997
TUMEURS DU REIN
Arnaud MÉJEAN,
Marc ANDRÉ, Jean Dominique DOUBLET, Jean-Philippe FENDLER, Marc de FROMONT,
Olivier HÉLÉNON, Hervé LANG, Sylvie NÉGRIER, Jean-Jacques PATARD, Thierry PIÉCHAUD
998
Progrès en Urologie (2004), 14, 997-1035
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CE QU’IL FAUT RETENIR
DIAGNOSTIC
1. Examens recommandés
a) Examen clinique
Tomodensitométrie (TDM) rénale (coupes de 5mm
maximum, trois acquisitions minimum : sans injection,
phase artérielle, phase tubulaire) (Niveau III-3) :caracté-
risation des lésions et bilan d’extension locale et lympha-
tique. L’acquisition pelvienne n’est pas nécessaire
(Niveau III-3).L’acquisition thoracique est souhaitable.
2. Autres examens
Imagerie par résonance magnétique (IRM) :en cas de
contre-indications à la TDM, dans les formes atypiques
(petite taille, kystique, hémorragique, hypovasculaire,
infiltrant, multifocal, …) de diagnostic difficile ou d’ex-
tension veineuse (Niveau IV).
Scintigraphie osseuse, TDM thoracique, TDM céré-
brale :dans le cadre du bilan d’extension dans les formes
métastatiques ou en cas de signes d’appel avant traite-
ment.
La biopsie percutanée des tumeurs du rein est réalisable.
Elle est recommandée devant une lésion néoplasique infil-
trante faisant envisager la possibilité d’une tumeur secon-
daire (métastase ou lymphome) ou devant l’existence de
tumeurs multiples, bilatérales et synchrones en dehors
d’un contexte de maladie héréditaire (Niveau IV-1).
Devant une petite tumeur rénale, elle peut être proposée.
En effet dans des mains expertes elle est fiable sans mor-
bidité évidente. Toutefois, en l’absence de consensus, elle
ne peut être pratiquée de façon systématique.
3. Diagnostic histologique
a) Tumeurs malignes : les carcinomes à cellules rénales
(CCR)
Carcinome à cellules rénales de forme conventionnelle
(CCRC) :70 % des CCR, de coloration jaune chamois
caractéristique il s’agit d’un adénocarcinome.
Carcinome tubulo-papillaire (CCRTP) : environ 15 % des
CCR composé de 2 sous types :type I (75 %) volontiers
multifocal et de bas grade constitué de petites cellules
basophiles et type II unifocal et de haut grade constitué de
grandes cellules éosinophiles.
Carcinome à cellules rénales chromophobes (CCRCH) :
environ 5 % des CCR, de malignité atténuée, développé à
partir de cellules intercalaires du tube collecteur.
Carcinome des tubes collecteurs (Bellini) et carcinome
médullaire du rein (CCRTC) : 1 % des CCR, développées
àpartir des tubes collecteurs extra-pyramidaux, d’évolu-
tion péjorative.
Carcinome à cellules rénales inclassables : 5 % des CCR
que la seule analyse morphologique ne peut typer.
b) Tumeurs bénignes
Adénome papillaire : essentiellement retrouvé dans les
reins de néphrangio-sclérose, multifocal et souvent
asymptomatique, il coexiste avec d’authentiques carcino-
mes tubulo-papillaires ; ainsi, par définition, les lésions de
moins de 5 mm sont appelées adénomes papillaires.
Oncocytome : également développée à partir des cellules
intercalaires du tube collecteur, c’est une tumeur bénigne
aux caractéristiques parfois proches des CCR chromopho-
bes avec lequel il pourrait exister un gradient lésionnel.
Adénome métanéphrique :touche plus souvent les fem-
mes et intéresse une lésion corticale de consistance homo-
gène.
3. Facteurs pronostiques
Sont reconnus clairement comme facteurs pronostiques
indépendants majeurs (Niveau III et IV) :
La classification TNM.
Le grade de Fuhrman.
L’ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group) qui
mesure le « performance status » du patient et qui devrait
être systématiquement indiqué ; on décrit 4 grades: 0 =
activité normale, 1 = restreint dans l’activité physique dif-
ficile, 2 = alité moins de 50% du temps et 3 = complète-
ment alité.
Aucun marqueur biologique, moléculaire ou cytogéné-
tique n’est reconnu, donc recommandé.
4. Populations à risque
a) Tumeurs du rein natif et insuffisance rénale
Il est recommandé de dépister les tumeurs des reins prop-
res chez les patients en insuffisance rénale terminale.
Dans ces conditions, le pronostic semble favorable
(Niveau III-3).
On recommande au minimum une échographie rénale
bilatérale annuelle, complétée par une TDM en cas d’ano-
malie évocatrice de tumeur.Le rôle de l’IRM n’est pas
établi. (Niveau IV-2).
La néphrectomie systématique en présence de kystes sur les
reins propres n’est pas recommandée (Niveau IV-1).
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b) Maladies héréditaires
Maladie de Von Hippel-Lindau : maladie à transmission
autosomique dominante en rapport avec une anomalie du
gène VHL situé sur le chromosome 3 associant différen-
tes localisations tumorales dont des carcinomes à cellules
claires et des kystes rénaux.
Les altérations germinales du gène VHL sont à l’origine
de la maladie de VHL alors que les altérations somatiques
sont responsables de la majorité des carcinomes à cellules
claires sporadiques.
Un dépistage génétique est indispensable en cas de sujets
apparentés à un patient VHL, mais aussi en cas de tumeur
rénale bilatéral et/ou multiple, de tumeur rénale avant 45
ans et de tumeur rénale familiale avec au moins 2 cas
(Niveau IV-2).
Des cancers du rein et d’autres tumeurs rénales peuvent
faire partie du tableau clinique de la sclérose tubéreuse de
Bourneville, du Syndrome de Birt-Hogg-Dube et de la
léiomyomatose cutanée familiale. Ces syndromes, une
fois reconnus, nécessitent une prise en charge spécialisée.
Il existe des formes familiales de carcinome tubulopapillaire
dont le gène est situé sur le chromosome 7.
TRAITEMENT
1. Néphrectomie partielle et traitements conservateurs
La néphrectomie partielle est recommandée dans :
-les tumeurs inférieures ou égales à 4 cm de localisation
corticale à développement exophytique avec rein contro-
latéral sain (Niveau III-3).
- les tumeurs bilatérales, sur rein unique, chez l’insuffisant
rénal ou le patient à risque d’évolution vers une insuffi-
sance rénale.
- les formes héréditaires (Niveau IV-1).
Les traitements conservateurs (cryoablation et radio-
fréquence) peuvent être proposés au cas par cas, chez des
patients très sélectionnés, pour des indications impérati-
ves ou relatives lorsqu’une néphrectomie partielle est ris-
quée (tumeurs bilatérales, sur rein unique, chez l’insuffi-
sant rénal ou le patient à risque d’évolution vers une insuf-
fisance rénale, dans les récidives de tumeur rénale et dans
les formes héréditaires récidivantes).
2. Néphrectomie élargie
Elle est recommandée pour les tumeurs rénales ne répondant
pas aux indications de chirurgie conservatrice (Niveau IV)
et également chez les patients d’emblée métastatique en bon
état général (ECOG 0 à 2) (Niveau I).
3. Extension veineuse
L’exérèse complète du thrombus chez les patients N0M0
est indispensable en terme d’intention de traitement cura-
tif (Niveau IV).
La détermination du niveau supérieur du thrombus est
indispensable. En cas de thrombus sous hépatique, un
contrôle axial et latéral de la veine cave inférieure (VCI)
est suffisant. Si le sommet du thrombus est situé au dessus
de l’abouchement des veines sus-hépatiques, un contrôle
du pédicule hépatique doit être réalisé. Enfin en cas d’ex-
tension sus-diaphragmatique, il est recommandé d’effec-
tuer une circulation extra-corporelle.
4. Surrénalectomie
Elle est souhaitable pour les tumeurs de taille supérieure à
8cm quelle que soit leur topographie, du pôle supérieur acco-
lées à la surrénale et en cas d’anomalie surrénalienne à la
TDM préopératoire (Niveau IV-1).
5. Curage
L’intérêt thérapeutique du curage sur la survie à 5 ans est
sans intérêt (Niveau II).
6. Métastases
Les cytokines interféron-alpha et interleukine 2 sont les
traitements de référence avec un bénéfice de survie seule-
ment prouvé pour l’interféron (niveau de preuve I).
Les patients n’ayant qu’un organe envahi par les métasta-
ses ont les meilleures chances de répondre et d’obtenir
potentiellement une réponse complète durable avec un
traitement combinant les 2 cytokines (Niveau II).
Les patients présentant de manière concomitante des
métastases hépatiques, un intervalle tumeur primitive –
métastases de moins d’un an et plusieurs sites métasta-
tiques n’ont pas d’intérêt à recevoir un traitement par
cytokines (Niveau II).
Une chirurgie d’exérèse, lorsque réalisable, est recom-
mandée en cas de métastase unique (Niveau III).
7. Voie d’abord laparoscopique
L’approche laparoscopique peut être proposée pour la
néphrectomie élargie par voie laparoscopique (retro ou
transpéritonéale). Elle doit être réservée aux stades T1-T2,
sans limite stricte de taille tumorale pourvu que le pédicule
ne soit pas infiltré par le processus tumoral ou ganglionnai-
re (Niveau IV-2).Les premiers résultats comparatifs ne
montrent pas de différence significative en terme de survie
sans récidive et de survie spécifique entre néphrectomie
chirurgicale et laparoscopique (Niveau IV-1).
La néphrectomie partielle peut être réalisée pour des
tumeurs exophytiques de moins de 4 cm. Néanmoins, les
taux de complications per-opératoires et de marges lésion-
nelles sont plus importants que par voie chirurgicale.
(Niveau IV-1).Le niveau de difficulté technique de cette
intervention représente une limite à sa diffusion et empê-
che d’en faire une recommandation en dehors d’équipes
très entraînées.
Avec 8293 nouveaux cas estimés en France en 2000, dont 64
%survenant chez l’homme, le cancer du rein représente 3 %
de l’ensemble des cancers incidents et se situe, par sa fré-
quence, au 7ème rang chez l’homme et au 9ème rang chez la
femme. Les taux d’incidence standardisés sont de 12,2 chez
l’homme et de 5,7 chez la femme (sex-ratio de 2,1).
Ce cancer se situe au 13ème rang des décès par cancer (3607
décès dont 65 % chez l’homme) et représente 2,4 % de l’en-
semble des décès par cancer. Les taux de mortalité standardi-
sés sont de 4,6 chez l’homme et de 1,7 chez la femme [19].
En 2000, l’âge médian du diagnostic était de 67 ans chez
l’homme et de 70 ans chez la femme. Le taux d’incidence
s’élève à partir de 35 ans pour atteindre son maximum à 70
ans. Après 75 ans, l’incidence décroît mais la mortalité reste
croissante [19].
Le risque d’être atteint d’un cancer du rein augmente à mesu-
re que les cohortes de naissance sont plus récentes. Le taux
cumulé 0-74 ans de cancer du rein, qui était de 1,23 % pour
les hommes nés en 1928, est de 2,18 % pour les hommes nés
en 1953. Chez les femmes, on observe un doublement du
risque, passant de 0,48 % à 1,05 %. En revanche, le risque de
décès est pratiquement stable chez l’homme et en légère
diminution chez les femmes [19].
L’incidence augmente chez l’homme au cours des deux der-
nières décennies. Entre 1978 et 2000, le taux annuel moyen
d’évolution de l’incidence est de + 2,70 % chez l’homme et
de + 3,74 % chez la femme. Dans le même temps, la morta-
lité n’a que légèrement augmenté. Cet effet est principale-
ment dû au vieillissement de la population comme le montre
l’évolution pratiquement nulle de la mortalité standardisée
[19].
Les taux d’incidences les plus élevés sont retrouvés dans le
nord-est de la France (Haut-Rhin, Bas-Rhin) et les plus bas
dans les départements du Sud (Isère, Tarn, Héraut).
Les taux français sont proches de ceux observés dans l’Euro-
pe du Nord, tant pour l’incidence que la mortalité. L’Irlande
présente des taux notablement inférieurs à ceux des autres
pays européens. L’Italie et la Suisse ont un taux d’incidence
supérieur, sans pour autant montrer de surmortalité significa-
tive [19].
Sur les différents continents, la tendance générale est à l’aug-
mentation de l’incidence, quelles que soient les régions, les
groupes ethniques ou le sexe. Entre 1973 et 1992, les régions
scandinaves ont présenté l’augmentation la plus nette mais
c’est au Japon que l’incidence a le plus augmenté pour les
hommes (+ 171 %) et en Italie pour les femmes (+ 107 %)
[11]. Une augmentation forte de l’incidence est également
retrouvée aux Etats-Unis dans les résultats du « SEER pro-
gram » [4]. Cet augmentation s’accompagne toutefois d’une
amélioration de la survie tant aux Etats-Unis que dans divers
pays européens [6].
Les progrès de l’imagerie médicale peuvent expliquer ce
type d’évolution mais il n’est pas montré aujourd’hui qu’il
n’existe pas d’augmentation du risque.
En dehors de la maladie de Von Hippel-Lindau dont le carac-
tère génétique est connu, les facteurs de risques les mieux
identifiés restent la consommation de tabac, l’obésité et l’hy-
pertension artérielle : 50 % des cancers du rein seraient attri-
buables à ces trois facteurs [1]. L’arrêt du tabac s’accompa-
gne d’une diminution linéaire du risque de cancer rénal mais
vingt ans paraissent nécessaires à la récupération d’un risque
normal [16]. L’influence du surpoids et de l’obésité semble
se confirmer tant chez l’homme que la femme [5, 8]. Les can-
cers du rein de l’obèse ne sont cependant pas diagnostiqués à
des stades plus avancés que dans la population de poids nor-
mal [18].
Certaines expositions professionnelles [2, 3, 9, 12, 20], l’ab-
sence d’activité physique [10, 13], certaines habitudes ali-
mentaires et procédés chimiques agroalimentaires [7, 14,
15], l’infection urinaire chronique [17] restent des facteurs de
risques discutés. Le rôle de l’environnement apparaît aujour-
d’hui de plus en plus probable.
Il existe, depuis 20 ans à travers le monde, une forte aug-
mentation de l’incidence du cancer du rein, tant chez
l’homme que la femme. La mortalité reste cependant sta-
ble, en légèredécroissance chez la femme.
Le vieillissement de la population et l’augmentation des
diagnostics fortuits liés aux progrès de l’imagerie n’expli-
quent pas à eux seul cette tendance. Les facteurs de
risque avérés sont la consommation de tabac, l’obésité et
l’hypertension artérielle (Niveau III-2).Certaines exposi-
tions professionnelles, habitudes alimentaires et l’envi-
ronnement ont probablement aussi un rôle dans le genè-
se d’un cancer du rein (Niveau IV-1).
I. EPIDEMIOLOGIE ET FACTEURS DE RISQUE
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