L Évaluation gériatrique en cancérologie thoracique : faut-il la faire et comment ?

publicité
données nouvelles
Évaluation gériatrique
en cancérologie thoracique :
faut-il la faire et comment ?
Comprehensive geriatric assessment in elderly lung cancer:
should we do it and how?
C. Dujon*
L
* Service de pneumologie, hôpital
André-Mignot, Le Chesnay.
es sujets de plus de 65 ans représentaient
16,4 % de la population française en 2005,
et ce pourcentage pourrait atteindre 30 %
en 2050, ce qui posera un problème de prise en
charge spécifique (source INED). Le cancer bronchique (CB) est un cancer fréquent dont le diagnostic
est porté dans un tiers des cas chez des personnes
âgées (PA) de plus de 70 ans (1). L’incidence du CB
est en augmentation chez la PA et la question d’une
prise en charge thérapeutique adaptée se pose quotidiennement au pneumologue.
À quel âge est-on une PA ? Selon l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), c’est à partir de 65 ans
et les gériatres affinent cette définition, également à
partir de 65 ans (65-74 ans : “âgé précoce”, 75-84 ans :
“âgé moyen”, plus de 84 ans : “âgé avancé”, plus de
94 ans : “élite de l’âge” et plus de 99 ans : “centenaire”). Dans la pratique clinique quotidienne et dans
la plupart des essais cliniques récents, l’âge le plus
communément retenu est 70 ans. Mais ce n’est qu’un
paramètre chronologique et non fonctionnel. Les PA
constituent une population hétérogène et fragile
du fait des altérations physiologiques, ­physiques et
métaboliques liées à l’âge. Ces phénomènes sont
éminemment variables d’un individu à l’autre, ce qui
complique l’évaluation de ces patients par le clinicien non gériatre, évaluation d’autant plus difficile à
réaliser que les PA atteintes de cancer sont souvent
exclues ou sous-représentées dans les études (2).
Les traitements du CB sont agressifs, parfois multimodaux, et s’adressent à des patients porteurs, dans
plus d’un tiers des cas, de comorbidités modérées à
sévères (3). Les traitements par chimiothérapie des
CB métastatiques apportent aux PA un bénéfice en
termes de survie et améliorent également la qualité
158 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 de vie (4). Une étude rétrospective récente analysant le sous-groupe des plus de 65 ans (31 % des
patients) inclus dans l’étude JBR.10 – dont le rôle est
d’évaluer l’intérêt d’une chimiothérapie adjuvante
après une chirurgie complète pour CB – montre que
les PA bénéficient de la chimiothérapie en termes de
survie, même si la dose-intensité du traitement reçu
est inférieure à celle que l’on peut délivrer aux sujets
plus jeunes (5). La chirurgie thoracique n’est pas un
obstacle chez les PA, sous réserve d’une bonne sélection des patients, qu’il convient de définir (6, 7).
Plusieurs études ont montré que l’utilisation seule
du performance status (PS) reste trop globale pour
caractériser une PA (8, 9). Le PS est un indice
pronostique majeur de survie, mais il méconnaît
certaines atteintes gériatriques spécifiques qui,
par elles-mêmes, ont un impact sur la tolérance au
traitement et sur la survie (8, 10). Il est donc nécessaire de valider et d’utiliser des échelles gériatriques
spécifiques de sélection en pneumo-oncologie. Des
outils gériatriques existent, mais la plupart sont mal
connus des pneumologues et sont souvent perçus
comme chronophages. Quels sont ces outils et
comment les utiliser ?
Le “comprehensive geriatric
assessment”
L’évaluation gériatrique en oncologie s’est développée depuis une vingtaine d’années sous l’impulsion des travaux de Balducci et Monfardini (11).
Solomon et al. ont défini, en 1988, le comprehensive
geriatric assessment, ou évaluation gériatrique standardisée (EGS). L’EGS a pour but une “évaluation
Résumé
Le diagnostic de cancer bronchique (CB) est porté dans un tiers des cas chez des patients âgés de plus de 70 ans.
L’augmentation du nombre de personnes âgées (PA) dans les années à venir va poser un problème de prise en charge
spécifique de cette population hétérogène, fragile et encore peu incluse dans les essais cliniques. Les PA tirent un
bénéfice des traitements du CB, comme cela a été montré dans plusieurs études. Ces traitements restent néanmoins
agressifs. La sélection des PA reposant seulement sur le performance status (PS) est insuffisante. Le PS méconnaît un
certain nombre d’atteintes spécifiques à la PA et peut sous-évaluer les dépendances de ces patients. La Société internationale d’oncologie gériatrique (SIOG) recommande la réalisation d’une évaluation gériatrique standardisée (EGS) chez
tout patient de plus de 70 ans atteint de cancer. Cette EGS comporte plusieurs items : fonctionnels, psychocognitifs et
nutritionnels, auxquels l’évaluation des comorbidités et de l’environnement sociofamilial du patient se surajoute. L’EGS
permet d’évaluer finement les réserves de la PA face au cancer et à ses traitements, et ainsi de définir trois groupes de
PA (PA indépendantes, PA vulnérables et PA fragiles), apportant une aide au clinicien pour administrer le traitement le
plus adapté. Cependant, à ce jour, il n’y a pas d’EGS dans le CB, ni de validation de ces échelles gériatriques. Des essais
cliniques spécifiques à cette population sont nécessaires.
multidisciplinaire standardisée permettant d’apprécier l’ensemble des atteintes fonctionnelles, psychocognitives et socio-environnementales caractérisant
la personne âgée et permettant une prise en charge
adaptée et spécifique à cette population” (National
Institutes of Health Consensus Conference on Geriatric
Assessment Methods for Clinical Decision-making).
L’EGS va permettre de repérer et surtout de prévenir
un certain nombre de limitations spécifiques à la PA
par la mise en place d’actions visant à les compenser.
Elle permet également un suivi longitudinal temporel
du patient. La SIOG recommande la réalisation d’une
EGS chez tout patient atteint de cancer de plus de
70 ans, car c’est à partir de cet âge que l’incidence
des atteintes gériatriques augmente (12).
L’EGS analyse plusieurs domaines :
– fonctionnel, reflétant l’autonomie du patient face
à des situations de la vie quotidienne ;
– cognitif et thymique, appréciant une dépression
préexistante et/ou induite par le cancer ;
– nutritionnel/biologique, évaluant les réserves
physiologiques ;
– social, évaluant l’entourage et les possibilités de
déplacement ;
– médical, marqué par la présence ou non de comorbidités, le nombre de médicaments pris.
Les principales échelles retenues pour l’EGS sont
résumées dans le tableau I. Les seuils pathologiques
communément retenus sont rapportés, mais ne sont
pour la plupart pas validés dans le CB.
L’EGS apporte des informations complémentaires
au PS. Elle permet de détecter une atteinte gériatrique sous-jacente qui aurait été méconnue avec la
simple utilisation du PS. Dans une étude portant sur
363 patients atteints de cancers métastatiques et
âgés de plus de 65 ans, 269 avaient un PS inférieur
à 2. L’analyse par l’EGS a permis de montrer que 9 %
d’entre eux avaient une limitation ADL (activities
of daily living), 39 % une limitation IADL (instrumental activities of daily living) et 13 % au moins
2 comorbidités (8). Ces résultats ont également été
rapportés dans une série chirurgicale chez des PA de
plus de 70 ans (7).
L’EGS permet de déceler une vulnérabilité chez
la PA. Les chutes répétées, l’incontinence fécale
et/ou urinaire, la démence, la présence de trois
comorbidités ou plus et une dépendance fonctionnelle ou plus (ADL) vont définir un syndrome
gériatrique. Les PA atteintes de cancer avec un ou
plusieurs syndromes gériatriques présentent une
situation clinique de fragilité et relèvent de soins
palliatifs (13).
Tableau I. Domaines et échelles les plus couramment utilisés pour l’EGS (adapté de la SIOG, 12).
Oken, 1982
Karnovsky, 1948
Katz, 1963 (14)
Lawton, 1969 (17)
Podsiadlo, 1991 (18)
PS-ECOG
PS-K
ADL
IADL
T-GuG
5
10
6
9
4
0-4
0-100
0-6
0-9
0-12
>2
< 70
≥1
≥1
>1
Corrélé avec
survie1
Oui
Oui
Oui
Oui
Non2
Cognitif
Folstein, 1975 (19)
MMSE
30
0-30
< 24
Oui
Thymique
Yesavage, 1982 (20)
GDS
30
0-30
>9
Non
Nutritionnel
Guigoz, 2002 (22)
Ingenbleek, 1985 (23)
18
43
< 12
> 20
Oui
Oui
Comorbidités
Charlson, 1987 (26)
Colinet, 2005 (27)
Miller, 1991 (28)
MNA
PINI
Charlson4
Charlson
modifié5
CIRS-G
19
7
146
>2
≥9
>2
Oui
Oui
Oui
Domaine
PS
Fonctionnel
1 Pathologies
Auteur
Échelle
N items
Extrêmes
Seuil
hors cancer et tous cancers confondus. 2 Morbidité importante. 3 Quatre paramètres biologiques : albuminémie, préalbuminémie, protéine C réactive et orosomucoïde. 4 Le calcul du score doit être pondéré par l’âge du patient à partir de 50 ans : + 1 point
(pt) par décennie, soit 50-59 ans : + 1 pt ajouté au score obtenu ; 60-69 ans : + 2 pts ; 70-79 ans : + 3 pts ; 80-89 ans : + 4 pts. 5 Développé dans le CB. 6 Quatorze organes listés, chaque fonction d’organe est cotée de 0 (aucune dysfonction) à 4 (dysfonction majeure).
ADL : activities of daily living ; IADL: instrumental activities of daily living ; MMSE : mini mental state examination ; GDS : geriatric depression scale ; MNA : mini nutritional assessment ; PINI : prognostic inflammatory and nutritional index ; T-GuG : timed get up and go test.
Mots-clés
Cancer bronchique
Sujet âgé
Évaluation gériatrique
standardisée
Highlights
Elderly lung cancer patients are
a growing population. Lung
cancers are for one third diagnosed in patients over 70 years.
Elderly patients (EP) constitute a
heterogeneous population that
is underrepresented in trials.
Dependence and frailty are very
common presentations of this
population. Clinicians have to
detect these clinical situations.
Several studies have shown that
the treatments are effective in
elderly selected lung cancer
patients. But these treatments
remain aggressive. The selection
of EP based only on the performance status is insufficient. The
International Society of Geriatric Oncology recommends the
realisation of a Comprehensive
Geriatric Assessment (CGA) for
all cancer patients over 70 years.
CGA includes several items:
functional, cognitive, psychological and nutritional status.
Comorbidity, social and family
situations of the patient must
also be assessed. CGA assesses
physiologic components of the EP
facing lung cancer and its treatments. CGA is used to define
three groups of elderly cancer
patients: fit, intermediate and
frail. This classification could
help the clinicians in the choice
of the best treatment for their
patients. However, today, there
is no standardised CGA in lung
cancer or validation of these
geriatric scales. Clinical trials
are needed for the elderly lung
cancer patients.
Keywords
Lung cancer
Elderly patients
Comprehensive geriatric
assessment
La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 | 159
données nouvelles
Évaluation gériatrique en cancérologie thoracique :
faut-il la faire et comment ?
Les échelles composant l’EGS
Les échelles proposées ci-dessous sont celles le plus
souvent utilisées dans les différentes publications
sur les PA atteintes de cancers.
Évaluation fonctionnelle
Les échelles fonctionnelles sont composées de l’ADL
et de l’IADL. Ces deux paramètres sont corrélés au
PS (8-10).
L’ADL explore les activités de la vie quotidienne :
toilette, habillage, continence, alimentation, soins
personnels, mobilité (14). Les items sont cotés 0 ou
1, “dépendant” ou “indépendant”. Il s’agit d’un test
rapide d’observation du patient, simple en hospitalisation. Une atteinte ADL traduit une vulnérabilité
qu’il convient de dépister. Cependant, les items de
l’ADL les plus discriminants ne sont actuellement
pas connus et leur significativité clinique non plus
en ce qui concerne le traitement par chimiothérapie.
C’est également un facteur pronostique de complications postopératoires dans les 30 jours suivant une
chirurgie thoracique pour un CB (15). De 14 à 49 %
des PA atteintes de CB ont au moins une dépendance
à l’ADL. Il n’est pas observé d’impact sur la survie
dans les CB métastatiques (16).
L’IADL est plus complexe dans la mesure où cet index
explore les activités de la vie relationnelle et la dépendance – ou non – par rapport à la communauté. Il
se compose de 10 items : faire les courses, prendre
ses médicaments, prendre les transports, faire ses
comptes, utiliser le téléphone, préparer les repas, faire
le ménage, faire la lessive, bricoler et entretenir la
maison (17). Ces activités plus élaborées prennent en
compte des paramètres intellectuels, psychiques et
physiques. Les items sont cotés 0 ou 1, “dépendant” ou
“indépendant”. Ils sont plus déclaratifs, puisque ce sont
des activités domestiques personnelles non observables d’emblée par le médecin. De 48 à 95 % des PA
atteintes de CB présentent une atteinte IADL dans les
différentes séries publiées. L’IADL est corrélé à la survie
dans le CB (16). L’atteinte IADL est en corrélation avec
une moins bonne tolérance à la chimiothérapie (11).
Une dépendance établie selon l’IADL est un facteur
prédictif de complications postopératoires à 30 jours
chez les PA atteintes de cancers opérables (7).
Le timed get up and go test explore la mobilité
(marche et équilibre) du patient (18). Il est rapide à
réaliser par l’observation chronométrée du patient,
à qui l’on demande de se lever d’une chaise avec
accoudoirs, de marcher, d’effectuer un demi-tour
et de retourner s’asseoir. Chaque partie du test est
160 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 cotée en fonction de la capacité du patient à effectuer les mouvements demandés. Ce test n’est pas
corrélé au PS.
Évaluation cognitive
L’évaluation mnésique par le MMSE (mini mental state
examination) est fondamentale (19). Un score inférieur
à 24 doit faire suspecter un syndrome démentiel et
faire poursuivre les explorations par un gériatre. Les
troubles mnésiques vont avoir un rôle sur la tolérance au traitement, sur l’adhésion du patient aux
traitements proposés. Ils sont également corrélés à
la survie. Près d’un quart des patients âgés atteints de
cancer, y compris de CB, souffrent de troubles cognitifs
significatifs qui ne peuvent être mis en évidence par
la seule utilisation du PS (8). Un MMSE inférieur à 24
est un facteur prédictif de survenue de complications
postopératoires après chirurgie thoracique pour un
CB (15). Le MMSE est corrélé au PS.
Évaluation thymique
La dépression doit être également recherchée. Celleci a un impact direct sur la motivation du patient à
recevoir un traitement et à en tolérer les effets indésirables. Plusieurs échelles existent, mais le GDS (geriatric
depression score) est la plus utilisée (20). Le GDS est
un score d’autoévaluation comprenant de 5 à 30 items
(en fonction des versions) auxquels le patient répond
par oui ou non. Dans la version à 30 items, un score
supérieur à 9 traduit un syndrome dépressif sous-jacent
qu’il convient d’évaluer et de traiter avec un psychiatre.
Vingt-quatre à 40 % des patients atteints de CB ont
un score GDS anormal. Cet état dépressif est corrélé à
l’asthénie ressentie par le patient atteint de CB avancé,
et retentit de manière significative sur les indices fonctionnels (21). Le GDS reste un outil de dépistage et doit
faire adresser le patient à l’oncopsychologue et/ou au
psychiatre en cas de score pathologique.
Évaluation nutritionnelle
L’évaluation nutritionnelle est majeure, particulièrement en cancérologie pulmonaire. Un tiers des PA
sont dénutries et 10 % d’entre elles ont un indice
de masse corporelle (IMC) inférieur à 18 kg/m 2.
Le MNA (mini nutritional assessment) se compose
de deux parties, une première partie de dépistage
comportant 6 items puis, si le score est inférieur
à 12, le test est poursuivi (22). Un MNA inférieur
à 17 semble augmenter le risque de décès précoce
de 40 % chez des PA atteintes de cancer. Le PINI
DONNÉES NOUVELLES
(prognostic inflammatory and nutritional index) est
important à calculer : PINI = CRP (mg/l) x orosomucoïde (mg/l)/albumine (g/l) x préalbumine (mg/l)
[23]. Il regroupe des paramètres inflammatoires et
nutritionnels dont le rôle dans l’asthénie des patients
atteints de CB avancés a été démontré (24). Il existe
un risque de dénutrition sévère en cas de score supérieur à 20. Cependant, le PINI reste peu utilisé en
routine clinique. Sur une petite série de PA atteintes
de CB, nous avons observé que le PINI et le MNA
sont corrélés au PS, mais cela reste à valider sur de
plus larges séries de patients (9).
à 2 (25, 29). Les PA porteuses de comorbidités (CCI
supérieur à 2) ont également plus de toxicités de
grades 3-4 (29). Dans une série française portant
sur 588 patients (âge moyen de 62,7 ans) opérés
pour des CB de stade I, un CCI supérieur à 2 apparaissait comme un facteur indépendant défavorable
de survie (30). L’impact réel des comorbidités sur
la survie est plus discuté dans les stades métastatiques (3, 25).
Évaluation socio-environnementale
L’évaluation gériatrique n’est pas standardisée,
ni validée dans le CB. Le choix de l’échelle dans
chaque domaine de l’EGS et l’interprétation des
résultats doivent être prudents, adaptés au niveau
socio­culturel du patient, à ses déficits sensoriels
préexistants et à sa pathologie cancéreuse.
La réalisation d’une évaluation gériatrique complète
est chronophage, en particulier pour le pneumologue non formé à l’utilisation et l’interprétation
de ces outils. Le temps moyen estimé pour une EGS
complète est de 1 h 30, en dehors de toute autre
explication sur la pathologie dont souffre le patient
et des informations indispensables au traitement.
L’utilisation d’un autoquestionnaire a été évaluée sur
une série de 266 patients (60 % de PA) comportant
12 % de CB, montrant que 69 % d’entre eux avaient
au moins une atteinte ADL et 58 % une dépendance
à l’IADL (31).
La VES-13 (vulnerable elders survey-13) est une alternative à l’EGS complète (32). Elle se compose de
13 items dont l’âge, et reprend certains des items
de l’EGS sous la forme de questions auxquelles le
patient répond par oui ou non. Le temps de réalisation estimé est de 5 mn. La VES-13 a été comparée
à l’EGS dans le cancer de la prostate et apparaît
aussi discriminante, mais elle n’a pas été évaluée
dans le CB (33).
Une version abrégée de l’EGS existe : il s’agit de l’abbreviated comprehensive geriatric assessment (CGAa),
mais il n’a pas été validé dans le CB (34). On observe
de bonnes corrélations avec l’EGS complète (0,84
à 0,96) pour les items retenus : ADL (toilette, mobilité,
continence), IADL (courses, repas, ménage, lessive),
MMSE (attention et calcul, lecture et compréhension,
écriture, reproduction), GDS (4 questions auxquelles
le patient répond par oui ou non). Le CGAa permettrait de ramener le temps nécessaire à l’évaluation
gériatrique à 5 mn (35). Un seul paramètre atteint
de l’ADL et de l’IADL, un MMSE inférieur ou égal à
6, un GDS supérieur ou égal à 2 réponses positives
Les facteurs socio-économiques, l’environnement
de la PA, ses soutiens familiaux ou amicaux, son
statut matrimonial sont à prendre en compte. Le
vieillissement de la population pose de plus en plus
le problème d’un(e) conjoint(e) dépendant(e) ou
malade.
Les comorbidités
L’incidence des comorbidités augmente avec l’âge (25).
Une étude de registre portant sur plusieurs cancers,
dont le CB, a montré que les patients atteints de CB
ont le plus fort taux de comorbidités (38,9 %) par
rapport à ceux qui développent d’autres cancers (3).
L’échelle de Charlson (CCI) est la plus utilisée (26).
Colinet et al. ont développé un score de comorbidité
modifié validé dans le CB et composé de 7 items dont
le tabagisme, qui n’est pas pris en compte dans le CCI.
Il existe une corrélation entre ces 2 échelles (27). Le
CIRS-G (cumulative illness rating scale geriatric) est
une autre échelle de comorbidité, mais elle est d’utilisation plus complexe, cotant 14 systèmes d’organes
(28). Un index CIRS-G supérieur à 2 est un facteur
pronostique de mortalité. La corrélation entre le
Charlson et le CIRS-G est modérée (10).
Plusieurs séries publiées, y compris dans le CB, ont
montré que les comorbidités évaluées par le CCI
ou le CIRS-G sont indépendantes du PS et de l’EGS
(9, 10). La présence de comorbidités intervient dans
le choix du traitement. Le corollaire à un nombre
élevé de comorbidités est le nombre de médicaments
associés, qui, par eux-mêmes, vont interagir avec la
chimiothérapie et avoir leurs propres effets délétères.
Les PA présentant un CCI supérieur ou égal à 1 ou
2 ont une moins bonne tolérance à la chimiothérapie et reçoivent une dose-intensité inférieure à
celle administrée aux sujets ayant un CCI inférieur
Les limitations actuelles de l’EGS
La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 | 161
Évaluation gériatrique en cancérologie thoracique :
faut-il la faire et comment ?
données nouvelles
font réaliser une EGS complète. Ces valeurs seuils ont
été développées rétrospectivement pour différents
cancers, mais pas dans le CB (35). Le CGAa n’a pas
été comparé au VES-13.
L’EGS peut-elle être un outil prédictif de la survenue de
toxicités durant la chimiothérapie ? Les facteurs les plus
discriminants pour le CB restent à définir. Une étude
portant sur des PA atteintes de cancer de l’ovaire a
montré qu’un PS supérieur à 1, une dépendance domestique et la présence de symptômes dépressifs étaient
des facteurs pronostiques de survenue d’une toxicité
sous chimiothérapie (36). Cependant, la dépendance
fonctionnelle dans cette étude n’était pas évaluée par
l’ADL ou l’IADL, et la dépression n’était pas évaluée par
une échelle de dépression spécifiée. Une récente série
préliminaire portant sur 182 patients de plus de 70 ans
atteints de CB avancés semble montrer qu’une limitation du MMSE ou de l’IADL est un facteur prédictif de
survenue d’une toxicité à la chimiothérapie (37).
Perspectives et conclusions
Indépendant
Vulnérable
ADL
Indépendant (= 0)
Indépendant (= 0)
Dépendant (≥ 1)
IADL
Indépendant (= 0)
Dépendant (≥ 1)
Dépendant ou non
Comorbidités
0-1
2
≥3
Syndrome(s)
gériatrique(s)1
Non
Non
Oui (≥ 1)
Oui
Oui avec restrictions
(discuter doses réduites, monothérapie, Eb3
en essais cliniques)
Non : soins palliatifs
(discuter Eb3 en essais
cliniques ?)
Balducci et al. ont proposé une sélection des PA
atteintes de cancers reposant sur l’EGS et permettant de classer les patients en trois catégories
(tableau II) [13]. Cette présélection fondée sur
l’EGS pourrait être affinée en intégrant le PS, des
facteurs nutritionnels, le tabagisme du patient et
d’autres items spécifiques au CB. Il est nécessaire
que les pneumologues, en collaboration avec les
équipes gériatriques dans le cadre de confrontations multidisciplinaires, proposent des outils gériatriques de sélection spécifiques des patients atteints
de CB et valident leurs algorithmes décisionnels. Le
CGAa mériterait d’être affiné et, peut-être, validé
dans le CB. Les items et seuils pathologiques correspondant à nos patients doivent également être
définis. De récents travaux ont montré de manière
préliminaire, dans deux études de phase II ouvertes,
que le choix d’un traitement par mono- ou bithérapie dans les CB métastatiques en fonction du
PS et du score de Charlson pondéré par l’âge était
réalisable (38, 39). Des essais de phase III sont en
cours de préparation dans les groupes coopératifs
français, et ceci avec un soutien actif de l’Institut
national du cancer.
L’évaluation gériatrique doit être faite, au besoin avec
la coopération d’un gériatre, chez toute PA atteinte
de CB. Nos patients âgés doivent systématiquement
être sollicités pour participer aux essais cliniques qui
leur sont consacrés.
■
gériatriques(s) définis par une démence et/ou une incontinence urinaire/fécale et/
ou des chutes répétées et/ou une ou plusieurs atteintes ADL ; 2 proposition de traitement pour les
­personnes âgées atteintes de CB avancés et métastatiques ; 3 Eb : erlotinib (Tarceva®).
Remerciements au Dr R. Azarian pour sa relecture critique et
constructive de ce travail.
Tableau II. Définition des groupes de patients de plus de 70 ans par l’EGS, d’après
Balducci (13).
Sujet
Traitement spécifique2
(proposer un essai
clinique)
1 Syndrome(s)
Fragile
Références bibliographiques
1. Piquet J, Blanchon F, Grivaux M et les membres du CPHG.
Le cancer bronchique primitif du sujet âgé en France. Résultats de l’étude KBP-2000 du Collège des pneumologues des
Hôpitaux généraux. Rev Mal Respir 2003;20:691-9.
2. Hutchins LF, Unger JM, Crowley JJ, Coltman CA, Albain KS.
Underrepresentation of patients 65 years of age or older in
cancer-treatment trials. N Engl J Med 1999;341:2061-7.
3. Read W, Tierney R, Page N et al. Differential prognostic
impact of comorbidity. J Clin Oncol 2004;22:3099-103.
4. Gridelli C. The ELVIS trial: a phase III study of single-agent
vinorelbine as first-line treatment in elderly patients with
advanced non-small-cell lung cancer. Elderly Lung Cancer
Vinorelbine Italian Study. Oncologist 2001;6S:4-7.
5. Pepe C, Hasan B, Winton T et al. Adjuvant vinorelbine
and cisplatine in elderly patients: National Cancer Institute
of Canada and Intergroup Study JBR.10. J Clin Oncol 2007;
25:1553-61.
6. Port JL, Kent M, Korst R et al. Surgical resection for lung
cancer in the octogenarian. Chest 2004;126:733-8.
7. PACE participants: Audisio R, Pope D, Ramesh H, Van
Leeuwen B et al. Shall we operate? Preoperative assessment
in elderly cancer patients (PACE) can help. A SIOG surgical
task force prospective study. Crit Rev Oncol Hematol 2008;
65:156-63.
8. Repetto L, Fratino L, Audisio R et al. Comprehensive geriatric assessment adds information to Eastern Cooperative
Oncology Group performance status in elderly patients:
an Italian Group for Geriatric Oncology Study. J Clin Oncol
2002;20:494-502.
9. Dujon C, Azarian R, Azarian V, Petitpretz P. Cancer bronchique du sujet âgé : performance status et/ou indices gériatriques. Rev Mal Respir 2006;23:307-18.
10. Extermann M, Overcash J, Lyman GH, Parr J, Balducci L.
Comorbidity and functional status are independent in older
cancer patients. J Clin Oncol 1998;16:1582-7.
11. Monfardini S, Ferrucci L, Fratino L, Del Lungo I, Serraino D,
Zagonel V. Validation of a multidimensional evaluation scale
for use in elderly patients. Cancer 1996;77:395-401.
12. Extermann M, Aapro M, Bernabei R et al. Use of comprehensive geriatric assessment in older patients: recommenda-
162 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 tions from the task force on CGA of the International Society
of Geriatric Oncology (SIOG). Crit Rev Oncol Hematol 2005;
55:241-52.
13. Balducci L, Extermann M. Management of cancer in the
older person: a practical approach. The Oncologist 2000;
5:224-37.
14. Katz S, Ford AB, Moskowitz RW, Jackson BA, Jaffe MW.
Studies of the illness in the aged. The index of ADL: a standardized measure of biological and psychosocial function.
JAMA 1963;21:914-9.
15. Fukuse T, Satoda N, Hijiya K, Fujinaga T. Importance
of a comprehensive geriatric assessment in predicting of
complications following thoracic surgery in elderly patients.
Chest 2005;127:886-91.
16. Maione P, Perrone F, Gallo C et al. Pretreatment quality
of life and functional status assessment significantly predict
survival of elderly patients with advanced non-small-cell
lung cancer receiving chemotherapy: a prognostic analysis
of the Multicenter Italian Lung Cancer in the Elderly Study.
J Clin Oncol 2005;23:6865-72.
DONNÉES NOUVELLES
17. Lawton MP, Brody EM. Assessment of older people:
self-maintaining and instrumental activities of daily living.
Gerontologist 1969;9:179-86.
18. Podsiadlo D, Richardson S. The timed “Up and Go”:
a test of basic functional mobility for frail elderly persons.
J Am Geriatr Soc 1991;39:142-8.
19. Folstein MF, Folstein SE, McHugh PR. “Mini-mental
state”. A practical method for grading the cognitive state of
patients for the clinician. J Psychiatr Res 1975;12:189-98.
20. Yesavage J, Brink T, Rose T. Development and validation of a geriatric depression screening scale: a preliminary
report. J Psychiatr Res 1982;17:37-49.
21. Brown DJ, Mc Millan DC, Milroy R. The correlation
between fatigue, physical function, the systemic inflammatory response and psychological distress in patients with
advanced lung cancer. Cancer 2005;103:377-82.
22. Guigoz Y, Lauque S, Vellas BJ. Identifying the elderly at
risk for malnutrition. The Mini Nutritional Assessment. Clin
Geriatr Med 2002;18:737-57.
23. Ingenbleek Y, Carpentier YA. A prognostic inflammatory
and nutritional index scoring critically ill patients. Int J Vitam
Nutr Res 1985;55:91-101.
24. Scott HR, McMillan DC, Brown DJ, Forrest LM,
McArdle CS, Milroy R. A prospective study of the impact of
weight loss and the systemic inflammatory response on
quality of life in patients with inoperable non-small-cell
lung cancer. Lung Cancer 2003;40:295-9.
25. Asmis T, Ding K, Seymour L et al. Age and comorbidity
as independent prognostic factors in the treatment of
non-small-cell lung cancer: a review of National Cancer
Institute of Canada Clinical Trials Group. J Clin Oncol
2008; 26:54-9.
26. Charlson ME, Pompei P, Ales KL, MacKenzie CR. A new
method of classifying prognostic comorbidity in longitudinal
studies: development and validation. J Chron Dis 1987;40:
373-83.
27. Colinet B, Jacot W, Bertrand D et al. A new simplified
comorbidity score as prognostic factor in non-small-cell
lung cancer patients: description and comparison with the
Charlson index. Br J Cancer 2005;93:1098-105.
28. Miller M, Paradis C, Houck P et al. Rating chronic medical
illness burden in geropsychiatric practice and research: application of the Cumulative Illness Rating Scale. Psychiatry
Res 1992;41:237-48.
29. Frasci G, Lorusso V, Panza P et al. for the Southern Italy
Cooperative Oncology Group and Interregional Association
for the Study of Lung Carcinoma-Italy. Gemcitabine plus
vinorelbine versus vinorelbine alone in elderly patients
with advanced non-small-cell lung cancer. J Clin Oncol
2000;18:2529-36.
30. Moro-Sibilot D, Aubert A, Diab S et al. Comorbidity
and Charlson score in resected stage I non-small-cell lung
cancer. Eur Respir J 2005;26:480-6.
31. Ingram S, Seo P, Martell R et al. Comprehensive assessment of the elderly cancer patients: the feasibility of self
reported methodology. J Clin Oncol 2002;20:770-5.
32. Saliba D, Elliot M, Rubenstein LZ et al. The Vulnerable
Elders Survey: a tool for identifying vulnerable older people
in the community. J Am Geriatr Soc 2001;49:1691-9.
33. Mohile S, Bylow K, Dale W et al. A pilot study of the
Vulnerable Elders Survey-13 compared with the comprehensive geriatric assessment for identifying disability in
older patients with prostate cancer who receive androgen
ablation. Cancer 2007;109:802-10.
34. Overcash J, Beckstead J, Extermann M, Cobb S. The
abbreviated comprehensive geriatric assessment (aCGA):
a retrospective analysis. Crit Rev Oncol Hematol 2005;
54:129-36.
35. Overcash J, Beckstead J, Moody L, Extermann M, Cobb S.
The abbreviated comprehensive geriatric assessment (aCGA)
for use in the older cancer patient as a pre-screen: scoring
and interpretation. Crit Rev Oncol Hematol 2006;59:
205-10.
36. Freyer G, Geay JF, Touzt S et al. for the Groupe d’Investigateurs Nationaux pour l’étude des Cancers Ovariens
(GINECO). Comprehensive Geriatric Assessment predicts
tolerance to chemotherapy and survival in elderly patients
with advanced ovarian carcinoma: a GINECO study. Ann
Oncol 2005;16:1795-800.
37. Wymenga M, Biesma B, Vincent A et al. Can baseline complete geriatric assessment predict toxicity in
elderly non-small-cell lung cancer patients receiving
combination therapy? Results from the first 100 pts in
the prospective multicenter NVALT-3 study. J Clin Oncol
2007;25(18S):7537.
38. Le Caer H, Barlesi F, Robinet G et al. An open multicenter
phase II trial of weekly docetaxel for advanced-stage nonsmall-cell lung cancer in elderly patients with significant
comorbidity and/or poor performance status: the GFPC
02-02b study. Lung Cancer 2007;57:72-8.
39. Le Caer H, Fournel P, Jullian H et al. An open
multicenter phase II trial of docetaxel-gemcitabine in
Charlson score and performance status (PS) selected
elderly patients with stage IIIb/IV non-small-cell lung
cancer: the GFPC 02-02a study. Crit Rev Oncol Hematol
2007;64:73-81.
abonnez-vous…
abonnez-vous…
…et bénéficiez des crédits de
* Gagnez 4 crédits/an
(en attente du décret d’application)
en vous abonnant
dès maintenant
à une de nos publications
(voir notre bulletin
d’abonnement page 171)
La facture
ou une attestation
validera votre FMC
*
Formation Médicale Continue
Edimark Santé
vous propose des REVUES de FORMATION
• Un comité de rédaction scientifique et un comité de lecture qui proposent des articles
signés par les auteurs garants de l’indexation, accompagnés de leurs coordonnées.
• Des références bibliographiques systématiquement appelées dans le texte.
• La notion de “conflit d’intérêts” clairement indiquée afin de garantir l’objectivité,
la qualité et l’indépendance scientifiques des articles publiés.
• Une publicité visuelle et/ou rédactionnelle du médicament et du matériel médical
parfaitement identifiée et qui n’interrompt pas la continuité d’un article.
• Les articles d’ordre scientifique et didactique constituent l’essentiel du contenu rédactionnel.
N.B. Le barème des crédits de FMC publié par le ministère de la Santé (décret du 13 juillet 2006, paru au Journal officiel le 9 août 2006) propose
quatre catégories d’action de FMC et d’évaluation des pratiques professionnelles dont la catégorie 2, comprenant les formations individuelles et
à distance utilisant tout support matériel ou électronique, notamment les abonnements à des périodiques ou l’acquisition d’ouvrages médicaux.
La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 | 163
Téléchargement