Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation MISE AU POINT Recherche qualitative et arthrose Qualitative research for osteoarthritis Sophie Alami*, Serge Poiraudeau** Mots-clés : Arthrose - Recherche q u a l i t a t i ve - É d u c a t i o n Instruments d’évaluation * Département de sociologie Interlis ; Inserm UMR 1153, Paris. ** Service de médecine physique et de réadaptation, pôle ostéoarticulaire, hôpital Cochin ; Université Paris-Descartes ; Inserm UMR 1153 ; Institut fédératif de recherche sur le handicap, CNRS, Inserm, Paris. 26 Keywords: Osteoarthritis Qualitative research - Education L’intérêt porté à la recherche qualitative socioanthropologique dans les domaines de la santé se développe peu à peu, notamment pour les pathologies chroniques comme l’arthrose. Alors que les approches quantitatives (épidémiologie clinique, biostatistiques) analysent des cohortes, des enquêtes en population, le résultat d’essais cliniques et testent la métrologie des instruments de mesure, ce qui nécessite en général des échantillons de grande taille, représentatifs de la population, les approches qualitatives font principalement appel à l’analyse d’entretiens semistructurés, individuels ou de groupe, et à l’observation directe, et portent sur des échantillons plus restreints. Actuellement, le recours aux recherches qualitatives répond essentiellement à une volonté de compréhension plus fine du vécu, des représentations et des besoins des patients ou des professionnels de santé dans un objectif d’amélioration de l’adhérence aux traitements, de développement de programmes d’éducation thérapeutique, d’amélioration de la validité du contenu des instruments de mesure rapportés par le patient et de développement des stratégies de recherche en fonction des priorités des patients. Dans un éditorial publié il y a plus de 5 ans, les éditeurs de la revue PLoS Medicine insistaient sur l’importance de développer la recherche qualitative en médecine afin de mieux comprendre pourquoi près de la moitié des patients tuberculeux ne prenaient pas ou pas correctement un traitement pouvant leur sauver la vie (1). Plus récemment, la nécessité d’adopter des approches qualitatives pour développer des instruments de mesure rapportés par le patient a été rappelée par la Food and Drug Administration (FDA). En effet, lorsqu’un instrument de mesure rapporté par le patient est utilisé comme critère principal d’efficacité dans un essai clinique, la FDA exige, pour enregistrer cet essai, que l’instrument de mesure ait fait la preuve de sa validité de contenu dans des études qualitatives (2, 3). Ainsi, l’émergence de nouvelles exigences réglementaires, couplée à l’accent mis sur la prévention, la détection précoce, l’éducation thérapeutique, la qualité de vie et la participation des patients, conduisent à développer des stratégies de recherche qui n’inter- rogent plus seulement les dimensions biologiques, thérapeutiques ou technologiques des maladies chroniques, mais également les pratiques de prise en charge et les comportements des patients dans leur environnement social quotidien. Dans ce contexte, l’amélioration de la prise en charge des patients nécessite de mobiliser des approches de recherche complémentaires aux approches quantitatives, qui permettent d’intégrer la perspective du patient, tout au long de son parcours thérapeutique et dans l’ensemble du processus de décision médicale, au-delà de la seule détection des symptômes ou des effets indésirables. Recherche qualitative et arthrose Des études assez nombreuses ont été publiées, portant principalement sur 4 domaines : • mieux comprendre ce qui est important pour les patients et les thérapeutes (opinion, besoins, symptômes) ; • mettre en évidence des facilitateurs et des barrières à l’adhérence au traitement ; • analyser le processus de décision de chirurgie, notamment pour les remplacements prothétiques ; • évaluer la validité de contenu d’instruments de mesure rapportés par le patient. Opinions des patients et des professionnels de santé Concernant les opinions des patients et des acteurs de santé, les études mettent en évidence la nécessité de mieux formaliser les informations et les conseils aux patients, le plus tôt possible au cours de la maladie, d’adopter des évaluations et des approches thérapeutiques globales (le patient atteint de gonarthrose ayant parfois l’impression d’être “uniquement” un genou). Ces études soulignent également que les patients ont des représentations paradoxales concernant les thérapeutiques pharmacologiques, notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), considérés comme potentiellement efficaces mais dangereux. Les patients ont également un sentiment d’incertitude médicale à propos de l’arthrose, ce qui diminue probablement l’adhérence aux traitements. Pour ce qui concerne les thérapeutes de soins primaires, la demande principale concerne l’élaboration d’une aide (boîte à outils) pour le diagnostic et les choix de traitement. Il apparaît clairement dans ces études que les vues des patients et des acteurs de santé diffèrent largement (4, 5). Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Octobre - novembre - décembre 2013 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation Une ré-analyse des symptômes Ces résultats soulignent l’importance de renforcer l’éducation thérapeutique dans ces domaines. Un des avantages significatifs des approches qualitatives concerne les symptômes jugés importants pour les patients. À ce titre, 2 exemples, concernant la fatigue et la douleur, sont assez démonstratifs. Pour la douleur, qui n’est généralement pas un symptôme classique évalué dans l’arthrose, une étude anglaise met en évidence que les patients qui en souffrent rapportent des niveaux de fatigue importants, qu’ils attribuent à la fois à la douleur et au traitement de la douleur. La fatigue est décrite comme ayant un impact sur la fonction et la participation. Les patients rapportent qu’ils ne discutent généralement de ce symptôme avec personne, sauf avec leur conjoint (6). Cette étude suggère donc que, comme dans les rhumatismes inflammatoires, la fatigue est un symptôme à prendre en compte dans l’arthrose. Concernant les douleurs, une étude menée conjointement par l’OARSI (OsteoArthritis Research Society International) et l’OMERACT (Outcome Measures in Rheumatology) suggère que les patients distinguent 2 types de douleur, la douleur dite “habituelle”, chronique, constante au cours du temps, celle habituellement mesurée par les échelles de douleur utilisées en pratique courante et en recherche clinique, et un deuxième type de douleur, intermittente, très intense, imprédictible, émotionnellement contraignante, qui constitue pour les patients la principale raison d’éviter des activités sociales ou de loisir (7). Il se pourrait donc que la douleur la plus incapacitante et la plus importante pour les patients ne soit pas celle qui soit évaluée en pratique quotidienne ou dans les essais cliniques. • Traitements non pharmacologiques L’adhérence aux programmes d’exercices thérapeutiques a également fait l’objet de plusieurs travaux de recherche. Les exercices sont en effet un des traitements recommandés dans l’arthrose, notamment des membres inférieurs. Les programmes supervisés ont une efficacité largement démontrée, mais l’adhérence aux programmes d’exercices à la maison demeure non satisfaisante. Plusieurs études se sont attachées à essayer de comprendre les raisons de cette adhérence imparfaite. Il apparaît qu’elle dépend de la perception qu’a le patient de ses symptômes, de l’efficacité des exercices, de ses capacités à les inclure dans sa vie de tous les jours et du support et des encouragements des kinésithérapeutes (10). Une autre étude propose 4 typologies de patients face à l’exercice (11) : • les patients habitués de longue date à une activité physique régulière et chez qui des programmes ambitieux intensifs peuvent être proposés ; • les patients sédentaires de longue date pour qui des programmes d’activité physique beaucoup plus simples devraient être proposés ; • les patients ayant fait de l’exercice mais ayant abandonné, se rapprochant des patients sédentaires de longue date et chez qui l’intensité des programmes devrait être adaptée à leurs objectifs ; • les patients récemment convertis à l’exercice, pour qui des programmes d’intensité progressivement croissante pourraient être testés. L’adhérence aux traitements Une autre question, très largement étudiée dans les études qualitatives dans l’arthrose, concerne l’adhérence aux traitements pharmacologiques ou non pharmacologiques. • Traitements pharmacologiques Les études soulignent que les patients sont réticents à prendre des antalgiques ou qu’ils les prennent à des doses inférieures ou à une fréquence inférieure à celle prescrite et qu’ils justifient cette attitude en minimisant leur douleur ou en déclarant qu’ils ont une tolérance importante à la douleur (8). Une étude qualitative réalisée chez des patients âgés souffrant d’arthrose montre qu’ils ne connaissent pas toujours les risques de la prise d’AINS par voie orale ou qu’ils sont incapables de reconnaître ces effets indésirables. De plus, les patients se désengagent activement d’une information sur les risques spécifiques des AINS, de 3 manières : • “mon médecin généraliste ne me prescrirait pas quelque chose de dangereux” ; • “tous les traitements ont des effets secondaires, il suffit de diminuer les doses” ; • “j’ai déjà pris des AINS sans problème, je dois être immunisé contre les effets secondaires” (9). Processus de décision conduisant à la proposition d’un remplacement prothétique Les études analysant des processus de décision concernant la chirurgie prothétique sont nombreuses. Une des questions abordées est celle de la réticence de certains patients, considérés par les chirurgiens comme des indications idéales à se faire opérer. Dans ce cadre, 3 éléments sont mis en avant pour expliquer cette situation (12, 13) : • l’arthrose est vue par les patients non comme une maladie, mais comme un vieillissement normal ; • certains patients considèrent qu’il faut avoir plus de douleurs et d’incapacité fonctionnelle qu’ils n’ont actuellement pour être opérés ; • d’autres considèrent qu’ils n’ont pas besoin de prothèse tant que leur médecin habituel ne leur en a pas proposée. Parmi les éléments influençant les patients dans leur décision de se faire opérer, les principaux déterminants semblent être les expériences personnelles du patient, les peurs, les attentes et la confiance dans son médecin et son chirurgien. Toutes les études soulignent le fait que cette décision devrait être mieux partagée entre les médecins ou chirurgiens et les patients (14). Concernant cette décision partagée entre le patient et Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01 - Octobre - novembre - décembre 2013 27 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation MISE AU POINT son chirurgien, une étude est particulièrement éclairante : elle montre que les chirurgiens prennent la décision d’intervenir sur des facteurs qu’ils n’expriment pas devant le patient (15). Il s’agit bien sûr d’un frein majeur à une décision partagée concernant la chirurgie. Une autre étude qualitative analysant les raisons d’une consultation en orthopédie pour la mise en place d’une prothèse propose une catégorisation des patients en 2 groupes : le groupe consultant car les symptômes ne sont plus supportables et le groupe consultant de façon préventive, avant que les choses aillent plus mal. La perception des patients sur leur besoin d’une prothèse n’est pas forcément partagée par le chirurgien. En cas de désaccord, il semble que l’anxiété du patient augmente, ainsi qu’une incertitude quant à la chirurgie et un sentiment de dépossession de la décision par le clinicien (16). Comme pour les études quantitatives, les études qualitatives peuvent faire l’objet de métaanalyses. C’est le cas pour les études s’intéressant au remplacement prothétique. Une métaanalyse publiée en 2007 mettait en évidence que les principaux concepts conduisant à la décision étaient les expériences de la douleur, la comparaison avec les autres, les attentes concernant leur condition et leur traitement, les stratégies d’adaptation ainsi que le contexte et le support social (17). Les instruments de mesure rapportés par les patients Concernant la validité de contenu des instruments de mesure rapportés par les patients, aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une analyse qualitative pour la sélection des items dans le cadre de l’arthrose. Les questionnaires fréquemment utilisés pour évaluer le retentissement de l’arthrose ou l’effet des traitements doivent donc probablement être revus et faire l’objet de ces analyses qualitatives. Nous avons récemment utilisé les résultats d’une étude qualitative dans la gonarthrose pour élaborer et valider un questionnaire évaluant les attentes des patients à propos de leur prise en charge et leurs peurs et croyances dans la gonarthrose (18, 19). Conclusion : la recherche qualitative est-elle utile pour la pratique clinique ou la recherche dans le cadre de l’arthrose ? La recherche qualitative permet et permettra probablement une approche plus centrée sur le patient, sa prise en charge et son évaluation. Cependant, force est de constater que malgré une amélioration de la compréhension des vues et des besoins des patients et des professionnels de santé, il n’existe pas de preuves de l’efficacité de la recherche qualitative sur la qualité de la relation entre le patient et son thérapeute ou d’une augmentation de l’adhérence au traitement chez les patients. Une des raisons en est probablement qu’aucun programme d’éducation n’a été élaboré jusqu’alors à partir de l’analyse de données qualitatives. Pour ce qui concerne les instruments de mesure rapportés par les patients, les analyses qualitatives permettent de s’assurer de la validité de contenu qui est capitale si on veut avoir une évaluation plus centrée sur ce qui est important pour le patient. Les directions futures pour la recherche qualitative dans l’arthrose sont probablement l’utilisation de bases de données qualitatives pour concevoir des programmes d’éducation pour les patients et les acteurs de santé et évaluer l’efficacité de ces programmes, à la fois sur des marqueurs intermédiaires comme la satisfaction et le savoir, mais surtout sur des marqueurs terminaux tels que la douleur et l’incapacité fonctionnelle ; enfin, il faudra explorer de nouveaux concepts, l’un d’entre eux étant probablement mieux analyser, mieux comprendre et mieux gérer le fardeau à se traiter dans les maladies chroniques (18). La focale portée sur le patient ne doit en effet pas se cantonner à l’envisager comme seul acteur au cœur des changements nécessaires à l’amélioration de sa prise en charge. En pointant les écarts de perspectives entre soignants et soignés, les études qualitatives permettent en effet de réinterroger les pratiques médicales quotidiennes et d’identifier des points à améliorer dans l’information et la formation des professionnels de santé, mais aussi dans les modalités d’interactions possibles avec leurs patients. Références bibliographiques 1. PLoS Medicine Editors. Qualitative research: understanding patients’ needs and experiences. PLoS Med 2007;4(8):e258. 2. U.S. Department of Health and Human Services Food and Drug Administration. Patient-reported outcome Measures: Use in medical product development to support labeling claims. Clinical/Medical 2009;74(35):65132-133. 3. U.S. Department of Health and Human Services Food and Drug Administration. Guidance for industry: patient reported outcome measures: use in medical product development to support labeling claims: draft guidance. Health Qual Life Outcomes 2006;4:79. 4. Mann C, Gooberman-Hill R. 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