L Évaluation gériatrique en cancérologie thoracique : faut-il la faire et comment ?

158 | La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008
DONNÉES NOUVELLES
Évaluation gériatrique
en cancérologie thoracique :
faut-il la faire et comment ?
Comprehensive geriatric assessment in elderly lung cancer:
should we do it and how?
C. Dujon*
L
es sujets de plus de 65 ans représentaient
16,4 % de la population française en 2005,
et ce pourcentage pourrait atteindre 30 %
en 2050, ce qui posera un problème de prise en
charge spécifique (source INED). Le cancer bron-
chique (CB) est un cancer fréquent dont le diagnostic
est porté dans un tiers des cas chez des personnes
âgées (PA) de plus de 70 ans (1). L’incidence du CB
est en augmentation chez la PA et la question d’une
prise en charge thérapeutique adaptée se pose quoti-
diennement au pneumologue.
À quel âge est-on une PA ? Selon l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), c’est à partir de 65 ans
et les gériatres affinent cette définition, également à
partir de 65 ans (65-74 ans : “âgé précoce”, 75-84 ans :
“âgé moyen, plus de 84 ans : “âgé avancé”, plus de
94 ans : “élite de l’âge” et plus de 99 ans : “cente-
naire”). Dans la pratique clinique quotidienne et dans
la plupart des essais cliniques récents, l’âge le plus
communément retenu est 70 ans. Mais ce n’est qu’un
paramètre chronologique et non fonctionnel. Les PA
constituent une population hétérogène et fragile
du fait des altérations physiologiques, physiques et
métaboliques liées à l’âge. Ces phénomènes sont
éminemment variables d’un individu à l’autre, ce qui
complique l’évaluation de ces patients par le clini-
cien non gériatre, évaluation d’autant plus difficile à
réaliser que les PA atteintes de cancer sont souvent
exclues ou sous-représentées dans les études (2).
Les traitements du CB sont agressifs, parfois multi-
modaux, et s’adressent à des patients porteurs, dans
plus d’un tiers des cas, de comorbidités modérées à
sévères (3). Les traitements par chimiothérapie des
CB métastatiques apportent aux PA un bénéfice en
termes de survie et améliorent également la qualité
* Service de pneumologie, hôpital
André-Mignot, Le Chesnay.
de vie (4). Une étude rétrospective récente analy-
sant le sous-groupe des plus de 65 ans (31 % des
patients) inclus dans l’étude JBR.10 – dont le rôle est
d’évaluer l’intérêt d’une chimiothérapie adjuvante
après une chirurgie complète pour CB – montre que
les PA bénéficient de la chimiothérapie en termes de
survie, même si la dose-intensité du traitement reçu
est inférieure à celle que l’on peut délivrer aux sujets
plus jeunes (5). La chirurgie thoracique n’est pas un
obstacle chez les PA, sous réserve d’une bonne sélec-
tion des patients, qu’il convient de définir (6, 7).
Plusieurs études ont montré que l’utilisation seule
du performance status (PS) reste trop globale pour
caractériser une PA (8, 9). Le PS est un indice
pronostique majeur de survie, mais il méconnaît
certaines atteintes gériatriques spécifiques qui,
par elles-mêmes, ont un impact sur la tolérance au
traitement et sur la survie (8, 10). Il est donc néces-
saire de valider et d’utiliser des échelles gériatriques
spécifiques de sélection en pneumo-oncologie. Des
outils gériatriques existent, mais la plupart sont mal
connus des pneumologues et sont souvent perçus
comme chronophages. Quels sont ces outils et
comment les utiliser ?
Le “comprehensive geriatric
assessment”
Lévaluation gériatrique en oncologie s’est déve-
loppée depuis une vingtaine d’années sous l’im-
pulsion des travaux de Balducci et Monfardini (11).
Solomon et al. ont défini, en 1988, le comprehensive
geriatric assessment, ou évaluation gériatrique stan-
dardisée (EGS). L’EGS a pour but une “évaluation
La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 | 159
Résumé
Le diagnostic de cancer bronchique (CB) est porté dans un tiers des cas chez des patients âgés de plus de 70 ans.
L’augmentation du nombre de personnes âgées (PA) dans les années à venir va poser un problème de prise en charge
spécifique de cette population hétérogène, fragile et encore peu incluse dans les essais cliniques. Les PA tirent un
bénéfice des traitements du CB, comme cela a été montré dans plusieurs études. Ces traitements restent néanmoins
agressifs. La sélection des PA reposant seulement sur le
performance status
(PS) est insuffisante. Le PS méconnaît un
certain nombre d’atteintes spécifiques à la PA et peut sous-évaluer les dépendances de ces patients. La Société interna-
tionale d’oncologie gériatrique (SIOG) recommande la réalisation d’une évaluation gériatrique standardisée (EGS) chez
tout patient de plus de 70 ans atteint de cancer. Cette EGS comporte plusieurs items : fonctionnels, psychocognitifs et
nutritionnels, auxquels l’évaluation des comorbidités et de l’environnement sociofamilial du patient se surajoute. L’EGS
permet d’évaluer finement les réserves de la PA face au cancer et à ses traitements, et ainsi de définir trois groupes de
PA (PA indépendantes, PA vulnérables et PA fragiles), apportant une aide au clinicien pour administrer le traitement le
plus adapté. Cependant, à ce jour, il n’y a pas d’EGS dans le CB, ni de validation de ces échelles gériatriques. Des essais
cliniques spécifiques à cette population sont nécessaires.
Mots-clés
Cancer bronchique
Sujet âgé
Évaluation gériatrique
standardisée
Highlights
Elderly lung cancer patients are
a growing population. Lung
cancers are for one third diag-
nosed in patients over 70 years.
Elderly patients (EP) constitute a
heterogeneous population that
is underrepresented in trials.
Dependence and frailty are very
common presentations of this
population. Clinicians have to
detect these clinical situations.
Several studies have shown that
the treatments are effective in
elderly selected lung cancer
patients. But these treatments
remain aggressive. The selection
of EP based only on the perfor-
mance status is insufficient. The
International Society of Geri-
atric Oncology recommends the
realisation of a Comprehensive
Geriatric Assessment (CGA) for
all cancer patients over 70 years.
CGA includes several items:
functional, cognitive, psycho-
logical and nutritional status.
Comorbidity, social and family
situations of the patient must
also be assessed. CGA assesses
physiologic components of the EP
facing lung cancer and its treat-
ments. CGA is used to define
three groups of elderly cancer
patients: fit, intermediate and
frail. This classification could
help the clinicians in the choice
of the best treatment for their
patients. However, today, there
is no standardised CGA in lung
cancer or validation of these
geriatric scales. Clinical trials
are needed for the elderly lung
cancer patients.
Keywords
Lung cancer
Elderly patients
Comprehensive geriatric
assessment
multidisciplinaire standardisée permettant d’appré-
cier l’ensemble des atteintes fonctionnelles, psycho-
cognitives et socio-environnementales caractérisant
la personne âgée et permettant une prise en charge
adaptée et spécifique à cette population” (National
Institutes of Health Consensus Conference on Geriatric
Assessment Methods for Clinical Decision-making).
L’EGS va permettre de repérer et surtout de prévenir
un certain nombre de limitations spécifiques à la PA
par la mise en place d’actions visant à les compenser.
Elle permet également un suivi longitudinal temporel
du patient. La SIOG recommande la réalisation d’une
EGS chez tout patient atteint de cancer de plus de
70 ans, car c’est à partir de cet âge que l’incidence
des atteintes gériatriques augmente (12).
L’EGS analyse plusieurs domaines :
fonctionnel, reflétant l’autonomie du patient face
à des situations de la vie quotidienne ;
cognitif et thymique, appréciant une dépression
préexistante et/ou induite par le cancer ;
nutritionnel/biologique, évaluant les réserves
physiologiques ;
social, évaluant l’entourage et les possibilités de
déplacement ;
médical, marqué par la présence ou non de comor-
bidités, le nombre de médicaments pris.
Les principales échelles retenues pour l’EGS sont
résumées dans le tableau I. Les seuils pathologiques
communément retenus sont rapportés, mais ne sont
pour la plupart pas validés dans le CB.
L’EGS apporte des informations complémentaires
au PS. Elle permet de détecter une atteinte géria-
trique sous-jacente qui aurait été méconnue avec la
simple utilisation du PS. Dans une étude portant sur
363 patients atteints de cancers métastatiques et
âgés de plus de 65 ans, 269 avaient un PS inférieur
à 2. L’analyse par l’EGS a permis de montrer que 9 %
d’entre eux avaient une limitation ADL (activities
of daily living), 39 % une limitation IADL (instru-
mental activities of daily living) et 13 % au moins
2 comorbidités (8). Ces résultats ont également été
rapportés dans une série chirurgicale chez des PA de
plus de 70 ans (7).
L’EGS permet de déceler une vulnérabilité chez
la PA. Les chutes répétées, l’incontinence fécale
et/ou urinaire, la démence, la présence de trois
comorbidités ou plus et une dépendance fonc-
tionnelle ou plus (ADL) vont définir un syndrome
gériatrique. Les PA atteintes de cancer avec un ou
plusieurs syndromes gériatriques présentent une
situation clinique de fragilité et relèvent de soins
palliatifs (13).
Tableau I. Domaines et échelles les plus couramment utilisés pour l’EGS (adapté de la SIOG, 12).
Domaine Auteur Échelle N items Extrêmes Seuil Corrélé avec
survie1
PS Oken, 1982
Karnovsky, 1948
PS-ECOG
PS-K
5
10
0-4
0-100
> 2
< 70
Oui
Oui
Fonctionnel
Katz, 1963
(14)
Lawton, 1969
(17)
Podsiadlo, 1991
(18)
ADL
IADL
T-GuG
6
9
4
0-6
0-9
0-12
≥ 1
≥ 1
> 1
Oui
Oui
Non2
Cognitif Folstein, 1975
(19)
MMSE 30 0-30 < 24 Oui
Thymique Yesavage, 1982
(20)
GDS 30 0-30 > 9 Non
Nutritionnel Guigoz, 2002
(22)
Ingenbleek, 1985
(23)
MNA
PINI
18
43
< 12
> 20
Oui
Oui
Comorbidités
Charlson, 1987
(26)
Colinet, 2005
(27)
Miller, 1991
(28)
Charlson4
Charlson
modifié5
CIRS-G
19
7
146
> 2
≥ 9
> 2
Oui
Oui
Oui
1 Pathologies hors cancer et tous cancers confondus. 2 Morbidité importante. 3 Quatre paramètres biologiques : albuminémie, préalbu-
minémie, protéine C réactive et orosomucoïde. 4 Le calcul du score doit être pondéré par l’âge du patient à partir de 50 ans : + 1 point
(pt) par décennie, soit 50-59 ans : + 1 pt ajouté au score obtenu ; 60-69 ans : + 2 pts ; 70-79 ans : + 3 pts ; 80-89 ans : + 4 pts. 5 Déve-
loppé dans le CB. 6 Quatorze organes listés, chaque fonction d’organe est cotée de 0 (aucune dysfonction) à 4 (dysfonction majeure).
ADL :
activities of daily living ; IADL: instrumental activities of daily living ;
MMSE :
mini mental state examination ;
GDS :
geriatric depres-
sion scale ;
MNA :
mini nutritional assessment ;
PINI :
prognostic inflammatory and nutritional index ;
T-GuG :
timed get up and go test.
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DONNÉES NOUVELLES
Les échelles composant l’EGS
Les échelles proposées ci-dessous sont celles le plus
souvent utilisées dans les différentes publications
sur les PA atteintes de cancers.
Évaluation fonctionnelle
Les échelles fonctionnelles sont composées de l’ADL
et de l’IADL. Ces deux paramètres sont corrélés au
PS (8-10).
LADL explore les activités de la vie quotidienne :
toilette, habillage, continence, alimentation, soins
personnels, mobilité (14). Les items sont cotés 0 ou
1, “dépendant” ou “indépendant”. Il s’agit d’un test
rapide d’observation du patient, simple en hospita-
lisation. Une atteinte ADL traduit une vulnérabilité
qu’il convient de dépister. Cependant, les items de
l’ADL les plus discriminants ne sont actuellement
pas connus et leur significativité clinique non plus
en ce qui concerne le traitement par chimiothérapie.
C’est également un facteur pronostique de complica-
tions postopératoires dans les 30 jours suivant une
chirurgie thoracique pour un CB (15). De 14 à 49 %
des PA atteintes de CB ont au moins une dépendance
à l’ADL. Il n’est pas observé d’impact sur la survie
dans les CB métastatiques (16).
L’IADL est plus complexe dans la mesure cet index
explore les activités de la vie relationnelle et la dépen-
dance – ou non – par rapport à la communauté. Il
se compose de 10 items : faire les courses, prendre
ses médicaments, prendre les transports, faire ses
comptes, utiliser le téléphone, préparer les repas, faire
le ménage, faire la lessive, bricoler et entretenir la
maison (17). Ces activités plus élaborées prennent en
compte des paramètres intellectuels, psychiques et
physiques. Les items sont cotés 0 ou 1, dépendant” ou
“indépendant”. Ils sont plus déclaratifs, puisque ce sont
des activités domestiques personnelles non obser-
vables d’emblée par le médecin. De 48 à 95 % des PA
atteintes de CB présentent une atteinte IADL dans les
différentes séries publiées. L’IADL est corrélé à la survie
dans le CB (16). L’atteinte IADL est en corrélation avec
une moins bonne tolérance à la chimiothérapie (11).
Une dépendance établie selon l’IADL est un facteur
prédictif de complications postopératoires à 30 jours
chez les PA atteintes de cancers opérables (7).
Le timed get up and go test explore la mobilité
(marche et équilibre) du patient (18). Il est rapide à
réaliser par l’observation chronométrée du patient,
à qui l’on demande de se lever d’une chaise avec
accoudoirs, de marcher, d’effectuer un demi-tour
et de retourner s’asseoir. Chaque partie du test est
cotée en fonction de la capacité du patient à effec-
tuer les mouvements demandés. Ce test n’est pas
corrélé au PS.
Évaluation cognitive
Lévaluation mnésique par le MMSE (mini mental state
examination) est fondamentale (19). Un score inférieur
à 24 doit faire suspecter un syndrome démentiel et
faire poursuivre les explorations par un gériatre. Les
troubles mnésiques vont avoir un rôle sur la tolé-
rance au traitement, sur l’adhésion du patient aux
traitements proposés. Ils sont également corrélés à
la survie. Près d’un quart des patients âgés atteints de
cancer, y compris de CB, souffrent de troubles cognitifs
significatifs qui ne peuvent être mis en évidence par
la seule utilisation du PS (8). Un MMSE inférieur à 24
est un facteur prédictif de survenue de complications
postopératoires après chirurgie thoracique pour un
CB (15). Le MMSE est corrélé au PS.
Évaluation thymique
La dépression doit être également recherchée. Celle-
ci a un impact direct sur la motivation du patient à
recevoir un traitement et à en tolérer les effets indésira-
bles. Plusieurs échelles existent, mais le GDS (geriatric
depression score) est la plus utilisée (20). Le GDS est
un score d’autoévaluation comprenant de 5 à 30 items
(en fonction des versions) auxquels le patient répond
par oui ou non. Dans la version à 30 items, un score
supérieur à 9 traduit un syndrome dépressif sous-jacent
qu’il convient d’évaluer et de traiter avec un psychiatre.
Vingt-quatre à 40 % des patients atteints de CB ont
un score GDS anormal. Cet état dépressif est corrélé à
l’asthénie ressentie par le patient atteint de CB avancé,
et retentit de manière significative sur les indices fonc-
tionnels (21). Le GDS reste un outil de dépistage et doit
faire adresser le patient à l’oncopsychologue et/ou au
psychiatre en cas de score pathologique.
Évaluation nutritionnelle
Lévaluation nutritionnelle est majeure, particuliè-
rement en cancérologie pulmonaire. Un tiers des PA
sont dénutries et 10 % d’entre elles ont un indice
de masse corporelle (IMC) inférieur à 18 kg/m
2
.
Le MNA (mini nutritional assessment) se compose
de deux parties, une première partie de dépistage
comportant 6 items puis, si le score est inférieur
à 12, le test est poursuivi (22). Un MNA inférieur
à 17 semble augmenter le risque de décès précoce
de 40 % chez des PA atteintes de cancer. Le PINI
Évaluation gériatrique en cancérologie thoracique :
faut-il la faire et comment ?
La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008 | 161
DONNÉES NOUVELLES
(prognostic inflammatory and nutritional index) est
important à calculer : PINI = CRP (mg/l) x orosomu-
coïde (mg/l)/albumine (g/l) x préalbumine (mg/l)
[23]. Il regroupe des paramètres inflammatoires et
nutritionnels dont le rôle dans l’asthénie des patients
atteints de CB avancés a été démontré (24). Il existe
un risque de dénutrition sévère en cas de score supé-
rieur à 20. Cependant, le PINI reste peu utilisé en
routine clinique. Sur une petite série de PA atteintes
de CB, nous avons observé que le PINI et le MNA
sont corrélés au PS, mais cela reste à valider sur de
plus larges séries de patients (9).
Évaluation socio-environnementale
Les facteurs socio-économiques, l’environnement
de la PA, ses soutiens familiaux ou amicaux, son
statut matrimonial sont à prendre en compte. Le
vieillissement de la population pose de plus en plus
le problème d’un(e) conjoint(e) dépendant(e) ou
malade.
Les comorbidités
L’incidence des comorbidités augmente avec l’âge (25).
Une étude de registre portant sur plusieurs cancers,
dont le CB, a montré que les patients atteints de CB
ont le plus fort taux de comorbidités (38,9 %) par
rapport à ceux qui développent d’autres cancers (3).
Léchelle de Charlson (CCI) est la plus utilisée (26).
Colinet et al. ont développé un score de comorbidité
modifié validé dans le CB et composé de 7 items dont
le tabagisme, qui n’est pas pris en compte dans le CCI.
Il existe une corrélation entre ces 2 échelles (27). Le
CIRS-G (cumulative illness rating scale geriatric) est
une autre échelle de comorbidité, mais elle est d’uti-
lisation plus complexe, cotant 14 systèmes d’organes
(28). Un index CIRS-G supérieur à 2 est un facteur
pronostique de mortalité. La corrélation entre le
Charlson et le CIRS-G est modérée (10).
Plusieurs séries publiées, y compris dans le CB, ont
montré que les comorbidités évaluées par le CCI
ou le CIRS-G sont indépendantes du PS et de l’EGS
(9, 10). La présence de comorbidités intervient dans
le choix du traitement. Le corollaire à un nombre
élevé de comorbidités est le nombre de médicaments
associés, qui, par eux-mêmes, vont interagir avec la
chimiothérapie et avoir leurs propres effets délétères.
Les PA présentant un CCI supérieur ou égal à 1 ou
2 ont une moins bonne tolérance à la chimiothé-
rapie et reçoivent une dose-intensité inférieure à
celle administrée aux sujets ayant un CCI inférieur
à 2 (25, 29). Les PA porteuses de comorbidités (CCI
supérieur à 2) ont également plus de toxicités de
grades 3-4 (29). Dans une série française portant
sur 588 patients (âge moyen de 62,7 ans) opérés
pour des CB de stade I, un CCI supérieur à 2 appa-
raissait comme un facteur indépendant défavorable
de survie (30). L’impact réel des comorbidités sur
la survie est plus discuté dans les stades métasta-
tiques (3, 25).
Les limitations actuelles de l’EGS
Lévaluation gériatrique n’est pas standardisée,
ni validée dans le CB. Le choix de l’échelle dans
chaque domaine de l’EGS et l’interprétation des
résultats doivent être prudents, adaptés au niveau
socio culturel du patient, à ses déficits sensoriels
préexistants et à sa pathologie cancéreuse.
La réalisation d’une évaluation gériatrique complète
est chronophage, en particulier pour le pneumo-
logue non formé à l’utilisation et l’interprétation
de ces outils. Le temps moyen estimé pour une EGS
complète est de 1 h 30, en dehors de toute autre
explication sur la pathologie dont souffre le patient
et des informations indispensables au traitement.
L’utilisation d’un autoquestionnaire a été évaluée sur
une série de 266 patients (60 % de PA) comportant
12 % de CB, montrant que 69 % d’entre eux avaient
au moins une atteinte ADL et 58 % une dépendance
à l’IADL (31).
La VES-13 (vulnerable elders survey-13) est une alter-
native à l’EGS complète (32). Elle se compose de
13 items dont l’âge, et reprend certains des items
de l’EGS sous la forme de questions auxquelles le
patient répond par oui ou non. Le temps de réalisa-
tion estimé est de 5 mn. La VES-13 a été comparée
à l’EGS dans le cancer de la prostate et apparaît
aussi discriminante, mais elle n’a pas été évaluée
dans le CB (33).
Une version abrégée de l’EGS existe : il s’agit de l’ab-
breviated comprehensive geriatric assessment (CGAa),
mais il n’a pas été validé dans le CB (34). On observe
de bonnes corrélations avec l’EGS complète (0,84
à 0,96) pour les items retenus : ADL (toilette, mobilité,
continence), IADL (courses, repas, ménage, lessive),
MMSE (attention et calcul, lecture et compréhension,
écriture, reproduction), GDS (4 questions auxquelles
le patient répond par oui ou non). Le CGAa permet-
trait de ramener le temps nécessaire à l’évaluation
gériatrique à 5 mn (35). Un seul paramètre atteint
de l’ADL et de l’IADL, un MMSE inférieur ou égal à
6, un GDS supérieur ou égal à 2 réponses positives
162 | La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 4 - juillet-août 2008
DONNÉES NOUVELLES
font réaliser une EGS complète. Ces valeurs seuils ont
été développées rétrospectivement pour différents
cancers, mais pas dans le CB (35). Le CGAa n’a pas
été comparé au VES-13.
L’EGS peut-elle être un outil prédictif de la survenue de
toxicités durant la chimiothérapie ? Les facteurs les plus
discriminants pour le CB restent à définir. Une étude
portant sur des PA atteintes de cancer de l’ovaire a
montré qu’un PS supérieur à 1, une dépendance domes-
tique et la psence de symptômes dépressifs étaient
des facteurs pronostiques de survenue d’une toxicité
sous chimiothérapie (36). Cependant, la dépendance
fonctionnelle dans cette étude n’était pas évaluée par
l’ADL ou l’IADL, et la dépression nétait pas évaluée par
une échelle de dépression spécifiée. Une récente série
préliminaire portant sur 182 patients de plus de 70 ans
atteints de CB avancés semble montrer qu’une limita-
tion du MMSE ou de l’IADL est un facteur prédictif de
survenue d’une toxicité à la chimiothérapie (37).
Perspectives et conclusions
Balducci et al. ont proposé une sélection des PA
atteintes de cancers reposant sur l’EGS et permet-
tant de classer les patients en trois catégories
(tableau II) [13]. Cette présélection fondée sur
l’EGS pourrait être affinée en intégrant le PS, des
facteurs nutritionnels, le tabagisme du patient et
d’autres items spécifiques au CB. Il est nécessaire
que les pneumologues, en collaboration avec les
équipes gériatriques dans le cadre de confronta-
tions multidisciplinaires, proposent des outils géria-
triques de sélection spécifiques des patients atteints
de CB et valident leurs algorithmes décisionnels. Le
CGAa mériterait d’être affiné et, peut-être, validé
dans le CB. Les items et seuils pathologiques corres-
pondant à nos patients doivent également être
définis. De récents travaux ont montré de manière
préliminaire, dans deux études de phase II ouvertes,
que le choix d’un traitement par mono- ou bithé-
rapie dans les CB métastatiques en fonction du
PS et du score de Charlson pondéré par l’âge était
réalisable (38, 39). Des essais de phase III sont en
cours de préparation dans les groupes coopératifs
français, et ceci avec un soutien actif de l’Institut
national du cancer.
Lévaluation gériatrique doit être faite, au besoin avec
la coopération d’un gériatre, chez toute PA atteinte
de CB. Nos patients âgés doivent systématiquement
être sollicités pour participer aux essais cliniques qui
leur sont consacrés.
Remerciements au Dr R. Azarian pour sa relecture critique et
constructive de ce travail.
Tableau II. Définition des groupes de patients de plus de 70 ans par l’EGS, d’après
Balducci (13).
Sujet Indépendant Vulnérable Fragile
ADL Indépendant (= 0) Indépendant (= 0) Dépendant (≥ 1)
IADL Indépendant (= 0) Dépendant (≥ 1) Dépendant ou non
Comorbidités 0-1 2 ≥ 3
Syndrome(s)
gériatrique(s)1Non Non Oui (≥ 1)
Traitement spécifique2
(proposer un essai
clinique)
Oui
Oui avec restrictions
(discuter doses rédui-
tes, monothérapie, Eb3
en essais cliniques)
Non : soins palliatifs
(discuter Eb3 en essais
cliniques ?)
1 Syndrome(s) gériatriques(s) définis par une démence et/ou une incontinence urinaire/fécale et/
ou des chutes répétées et/ou une ou plusieurs atteintes ADL ; 2 proposition de traitement pour les
personnes âgées atteintes de CB avancés et métastatiques ; 3 Eb : erlotinib (Tarceva®).
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Références bibliographiques
Évaluation gériatrique en cancérologie thoracique :
faut-il la faire et comment ?
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