Endophénotypes neurophysiologiques et trouble schizophrénique : concept clinique S105
Ces observations cliniques semblent avoir joué un rôle
central dans la formulation de paradigmes expérimentaux
et d’hypothèses centrés sur les processus sensoriels et
perceptuels de fi ltrage et de sélection attentionnelle dans
le trouble schizophrénique.
Gottschalk et al.
Afin de tester les hypothèses cliniques formulées par
Bleuler [5] et McGhie et Chapman [8], Gottschalk et al.
ont réalisés, en 1972, une étonnante expérience psycho-
physiologique [9]. Ils inventèrent, en effet, une « machine
d’inondation sensorielle » (Sensory overload apparatus),
sous la forme d’un « dôme géodésique » à l’intérieur duquel
une vidéo et des sons étaient diffusés. Les sujets devaient
faire l’expérience d’une immersion perceptuelle totale dans
un environnement sonore et coloré qui semblait venir de
toutes les directions. Il ne devait pas s’agir de faire la simple
expérience de voir un fi lm, comme au cinéma, mais plutôt
d’être pris dans une expérience captivante et englobante
d’une grande intensité et constituée d’images et de sons
non logiquement séquencés. L’intensité des sons était très
élevée mais relativement supportable. L’expérience durait
45 minutes. Les sujets étaient évalués par une échelle
de symptômes schizophréniques (la Social Alienation and
Personnal Disorganisation Scale) et une échelle d’altérations
cognitives (la Cognitive and Intellectual Impairment Scale),
avant et après l’expérience. Les résultats montrèrent que la
machine d’inondation sensorielle induisait une augmentation
des scores aux deux échelles d’évaluation. Les auteurs
concluaient donc que l’induction artifi cielle d’anomalies du
fi ltrage sensoriel et l’impossibilité de focaliser son atten-
tion sur un objet visuel ou une source sonore particulière,
pouvaient induire des symptômes proches de ceux de la
schizophrénie. Le mécanisme psychophysiologique exact
restait encore discuté, mais ce protocole a surtout montré
qu’il était possible d’opérationnaliser, dans le cadre d’un
protocole expérimental contrôlé, des concepts décrits par
des cliniciens [5,8].
Depuis ces travaux, les mécanismes neurobiologiques
liant les anomalies de l’attention impliquée dans le traite-
ment de l’information sensorielle et les symptômes cliniques
psychiatriques du trouble schizophrénique sont mieux
connus [10-14] (Fig. 1). Il a donc pu être fait l’hypothèse
que des mesures objectives et quantifi ables de l’attention
et des processus de fi ltrage et de sélection sensorielle et
perceptuelle permettraient d’obtenir de très bons endo-
phénotypes candidats, suggérant d’ailleurs un lien entre
le concept d’endophénotype, ou plus généralement de
marqueur de vulnérabilité, et le concept clinique bleulérien
de symptômes « fondamentaux » [5,6,15]. Ainsi, à côté des
outils neuropsychologiques de mesure de l’attention [16], le
développement, dans les années 1980, d’outils performants
fondés sur le moyennage de l’électroencéphalogramme
(EEG) à savoir les potentiels évoqués (ou Event Related
Potential ERP), a conduit à remplacer les outils d’analyse
phénoménologique clinique, « en première personne », de
l’envahissement et des anomalies de sélection sensorielle
et perceptuelle par des outils neurophysiologiques, « en
troisième personne » [1,2].
De la machine d’inondation sensorielle
au paradigme des potentiels évoqués
Dans la continuité des données cliniques historiques évoquées
précédemment, plusieurs mesures de potentiels évoqués
neurophysiologiques ont été envisagées en psychiatrie
comme endophénotypes du trouble schizophrénique. Ceux
qui ont fait l’objet d’une littérature la plus abondante sont
reliés au système auditif (Potentiels Evoqués Auditifs, PEA)
et en particulier les mesures de potentiels positifs à 50 ms
(P50) et de potentiels positifs à 300 ms (P300) [2]. Le poten-
tiel P50 donnera, dans certaines conditions d’acquisition,
des informations sur les processus d’inhibition et de fi ltrage
sensoriel supposés reliés au sentiment d’envahissement
perceptuel chez les patients souffrant de schizophrénie. Le
potentiel P300 donnera des informations sur le processus
de sélection attentionnelle, supposé altéré, dans le trouble
schizophrénique.
Potentiel P50
La procédure expérimentale habituelle pour étudier élec-
trophysiologiquement le fi ltrage sensoriel dans la modalité
auditive est la présentation de paire de clicks auditifs [17,18],
appelé paradigme des paires de click, (paired click paradigm)
ou paradigme du conditionnement et de test (conditionning-
test paradigm). Une paire de stimuli identiques S1 (appelé
aussi « stimulus conditionnant ») et S2 (« stimulus test »)
séparés par un intervalle court (Inter Stimulus Interval ISI),
est présentée de façon binaurale de manière répétée selon
un intervalle constant (Inter Trial Interval ITI). Aucune tache
spécifi que n’est demandée au sujet, qui est placé dans une
situation calme.
Les PEA apparaissant entre 40 et 80 ms sont appelés
potentiel P50. Il s’agit de la composante la plus souvent
étudiée par le paradigme des paires de click dans la
schizophrénie. Il a été fait l’hypothèse que l’amplitude
électrophysiologique de la réponse neuronale à S2 com-
parativement à S1 pouvait être considérée comme une
opérationnalisation de la mesure des capacités inhibi-
trices cérébrales de fi ltrage ou d’habituation sensorielle
Symptômes psychiatriques
Fonctions cognitives et neuropsychologiques
Processus attentionnels et de traitements
de l’information sensorielle
Fonctions psychophysiologiques
Fonctions neurophysiologiques
Neurotransmetteurs et balances
neuro-endocriniennes
Neuro-anatomie
Figure 1 Position intermédiaire des anomalies de l’attention
impliquées dans le traitement de l’information sensorielle entre
le niveau neurobiologique et le niveau symptomatique, adaptée
de [12]. Les évaluations objectives psychophysiologique et
neurophysiologique de ces fonctions en font des endophénotypes
candidats théoriquement idéaux.