M I S E A U P O I N T Les traitements non médicamenteux de l’arthrose O s t e o a rthritis non pharmaceutical treatments ● P o i n t s T. Armingeat, T. Pham* f o r t s ■ Efficacité des exercices et de la rééducation du quadriceps dans le traitement de la gonarthrose. ■ Intérêt de la perte de poids et de l’éducation du patient. ■ Faible niveau de preuve des différentes méthodes de physiothérapie. ■ Intérêt certain des semelles et orthèses, mais probablement dans des sous-groupes de patients à définir. ■ La méthodologie des essais cliniques des traite- ments non médicamenteux de l’arthrose est souvent insuffisante pour prouver leur efficacité. Ils sont cependant bien tolérés et restent des traitements de première ligne dans la prise en charge des patients arthrosiques. M o t s - c l é s : A rt h rose - Éducation - Exercices P e rte de poids. K e y w o rd s : O s t e o a rthritis - Education - Exercises Loss of weight. L es traitements non médicamenteux font partie intégra n t e de la prise en ch a rge de l’art h rose dans notre pratique quotidienne. L’objectif de ces traitements est identique à celui des traitements médicamenteux : contrôler la douleur, r é d u i re la raideur art ic u l a i re, limiter les conséquences cart i l agineuses, a m é l i o rer la fonction et la qualité de vie, avec le moins d’effets indésirables possibles. * Service de rhumatologie, hôpital de la Conception, Marseille. La Lettre du Rhumatologue - n° 306 - novembre 2004 Mais, alors que les sociétés savantes (American College of Rheumat o l ogy [ACR], European League Against Rheumatism [EULAR]) recommandent leur utilisation, leur efficacité et leur tolérance ont été peu évaluées (1-4). Nous développerons principalement les traitements non médicamenteux dans la prise en ch a rge de l’art h rose des membre s inférieurs. Les thérapeutiques les plus étudiées sont les exercices physiques, l ’ é d u c ation du pat i e n t , l ’ a m a i grissement et le port d ’ o rthèses ou de semelles corre c t rices dans la go n a rt h rose fémorotibiale. Les autres modalités thérapeutiques, notamment les manipulations, l’acupuncture, la mésothérapie ou l’électrothérapie, n’ont pas été testées dans des essais à la méthodologie satisfaisante, ou paraissent inefficaces. La prise de vitamines, de minéraux ou d’extraits de plantes s’apparentant à une prise médicamenteuse, elle a été volontairement écartée du propos. EXERCICES ET ACTIVITÉ PHYSIQUE Plusieurs travaux épidémiologiques récents ont mis l’accent sur les relations entre la réduction de la force musculaire et le risque d’apparition d’une go n a rt h ro s e, permettant de montrer que la force d’extension du genou (après ajustement sur le poids) était 20 % plus faible chez les patientes qui développeront ultérieurement une gonarthrose (5). Cette réduction de la force musculaire précède donc la survenue de l’arthrose et n’est pas une conséquence de celle-ci. Une fois la maladie installée, on constate également un déficit des muscles extenseurs de la cuisse qui ne serait pas présent sur les autres groupes musculaires. Il faut signaler que, à partir de 237 sujets souff rant de go n a rt h ro s e, S h a rma et al. ont montré qu’il pouvait y avoir une aggravation radiologique plus rapide du pincement art i c u l a i re chez les sujets possédant un quadri c ep s plus fort. Ces constatations prédominent chez les sujets possédant un genou instable ou une déviation du genou dans le plan frontal (6). Il semble donc logique d’inciter les malades à avoir une activité physique régulière. Récemment, t rois revues systématiques de la littérature ont rep ri s les résultats de la majorité des essais randomisés contrôlés comparant des groupes avec exe rcice physique à des groupes contrôles sans exe rc i c e. La pre m i è re a permis de vérifier que des programmes de marche, de renforcement musculaire, de stretching et de gymnastique aquatique permettent une amélioration faible 13 M I S E A U P O I N T à modérée de la douleur des patients ainsi qu’une amélioration faible de leur marche et de leur impotence fonctionnelle (7). La seconde revue a analysé les critères douleur, fonction et marche chez des patients gonarthrosiques et démontre qu’il existe chez eux un effet bénéfique à court terme à faire des exercices physiques (8). La revue la plus récente a retenu 14 essais ayant une m é t h o d o l ogie sat i s faisante concernant près de 2 000 patients gonarthrosiques (9). Elle conclut à un effet modéré des exercices sur la douleur et à un effet mineur sur la fonction. Il semble donc que les exercices au sol aient une efficacité faible à modérée chez les patients souffrant de gonarthrose. Ces résultats ont été confirmés par la récente méta-analyse de la Cochrane Library (10). ✓ Quels exercices proposer aux patients ? Idéalement, les programmes physiques proposés aux pat i e n t s arthrosiques doivent comprendre : – des exercices d’assouplissement visant à améliorer ou à maintenir l’amplitude articulaire ; – des exe rcices de re n fo rcement musculaire isométriques et isotoniques ; – des exercices d’endurance (marche, natation, vélo) (11). Le programme d’exercices peut aussi varier selon que le malade est en période douloureuse ou non et selon le stade évolutif de son arthrose. Dans les périodes douloureuses, on privilégiera les programmes d’exercices isométriques (contraction du quadriceps) ou les programmes d’activité physique en décharge partielle ou totale. La balnéothérapie peut faciliter le travail en décharge en permettant un travail musculaire plus intense à niveau de douleur égal (12). Les exercices en charge ne sont débutés qu’ultérieurement, hors période douloureuse. Dans les périodes moins douloureuses, on privilégiera les programmes associant assouplissement, exe rcices de re n fo rc ement musculaire et exe rcices d’endura n c e. Les diff é rents exe rcices proposés posant un réel pro blème de compliance à moye n et à long terme (investissement horaire, matériel nécessaire, coûts, démotivat i o n … ) , la marche doit de toute façon être conseillée. Son intérêt est double, en termes d’entretien et de re n fo rcement mu s c u l a i re d’une part, mais aussi à visée de réduction pondérale. KINÉSITHÉRAPIE (EN DEHORS DES EXERCICES PHYSIQUES) Massages Le massage d’une zone douloureuse est une réaction intuitive. Il s t i mu l e rait les aff é rences de gros diamètre (théorie du gate control) et/ou stimulerait la sécrétion de neuromédiateurs antalgiques. Les massages n’ont jamais pu être comparés à un placebo dans l’arthrose, mais dans la lombalgie, il a été montré que les massages n’avaient pas plus d’effet que les manipulations et étaient moins efficaces que la neuro s t i mulation transcutanée pour ce qui est du soulagement de la douleur (13). Cependant, la réaction instinctive au massage, les bénéfi c e s secondaires obtenu s , et l’absence d’effets indésirables laissent 14 penser que les massages continueront à être utilisés longtemps, et par les patients, et par les thérapeutes. Physiothérapie Les ultrasons pulsés ont initialement été recommandés comme un traitement de la poussée inflammatoire et les ultrasons continus, comme un traitement de la limitation des amplitudes articulaires. De récentes méta-analyses ont conclu à l’absence de p re u ve de l’efficacité (ou de l’inefficacité) de ces deux tra i t ements dans les maladies musculosquelettiques en général. Leur absence d’efficacité avait déjà été rapportée, aussi bien dans la go n a rt h rose fémorotibiale que dans les syndromes fémoropatellaires (14-17). L’application locale de chaud ou de froid a des effets mesurables sur la température cutanée et sur la température intra-articulaire (18). L’ap p l i c ation de chaleur peut s’obtenir soit avec des méthodes “conductives” avec, par exemple, des coussins chauffa n t s , des bains ou pains chauds de para ffine, soit avec des méthodes d’“énergie radiante”, lampes à infrarouges, sauna ou chambre à vapeur. La chaleur profonde peut être obtenue avec la d i at h e rmie à ondes courtes et par ultrasons à haute fréquente (utilisation non-conventionnelle). Ces différentes méthodes n’ont pas montré d’effets durables sur le soulagement des symptômes ou de la raideur articulaire, mais peuvent apporter une amélioration passagère susceptible de faciliter, par exemple, le travail du kinésithérapeute. La cryo t h é rapie est à utiliser pendant les poussées infl a m m atoires de la maladie, comme les poussées congestives du genou (19). ÉDUCATION DU PATIENT ARTHROSIQUE Les programmes d’éducation des patients constituent un élément primordial de la prise en charge globale du patient arthrosique (20). Cependant, quand on les évalue avec des critères d’efficacité “classiques” comme la douleur ou la fonction, ils paraissent peu ou pas efficaces. Ils ont montré, en revanche, qu’ils conduisaient à une meilleure utilisation des médicaments par les patients ; ils potentialiseraient ainsi l’effet des anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou du paracétamol. Ces programmes d’éducation doivent être mis en place au travers d’une collaboration réelle entre les différents soignants (médecins, chirurgiens, kinésithérapeutes) et nécessitent la mise à disposition d’outils pédagogiques adaptés aux patients. Certains de ces outils sont disponibles gracieusement en France (CDRom, fascicules d’info rm ation, e t c.) sachant que des support s vidéo sont utilisés depuis de nombreuses années par les prat iciens nord-américains. Les objectifs principaux de ces programmes sont l’entretien mu sculaire, la réduction pondérale (gonarthrose), la prévention des attitudes vicieuses et l’amélioration de la qualité de la prise médicamenteuse. Ces différentes interventions doivent donner lieu à une diminution de la symptomatologie douloureuse, à l’amélioration des capacités fonctionnelles et elles doivent fo u rnir la possibilité de re t a rder “l’heure” de la ch i ru rgie progra m m é e, tout en diminuant les coûts. La Lettre du Rhumatologue - n° 306 - novembre 2004 M AMAIGRISSEMENT La surcharge pondérale est un facteur de risque certain du développement et de la progression de l’arthrose. Un gain pondéral constitue un facteur de risque supplémentaire comme cela a été confi rmé dans les études longitudinales de Framingham et de C h i n g fo rd(21-24). Ces résultats sont va l ables pour l’arthrose des m e m b res inféri e u rs mais aussi, de manière plus surp renante,pour l’arthrose digitale. Plus important que le poids en tant que tel, le gain de poids serait à l’origine d’un risque accru de développer une gonarthrose et, en revanche, la perte de poids en protègerait. On observe ainsi qu’une d i m i nution de l’indice de masse corp o relle (IMC) d’au moins 2 unités dans les 10 années précédentes est associée à une diminution de 50 % du risque de développer une gonarthrose symptomatique (25). Parmi les femmes à haut risque d’arthrose à cause d’un IMC supérieur ou égal à 25, la perte de poids diminue de façon nette ce risque (pour 2 unités d’IMC, OR = 0,41, p = 0,02). En règle générale, le lien entre obésité et arthrose est plus important chez la femme que chez l’homme, surtout chez les femmes en postménopause. Le nombre d’essais évaluant les effets de la perte de poids sur la gonarthrose est relativement faible, mais ces essais concordent puisqu’ils re t ro u vent tous une nette amélioration des douleurs chez les patients gonarthrosiques réussissant à maigrir, amélioration partiellement corrélée à l’importance de la perte de poids. Par exe m p l e, une étude non-contrôlée a étudié les effets de la perte de poids après une “réduction” gastrique (26). On observe une diminution majeure de la prévalence des douleurs des genoux après l’opération (54 % avant l’opérat i o n , 14 % après). Il faut cependant noter que les patients perdaient en moyenne 45 kg... Enfin, il semblerait que l’amélioration des symptômes ne serait pas liée à la seule perte de poids mais surtout à la perte de masse grasse (27). En conclusion, ces études observationnelles montrent que la surcharge pondérale est associée clairement au risque de développer une gonarthrose et probablement à un plus mauvais résultat de la ch i rurgie prothétique. Il y a des pre u ves, provenant des essais cliniques, d’une efficacité symptomatique de la perte de poids. En revanche, il n’existe, hélas, aucune étude évaluant les conséquences structurales de l’amaigrissement. SEMELLES, ORTHÈSES Dans la go n a rthrose fémorotibiale intern e, il paraît intéressant d’utiliser des semelles avec re n fo rt lat é ral pour diminu e r l’hyperappui sur le compartiment fémorotibial interne, cette correction pouvant être améliorée par une contention de l’articulation subtalienne. Cette correction ne peut, bien sûr, se faire qu’en l’absence d’un pied plat valgus, qu’elle serait susceptible d’aggraver. M a i l l e fe rt et al. ont comparé l’efficacité de semelles à re n fo rt latéral à celle de semelles plates sans trouver de différence entre les deux groupes en termes de raideur, de douleur ou d’activité fonctionnelle, cela selon l’échelle WOMAC (28). Seule la prise d’AINS était diminuée dans le groupe semelles pronatrices. La poursuite de cette étude avec un suivi de 2 ans obtient des résulLa Lettre du Rhumatologue - n° 306 - novembre 2004 I S E A U P O I N T tats identiques et ne met pas en évidence de différence entre les deux groupes sur l’évolution ra d i o l ogique de la gonarthrose (29). Todda et al. obtiennent une diminution de l’angle fémorotibial et de la douleur chez des patients utilisant une semelle et un strapping de l’art i c u l ation subtalienne, au prix d’effets indésirabl e s non néglige ables (lombalgi e s , d o u l e u rsde la voûte plantaire, d o uleur poplitée) par rap p o rt à un groupe placebo utilisant des semelles simples (30). Comme les semelles, les orthèses de “décharge” ont pour objectif de diminuer la pression subie par le compartiment médial dans les gonarthroses fémorotibiales internes en forçant l’abduction. Une première étude, menée chez 20 patients souffrant d’une gonarthrose peu sévère à modérée et traités avec une orthèse, a montré une amélioration de la douleur à la marche et à la montée des escaliers et une augmentation de la force quadricipitale (31). Une seconde étude a comparé, chez 119 patients go n a rthrosiques, les effets du traitement médical classique avec ceux de ce même t raitement classique associé au port d’une ge n o u i l l è re en néoprène et avec ceux du traitement classique associé au port d’une orthèse correctrice (32). L’amélioration observée sur la douleur et la fonction à 6 mois dans les deux groupes avec orthèse était significativement plus importante que dans le groupe traitement classique. Le bénéfice observé dans le groupe ge n o u i l l è reen néoprène pourrait être le reflet de l’amélioration de la proprioception. Plusieurs études ont montré que la proprioception pouvait être améliorée grâce à l’utilisation d’orthèses ou à la réalisat i o n d’exercices. L’inconvénient des orthèses de déch a rge réside principalement dans leur tolérance au quotidien et dans leur inefficacité en cas de surcharge pondérale ou de déviation axiale importante. Elles ne peuvent pas être utilisées en cas d’art h rose bicompartimentale. CONCLUSION Les recommandations internationales sur la prise en charge de l’art h rose des membres inféri e u rs incluent les traitements non pharmacologiques avec, en particulier, l’éducation des patients, les aides sociales, les thérapies occupationnelles et physiques et les exe rcices (1-4). D ’ a u t res recommandent aussi la perte de poids, le chaud, le froid, l’acupuncture, les massages et la neurostimulation transcutanée. Une éva l u ation critique et comparative de ces différentes recommandations a récemment été publ i é e (33). L’évaluation de l’efficacité des mesures non médicamenteuses est gênée par la méthodologie insuffisante des essais cliniques ex p l o rant leur efficacité (effectifs réduits, manque de placebo, mauvaise standard i s ation des outils d’éva l u ation). Il est clair qu’il faut mener, comme pour les traitements médicamenteux, plus d’études contrôlées, randomisées et mu l t i c e n t riques avec une méthodologie adaptée aux traitements non médicamenteux (34). Il faut ici ajouter que la plupart des essais menés ont concerné le genou, parfois la hanche, et que la superposabilité de leurs résultats à ceux des autres articulations reste à démontrer. 15 M I S E A U P O I N T Cependant, si les preuves scientifiques de l’efficacité des thérapeutiques non médicamenteuses manquent, rares sont les études suggérant leur inefficacité. En outre, leur bonne tolérance permet de les prescrire à tous les stades de la maladie, notamment chez des patients âgés et/ou polymédiqués. L’éducation du patient, la p e rte de poids et le maintien d’une activité physique régulière ( m a rche) restent trois mesures fondamentales dans la prise en charge de l’arthrose des membres inférieurs, avant le recours à des traitements médicamenteux et/ou chirurgicaux. ■ Bibliographie 1. Recommendations for the medical management of osteoarthritis of the hip and knee: 2000 updat e. A m e rican College of Rheumat o l ogy Subcommittee on Osteoarthritis Guidelines. Arthritis Rheum 2000;43:1905-15. 2. Jordan KM, Arden NK, Doherty M et al. EULAR Recommendations 2003: an evidence based approach to the management of knee osteoarthritis: Report of a Task Force of the Standing Committee for Intern ational Clinical Studies Including Therapeutic Trials (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2003;62:1145-55. 3. Pendleton A, Arden N, Dougados M et al. 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