Faut-il proposer une activité physique chez les malades porteurs d’une NASH ?

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EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Faut-il proposer une activité
physique chez les malades porteurs
d’une NASH ?
Marie-Noëlle Hilleret*, Vincent Leroy*
Ce qu’il faut retenir
L’activité physique permet d’obtenir chez des patients porteurs de NASH,
même en l’absence de réduction pondérale, un impact sur la graisse
viscérale et intra-hépatique voire sur l’inflammation et la fibrose en
anatomopathologie. Tout type d’activité physique aérobie ou de résistance
peut être proposé aux patients, le minimum requis étant l’obtention de
3 séances par semaines d’une durée de 45 minutes chacune, la nature des
activités dépendant essentiellement du goût des patients de manière à
promouvoir la motivation et la persistance dans la pratique de l’activité.
Niveau
de preuve
1
* Service d’hépato-gastroentérologie,
CHU de Grenoble.
L
es options thérapeutiques dans la stéatopathie
non alcoolique (NASH) sont aujourd’hui limitées. L’adaptation du mode de vie des malades
est essentielle (1). L’efficacité de l’activité physique
(AP) fait l’objet d’études depuis plus de 20 ans (2).
Deux types d’exercice ont été testés : “aérobie” et
“en résistance”. L’AP aérobie correspond à la synthèse
d’adénosine triphosphate par l’oxydation de substrats (présence d’oxygène) dans le cadre du cycle
de Krebs. Elle est souvent caractérisée par l’utilisation de pourcentage de la VO2max (quantité maximale d’oxygène que le corps consomme par unité
de temps). La course à pied, la marche rapide avec
utilisation de bâtons, le cyclisme correspondent à ce
type d’AP. Plus récemment, l’AP dite “de résistance”
a été étudiée, elle est fondée sur l’effort mus­­culaire
contre résistance, souvent pratiqué en salle de sport
(levée de poids). Cette deuxième filière utilise à la
fois une voie de synthèse de l’ATP aérobie et la
glycolyse anaérobie (acide lactique).
L’apport de l’AP dans le contrôle de la NASH repose
sur plusieurs mécanismes. La restauration d’une
insulino-sensibilité est l’élément le plus couramment
reconnu. L’action sur la concentration intrahépatique
en triglycérides dépend de plusieurs paramètres,
tous impactés par l’AP : libération des acides gras
libres (AGL) au niveau du foie en provenance du tissu
adipeux (et des sources alimentaires), lipogenèse de
144 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
novo, β-oxydation intrahépatique et synthèse de
VLDL (Very Low Density Lipoprotein – lipoprotéine
de très basse densité). L’AP au seuil de VO2max de
50 à 70 % augmente la lipolyse puis l’oxydation des
acides γ-linoléniques, entraînant leur redistribution
vers le muscle. L’AP répétée dans le temps permet
une modification des caractéristiques mitochondriales, entraînant une augmentation de la captation des AGL, une optimisation de la β-oxydation
et du stockage des triglycérides en intramusculaire.
Parallèlement, l’AP dite “de résistance” promeut la
synthèse de fibres musculaires de type 2, dont les
caractéristiques sont plus favorables à des mécanismes de glycolyse par l’augmentation de l’expression de GLUT4, AMPK et des cavéolines. La fonction
endocrine du tissu musculaire est modifiée par l’AP
avec la sécrétion de myokines, en particulier l’irisine.
Cette myokine, augmentée lors de l’AP en résistance,
est responsable d’une différenciation des adipocytes
de la graisse blanche vers un phénotype proche de
celui de la graisse brune ; il en résulte une augmentation de la thermogenèse et une inhibition de la
lipogenèse hépatique. Plusieurs études ont permis de
démontrer un abaissement du taux d’irisine chez les
sujets porteurs de NASH, son augmentation étant
corrélée à celle de la masse musculaire et à la diminution de l’adiposité viscérale.
De nombreuses études cliniques se sont intéressées
à l’évaluation de l’impact de l’AP sur les patients
porteurs de NASH. L’analyse de l’efficacité de l’AP
est toutefois limitée par le peu d’études ayant
utilisé l’histologie hépatique comme critère de
jugement. Ainsi, la plupart des études reposentelles sur l’analyse de la graisse intrahépatique ou
du tissu adipeux par des techniques d’imagerie, IRM
ou scanner. E. Vilar-Gomez et al. (3) ont montré que
40 mn d’effort aérobie par jour 5 jours/semaine
pendant 6 mois permettaient d’améliorer le score
NAS (4,45 points vs 2,2 points, p < 0,001) ainsi que
la fibrose (– 0,55 ± 0,3 ; p = 0,012). La méta-analyse de E. Keating et al. (2), retrouve un impact,
quel que soit le type d’AP réalisée, sur le paramètre
Hépatologie
graisse intrahépatique, même en l’absence de prise
en charge diététique structurée associée. La réduction pondérale n’était que rarement obtenue et ne
semble donc pas être un critère indispensable à
l’efficacité de l’intervention.
Les recommandations sur le type d’AP demeurent
imprécises (1). En 2013, une étude italienne (4) randomisée comparant l’AP dite aérobie (A) avec l’entraînement de résistance (R) a permis de montrer
des performances équivalentes en termes de réduction de la stéatose, respectivement de 91,7 % et
85,7 %. L’intérêt de cette étude, au-delà de la preuve
d’équivalence des 2 approches d’AP, réside dans la
population étudiée, proche de celle la plus fréquem-
EVIDENCE-BASED MEDICINE
ment rencontrée : indice de masse corporelle moyen
(A = 31 ; R = 32) chez des diabétiques de type 2. Une
revue de la littérature récente (5) permet de mieux
préciser la nature du protocole d’AP permettant de
montrer une efficacité respectivement pour l’AP
aérobie de 4,8 équivalents métaboliques (1 MET = 1
Kcal/kg*h) pour 40 mn par entraînement, contre
3,5 MET pour 45 mn d’entraînement, 3 fois par
semaine durant 12 semaines, quel que soit le type
d’AP. Remarquablement, l’AP de résistance permet
d’obtenir des résultats à un moindre coût en termes
de VO2max et calorique, ce qui suggère de préférer
cette dernière activité chez les sujets les plus fragiles
ou déconditionnés.
■
Question
non résolue
»» Quelles sont les
modalités d’accompagnement optimales afin
de soutenir la persistance
dans la pratique de l’activité physique ?
Références bibliographiques
1. Blond E, Disse E, Cuerq C. EASL-EASD-EASO clinical practice guidelines for the manage­
ment of non-alcoholic fatty liver disease in severely obese people: do they lead to over-­
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disease: A systematic review and meta-analysis. J Hepatol 2012;57(1);157-66.
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fatty liver disease. Aliment Pharmacol Ther 2009;30(10):999-1009.
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5. Hashida R, Kawaguchi T, Bekki M et al. Aerobic vs. resistance exercise in non-alcoholic
fatty liver disease: A systematic review. J Hepatol 2017;66(1):142-52.
Carvédilol et hypertension portale :
efficacité hémodynamique supérieure
à celle du propranolol
Philippe Sogni*
et durant les 6 premiers mois (3). La réponse hémodynamique est habituellement définie comme une
diminution du GPH supérieure ou égale à 20 % ou
devenant inférieur à 12 mmHg. Le pourcentage
de répondeurs hémodynamiques était plus élevé
sous carvédilol que sous propranolol (61 % versus
40 %) [2]. Ce résultat restait vrai à la fois en aigu,
dans les 24 premières heures, que dans les 6 premiers
mois (3). De plus, ce bénéfice hémodynamique ne
s’accompagnait pas d’une baisse significative de la
pression artérielle moyenne (2, 3). De même les taux
d’arrêt pour effet indésirable du carvédilol et du propranolol n’étaient pas différents (9 % versus 13 %) [2].
Une étude randomisée récente semble montrer un
bénéfice hémodynamique supérieur du carvédilol en
cas de maladie plus grave du foie, notamment en cas
Niveau
de preuve
L
es bêta-bloquants non sélectifs (BBNS)
– propranolol, nadolol ou timolol – diminuent
la pression porte en inhibant les récepteurs
bêta 1 (diminution de l’index cardiaque) et bêta 2
(vasoconstriction splanchnique). Le carvédilol a un
effet de blocage bêta 1 et bêta 2 marqué dans l’insuffisance cardiaque et a un effet modéré alpha 1 bloquant
qui pourrait moduler les résistances hépatiques (1).
Deux méta-analyses récentes ont montré un effet
hémodynamique du carvédilol supérieur à celui
du propranolol chez les patients atteints de cirrhose (2, 3). Le gradient de pression hépatique (GPH)
diminuait en moyenne de 22,2 % sous carvédilol et
de 15,6 % sous propranolol (2). La diminution du
GPH était plus marquée avec le carvédilol qu’avec
le propranol, à la fois dans les 24 premières heures
1
* Service d’hépatologie, hôpital
Cochin (AP-HP), université ParisDescartes et INSERM U-1223, institut
Pasteur, Paris.
La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 145
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Ce qu’il faut retenir
(%)
100
Le carvédilol a une activité bêtabloquante marquée (bêta 1 et bêta 2)
associée à une activité anti-alpha 1 modérée.
Son efficacité hémodynamique est plus marquée sur la pression porte que
celle du propranolol, en administration aiguë aussi bien que chronique.
La proportion de patients cirrhotiques non répondeurs hémodynamiques
est plus faible avec le carvédilol qu’avec le propranolol.
La dose maximum est habituellement de 12,5 mg/j en 2 prises, des doses
plus élevées comportant un risque d’hypotension artérielle, sans bénéfice
sur l’hémodynamique splanchnique.
Questions
non résolues
»» Le bénéfice hémodynamique du carvédilol par
rapport au propranolol
est-il limité aux patients
cirrhotiques les plus
graves ?
»» Le bénéfice hémodynamique du carvédilol est-il
associé à un bénéfice
clinique supérieur à celui
du propranolol ?
de MELD supérieur ou égal à 15 ou en cas d’ascite
(figure) [4]. Ces résultats doivent être confirmés.
La conférence de Baveno VI a rappelé qu’aussi
bien les BBNS traditionnels que le carvédilol
étaient des traitements de première ligne validés
mais que, malgré un bénéfice hémodynamique
plus marqué, le bénéfice clinique du carvédilol
n’était pas démontré, faute d’étude spécifique (5).
En pratique, le carvédilol peut être débuté à la
dose de 6,25 mg/j en 2 prises quotidiennes et
augmenté tous les 2 à 3 jours jusqu’à 12,5 mg/j en
2 prises quotidiennes, en vérifiant que la pression
artérielle systolique reste supérieure ou égale à
100 mmHg et la fréquence cardiaque supérieure
à 50 bpm/mn (1).
■
Carvédilol
Propranolol
80
*
60
ns
*
ns
40
20
7/12 0/10 18/43 17/45
0
MELD ≥ 15
MELD < 15
17/33 8/33
10/22 9/22
Ascite +
Ascite –
* p < 0,05 ; ns : différence non significative.
Figure. Pourcentage de réponse hémodynamique
à 6 semaines (diminution du gradient de pression
hépatique [GPH] supérieure ou égale à 20 % ou GPH
devenant inférieur à 12 mmHg) sous propranolol
ou carvédilol, en fonction du score MELD ou de la
présence d’une ascite (d’après [4]).
Références bibliographiques
1. Brunner F, Berzigotti A, Bosch J. Prevention and treatment
of variceal haemorrhage in 2017. Liver Int 2017; 37
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146 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
propranolol to reduce portal pressure in patients with liver
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EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Dans quelles situations faut-il
prescrire la rifaximine au cours
de l’encéphalopathie hépatique
et quels sont les effets attendus ?
Sarah Mouri*, Dominique Thabut*
Ce qu’il faut retenir
L’antibiothérapie par rifaximine en association avec le lactulose est recommandée en prévention secondaire des épisodes d’encéphalopathie hépatique (EH) au cours de la cirrhose ; elle permet de diminuer la survenue
d’une récidive et le taux de réhospitalisations.
Niveau
de preuve
Grade
1A
* Service d’hépato-gastroentérologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
E
lle pourrait également être efficace dès la phase
aiguë en diminuant la durée d’hospitalisation
lors d’un épisode d’EH et en améliorant la
survie.
L’encéphalopathie hépatique (EH) correspond à
l’ensemble des troubles neurologiques ou neuro­
psychiatriques causés par une insuffisance hépatique
aiguë ou chronique et/ou par l’existence d’un shunt
porto-systémique (1). Les symptômes observés
vont d’anomalies subtiles détectées uniquement
par des tests neuropsychologiques à des troubles
de la conscience allant jusqu’au coma. L’apparition
d’une EH, même minimale, est un facteur de risque
indépendant de mortalité mais altère également la
qualité de vie en favorisant, par exemple, les accidents de la route. L’EH constitue ainsi un véritable
problème de santé publique puisqu’un patient cirrhotique a 30 à 70 % de risque de développer une
EH minimale au cours de sa vie et 30 à 45 % de
risque de développer une EH clinique. La physiopathologie reste à ce jour débattue, mais il semble
maintenant clair que l’hyperammoniémie provenant,
entre autres, des bactéries intestinales, et associée à
une inflammation chronique et au stress oxydatif a
probablement un rôle central dans l’apparition d’une
EH. De ce fait, l’utilisation d’une antibiothérapie
dans le traitement de l’EH a été proposée depuis plus
de 30 ans ; historiquement, l’utilisation de néomycine, vancomycine ou métronidazole a montré des
résultats mitigés selon les études mais leur prescrip-
148 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
tion en pratique courante n’est pas recommandée
du fait de leurs effets indésirables au long cours
(néphrotoxicité, ototoxicité, sélection de souches
d’entérocoques résistants à la vancomycine). La
rifaximine, un antibiotique à large spectre visant
les bactéries Gram positif ou négatif et les anaérobies, est recommandée en association au lactulose
depuis 2010 en prévention secondaire de l’EH. Son
absorption systémique est très faible, estimée entre
1 et 3 % chez les sujets sains (il faut noter que peu
d’études ont analysé l’absorption chez les patients
cirrhotiques qui ont une perméabilité intestinale
augmentée par l’hypertension portale). L’étude de
N.M. Bass et al (2), multicentrique, randomisée, en
double aveugle, contrôlée contre placebo a ainsi
évalué l’efficacité de la rifaximine pour maintenir
la rémission de patients ayant une histoire récente
d’EH. Ce travail a porté sur des patients cirrhotiques
ayant présenté au moins 2 épisodes d’EH clinique
au cours des 6 derniers mois et ne présentant pas
de facteurs de risque précipitants d’EH (hémorragie
digestive, insuffisance rénale, infection, etc.) ; ils
recevaient soit la rifaximine (140 sujets, 550 mg
× 2/j) soit le placebo (159 sujets), pendant 6 mois
ou jusqu’à l’apparition d’une HE ou d’un autre événement intercurrent. L’utilisation du lactulose était
permise et retrouvée chez environ 90 % des patients
des 2 groupes. Il a ainsi été démontré que la rifaximine réduisait de façon significative le risque de
survenue d’un nouvel épisode d’EH par rapport au
placebo (HR = 0,42 ; IC95 : 0,28-0,64 ; p < 0,001),
mais également le risque d’hospitalisation pour EH
(13,6 % des patients sous rifaximine contre 22,6 %
sous placebo). Cette étude a permis la mise sur le
marché de la rifaximine en prévention secondaire,
associée au lactulose.
Une autre étude randomisée contrôlée publiée par
B.C Sharma et al. (3) a permis de confirmer ces
résultats en comparant le traitement par rifaximine
Hépatologie
RECOMMANDÉ
DISCUTÉ
• EH aiguë
• Cirrhose sans antécédent d’EH
(prophylaxie primaire)
• EH minimale
Au moins 2 épisodes d’EH
dans les 6 mois
(prophylaxie secondaire)
Rifaximine + lactulose
Rifaximine seule
Délai plus long de récidive d’EH
ou d’hospitalisation
Figure. Indications de la rifaximine en traitement ou prophylaxie de l’encéphalopathie
hépatique (EH) chez les patients cirrhotiques.
Question
non résolue
»» Doit-on recommander
la prescription
systématique de
rifaximine en dehors
d’une indication de
prophylaxie secondaire,
par exemple dès
l’épisode aigu ou en
cas d’encéphalopathie
minimale ?
et lactulose au lactulose seul. Cent vingt patients
cirrhotiques avec EH ont été inclus, les traitements
étaient débutés pendant l’épisode aigu puis poursuivis au long cours ; les résultats ont montré une
disparition des signes d’EH plus rapide sous rifaximine et lactulose que sous lactulose seul mais également une réduction de la durée d’hospitalisation
et de la mortalité. La rifaximine, en association au
lactulose, aurait donc un intérêt dès l’épisode aigu
d’HE en plus de la prévention secondaire. L’étude
prospective, randomisée, contrôlée, en double
aveugle de A. Mas et al. (4) va également dans
ce sens. La bithérapie par rifaximine et lactulose
EVIDENCE-BASED MEDICINE
pendant 5 à 10 jours permettait une amélioration
des symptômes et de la gravité de l’EH, une diminution de l’ammoniémie et une amélioration de
l’électro­encéphalogramme statistiquement plus
importante que sous lactulose seul (figure).
D’autres études suggèrent un intérêt de la rifaximine
même en cas d’EH minimale, permettant une amélioration de la qualité de vie et des tests cognitifs.
Il n’existe pas d’étude en prophylaxie primaire de
l’EH actuellement.
Concernant le mécanisme d’action de la rifaximine, plusieurs hypothèses ont été proposées et
il s’agirait d’une modulation du profil métabolique
du microbiote plutôt que d’une modification de sa
composition. L’étude de J.S. Bajaj et al. (5), menée
chez des patients ayant une EH minimale, a montré,
en analyse métabolomique et lipidomique, une
modification des carbohydrates et des métabolites
lipidiques plasmatiques sans modification de la composition du microbiote sous rifaximine ainsi qu’une
diminution du taux de lipopolysaccharide circulant.
Ces modifications métaboliques étaient corrélées à
l’amélioration des troubles cognitifs, ce qui conduit
à penser que la rifaximine pourrait avoir une action
locale mais également systémique.
Enfin, plusieurs études non randomisées suggèrent
que la rifaximine pourrait également prévenir les
autres complications dûes à la cirrhose telles que les
hémorragies digestives liées à l’hypertension portale
et l’infection spontanée du liquide d’ascite.
■
Références bibliographiques
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La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 149
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Faut-il corriger les troubles
de l’hémostase du patient cirrhotique
avant la réalisation d’un geste invasif ?
Arnaud Pauwels*
Ce qu’il faut retenir
Les tests d’hémostase classiques ne permettent pas d’appréhender la
réalité de l’hémostase du patient cirrhotique.
La thrombopénie et la diminution des facteurs procoagulants sont contrebalancées par des altérations concomitantes des processus anticoagulants,
aboutissant à un rééquilibre de l’hémostase.
Cet état d’équilibre est cependant beaucoup moins stable que chez le
sujet normal et peut être très rapidement perturbé par la survenue de
complications de la cirrhose, notamment l’infection bactérienne et l’insuf­
fisance rénale.
Chez le patient cirrhotique stable et sans ictère, la correction systématique
des “troubles de l’hémostase” avant un geste invasif n’est pas justifiée
et pourrait même être potentiellement délétère.
Niveau de
preuve
3
* Service d’hépato-gastroentérologie,
centre hospitalier de Gonesse.
I
l est de pratique courante d’essayer de corriger
les troubles de l’hémostase du patient cirrhotique avant un geste invasif en lui perfusant du
plasma frais congelé (PFC) et/ou des plaquettes.
Cette pratique n’a pas de raison d’être. En effet, la
normalisation des tests d’hémostase est rarement
obtenue et l’efficacité de ces mesures n’a jamais
été démontrée. Surtout, les données accumulées
depuis une quinzaine d’années démontrent que le
concept d’hypocoagulabilité de la cirrhose, tel que
suggéré par les tests d’hémostase classiques (taux
de plaquettes, taux de prothrombine, temps de
céphaline activé), est erroné.
Les altérations de l’hémostase du patient cirrhotique
sont beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait
auparavant. Des études ont montré que la thrombo­
pénie, la diminution des facteurs procoagulants et
les perturbations de la régulation de la fibrinolyse
sont contrebalancées par d’autres modifications
de l’hémostase. Ainsi, le déficit en nombre et en
fonction des plaquettes est compensé par une
augmentation de la concentration du facteur
von Willebrand (VWF), la protéine d’adhésion
plaquettaire. Par ailleurs, ADAMTS13, la protéase
150 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
qui régule la croissance du caillot en dégradant le
VWF, est diminuée, ce qui contribue également à
la préservation de l’hémostase primaire. D’autre
part, le déficit en protéines procoagulantes
se voit compensé par un déficit comparable
en anticoagulants naturels (protéines C et S,
antithrombine III). En fin de compte, il apparaît
que l’hémostase est rééquilibrée chez le patient
cirrhotique par des altérations concomitantes
des processus pro- et anticoagulants, ce que les
tests d’hémostase de routine ne permettent pas
d’analyser (1).
On objectera que les patients cirrhotiques sont
connus pour leurs complications hémorragiques.
Cela est vrai, mais il convient de souligner que
pour la plus emblématique d’entre elles, à savoir
la rupture de varice œsophagienne, il s’agit avant
tout d’une conséquence de l’hypertension portale.
A contrario, plusieurs études épidémiologiques ont
suggéré que le risque de thrombose veineuse serait
plus élevé chez les patients cirrhotiques que dans la
population générale. Enfin, il faut rappeler qu’une
chirurgie majeure, à commencer par la transplantation hépatique, peut être parfois réalisée sans aucun
apport transfusionnel chez ces patients.
Alors, comment concilier toutes ces données
apparemment contradictoires ? Par le fait que
cet état d’équilibre de l’hémostase est beaucoup
moins stable chez le patient cirrhotique que chez
le sujet normal. Tout d’abord, parce que son assise
est réduite par la baisse des taux plasmatiques des
différents facteurs. Ensuite, parce qu’il peut être
très rapidement menacé par les complications de
la cirrhose, en premier lieu l’infection bactérienne
et l’insuffisance rénale. La balance peut donc facilement pencher d’un côté ou de l’autre, vers un
état hypo- ou hypercoagulant, expliquant ainsi les
complications hémorragiques et thrombotiques qui
peuvent émailler l’évolution de la maladie.
Pour en revenir aux perfusions de PFC et de
plaquettes, il a été suggéré qu’elles pourraient
être même délétères et augmenter le risque de
Hépatologie
saignement. En effet, leur administration en
grande quantité est responsable d’une surcharge
volémique. Chez des patients présentant une
hypertension portale et souvent une altération de
la fonction cardiaque, il en résulte une augmentation
de la pression veineuse (portale et centrale) qui
pourrait augmenter le saignement en cas de plaie
chirurgicale. En fin de compte, il existe maintenant
des arguments solides pour recommander une
politique transfusionnelle restrictive chez les patients
cirrhotiques. Même le seuil de 50 000 plaquettes/
mm3, souvent utilisé pour décider d’une transfusion
plaquettaire, mériterait d’être mieux validé (2). Bien
plus que les tests d’hémostase classiques, c’est le
degré de sévérité de l’insuffisance hépatocellulaire et
notamment le taux de bilirubine qui permet le mieux
d’anticiper le risque de complication hémorragique.
En conclusion, la correction systématique des
“troubles de l’hémostase” avant un geste invasif
chez le patient cirrhotique n’est pas justifiée et pour-
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Questions
non résolues
»» Comment parvenir à mieux prédire le risque hémorragique chez le patient
cirrhotique ?
»» En particulier, en cas de thrombopénie sévère (plaquettes < 50 000/mm3),
quelles sont les bonnes indications de transfusion plaquettaire ? Quelle pourrait être la place des agonistes du récepteur de la thrombopoiétine, ainsi que
les précautions à prendre pour limiter les risques de thrombose portale et de
décompensation hépatique ?
rait même s’avérer potentiellement dangereuse. Le
risque hémorragique apparaît principalement lié au
degré de l’insuffisance hépatocellulaire et à la survenue de complications, notamment infectieuses.
Chez un patient cirrhotique stable et sans ictère, ce
risque n’est probablement guère différent de celui
d’un sujet normal.
■
Références bibliographiques
1. Lisman T, Porte RJ. Rebalanced hemostasis in patients with liver disease: evidence and
clinical consequences. Blood 2010;116(6):878-85.
2. Valla DC, Rautou PE. The coagulation system in patients with end-stage liver disease.
Liver Int 2015;35(Suppl.1):139-44.
Quelles sont les indications pour
le dépistage des varices œsophagiennes
chez le patient cirrhotique ?
Dominique Thabut*
prophylaxie. Cependant, en raison du dépistage plus
précoce de la cirrhose, cette proportion a largement
diminué, et la rentabilité de la FOGD a été remise
en question. La population devant bénéficier d’un
dépistage endoscopique a donc été restreinte,
en utilisant des critères très simples, à savoir
l’association chiffre de plaquettes et FibroScan®
(FS. Cette recommandation s’appuie sur 4 études
récentes (1 prospective [2] et 3 rétrospectives)
dans lesquelles il a été démontré que les patients
ayant un chiffre élevé de plaquettes (supérieur à
100 000 ou 150 000/mm3 selon les études) et un
chiffre bas de FS (inférieur à 20 ou 25 kPa selon
Niveau
de preuve
L’
hémorragie digestive sur hypertension portale
(HTP) est une complication sévère de la
cirrhose. La principale cause d’hémorragie
est la rupture de varice œsophagienne (VO).
Jusqu’en 2015, date de la dernière conférence de
consensus sur l’HTP, tous les patients ayant une
cirrhose devaient avoir une fibroscopie œso-­gastro­
duodénale (FOGD) afin de dépister des VO, et si
celles-ci étaient de grande taille, de commencer
une prophylaxie primaire par bêtabloquants non
cardiosélectifs ou ligature. Cela reposait sur le fait
que, dans les anciennes séries, 30 % des patients
avaient des varices de grande taille justifiant d’une
1b
A
* Paris.
La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 151
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Tableau. Dépistage endoscopique des VO chez les patients
cirrhotiques : évolution des recommandations.
Ce qu’il faut retenir
La fibroscopie œso-gastroduodénale (FOGD) de dépistage peut être
évitée chez les patients cirrhotiques ayant une élastométrie mesurée par
FibroScan® (FS) < 20 kPa et un chiffre de plaquettes > 150 000/mm3. En
effet, le risque qu’il y ait de découvrir des varices œsophagiennes (VO) de
grade 2, donc une nécessité de commencer une prophylaxie secondaire
par bêtabloquants ou ligature, est extrêmement faible. Il faut continuer
à dépister les VO au moment du diagnostic de cirrhose chez les patients
ayant un FS ≥ 20 kPa ou un chiffre de plaquettes ≤ 150 000/mm3 (1).
Question
non résolue
»» Comment suivre
les patients ayant
initialement un
FibroScan® < 20 kPa et
un chiffre de plaquettes
> 150 000/mm3 ?
les études) présentaient de façon exceptionnelle
des VO de grande taille pour lesquelles il était
nécessaire d’initier une prophylaxie primaire. En
effet, la proportion de faux négatifs était d’environ
5 %. En utilisant cette stratégie, entre 20 et 40 %
des FOGD de dépistage pouvaient être évitées
dans ces études. C’est pourquoi, dans les nouvelles
recommandations de de la conférence de Baveno VI,
il n’est plus nécessaire d’effectuer une FOGD
chez les patients dont une cirrhose vient d’être
diagnostiquée et qui ont un FS < 20 kPa et des
plaquettes > 150 000/mm3 (tableau). Depuis leur
publication, de nombreux travaux ont validé ces
recommandations concernant le dé­pistage (3, 4).
Le rythme de surveillance de ce sous-groupe de
patients a également fait l’objet d’une recom­
mandation, dont le niveau de preuve était très
faible (5, D) [1]. Il est stipulé que les patients devront
être surveillés par ces 2 examens (FS et plaquettes)
tous les ans. Si le FS augmente ou le chiffre de plaquettes baisse au-dessus ou en deça des valeurs
mentionnées (cf. supra), une FOGD de dépistage
devra être effectuée. Cette recommandation reste
à valider car elle ne repose sur aucune étude.
Baveno V
Baveno VI
• FOGD au moment
du diagnostic
pour tous les
patients
• La FOGD peut être évitée si :
Plq > 150 000/mm3 +
FS < 20 kPa* (1b ; A)
• Surveillance de ces patients par
dosage de Plq et FS annuels
(niveau de recommandation 5D)
• FOGD de dépistage si augmentation des Plq et diminution du FS
(niveau de recommandation 5D)
FOGD : fibroscopie œso-gastroduodénale ; FS : FibroScan® ; Plq : plaquettes ;
VO : varices œsophagiennes.
Plusieurs autres questions restent non résolues : les
patients chez lesquels l’étiologie de la cirrhose est
traitée et guérie, et en particulier ceux guéris de
l’hépatite C, ont un FS qui diminue après la guérison,
ce en raison de la diminution de l’inflammation.
Faudra-t-il surveiller par FOGD un patient cirrhotique
qui a un FS qui diminue en dessous de 20 kPa après
guérison du virus de l’hépatite C (VHC), mais qui
était initialement ≥ 20 kPa ? Pourra-t-on simplifier
encore le suivi de ces patients en évitant le FS chez
certains, cet examen n’étant pas disponible partout
(en parti­culier dans d’autres pays que la France) ?
Finalement, les recommandantions concernant le dépistage et la surveillance des VO se sont asouplies chez les
patients atteints de cirrhose. L’idée est de réserver les
indications de FOGD aux patients en ayant vraiment
besoin. Il faut espérer que cela permette de réorienter
le dépistage et la surveillance, pour plus d’efficacité. En
effet, jusqu’à maintenant, moins de 50 % des patients
atteints de cirrhose bénéficiaient d’un dépistage et d’une
surveillance corrects. Ces recommandations nouvelles
sont un premier pas. Les études à venir devront s’atteler
à trouver des algorithmes plus précis afin de diminuer
encore davantage le nombre de FOGD de dépistage.■
Références bibliographiques
1. De Franchis R, Baveno VI Faculty. Expanding consensus in portal hypertension: Report
of the Baveno VI Consensus Workshop: Stratifying risk and individualizing care for portal
hypertension. J Hepatol 2015;63(3):743-52.
2. Abraldes JG, Bureau C, Stefanescu H et al. Noninvasive tools and risk of clinically significant portal hypertension and varices in compensated cirrhosis: The “Anticipate” study.
Hepatology 2016;64(6):2173-84.
152 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
3. Jangouk P, Turco L, De Oliveira A, Schepis F, Villa E, Garcia-Tsao G. Validating, deconstructing and refining Baveno criteria for ruling out high-risk varices in patients with compensated
cirrhosis. Liver Int 2017 Feb 3. doi: 10.1111/liv.13379. [Epub ahead of print]
4. Maurice JB, Brodkin E, Arnold F et al. Validation of the Baveno VI criteria to identify
low risk cirrhotic patients not requiring endoscopic surveillance for varices. J Hepatol
2016;65(5):899-905.
Hépatologie
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Les nouvelles molécules en alcoologie
Alexandre Louvet*
Tableau. Niveaux de preuve établis selon les recommandations de la Société française d’alcoologie et ce qu’il faut retenir.
Disulfirame
Acamprosate
Naltrexone
Nalméfène
GHB
Topiramate
Baclofène
Réduction
de la
consommation
Non
Non
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Niveau
de
preuve
Autorisation
de mise sur le
marché en France
4C
1A
Non
Oui
1A
4C
Non
Non, RTU
Maintien
de
l’abstinence
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Niveau
de
preuve
1A
1A
1A
Autorisation
de mise sur le
marché en France
Oui
Oui
Oui
1B
1A
4C
Non, ATU-N
Non
Non, RTU
Utilisable en
cas
de cirrhose
Non
Oui
Non
Non
A priori oui
Non
Oui
Utilisable en
cas de cirrhose
décompensée
Non
A priori oui
Non
Non
A priori oui
Non
Oui
ATU-N : autorisation temporaire d’utilisation nominative ; GHB : acide γ-hydroxybutyrate ; RTU : recommandation temporaire d’utilisation.
D
e nouvelles stratégies médicamenteuses
en alcoologie ont été testées au cours des
dernières années, en association avec la prise
en charge non médicamenteuse, qui doit rester
globale et pluridisciplinaire. Il est désormais recommandé que les objectifs de traitement prennent en
compte la préférences du patient (1) : abstinence
totale ou réduction de la consommation. La prise
en charge initiale doit comporter la recherche d’un
“mésusage de l’alcool” (terme désormais consacré).
Par définition, le mésusage de l’alcool comprend
l’usage à risque (consommation de plus de 21 verres
par semaine, pour les hommes, ou de plus de
14 verres par semaine, pour les femmes ; plus de
4 verres par occasion de boire) et les troubles liés
à l’usage de l’alcool (qui correspondent aux formes
symptomatiques de l’usage d’alcool avec un certain
nombre de conséquences sociales ou médicales
actuelles sur la vie d’un sujet), qui comprennent
eux-mêmes l’usage nocif et la dépendance.
Les stratégies pharmacologiques visent essentiellement 2 types d’objectifs : la réduction de la consommation (pour les patients non désireux d’atteindre
le sevrage complet) et le maintien de l’abstinence
chez des patients ayant totalement interrompu la
consommation d’alcool (par exemple, après une
cure de sevrage).
Les molécules “anciennes” suivantes ont fait la
preuve de leur efficacité (1) : disulfirame, inhibiteur de l’aldéhyde déshydrogénase, utilisé pour son
effet Antabuse), acamprosate (agoniste GABA-A et
antagoniste glutamatergique, ayant l’autorisation
de mise sur le marché [AMM] dans le maintien de
l’abstinence), naltrexone (antagoniste des récep-
teurs opiacés µ, ayant l’AMM dans le maintien de
l’abstinence et pouvant être utile dans la réduction
de la consommation, hors AMM).
Les “nouvelles” molécules comprennent essentiellement le nalméfène, le baclofène, l’acide γ-hydroxybutyrate (GHB) et le topiramate. D’autres molécules
ont été testées, mais avec un niveau de preuve faible
(métadoxine, ondansétron, varénicline) et ne seront
pas abordées ici.
Le nalméfène est un antagoniste des récepteurs
opiacés µ et δ et un agoniste partiel κ. Il est plus
efficace que le placebo dans la réduction de la
consommation selon les études ESENSE (1). Il se
prend à la demande, sans dépasser 1 comprimé par
jour (18 mg).
Le baclofène est une molécule qui a fait couler beaucoup d’encre, en particulier parce que la preuve de
son efficacité a longtemps reposé sur des études de
faible qualité méthodologique. C’est un agoniste
GABA-B. Le baclofène a été évalué à des doses très
variables. Les essais randomisés l’ont surtout testé à
faible dose, de l’ordre de 30 à 60 mg/j, dans le maintien de l’abstinence, où il semble plus efficace que le
placebo ; mais les conclusions des différents essais
divergent (1, 2). Il a été évalué chez les patients présentant une cirrhose, y compris décompensée, avec
des résultats positifs (3). Dans ce cadre, la prise de
baclofène est associée à une amélioration nette du
bilan et de la fonction hépatiques (3). Un essai randomisé a montré sa supériorité, à forte dose (jusqu’à
270 mg/j), sur le placebo (4), avec une bonne tolérance, mais une autre étude (5) n’a pas confirmé
ces résultats, et la tolérance était mauvaise, avec de
nombreux effets indésirables (asthénie, somnolence,
* Service des maladies de l’appareil
digestif, hôpital Claude-Huriez, Lille.
La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 153
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Questions
non résolues
»» Le baclofène peut être
utilisé dans la cirrhose
décompensée. Qu’en
est-il des autres molécules ?
»» Quelle est la dose optimale de baclofène ?
»» Les combinaisons
thérapeutiques sont-elles
utiles ?
Hépatologie
sécheresse buccale, etc.). Toujours à forte dose, des
études observationnelles non contrôlées, publiées
ou non, l’ont également testé et ont obtenu des
résultats encourageants en termes de réduction de
la consommation et de maintien de l’abstinence (2).
Les études françaises ALPADIR et BACLOVILLE ont
été conduites pour conforter l’utilisation du baclofène, notamment à forte dose ; mais leurs résultats
ne sont disponibles que sous forme de résumé
(conclusion négative pour ALPADIR, positive pour
BACLOVILLE, sfalcoologie.asso.fr). La place du
baclofène est donc mal définie, mais il dispose d’une
recommandation temporaire d’utilisation (RTU)
en France depuis 2014.
Le GHB (acide gamma-hydroxybutyrate ou oxybate
de sodium) est un médicament gabaergique qui est
prescrit à la dose de 50 mg/kg/j pour le maintien
de l’abstinence. Cette molécule a été évaluée dans
13 essais randomisés et s’avère plus efficace que
le placebo, le disulfirame ou la naltrexone pour le
maintien de l’abstinence et la réduction du craving
après sevrage (1, 2). Il semble qu’elle puisse être
proposée aux patients atteints de cirrhose. Elle est
bien tolérée, mais pourrait être associée à un risque
de mésusage, surtout chez les polyconsommateurs.
Pour l’heure, elle n’a pas d’AMM en France, mais
bénéficie d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative.
Le topiramate est un modulateur du GABA et du glutamate. Il s’avère plus efficace que le placebo dans
2 essais randomisés (2) pour la réduction de la consommation et le maintien de l’abstinence. Le niveau de
preuve pour son utilisation est donc bon, mais il n’a
pas d’AMM en France dans ces 2 indications. ■
Références bibliographiques
1. Société française d’alcoologie. Mésusage de l’alcool :
dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de
bonne pratique. Alcoologie et addictologie 2015;37(1):5-84.
2. Addolorato G, Mirijello A, Barrio P, Gual A. Treatment of
alcohol use disorders in patients with alcoholic liver disease.
J Hepatol 2016;65(3):618-30.
3. Addolorato G, Leggio L, Ferrulli A et al. Effectiveness
and safety of baclofen for maintenance of alcohol abstinence in alcohol-dependent patients with liver cirrhosis:
randomised, double-blind controlled study. Lancet
2007;370(9603):1915-22.
4. Muller CA, Geisel O, Pelz P et al. High-dose baclofen for
the treatment of alcohol dependence (BACLAD study): a
randomized, placebo-controlled trial. Eur Neuropsychopharmacol 2015;25(8):1167-77.
5. Beraha EM, Salemink E, Goudriaan AE et al. Efficacy
and safety of high-dose baclofen for the treatment of
alcohol dependence: A multicentre, randomised, doubleblind controlled trial. Eur Neuropsychopharmacol
2016;26(12):1950-9.
L’acide obéticholique : prise en charge
de la cholangite biliaire primitive
urso-résistante en 2017
Philippe Sogni*
Niveau
de preuve
L
1
a cholangite biliaire primitive (CBP), auparavant appelée cirrhose biliaire primitive, est une
maladie chronique cholestatique auto-immune
du foie, caractérisée par une atteinte inflammatoire
et destructrice des petits canaux biliaires interlobulaires. Après exclusion des autres causes de chole­
stase chronique, le diagnostic se fait par l’association
de 2 des 3 critères suivants (1) :
➤➤ l’augmentation chronique des phosphatases
alcalines supérieure à 1,5 fois la limite supérieure
de la normale (× LSN) ;
154 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
➤➤ la positivité des anticorps anti-mitochondries
de type 2 ;
➤➤ les caractéristiques histologiques évocatrices à
la biopsie du foie.
Dans un grand nombre de cas, il est donc possible de
se passer de biopsie du foie pour faire le diagnostic
positif (1).
* Service d’hépatologie, hôpital Cochin (AP-HP), université Paris-­
Descartes et INSERM U-1223, institut Pasteur, Paris.
Hépatologie
Efficacité et limites
du traitement par acide
ursodésoxycholique (AUDC)
L’AUDC a montré son efficacité en augmentant
la survie sans transplantation et en obtenant une
survie se rapprochant de la population générale chez
les patients traités ayant initialement une fibrose
minime ou modérée (1). Une réponse insuffisante
de ces patients avec une maladie peu évoluée initialement peut être définie à 12 mois de traitement
par AUDC, par les critères de Paris II (2) :
➤➤ phosphatases alcalines supérieures ou égales
à 1,5 × LSN ;
➤➤ ou ASAT supérieures ou égales à 1,5 × LSN ;
➤➤ ou bilirubinémie totale supérieure à 17 μmol/l.
On estime que 25 à 40 % ont une réponse insuffisante à l’AUDC, quelle qu’en soit la cause (1).
Dans une étude observationnelle récente, plus des
trois quarts des patients atteints de CBP et pris en
charge par des hépato-gastroentérologues français,
atteignaient ces critères d’efficacité à 1 an (3).
Efficacité d’un traitement
par l’acide obéticholique (OCA)
Chez les patients n’atteignant pas ces critères d’efficacité biochimique, prenant la bonne dose d’AUDC
(13 à 15 mg/kg/j) et ayant une bonne observance,
seul l’OCA a démontré son efficacité dans 2 études
randomisées publiées en articles complets (4, 5) et
a obtenu récemment son AMM en France.
L’OCA, dérivé de l’acide chénodésoxycholique, est
un agoniste du récepteur X farnésoïde (FXR) qui,
en tant que cible des acides biliaires, intervient en
diminuant la synthèse des acides biliaires (1). De
manière plus générale, il a un rôle de diminution
de l’inflammation au niveau hépatique, intestinal
et cérébrale (1). L’AUDC n’ayant pas d’action sur le
FXR, il existe une justification physiopathologique
d’associer AUDC et OCA.
Une première étude randomisée (4) incluant
165 patients atteints de CBP a comparé 3 doses
d’OCA (10, 25 et 50 mg/j) au placebo (randomisation 1:1:1:1) sur l’amélioration du taux de phosphatases alcalines à J85 par rapport au J0. Les 3 doses
d’OCA étaient supérieures au placebo. De même,
il existait une amélioration significativement plus
importante des gamma-GT et des ASAT sous traitement comparé au placebo. Un sous-groupe de
patients était traité en ouvert sur une période de
12 mois avec le maintien de la réponse biochimique.
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Ce qu’il faut retenir
Plus de trois quarts des patients atteints de cholangite biliaire primitive
ont une réponse biochimique satisfaisante 1 an après le début de l’acide
ursodésoxycholique (AUDC).
Chez les patients qui ne répondent pas au traitement par AUDC, il faut
vérifier que l’observance est bonne et la dose prescrite adéquate (13 à
15 mg/kg/j).
L’acide obéticholique a reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
chez les patients ayant une réponse biochimique insuffisante à l’AUDC
et permet d’obtenir, associé à la poursuite de l’AUDC dans la majorité
des cas, une réponse satisfaisante à 1 an dans environ la moitié des cas.
L’augmentation progressive de la dose d’acide obéticholique (5 mg/j
pendant 6 mois puis 10 mg/j) permet de réduire le risque de prurit, qui
est le principal effet indésirable de ce traitement.
En revanche, le taux de prurit était plus élevé dans les
groupes 25 et 50 mg que dans les groupes placebo
et 10 mg. De même, l’intensité du prurit, quand il
existait, était plus marquée dans les 3 groupes de
traitement qu’avec le placebo.
Prenant en compte ces données d’efficacité et
de tolérance, la deuxième étude randomisée (5)
a comparé l’effet de 3 groupes (randomisation
1:1:1 – placebo versus OCA 5 mg/j puis, si possible,
10 mg/j versus OCA 10 mg/j) sur un critère composite à 12 mois associant un taux de phosphatases
alcalines de moins de 1,67 la limite supérieure de
la normale avec une réduction d’au moins 15 % par
rapport au taux initial et un taux de bilirubinémie
totale inférieur à la LSN. Les 2 groupes de traitement étaient plus efficaces que le placebo sur ce
critère de jugement principal (figure). La plupart
des patients continuaient l’AUDC et environ 20 %
avaient une cirrhose compensée à l’inclusion sur
des critères d’élasticité. En revanche, le prurit
était plus fréquent dans les groupes OCA que
dans le groupe placebo. Cependant, ce prurit était
moins fréquent et moins intense dans le groupe
5-10 mg/j que dans le groupe 10 mg/j.
En pratique, en cas de CBP avec une réponse biochimique incomplète à l’AUDC, il est d’abord recommandé de vérifier que l’observance est bonne et que
la dose est adéquate (13 à 15 mg/kg/j). Ensuite,
l’OCA peut être associé à l’AUDC à la dose de 5 mg/j
en une prise pendant 6 mois puis à 10 mg/j si la
tolérance le permet. Le but est d’avoir une réponse
biochimique à 1 an de traitement. En cas de cirrhose Child-Pugh B ou C, la dose doit être diminuée.
La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 155
EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Chez ces patients avec une réponse incomplète à
l’AUDC, une alternative pourrait être un traitement
par bezafibrate comme le suggère les résultats préliminaires d’une étude randomisée (6).
■
»» Quelle est l’efficacité de l’acide obéticholique
chez les patients les plus graves ?
»» Quelle est l’efficacité de l’acide obéticholique
à plus long terme ?
(%)
100
»» Les critères biochimiques utilisés sont-ils
pertinents pour le pronostic à long terme
des patients traités par acide obéticholique ?
80
60
»» Quelle est la place respective de l’acide
obéticholique et du bézafibrate dans la CBP
avec réponse incomplète à l’AUDC ?
40
20
0
Questions
non résolues
7/73
33/71
34/73
Placebo
OCA 5-10 mg/j
OCA 10 mg/j
Figure. Efficacité biochimique à 1 an du placebo ou
de l’acide obéticholique (OCA) dans la cholangite
biliaire primitive avec réponse biochimique insuffisante à l’acide ursodésoxycholique.
Références bibliographiques
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for primary biliary cholangitis. Liver Int 2017;37(4):490-9.
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de la cirrhose biliaire primitive : résultats de l’observa-
5. Nevens F, Andreone P, Mazzella G et al. A place-
156 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017
bo-controlled trial of obeticholic acid in primary biliary
cholangitis. N Engl J Med 2016;375(7):631-43.
6. Corpechot C, Chazouillères O, Rousseau A et al. A 2-year
multicenter, double-blind, randomized, placebocontrolled
study of bezafibrate for the treatment of primary biliary
cholangitis in patients with inadequate biochemical response to ursodeoxycholic acid therapy (Bezurso). J Hepatol
2017;66:S89.
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