La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXXI - n° 2 - mars-avril 2016 | 51
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ÉDITORIAL
Les deux faces de la télémédecine
Both sides of the telemedicine
Comme Janus, la télémédecine a deux faces : l’une tournée vers
lepassé, l’autre tournée vers l’avenir. Vers le passé : le renforcement
de l’emprise des soignants et du système de santé sur le malade.
Versl’avenir : l’accroissement de l’autonomie du patient.
Téléconseils et jeux vidéo, plus ou moins repeints aux couleurs
delaSanté, correspondent certes à des innovations, mais ils ne constituent
en rien une révolution. Utiles et/ou ludiques, pour les unsetpas
pourlesautres. Leur limite commune est le temps.
La vraie révolution est la télémédecine qui vise à améliorer la performance
des soignants et des patients. Côté soignants, le robot supprimera
lestremblements de la main du chirurgien qui abandonnera le bistouri pour
la souris, comme le cardiologue a remplacé le stétho scope par l’échographie.
On pourra donc diagnostiquer, opérer et prescrire à distance, sans avoir
àpalper et à ausculter, et parfois sans même avoir à interroger et à écouter.
Côté patients, la télémédecine permettra d’améliorer à la fois la performance
et l’observance des “patients experts” connectés sachant où ils veulent
aller et comment y aller. Juste retour des choses, les patients objectiveront
lessoignants en les transformant en prestataires, devenus experts en
modes d’emploi. Comme le prophétisait l’économiste ClaudeLePen:
“Danslamédecine industrielle de demain, le chiffre absorbera lequalitatif,
nul ne sera médecin, s’il n’est géomètre.” Funeste augure !
Hélas, ou plutôt heureusement, cette révolution technologique
n’échappe pas à l’ambivalence du progrès. Elle peut libérer le patient
descontraintes du traitement et de la dépendance aux soignants. Mais
elle peut aussi accroître sa dépendance s’il doit mesurer sans comprendre
et/ou sans agir et/ou agir sans décider lui-même de l’action. C’est-à-dire si
l’outil numérique ne prend pas place au sein d’une éducation thérapeutique
du patient, mais prétend s’y substituer. La surveillance informatique
pourrait même le placer directement sous le contrôle de l’assureur.
Lamesureen continu de la glycémie et de sa cinétique permet au patient
éduqué de prendre la bonne décision au bon moment, mais elle peut
aussi entretenir une angoisse obsessionnelle poussant le patient à mesurer
sa glycémie toutes les minutes, transformant ainsi son cerveau affolé
en celluleB pancréatique. Elle peut aussi le placer sous la dépendance
infantilisante d’une e-infirmière le “coachant” par SMS. Ellepeut encore
servir de mouchard, dénonçant son laxisme à son médecin ouà son
assureur quiluiproposera d’adhé rer à un système de bonus/malus,
pour“l’aideràsemotiver”. Pire que l’esclavage, “l’esclavage volontaire” !
Pr André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital
de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
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