fratries saines, sont en faveur d’une héritabilité de l’horloge circadienne humaine [52]. En outre, un polymorphisme dans le gène de l’horloge circadienne humaine hPER2 semble significativement associé aux fluctuations circadiennes de l’humeur et à la récurrence de la maladie dans le trouble bipolaire [53]. La thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux, en permettant la régularisation et la stabilité des rythmes veille/sommeil et des rythmes sociaux ainsi qu’une gestion plus efficace des problèmes interpersonnels, induit une meilleure régulation des rythmes circadiens, et ainsi diminue le risque de récidive thymique. Par ailleurs, certaines composantes de la thérapie cognitive et comportementale et de la psychoéducation visent également la régularité des rythmes veille/sommeil et des rythmes sociaux. Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article. Le « neuroticisme » Références [1] Lander ES. Splitting schizophrenia. Nature 1988;336:105-6. [2] Gottesman II, Gould TD. The endophenotype concept in psychiatry: etymology and strategic intentions. Am J Psychiatry 2003;160:636-45. [3] Hasler G, Drevets WC, Gould TD, Gottesman II, Manji HK. Toward constructing an endophenotype strategy for bipolar disorders. Biol Psychiatry 2006;60:93-105. 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