EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Faut-il proposer une activité physique chez les malades porteurs d’une NASH ? Marie-Noëlle Hilleret*, Vincent Leroy* Ce qu’il faut retenir L’activité physique permet d’obtenir chez des patients porteurs de NASH, même en l’absence de réduction pondérale, un impact sur la graisse viscérale et intra-hépatique voire sur l’inflammation et la fibrose en anatomopathologie. Tout type d’activité physique aérobie ou de résistance peut être proposé aux patients, le minimum requis étant l’obtention de 3 séances par semaines d’une durée de 45 minutes chacune, la nature des activités dépendant essentiellement du goût des patients de manière à promouvoir la motivation et la persistance dans la pratique de l’activité. Niveau de preuve 1 * Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Grenoble. L es options thérapeutiques dans la stéatopathie non alcoolique (NASH) sont aujourd’hui limitées. L’adaptation du mode de vie des malades est essentielle (1). L’efficacité de l’activité physique (AP) fait l’objet d’études depuis plus de 20 ans (2). Deux types d’exercice ont été testés : “aérobie” et “en résistance”. L’AP aérobie correspond à la synthèse d’adénosine triphosphate par l’oxydation de substrats (présence d’oxygène) dans le cadre du cycle de Krebs. Elle est souvent caractérisée par l’utilisation de pourcentage de la VO2max (quantité maximale d’oxygène que le corps consomme par unité de temps). La course à pied, la marche rapide avec utilisation de bâtons, le cyclisme correspondent à ce type d’AP. Plus récemment, l’AP dite “de résistance” a été étudiée, elle est fondée sur l’effort mus­­culaire contre résistance, souvent pratiqué en salle de sport (levée de poids). Cette deuxième filière utilise à la fois une voie de synthèse de l’ATP aérobie et la glycolyse anaérobie (acide lactique). L’apport de l’AP dans le contrôle de la NASH repose sur plusieurs mécanismes. La restauration d’une insulino-sensibilité est l’élément le plus couramment reconnu. L’action sur la concentration intrahépatique en triglycérides dépend de plusieurs paramètres, tous impactés par l’AP : libération des acides gras libres (AGL) au niveau du foie en provenance du tissu adipeux (et des sources alimentaires), lipogenèse de 144 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 novo, β-oxydation intrahépatique et synthèse de VLDL (Very Low Density Lipoprotein – lipoprotéine de très basse densité). L’AP au seuil de VO2max de 50 à 70 % augmente la lipolyse puis l’oxydation des acides γ-linoléniques, entraînant leur redistribution vers le muscle. L’AP répétée dans le temps permet une modification des caractéristiques mitochondriales, entraînant une augmentation de la captation des AGL, une optimisation de la β-oxydation et du stockage des triglycérides en intramusculaire. Parallèlement, l’AP dite “de résistance” promeut la synthèse de fibres musculaires de type 2, dont les caractéristiques sont plus favorables à des mécanismes de glycolyse par l’augmentation de l’expression de GLUT4, AMPK et des cavéolines. La fonction endocrine du tissu musculaire est modifiée par l’AP avec la sécrétion de myokines, en particulier l’irisine. Cette myokine, augmentée lors de l’AP en résistance, est responsable d’une différenciation des adipocytes de la graisse blanche vers un phénotype proche de celui de la graisse brune ; il en résulte une augmentation de la thermogenèse et une inhibition de la lipogenèse hépatique. Plusieurs études ont permis de démontrer un abaissement du taux d’irisine chez les sujets porteurs de NASH, son augmentation étant corrélée à celle de la masse musculaire et à la diminution de l’adiposité viscérale. De nombreuses études cliniques se sont intéressées à l’évaluation de l’impact de l’AP sur les patients porteurs de NASH. L’analyse de l’efficacité de l’AP est toutefois limitée par le peu d’études ayant utilisé l’histologie hépatique comme critère de jugement. Ainsi, la plupart des études reposentelles sur l’analyse de la graisse intrahépatique ou du tissu adipeux par des techniques d’imagerie, IRM ou scanner. E. Vilar-Gomez et al. (3) ont montré que 40 mn d’effort aérobie par jour 5 jours/semaine pendant 6 mois permettaient d’améliorer le score NAS (4,45 points vs 2,2 points, p < 0,001) ainsi que la fibrose (– 0,55 ± 0,3 ; p = 0,012). La méta-analyse de E. Keating et al. (2), retrouve un impact, quel que soit le type d’AP réalisée, sur le paramètre Hépatologie graisse intrahépatique, même en l’absence de prise en charge diététique structurée associée. La réduction pondérale n’était que rarement obtenue et ne semble donc pas être un critère indispensable à l’efficacité de l’intervention. Les recommandations sur le type d’AP demeurent imprécises (1). En 2013, une étude italienne (4) randomisée comparant l’AP dite aérobie (A) avec l’entraînement de résistance (R) a permis de montrer des performances équivalentes en termes de réduction de la stéatose, respectivement de 91,7 % et 85,7 %. L’intérêt de cette étude, au-delà de la preuve d’équivalence des 2 approches d’AP, réside dans la population étudiée, proche de celle la plus fréquem- EVIDENCE-BASED MEDICINE ment rencontrée : indice de masse corporelle moyen (A = 31 ; R = 32) chez des diabétiques de type 2. Une revue de la littérature récente (5) permet de mieux préciser la nature du protocole d’AP permettant de montrer une efficacité respectivement pour l’AP aérobie de 4,8 équivalents métaboliques (1 MET = 1 Kcal/kg*h) pour 40 mn par entraînement, contre 3,5 MET pour 45 mn d’entraînement, 3 fois par semaine durant 12 semaines, quel que soit le type d’AP. Remarquablement, l’AP de résistance permet d’obtenir des résultats à un moindre coût en termes de VO2max et calorique, ce qui suggère de préférer cette dernière activité chez les sujets les plus fragiles ou déconditionnés. ■ Question non résolue »» Quelles sont les modalités d’accompagnement optimales afin de soutenir la persistance dans la pratique de l’activité physique ? Références bibliographiques 1. Blond E, Disse E, Cuerq C. EASL-EASD-EASO clinical practice guidelines for the manage­ ment of non-alcoholic fatty liver disease in severely obese people: do they lead to over-­ referral? Diabetologia 2017 Mar 28. doi: 10.1007/s00125-017-4264-9. [Epub ahead of print] 2. Keating SE, Hackett DA, George J, Johnson NA. Exercise and non-alcoholic fatty liver disease: A systematic review and meta-analysis. J Hepatol 2012;57(1);157-66. 3. Vilar Gomez E, Rodriguez De Miranda A, Gra Oramas B et al. Clinical trial: a nutritional supplement Viusid, in combination with diet and exercise, in patients with nonalcoholic fatty liver disease. Aliment Pharmacol Ther 2009;30(10):999-1009. 4. Bacchi E, Negri C, Targher G et al. Both resistance training and aerobic training reduce hepatic fat content in type 2 diabetic subjects with nonalcoholic fatty liver disease (the RAED2 Randomized Trial). Hepatology 2013;58(4):1287-95. 5. Hashida R, Kawaguchi T, Bekki M et al. Aerobic vs. resistance exercise in non-alcoholic fatty liver disease: A systematic review. J Hepatol 2017;66(1):142-52. Carvédilol et hypertension portale : efficacité hémodynamique supérieure à celle du propranolol Philippe Sogni* et durant les 6 premiers mois (3). La réponse hémodynamique est habituellement définie comme une diminution du GPH supérieure ou égale à 20 % ou devenant inférieur à 12 mmHg. Le pourcentage de répondeurs hémodynamiques était plus élevé sous carvédilol que sous propranolol (61 % versus 40 %) [2]. Ce résultat restait vrai à la fois en aigu, dans les 24 premières heures, que dans les 6 premiers mois (3). De plus, ce bénéfice hémodynamique ne s’accompagnait pas d’une baisse significative de la pression artérielle moyenne (2, 3). De même les taux d’arrêt pour effet indésirable du carvédilol et du propranolol n’étaient pas différents (9 % versus 13 %) [2]. Une étude randomisée récente semble montrer un bénéfice hémodynamique supérieur du carvédilol en cas de maladie plus grave du foie, notamment en cas Niveau de preuve L es bêta-bloquants non sélectifs (BBNS) – propranolol, nadolol ou timolol – diminuent la pression porte en inhibant les récepteurs bêta 1 (diminution de l’index cardiaque) et bêta 2 (vasoconstriction splanchnique). Le carvédilol a un effet de blocage bêta 1 et bêta 2 marqué dans l’insuffisance cardiaque et a un effet modéré alpha 1 bloquant qui pourrait moduler les résistances hépatiques (1). Deux méta-analyses récentes ont montré un effet hémodynamique du carvédilol supérieur à celui du propranolol chez les patients atteints de cirrhose (2, 3). Le gradient de pression hépatique (GPH) diminuait en moyenne de 22,2 % sous carvédilol et de 15,6 % sous propranolol (2). La diminution du GPH était plus marquée avec le carvédilol qu’avec le propranol, à la fois dans les 24 premières heures 1 * Service d’hépatologie, hôpital Cochin (AP-HP), université ParisDescartes et INSERM U-1223, institut Pasteur, Paris. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 145 EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Ce qu’il faut retenir (%) 100 Le carvédilol a une activité bêtabloquante marquée (bêta 1 et bêta 2) associée à une activité anti-alpha 1 modérée. Son efficacité hémodynamique est plus marquée sur la pression porte que celle du propranolol, en administration aiguë aussi bien que chronique. La proportion de patients cirrhotiques non répondeurs hémodynamiques est plus faible avec le carvédilol qu’avec le propranolol. La dose maximum est habituellement de 12,5 mg/j en 2 prises, des doses plus élevées comportant un risque d’hypotension artérielle, sans bénéfice sur l’hémodynamique splanchnique. Questions non résolues »» Le bénéfice hémodynamique du carvédilol par rapport au propranolol est-il limité aux patients cirrhotiques les plus graves ? »» Le bénéfice hémodynamique du carvédilol est-il associé à un bénéfice clinique supérieur à celui du propranolol ? de MELD supérieur ou égal à 15 ou en cas d’ascite (figure) [4]. Ces résultats doivent être confirmés. La conférence de Baveno VI a rappelé qu’aussi bien les BBNS traditionnels que le carvédilol étaient des traitements de première ligne validés mais que, malgré un bénéfice hémodynamique plus marqué, le bénéfice clinique du carvédilol n’était pas démontré, faute d’étude spécifique (5). En pratique, le carvédilol peut être débuté à la dose de 6,25 mg/j en 2 prises quotidiennes et augmenté tous les 2 à 3 jours jusqu’à 12,5 mg/j en 2 prises quotidiennes, en vérifiant que la pression artérielle systolique reste supérieure ou égale à 100 mmHg et la fréquence cardiaque supérieure à 50 bpm/mn (1). ■ Carvédilol Propranolol 80 * 60 ns * ns 40 20 7/12 0/10 18/43 17/45 0 MELD ≥ 15 MELD < 15 17/33 8/33 10/22 9/22 Ascite + Ascite – * p < 0,05 ; ns : différence non significative. Figure. Pourcentage de réponse hémodynamique à 6 semaines (diminution du gradient de pression hépatique [GPH] supérieure ou égale à 20 % ou GPH devenant inférieur à 12 mmHg) sous propranolol ou carvédilol, en fonction du score MELD ou de la présence d’une ascite (d’après [4]). Références bibliographiques 1. Brunner F, Berzigotti A, Bosch J. Prevention and treatment of variceal haemorrhage in 2017. Liver Int 2017; 37 (Suppl. 1):104-15. 2. Sinagra E, Perricone G, D’Amico M et al. Systematic review with meta-analysis: the haemodynamic effects of carvedilol compared with propranolol for portal hypertension in cirrhosis. Aliment Pharmacol Ther 2014;39(6):557-68. 3. Li T, Ke W, Sun P et al. Carvedilol for portal hypertension in cirrhosis: systematic review and meta-analysis. BMJ Open 2016;6(5):e010902. 4. Kim SG, Kim TY, Sohn JH et al. A randomized, multi-center, open-label study to evaluate the efficacy of carvedilol vs. 146 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 propranolol to reduce portal pressure in patients with liver cirrhosis. Am J Gastroenterol 2016;111(11):1582-90. 5. De Franchis R. Expanding consensus in portal hypertension. Report of the Baveno VI consensus workshop: stratifying risk and individualizing care for portal hypertension. J Hepatol 2015; 63(3):743-52. EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Dans quelles situations faut-il prescrire la rifaximine au cours de l’encéphalopathie hépatique et quels sont les effets attendus ? Sarah Mouri*, Dominique Thabut* Ce qu’il faut retenir L’antibiothérapie par rifaximine en association avec le lactulose est recommandée en prévention secondaire des épisodes d’encéphalopathie hépatique (EH) au cours de la cirrhose ; elle permet de diminuer la survenue d’une récidive et le taux de réhospitalisations. Niveau de preuve Grade 1A * Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. E lle pourrait également être efficace dès la phase aiguë en diminuant la durée d’hospitalisation lors d’un épisode d’EH et en améliorant la survie. L’encéphalopathie hépatique (EH) correspond à l’ensemble des troubles neurologiques ou neuro­ psychiatriques causés par une insuffisance hépatique aiguë ou chronique et/ou par l’existence d’un shunt porto-systémique (1). Les symptômes observés vont d’anomalies subtiles détectées uniquement par des tests neuropsychologiques à des troubles de la conscience allant jusqu’au coma. L’apparition d’une EH, même minimale, est un facteur de risque indépendant de mortalité mais altère également la qualité de vie en favorisant, par exemple, les accidents de la route. L’EH constitue ainsi un véritable problème de santé publique puisqu’un patient cirrhotique a 30 à 70 % de risque de développer une EH minimale au cours de sa vie et 30 à 45 % de risque de développer une EH clinique. La physiopathologie reste à ce jour débattue, mais il semble maintenant clair que l’hyperammoniémie provenant, entre autres, des bactéries intestinales, et associée à une inflammation chronique et au stress oxydatif a probablement un rôle central dans l’apparition d’une EH. De ce fait, l’utilisation d’une antibiothérapie dans le traitement de l’EH a été proposée depuis plus de 30 ans ; historiquement, l’utilisation de néomycine, vancomycine ou métronidazole a montré des résultats mitigés selon les études mais leur prescrip- 148 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 tion en pratique courante n’est pas recommandée du fait de leurs effets indésirables au long cours (néphrotoxicité, ototoxicité, sélection de souches d’entérocoques résistants à la vancomycine). La rifaximine, un antibiotique à large spectre visant les bactéries Gram positif ou négatif et les anaérobies, est recommandée en association au lactulose depuis 2010 en prévention secondaire de l’EH. Son absorption systémique est très faible, estimée entre 1 et 3 % chez les sujets sains (il faut noter que peu d’études ont analysé l’absorption chez les patients cirrhotiques qui ont une perméabilité intestinale augmentée par l’hypertension portale). L’étude de N.M. Bass et al (2), multicentrique, randomisée, en double aveugle, contrôlée contre placebo a ainsi évalué l’efficacité de la rifaximine pour maintenir la rémission de patients ayant une histoire récente d’EH. Ce travail a porté sur des patients cirrhotiques ayant présenté au moins 2 épisodes d’EH clinique au cours des 6 derniers mois et ne présentant pas de facteurs de risque précipitants d’EH (hémorragie digestive, insuffisance rénale, infection, etc.) ; ils recevaient soit la rifaximine (140 sujets, 550 mg × 2/j) soit le placebo (159 sujets), pendant 6 mois ou jusqu’à l’apparition d’une HE ou d’un autre événement intercurrent. L’utilisation du lactulose était permise et retrouvée chez environ 90 % des patients des 2 groupes. Il a ainsi été démontré que la rifaximine réduisait de façon significative le risque de survenue d’un nouvel épisode d’EH par rapport au placebo (HR = 0,42 ; IC95 : 0,28-0,64 ; p < 0,001), mais également le risque d’hospitalisation pour EH (13,6 % des patients sous rifaximine contre 22,6 % sous placebo). Cette étude a permis la mise sur le marché de la rifaximine en prévention secondaire, associée au lactulose. Une autre étude randomisée contrôlée publiée par B.C Sharma et al. (3) a permis de confirmer ces résultats en comparant le traitement par rifaximine Hépatologie RECOMMANDÉ DISCUTÉ • EH aiguë • Cirrhose sans antécédent d’EH (prophylaxie primaire) • EH minimale Au moins 2 épisodes d’EH dans les 6 mois (prophylaxie secondaire) Rifaximine + lactulose Rifaximine seule Délai plus long de récidive d’EH ou d’hospitalisation Figure. Indications de la rifaximine en traitement ou prophylaxie de l’encéphalopathie hépatique (EH) chez les patients cirrhotiques. Question non résolue »» Doit-on recommander la prescription systématique de rifaximine en dehors d’une indication de prophylaxie secondaire, par exemple dès l’épisode aigu ou en cas d’encéphalopathie minimale ? et lactulose au lactulose seul. Cent vingt patients cirrhotiques avec EH ont été inclus, les traitements étaient débutés pendant l’épisode aigu puis poursuivis au long cours ; les résultats ont montré une disparition des signes d’EH plus rapide sous rifaximine et lactulose que sous lactulose seul mais également une réduction de la durée d’hospitalisation et de la mortalité. La rifaximine, en association au lactulose, aurait donc un intérêt dès l’épisode aigu d’HE en plus de la prévention secondaire. L’étude prospective, randomisée, contrôlée, en double aveugle de A. Mas et al. (4) va également dans ce sens. La bithérapie par rifaximine et lactulose EVIDENCE-BASED MEDICINE pendant 5 à 10 jours permettait une amélioration des symptômes et de la gravité de l’EH, une diminution de l’ammoniémie et une amélioration de l’électro­encéphalogramme statistiquement plus importante que sous lactulose seul (figure). D’autres études suggèrent un intérêt de la rifaximine même en cas d’EH minimale, permettant une amélioration de la qualité de vie et des tests cognitifs. Il n’existe pas d’étude en prophylaxie primaire de l’EH actuellement. Concernant le mécanisme d’action de la rifaximine, plusieurs hypothèses ont été proposées et il s’agirait d’une modulation du profil métabolique du microbiote plutôt que d’une modification de sa composition. L’étude de J.S. Bajaj et al. (5), menée chez des patients ayant une EH minimale, a montré, en analyse métabolomique et lipidomique, une modification des carbohydrates et des métabolites lipidiques plasmatiques sans modification de la composition du microbiote sous rifaximine ainsi qu’une diminution du taux de lipopolysaccharide circulant. Ces modifications métaboliques étaient corrélées à l’amélioration des troubles cognitifs, ce qui conduit à penser que la rifaximine pourrait avoir une action locale mais également systémique. Enfin, plusieurs études non randomisées suggèrent que la rifaximine pourrait également prévenir les autres complications dûes à la cirrhose telles que les hémorragies digestives liées à l’hypertension portale et l’infection spontanée du liquide d’ascite. ■ Références bibliographiques 1. Vilstrup H, Amodio P, Bajaj J et al. Hepatic encephalopathy in chronic liver disease: 2014 practice guideline by the American Association for the Study of Liver Diseases and the European Association for the Study of the Liver. Hepatology 2014;60(2):715-35. 2. Bass NM, Mullen KD, Sanyal A et al. Rifaximin treatment in hepatic encephalopathy. N Engl J Med 2010;362:1071-81. 3. Sharma BC, Sharma P, Lunia MK, Srivastava S, Goyal R, Sarin SK. A randomized, doubleblind, controlled trial comparing rifaximin plus lactulose with lactulose alone in treatment of overt hepatic encephalopathy. Am J Gastroenterol 2013;108(9):1458-63. 4. Mas A, Rodés J, Sunyer L et al. Comparison of rifaximin and lactitol in the treatment of acute hepatic encephalopathy: results of a randomized, double-blind, double-dummy, controlled clinical trial. J Hepatol 2003;38(1):51-58. 5. Bajaj JS, Heuman DM, Sanyal AJ et al. Modulation of the metabiome by rifaximin in patients with cirrhosis and minimal hepatic encephalopathy. PLoS One 2013;8(4):e60042. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 149 EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Faut-il corriger les troubles de l’hémostase du patient cirrhotique avant la réalisation d’un geste invasif ? Arnaud Pauwels* Ce qu’il faut retenir Les tests d’hémostase classiques ne permettent pas d’appréhender la réalité de l’hémostase du patient cirrhotique. La thrombopénie et la diminution des facteurs procoagulants sont contrebalancées par des altérations concomitantes des processus anticoagulants, aboutissant à un rééquilibre de l’hémostase. Cet état d’équilibre est cependant beaucoup moins stable que chez le sujet normal et peut être très rapidement perturbé par la survenue de complications de la cirrhose, notamment l’infection bactérienne et l’insuf­ fisance rénale. Chez le patient cirrhotique stable et sans ictère, la correction systématique des “troubles de l’hémostase” avant un geste invasif n’est pas justifiée et pourrait même être potentiellement délétère. Niveau de preuve 3 * Service d’hépato-gastroentérologie, centre hospitalier de Gonesse. I l est de pratique courante d’essayer de corriger les troubles de l’hémostase du patient cirrhotique avant un geste invasif en lui perfusant du plasma frais congelé (PFC) et/ou des plaquettes. Cette pratique n’a pas de raison d’être. En effet, la normalisation des tests d’hémostase est rarement obtenue et l’efficacité de ces mesures n’a jamais été démontrée. Surtout, les données accumulées depuis une quinzaine d’années démontrent que le concept d’hypocoagulabilité de la cirrhose, tel que suggéré par les tests d’hémostase classiques (taux de plaquettes, taux de prothrombine, temps de céphaline activé), est erroné. Les altérations de l’hémostase du patient cirrhotique sont beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait auparavant. Des études ont montré que la thrombo­ pénie, la diminution des facteurs procoagulants et les perturbations de la régulation de la fibrinolyse sont contrebalancées par d’autres modifications de l’hémostase. Ainsi, le déficit en nombre et en fonction des plaquettes est compensé par une augmentation de la concentration du facteur von Willebrand (VWF), la protéine d’adhésion plaquettaire. Par ailleurs, ADAMTS13, la protéase 150 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 qui régule la croissance du caillot en dégradant le VWF, est diminuée, ce qui contribue également à la préservation de l’hémostase primaire. D’autre part, le déficit en protéines procoagulantes se voit compensé par un déficit comparable en anticoagulants naturels (protéines C et S, antithrombine III). En fin de compte, il apparaît que l’hémostase est rééquilibrée chez le patient cirrhotique par des altérations concomitantes des processus pro- et anticoagulants, ce que les tests d’hémostase de routine ne permettent pas d’analyser (1). On objectera que les patients cirrhotiques sont connus pour leurs complications hémorragiques. Cela est vrai, mais il convient de souligner que pour la plus emblématique d’entre elles, à savoir la rupture de varice œsophagienne, il s’agit avant tout d’une conséquence de l’hypertension portale. A contrario, plusieurs études épidémiologiques ont suggéré que le risque de thrombose veineuse serait plus élevé chez les patients cirrhotiques que dans la population générale. Enfin, il faut rappeler qu’une chirurgie majeure, à commencer par la transplantation hépatique, peut être parfois réalisée sans aucun apport transfusionnel chez ces patients. Alors, comment concilier toutes ces données apparemment contradictoires ? Par le fait que cet état d’équilibre de l’hémostase est beaucoup moins stable chez le patient cirrhotique que chez le sujet normal. Tout d’abord, parce que son assise est réduite par la baisse des taux plasmatiques des différents facteurs. Ensuite, parce qu’il peut être très rapidement menacé par les complications de la cirrhose, en premier lieu l’infection bactérienne et l’insuffisance rénale. La balance peut donc facilement pencher d’un côté ou de l’autre, vers un état hypo- ou hypercoagulant, expliquant ainsi les complications hémorragiques et thrombotiques qui peuvent émailler l’évolution de la maladie. Pour en revenir aux perfusions de PFC et de plaquettes, il a été suggéré qu’elles pourraient être même délétères et augmenter le risque de Hépatologie saignement. En effet, leur administration en grande quantité est responsable d’une surcharge volémique. Chez des patients présentant une hypertension portale et souvent une altération de la fonction cardiaque, il en résulte une augmentation de la pression veineuse (portale et centrale) qui pourrait augmenter le saignement en cas de plaie chirurgicale. En fin de compte, il existe maintenant des arguments solides pour recommander une politique transfusionnelle restrictive chez les patients cirrhotiques. Même le seuil de 50 000 plaquettes/ mm3, souvent utilisé pour décider d’une transfusion plaquettaire, mériterait d’être mieux validé (2). Bien plus que les tests d’hémostase classiques, c’est le degré de sévérité de l’insuffisance hépatocellulaire et notamment le taux de bilirubine qui permet le mieux d’anticiper le risque de complication hémorragique. En conclusion, la correction systématique des “troubles de l’hémostase” avant un geste invasif chez le patient cirrhotique n’est pas justifiée et pour- EVIDENCE-BASED MEDICINE Questions non résolues »» Comment parvenir à mieux prédire le risque hémorragique chez le patient cirrhotique ? »» En particulier, en cas de thrombopénie sévère (plaquettes < 50 000/mm3), quelles sont les bonnes indications de transfusion plaquettaire ? Quelle pourrait être la place des agonistes du récepteur de la thrombopoiétine, ainsi que les précautions à prendre pour limiter les risques de thrombose portale et de décompensation hépatique ? rait même s’avérer potentiellement dangereuse. Le risque hémorragique apparaît principalement lié au degré de l’insuffisance hépatocellulaire et à la survenue de complications, notamment infectieuses. Chez un patient cirrhotique stable et sans ictère, ce risque n’est probablement guère différent de celui d’un sujet normal. ■ Références bibliographiques 1. Lisman T, Porte RJ. Rebalanced hemostasis in patients with liver disease: evidence and clinical consequences. Blood 2010;116(6):878-85. 2. Valla DC, Rautou PE. The coagulation system in patients with end-stage liver disease. Liver Int 2015;35(Suppl.1):139-44. Quelles sont les indications pour le dépistage des varices œsophagiennes chez le patient cirrhotique ? Dominique Thabut* prophylaxie. Cependant, en raison du dépistage plus précoce de la cirrhose, cette proportion a largement diminué, et la rentabilité de la FOGD a été remise en question. La population devant bénéficier d’un dépistage endoscopique a donc été restreinte, en utilisant des critères très simples, à savoir l’association chiffre de plaquettes et FibroScan® (FS. Cette recommandation s’appuie sur 4 études récentes (1 prospective [2] et 3 rétrospectives) dans lesquelles il a été démontré que les patients ayant un chiffre élevé de plaquettes (supérieur à 100 000 ou 150 000/mm3 selon les études) et un chiffre bas de FS (inférieur à 20 ou 25 kPa selon Niveau de preuve L’ hémorragie digestive sur hypertension portale (HTP) est une complication sévère de la cirrhose. La principale cause d’hémorragie est la rupture de varice œsophagienne (VO). Jusqu’en 2015, date de la dernière conférence de consensus sur l’HTP, tous les patients ayant une cirrhose devaient avoir une fibroscopie œso-­gastro­ duodénale (FOGD) afin de dépister des VO, et si celles-ci étaient de grande taille, de commencer une prophylaxie primaire par bêtabloquants non cardiosélectifs ou ligature. Cela reposait sur le fait que, dans les anciennes séries, 30 % des patients avaient des varices de grande taille justifiant d’une 1b A * Paris. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 151 EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Tableau. Dépistage endoscopique des VO chez les patients cirrhotiques : évolution des recommandations. Ce qu’il faut retenir La fibroscopie œso-gastroduodénale (FOGD) de dépistage peut être évitée chez les patients cirrhotiques ayant une élastométrie mesurée par FibroScan® (FS) < 20 kPa et un chiffre de plaquettes > 150 000/mm3. En effet, le risque qu’il y ait de découvrir des varices œsophagiennes (VO) de grade 2, donc une nécessité de commencer une prophylaxie secondaire par bêtabloquants ou ligature, est extrêmement faible. Il faut continuer à dépister les VO au moment du diagnostic de cirrhose chez les patients ayant un FS ≥ 20 kPa ou un chiffre de plaquettes ≤ 150 000/mm3 (1). Question non résolue »» Comment suivre les patients ayant initialement un FibroScan® < 20 kPa et un chiffre de plaquettes > 150 000/mm3 ? les études) présentaient de façon exceptionnelle des VO de grande taille pour lesquelles il était nécessaire d’initier une prophylaxie primaire. En effet, la proportion de faux négatifs était d’environ 5 %. En utilisant cette stratégie, entre 20 et 40 % des FOGD de dépistage pouvaient être évitées dans ces études. C’est pourquoi, dans les nouvelles recommandations de de la conférence de Baveno VI, il n’est plus nécessaire d’effectuer une FOGD chez les patients dont une cirrhose vient d’être diagnostiquée et qui ont un FS < 20 kPa et des plaquettes > 150 000/mm3 (tableau). Depuis leur publication, de nombreux travaux ont validé ces recommandations concernant le dé­pistage (3, 4). Le rythme de surveillance de ce sous-groupe de patients a également fait l’objet d’une recom­ mandation, dont le niveau de preuve était très faible (5, D) [1]. Il est stipulé que les patients devront être surveillés par ces 2 examens (FS et plaquettes) tous les ans. Si le FS augmente ou le chiffre de plaquettes baisse au-dessus ou en deça des valeurs mentionnées (cf. supra), une FOGD de dépistage devra être effectuée. Cette recommandation reste à valider car elle ne repose sur aucune étude. Baveno V Baveno VI • FOGD au moment du diagnostic pour tous les patients • La FOGD peut être évitée si : Plq > 150 000/mm3 + FS < 20 kPa* (1b ; A) • Surveillance de ces patients par dosage de Plq et FS annuels (niveau de recommandation 5D) • FOGD de dépistage si augmentation des Plq et diminution du FS (niveau de recommandation 5D) FOGD : fibroscopie œso-gastroduodénale ; FS : FibroScan® ; Plq : plaquettes ; VO : varices œsophagiennes. Plusieurs autres questions restent non résolues : les patients chez lesquels l’étiologie de la cirrhose est traitée et guérie, et en particulier ceux guéris de l’hépatite C, ont un FS qui diminue après la guérison, ce en raison de la diminution de l’inflammation. Faudra-t-il surveiller par FOGD un patient cirrhotique qui a un FS qui diminue en dessous de 20 kPa après guérison du virus de l’hépatite C (VHC), mais qui était initialement ≥ 20 kPa ? Pourra-t-on simplifier encore le suivi de ces patients en évitant le FS chez certains, cet examen n’étant pas disponible partout (en parti­culier dans d’autres pays que la France) ? Finalement, les recommandantions concernant le dépistage et la surveillance des VO se sont asouplies chez les patients atteints de cirrhose. L’idée est de réserver les indications de FOGD aux patients en ayant vraiment besoin. Il faut espérer que cela permette de réorienter le dépistage et la surveillance, pour plus d’efficacité. En effet, jusqu’à maintenant, moins de 50 % des patients atteints de cirrhose bénéficiaient d’un dépistage et d’une surveillance corrects. Ces recommandations nouvelles sont un premier pas. Les études à venir devront s’atteler à trouver des algorithmes plus précis afin de diminuer encore davantage le nombre de FOGD de dépistage.■ Références bibliographiques 1. De Franchis R, Baveno VI Faculty. Expanding consensus in portal hypertension: Report of the Baveno VI Consensus Workshop: Stratifying risk and individualizing care for portal hypertension. J Hepatol 2015;63(3):743-52. 2. Abraldes JG, Bureau C, Stefanescu H et al. Noninvasive tools and risk of clinically significant portal hypertension and varices in compensated cirrhosis: The “Anticipate” study. Hepatology 2016;64(6):2173-84. 152 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 3. Jangouk P, Turco L, De Oliveira A, Schepis F, Villa E, Garcia-Tsao G. Validating, deconstructing and refining Baveno criteria for ruling out high-risk varices in patients with compensated cirrhosis. Liver Int 2017 Feb 3. doi: 10.1111/liv.13379. [Epub ahead of print] 4. Maurice JB, Brodkin E, Arnold F et al. Validation of the Baveno VI criteria to identify low risk cirrhotic patients not requiring endoscopic surveillance for varices. J Hepatol 2016;65(5):899-905. Hépatologie EVIDENCE-BASED MEDICINE Les nouvelles molécules en alcoologie Alexandre Louvet* Tableau. Niveaux de preuve établis selon les recommandations de la Société française d’alcoologie et ce qu’il faut retenir. Disulfirame Acamprosate Naltrexone Nalméfène GHB Topiramate Baclofène Réduction de la consommation Non Non Oui Oui Non Oui Oui Niveau de preuve Autorisation de mise sur le marché en France 4C 1A Non Oui 1A 4C Non Non, RTU Maintien de l’abstinence Oui Oui Oui Non Oui Oui Oui Niveau de preuve 1A 1A 1A Autorisation de mise sur le marché en France Oui Oui Oui 1B 1A 4C Non, ATU-N Non Non, RTU Utilisable en cas de cirrhose Non Oui Non Non A priori oui Non Oui Utilisable en cas de cirrhose décompensée Non A priori oui Non Non A priori oui Non Oui ATU-N : autorisation temporaire d’utilisation nominative ; GHB : acide γ-hydroxybutyrate ; RTU : recommandation temporaire d’utilisation. D e nouvelles stratégies médicamenteuses en alcoologie ont été testées au cours des dernières années, en association avec la prise en charge non médicamenteuse, qui doit rester globale et pluridisciplinaire. Il est désormais recommandé que les objectifs de traitement prennent en compte la préférences du patient (1) : abstinence totale ou réduction de la consommation. La prise en charge initiale doit comporter la recherche d’un “mésusage de l’alcool” (terme désormais consacré). Par définition, le mésusage de l’alcool comprend l’usage à risque (consommation de plus de 21 verres par semaine, pour les hommes, ou de plus de 14 verres par semaine, pour les femmes ; plus de 4 verres par occasion de boire) et les troubles liés à l’usage de l’alcool (qui correspondent aux formes symptomatiques de l’usage d’alcool avec un certain nombre de conséquences sociales ou médicales actuelles sur la vie d’un sujet), qui comprennent eux-mêmes l’usage nocif et la dépendance. Les stratégies pharmacologiques visent essentiellement 2 types d’objectifs : la réduction de la consommation (pour les patients non désireux d’atteindre le sevrage complet) et le maintien de l’abstinence chez des patients ayant totalement interrompu la consommation d’alcool (par exemple, après une cure de sevrage). Les molécules “anciennes” suivantes ont fait la preuve de leur efficacité (1) : disulfirame, inhibiteur de l’aldéhyde déshydrogénase, utilisé pour son effet Antabuse), acamprosate (agoniste GABA-A et antagoniste glutamatergique, ayant l’autorisation de mise sur le marché [AMM] dans le maintien de l’abstinence), naltrexone (antagoniste des récep- teurs opiacés µ, ayant l’AMM dans le maintien de l’abstinence et pouvant être utile dans la réduction de la consommation, hors AMM). Les “nouvelles” molécules comprennent essentiellement le nalméfène, le baclofène, l’acide γ-hydroxybutyrate (GHB) et le topiramate. D’autres molécules ont été testées, mais avec un niveau de preuve faible (métadoxine, ondansétron, varénicline) et ne seront pas abordées ici. Le nalméfène est un antagoniste des récepteurs opiacés µ et δ et un agoniste partiel κ. Il est plus efficace que le placebo dans la réduction de la consommation selon les études ESENSE (1). Il se prend à la demande, sans dépasser 1 comprimé par jour (18 mg). Le baclofène est une molécule qui a fait couler beaucoup d’encre, en particulier parce que la preuve de son efficacité a longtemps reposé sur des études de faible qualité méthodologique. C’est un agoniste GABA-B. Le baclofène a été évalué à des doses très variables. Les essais randomisés l’ont surtout testé à faible dose, de l’ordre de 30 à 60 mg/j, dans le maintien de l’abstinence, où il semble plus efficace que le placebo ; mais les conclusions des différents essais divergent (1, 2). Il a été évalué chez les patients présentant une cirrhose, y compris décompensée, avec des résultats positifs (3). Dans ce cadre, la prise de baclofène est associée à une amélioration nette du bilan et de la fonction hépatiques (3). Un essai randomisé a montré sa supériorité, à forte dose (jusqu’à 270 mg/j), sur le placebo (4), avec une bonne tolérance, mais une autre étude (5) n’a pas confirmé ces résultats, et la tolérance était mauvaise, avec de nombreux effets indésirables (asthénie, somnolence, * Service des maladies de l’appareil digestif, hôpital Claude-Huriez, Lille. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 153 EVIDENCE-BASED MEDICINE Questions non résolues »» Le baclofène peut être utilisé dans la cirrhose décompensée. Qu’en est-il des autres molécules ? »» Quelle est la dose optimale de baclofène ? »» Les combinaisons thérapeutiques sont-elles utiles ? Hépatologie sécheresse buccale, etc.). Toujours à forte dose, des études observationnelles non contrôlées, publiées ou non, l’ont également testé et ont obtenu des résultats encourageants en termes de réduction de la consommation et de maintien de l’abstinence (2). Les études françaises ALPADIR et BACLOVILLE ont été conduites pour conforter l’utilisation du baclofène, notamment à forte dose ; mais leurs résultats ne sont disponibles que sous forme de résumé (conclusion négative pour ALPADIR, positive pour BACLOVILLE, sfalcoologie.asso.fr). La place du baclofène est donc mal définie, mais il dispose d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) en France depuis 2014. Le GHB (acide gamma-hydroxybutyrate ou oxybate de sodium) est un médicament gabaergique qui est prescrit à la dose de 50 mg/kg/j pour le maintien de l’abstinence. Cette molécule a été évaluée dans 13 essais randomisés et s’avère plus efficace que le placebo, le disulfirame ou la naltrexone pour le maintien de l’abstinence et la réduction du craving après sevrage (1, 2). Il semble qu’elle puisse être proposée aux patients atteints de cirrhose. Elle est bien tolérée, mais pourrait être associée à un risque de mésusage, surtout chez les polyconsommateurs. Pour l’heure, elle n’a pas d’AMM en France, mais bénéficie d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative. Le topiramate est un modulateur du GABA et du glutamate. Il s’avère plus efficace que le placebo dans 2 essais randomisés (2) pour la réduction de la consommation et le maintien de l’abstinence. Le niveau de preuve pour son utilisation est donc bon, mais il n’a pas d’AMM en France dans ces 2 indications. ■ Références bibliographiques 1. Société française d’alcoologie. Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de bonne pratique. Alcoologie et addictologie 2015;37(1):5-84. 2. Addolorato G, Mirijello A, Barrio P, Gual A. Treatment of alcohol use disorders in patients with alcoholic liver disease. J Hepatol 2016;65(3):618-30. 3. Addolorato G, Leggio L, Ferrulli A et al. Effectiveness and safety of baclofen for maintenance of alcohol abstinence in alcohol-dependent patients with liver cirrhosis: randomised, double-blind controlled study. Lancet 2007;370(9603):1915-22. 4. Muller CA, Geisel O, Pelz P et al. High-dose baclofen for the treatment of alcohol dependence (BACLAD study): a randomized, placebo-controlled trial. Eur Neuropsychopharmacol 2015;25(8):1167-77. 5. Beraha EM, Salemink E, Goudriaan AE et al. Efficacy and safety of high-dose baclofen for the treatment of alcohol dependence: A multicentre, randomised, doubleblind controlled trial. Eur Neuropsychopharmacol 2016;26(12):1950-9. L’acide obéticholique : prise en charge de la cholangite biliaire primitive urso-résistante en 2017 Philippe Sogni* Niveau de preuve L 1 a cholangite biliaire primitive (CBP), auparavant appelée cirrhose biliaire primitive, est une maladie chronique cholestatique auto-immune du foie, caractérisée par une atteinte inflammatoire et destructrice des petits canaux biliaires interlobulaires. Après exclusion des autres causes de chole­ stase chronique, le diagnostic se fait par l’association de 2 des 3 critères suivants (1) : ➤➤ l’augmentation chronique des phosphatases alcalines supérieure à 1,5 fois la limite supérieure de la normale (× LSN) ; 154 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 ➤➤ la positivité des anticorps anti-mitochondries de type 2 ; ➤➤ les caractéristiques histologiques évocatrices à la biopsie du foie. Dans un grand nombre de cas, il est donc possible de se passer de biopsie du foie pour faire le diagnostic positif (1). * Service d’hépatologie, hôpital Cochin (AP-HP), université Paris-­ Descartes et INSERM U-1223, institut Pasteur, Paris. Hépatologie Efficacité et limites du traitement par acide ursodésoxycholique (AUDC) L’AUDC a montré son efficacité en augmentant la survie sans transplantation et en obtenant une survie se rapprochant de la population générale chez les patients traités ayant initialement une fibrose minime ou modérée (1). Une réponse insuffisante de ces patients avec une maladie peu évoluée initialement peut être définie à 12 mois de traitement par AUDC, par les critères de Paris II (2) : ➤➤ phosphatases alcalines supérieures ou égales à 1,5 × LSN ; ➤➤ ou ASAT supérieures ou égales à 1,5 × LSN ; ➤➤ ou bilirubinémie totale supérieure à 17 μmol/l. On estime que 25 à 40 % ont une réponse insuffisante à l’AUDC, quelle qu’en soit la cause (1). Dans une étude observationnelle récente, plus des trois quarts des patients atteints de CBP et pris en charge par des hépato-gastroentérologues français, atteignaient ces critères d’efficacité à 1 an (3). Efficacité d’un traitement par l’acide obéticholique (OCA) Chez les patients n’atteignant pas ces critères d’efficacité biochimique, prenant la bonne dose d’AUDC (13 à 15 mg/kg/j) et ayant une bonne observance, seul l’OCA a démontré son efficacité dans 2 études randomisées publiées en articles complets (4, 5) et a obtenu récemment son AMM en France. L’OCA, dérivé de l’acide chénodésoxycholique, est un agoniste du récepteur X farnésoïde (FXR) qui, en tant que cible des acides biliaires, intervient en diminuant la synthèse des acides biliaires (1). De manière plus générale, il a un rôle de diminution de l’inflammation au niveau hépatique, intestinal et cérébrale (1). L’AUDC n’ayant pas d’action sur le FXR, il existe une justification physiopathologique d’associer AUDC et OCA. Une première étude randomisée (4) incluant 165 patients atteints de CBP a comparé 3 doses d’OCA (10, 25 et 50 mg/j) au placebo (randomisation 1:1:1:1) sur l’amélioration du taux de phosphatases alcalines à J85 par rapport au J0. Les 3 doses d’OCA étaient supérieures au placebo. De même, il existait une amélioration significativement plus importante des gamma-GT et des ASAT sous traitement comparé au placebo. Un sous-groupe de patients était traité en ouvert sur une période de 12 mois avec le maintien de la réponse biochimique. EVIDENCE-BASED MEDICINE Ce qu’il faut retenir Plus de trois quarts des patients atteints de cholangite biliaire primitive ont une réponse biochimique satisfaisante 1 an après le début de l’acide ursodésoxycholique (AUDC). Chez les patients qui ne répondent pas au traitement par AUDC, il faut vérifier que l’observance est bonne et la dose prescrite adéquate (13 à 15 mg/kg/j). L’acide obéticholique a reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) chez les patients ayant une réponse biochimique insuffisante à l’AUDC et permet d’obtenir, associé à la poursuite de l’AUDC dans la majorité des cas, une réponse satisfaisante à 1 an dans environ la moitié des cas. L’augmentation progressive de la dose d’acide obéticholique (5 mg/j pendant 6 mois puis 10 mg/j) permet de réduire le risque de prurit, qui est le principal effet indésirable de ce traitement. En revanche, le taux de prurit était plus élevé dans les groupes 25 et 50 mg que dans les groupes placebo et 10 mg. De même, l’intensité du prurit, quand il existait, était plus marquée dans les 3 groupes de traitement qu’avec le placebo. Prenant en compte ces données d’efficacité et de tolérance, la deuxième étude randomisée (5) a comparé l’effet de 3 groupes (randomisation 1:1:1 – placebo versus OCA 5 mg/j puis, si possible, 10 mg/j versus OCA 10 mg/j) sur un critère composite à 12 mois associant un taux de phosphatases alcalines de moins de 1,67 la limite supérieure de la normale avec une réduction d’au moins 15 % par rapport au taux initial et un taux de bilirubinémie totale inférieur à la LSN. Les 2 groupes de traitement étaient plus efficaces que le placebo sur ce critère de jugement principal (figure). La plupart des patients continuaient l’AUDC et environ 20 % avaient une cirrhose compensée à l’inclusion sur des critères d’élasticité. En revanche, le prurit était plus fréquent dans les groupes OCA que dans le groupe placebo. Cependant, ce prurit était moins fréquent et moins intense dans le groupe 5-10 mg/j que dans le groupe 10 mg/j. En pratique, en cas de CBP avec une réponse biochimique incomplète à l’AUDC, il est d’abord recommandé de vérifier que l’observance est bonne et que la dose est adéquate (13 à 15 mg/kg/j). Ensuite, l’OCA peut être associé à l’AUDC à la dose de 5 mg/j en une prise pendant 6 mois puis à 10 mg/j si la tolérance le permet. Le but est d’avoir une réponse biochimique à 1 an de traitement. En cas de cirrhose Child-Pugh B ou C, la dose doit être diminuée. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 155 EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Chez ces patients avec une réponse incomplète à l’AUDC, une alternative pourrait être un traitement par bezafibrate comme le suggère les résultats préliminaires d’une étude randomisée (6). ■ »» Quelle est l’efficacité de l’acide obéticholique chez les patients les plus graves ? »» Quelle est l’efficacité de l’acide obéticholique à plus long terme ? (%) 100 »» Les critères biochimiques utilisés sont-ils pertinents pour le pronostic à long terme des patients traités par acide obéticholique ? 80 60 »» Quelle est la place respective de l’acide obéticholique et du bézafibrate dans la CBP avec réponse incomplète à l’AUDC ? 40 20 0 Questions non résolues 7/73 33/71 34/73 Placebo OCA 5-10 mg/j OCA 10 mg/j Figure. Efficacité biochimique à 1 an du placebo ou de l’acide obéticholique (OCA) dans la cholangite biliaire primitive avec réponse biochimique insuffisante à l’acide ursodésoxycholique. Références bibliographiques 1. Chascsa D, Carey EJ, Lindor KD. Old and new treatments for primary biliary cholangitis. Liver Int 2017;37(4):490-9. toire ORACLE. La Lettre de l’hépato-gastroentérologue 2016;19(1):52-5. 2. Corpechot C, Chazouillères O, Poupon R. Early primary biliary cirrhosis: biochemical response to treatment and prediction of long-term outcome. J Hepatol 2011;55(6):1361-7. 4. Hirschfield GM, Mason A, Luketic V et al. Efficacy of obeticholic acid in patients with primary biliary cirrhosis and inadequate response to ursodeoxycholic acid. Gastroenterology 2015;148(4):751-61. 3. Pariente A, Hanslik B, Erlinger S et al. Prise en charge de la cirrhose biliaire primitive : résultats de l’observa- 5. Nevens F, Andreone P, Mazzella G et al. A place- 156 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 bo-controlled trial of obeticholic acid in primary biliary cholangitis. N Engl J Med 2016;375(7):631-43. 6. Corpechot C, Chazouillères O, Rousseau A et al. A 2-year multicenter, double-blind, randomized, placebocontrolled study of bezafibrate for the treatment of primary biliary cholangitis in patients with inadequate biochemical response to ursodeoxycholic acid therapy (Bezurso). J Hepatol 2017;66:S89.