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L’Encéphale (2008) Supplément 4, S154–S157
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On compte dans les populations de patients bipolaires
plus d’un divorce sur deux, et la majorité des patients
bipolaires sont soit divorcés, soit célibataires.
Conséquences sociales, médico-légales
et médico-économiques
Parfois la désinsertion est telle qu’ils sont sans domicile ou
vivent dans des conditions sociales préoccupantes.
Environ 25 % des patients ont été impliqués dans des
actes médicolégaux (arrestation, délits, incarcération), et
55 % des patients rencontrent des dif cultés nancières,
nécessitant souvent la mise en place de mesures de protec-
tion des biens.
Par ailleurs, la bipolarité entraîne des coûts directs et
indirects élevés, de l’ordre de 10 milliards d’euros par an
(troubles unipolaires compris), dus au retard diagnostique
et aux conséquences sociales du trouble.
Ainsi, le trouble bipolaire altère considérablement la
qualité de vie et l’estime de soi des patients, même durant
les périodes euthymiques, aboutissant à une désinsertion
socio-professionnelle. Ceci est aggravé par l’incertitude évo-
lutive du trouble, et par la fréquence des hospitalisations
(80 % des patients sont hospitalisés au moins une fois).
Actions de prévention
La mise en place de mesures de prévention s’avère indis-
pensable pour tenter d’éviter ces lourdes conséquences. Il
Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho-sociales
dans le trouble bipolaire
A. Gut-Fayand
Hôpital Sainte-Anne, 7 rue Cabanis, 75014 Paris
Le trouble bipolaire affecte les patients durant toute leur
vie. Il débute entre 17 et 27 ans en moyenne, et la durée
des épisodes se situe entre 4 et 13 mois. Ceux-ci survien-
nent en moyenne une fois tous les deux ans, engendrant un
retentissement clinique et social important, avec un risque
de stigmatisation pour le patient et son entourage, et un
dysfonctionnement psychosocial marqué pour deux tiers
des patients [5].
Conséquences de la bipolarité
Conséquences pathologiques
La bipolarité a des conséquences majeures sur la vie des
patients ; la mortalité est 3 fois supérieure à celle de la
population générale, et 20 % des patients décèdent par sui-
cide : le risque suicidaire est 15 fois plus important et le
risque cardio-respiratoire 2 fois plus important que dans la
population générale.
Les comorbidités sont fréquentes, de l’ordre de 65 %,
regroupant les troubles anxieux, les addictions et les trou-
bles de la personnalité principalement. Le retentissement
cognitif est également net.
Conséquences sociales et familiales
Sur le plan social et familial, le retentissement est égale-
ment marqué : 50 % des sujets sont inactifs alors que 60 %
d’entre eux sont considérés comme aptes, et 16 % seule-
ment ont un emploi à temps plein [12].
* Auteur correspondant.
L’auteur n’a pas signalé de con its d’intérêts.
Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho-sociales dans le trouble bipolaire S155
s’agit à la fois de prévention secondaire, par un meilleur
dépistage de la maladie et la mise en place d’actions de
Formation Médicale Continue des praticiens, et de préven-
tion tertiaire, qui vise à développer l’alliance thérapeuti-
que par les thérapeutiques psychosociales, et à améliorer
la prise en charge thérapeutique pour éviter les récidives
et la chronicisation [6], on retrouve chez ces patients 37 %
de récidive la première année, 60 % la deuxième, et 73 %
de récidive après 5 ans ; de plus, 33 % des patients ont des
symptômes résiduels entre les épisodes.
Les thérapeutiques psychosociales travaillent l’alliance
thérapeutique et renforcent l’observance médicamen-
teuse, par une approche comportementale et cognitive,
par des traitements psycho-éducatifs, et par un travail
avec les familles.
Les thérapies comportementales
et cognitives
Les TCC ont été développées dans les troubles bipolaires
depuis plusieurs décennies. En 1960 est apparue la TCC de
la dépression ; dans les années1980-90 ont été développés
des programmes et des manuels de TCC pour les épisodes
dépressifs [10]. En 1996 paraît le Manuel de TCC pour
patients bipolaires de Basco et Rush [1]. Le programme de
Lam et al., référence internationale dans ce domaine, est
diffusé à partir de 1999 [7], et en 2002 paraît le guide de
Newman.
Constituées en moyenne de 15 séances individuelles ou
de groupe interactifs, ces TCC s’appuient sur la psycho-
éducation, des techniques comportementales et cogniti-
ves, et des séances de consolidation.
Objectifs de la TCC des troubles bipolaires
Les principaux objectifs de la TCC des troubles bipolaires
sont de réguler le comportement quotidien (sommeil, acti-
vités…), de faciliter l’identi cation des prodromes, et de
mettre en place un apprentissage des stratégies de coping
cognitives et comportementales.
Les buts communs de tous ces programmes sont de
diminuer la probabilité de rechutes et de récidives.
Tous les programmes de TCC des troubles bipolaires
s’appuient sur des stratégies éducatives, des techniques
comportementales et cognitives, des stratégies de résolu-
tion de problème, et le développement de stratégies de
coping pour faire face aux conséquences psychosociales de
la maladie.
Le modèle de Basco et Rush (1996) [1]
L’un des programmes les plus connus de TCC appliqué au
trouble bipolaire est le modèle de Basco et Rush. Il consiste
en 20 séances individuelles sur un an, et comporte 4 pério-
des :
1. une phase éducative, avec un entretien interactif
portant sur la maladie et les traitements ;
2. une phase visant à l’augmentation de l’observance
médicamenteuse, par une démarche cognitive analysant
les pensées qui remettent en cause le traitement médica-
menteux, et par un repérage des perturbations cognitives
engendrées par la dépression ou la manie ;
3. un abord des problèmes psychosociaux, avec une
évaluation des conséquences psychosociales du trouble et
une gestion des dif cultés, conduisant à la mise en place
de techniques de résolution de ces dif cultés ;
4. en n, un apprentissage de stratégies de résolution
de problèmes, avec identi cation du problème, liste des
solutions possibles et hiérarchisation en fonction des avan-
tages et des inconvénients de chacune, mise en place de la
solution et constatation des résultats, et en n évaluation
de l’ef cacité de la solution choisie.
La référence internationale :
le programme de groupe de Lam
et al.
[7]
Ce programme se compose de 20 séances de 2 heures sur
3 mois, au sein de groupes de 10 patients.
La première phase est une phase éducative, de 6 séan-
ces en trois semaines (S1 à S6). Elle porte sur le trouble
bipolaire et ses traitements ; la construction de l’alliance
thérapeutique ; l’établissement du modèle cognitif ; la
structuration de l’entretien avec dé nition de l’agenda ;
l’établissement de tâches à domicile avec mise en place
d’une auto-évaluation ; la construction progressive de la
« life-shart » ; et en n la dé nition individuelle des problè-
mes et des objectifs.
La seconde phase est une phase cognitive, de 10 séan-
ces en 10 semaines (S7 à S16), comprenant l’auto-enregis-
trement quotidien de l’humeur ; l’identi cation des
uctuations de l’humeur normale, des aspects de la per-
sonnalité et de l’humeur pathologique ; la mise en relation
de la modi cation de l’humeur avec les cognitions et avec
le taux d’activité ; la relaxation ou au contraire la prescrip-
tion de tâches, en fonction du taux d’activité ; en n,
l’identi cation des schémas cognitifs et la reformulation.
La troisième phase est une phase de consolidation, de
4 séances en 2 semaines (S17 à 20), axées sur la véri cation
de la compréhension des techniques TCC, la régularité du
rythme de vie, l’identi cation des facteurs précédant les
rechutes et la gestion du stress.
Évaluation des techniques de TCC
Les études contrôlées évaluant l’effet d’une TCC dans les
troubles bipolaires concluent toutes à une augmentation de
l’observance médicamenteuse, une diminution du nombre
d’hospitalisations, une amélioration du fonctionnement
social, une augmentation de la con ance en soi et de ses
limites, et une augmentation de l’estime de soi. L’approche
TCC apparaît ainsi curative et préventive, et augmente
l’engagement du patient dans la prise en charge de sa
maladie.
Néanmoins, une étude récente de Lam et al. [8] por-
tant sur 103 patients montre que l’effet béné que de la
TCC sur la prévention des rechutes s’estompe après 18 mois,
soulevant la question de la nécessité de réaliser plusieurs
sessions à des temps différents, ou tous les ans.
A. Gut-FayandS156
La psycho-éducation
La psycho-éducation dans la maladie bipolaire est apparue
en 1999, avec comme objectif d’améliorer la compliance,
de détecter des prodromes, et de diminuer le nombre de
rechutes (Tableau 1).
Tableau 1 Psycho-éducation dans la maladie bipolaire
Perry et al. [11] Vieta et al. [2]
N69 100
Psycho éd./
contrôle 34/35 60/60
Résultats Moins d’épisodes
maniaques Moins d’épisodes
thymiques et plus
longues périodes
d’euthymie avant
la 1re rechute
L’un des principaux programmes est le Programme de
Psycho-éducation des Troubles Bipolaires de Barcelone [2,
3]. Il s’agit d’un programme de 21 sessions, sur des groupes
fermés de 8 à 14 patients bipolaires I ou II en phase euthy-
mique, durant 6 mois avec une séance hebdomadaire de 90
minutes. Le programme de chacune des sessions est codi é
de manière rigoureuse (Tableau 2). En France, de nombreu-
ses équipes animent également de groupes de psycho-édu-
cation.
Tableau 2 Sessions du programme de psycho-
éducation des troubles bipolaires
1. Introduction
2. Qu’est ce que la maladie bipolaire ?
3. Facteurs étiologiques et déclencheurs
4. Symptômes(I) : manie et hypomanie
5. Symptômes (II) : dépressions et épisodes mixtes
6. Évolution et pronostic
7. Traitements (I) : stabilisateurs de l’humeur
8. Traitements(II) : antimaniaques
9. Traitements (III) : antidépresseurs
10. Niveaux plasmatiques : lithium, carbamazépine,
valproate
11. Grossesse et conseil génétique
12. Psychopharmacologie VS thérapies alternatives
13. Risques associés à l’abandon du traitement
14. Substances psychoactives : risques dans la maladie
bipolaire
15. Dépistage précoce des épisodes maniaques et
hypomaniaques
16. Dépistage précoce des épisodes dépressifs et mixtes
17. Que faire lorsque l’on détecte l’arrivée d’une nouvelle
phase
18. Régularité
19. Techniques pour le contrôle du stress
20. Stratégies de résolution de problèmes
21. Session nale
La psycho-éducation familiale
L’intervention familiale (consistant essentiellement en la
délivrance d’informations) réduit le nombre de rechutes et
améliore la symptomatologie dépressive, notamment au
sein des familles à haute expression émotionnelle [9]. Elle
permet de réduire l’émotion exprimée et donc la fréquence
des rechutes, et elle améliore la symptomatologie et le
fonctionnement socio-professionnel des patients. Toutefois,
il existe peu d’études disponibles.
Les autres thérapeutiques psycho-sociales
Les associations de malades ont une fonction
fondamentale pour lutter contre la stigmatisation de la
maladie. Elles apportent un soutien aux malades et à leur
famille, prodiguant conseils et assistance dans le domaine
social. Il faut souligner l’utilité de ces groupes d’aide, mais
aussi le fait qu’ils ne sont en aucun cas substituables au
médecin.
La thérapie interpersonnelle
et des rythmes sociaux
Cette thérapie (Interpersonal and Social Rhythm Therapy
ou IPSRT) a été développée par E. Frank et al. à partir de
2000 (4). Elle consiste en un travail sur les rythmes biologi-
ques et circadiens, partant du principe que « des dérègle-
ments de l’hygiène de vie favorisent l’instabilité circadienne
et précipitent les épisodes thymiques ».
Cette thérapie ne réduit pas le taux de rechute à elle
seule, mais pourrait aider à en retarder la survenue.
Conclusion
Ainsi, les thérapeutiques psychosociales apparaissent indis-
pensables à la prise en charge des troubles bipolaires, asso-
ciées au traitement pharmacologique. Intégrant les
familles, elles permettent de développer l’alliance théra-
peutique, et d’améliorer la qualité de vie en diminuant le
nombre de rechutes et la durée des hospitalisations [13].
En pratique, il conviendrait, dans le cadre de la préven-
tion secondaire, de les enseigner comme faisant partie
intégrante de la prise en charge autant que la thérapeuti-
que biologique, et dans le cadre de la prévention tertiaire,
de les mettre en place dès le troisième ou quatrième épi-
sode, en pratiquant régulièrement des interventions de
« rappel ».
La place des thérapeutiques psychosociales est égale-
ment liée à la question du handicap, qui soulève de nom-
breuses interrogations : les sujets bipolaires doivent-ils
constituer une population considérée comme handicapée ?
Comment nommer ce handicap et à partir de quand ? Quel
droit à compensation lui attacher ? Le handicap véhicule
une image négative, alors qu’il conviendrait de renforcer
plutôt les images positives…
Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho-sociales dans le trouble bipolaire S157
Références
[1] Basco M, Rush A. Cognitive behavioral therapy for bipolar dis-
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[10] Mirabel-Sarron C. Approche comportementale et cognitive
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tify early symptoms of relapse and obtain treatment. BMJ
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[12] Rouillon F. Un enjeu de santé publique ; Troubles Bipolaires :
pratiques, recherches et perspectives, p. 1-9. Pathologie Sci-
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[13] Zaretsky AE, Rizvi S, Parikh SV. How well do psychosocial
interventions work in bipolar disorder ? La revue canadienne
de psychiatrie 2007 ; 52, 1.
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