Les deux faces de la télémédecine Both sides of the telemedicine

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Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 01-02 - janvier - juin 2016
Actualités en Médecine Physique
et de Réadaptation
ÉDITORIAL
Les deux faces
de la télémédecine
Both sides of the telemedicine
Comme Janus, la télémédecine a deux faces : l’une tournée vers le passé, l’autre
tournée vers l’avenir. Vers le passé : le renforcement de l’emprise des soignants
et du système de santé sur le malade. Vers l’avenir : l’accroissement de l’auto-
nomie du patient.
Téléconseils et jeux vidéo, plus ou moins repeints aux couleurs de la Santé,
correspondent certes à des innovations, mais ils ne constituent en rien une
révolution. Utiles et/ou ludiques, pour les uns et pas pour les autres. Leur limite
commune est le temps.
La vraie révolution est la télémédecine qui vise à améliorer la performance des
soignants et des patients. Côté soignants, le robot supprimera les tremblements
de la main du chirurgien qui abandonnera le bistouri pour la souris, comme
le cardiologue a remplacé le stétho scope par l’échographie. On pourra donc
diagnostiquer, opérer et prescrire à distance, sans avoir à palper et à ausculter,
et parfois sans même avoir à interroger et à écouter. Côté patients, la télé-
médecine permettra d’améliorer à la fois la performance et l’observance
des “patients-experts” connectés sachant où ils veulent aller et comment
yaller. Juste retour des choses, les patients objectiveront les soignants en les
transformant en prestataires, devenus experts en modes d’emploi. Comme
le pro phétisait l’économiste Claude Le Pen: “Dans la médecine industrielle
de demain, le chiffre absorbera le qualitatif, nul ne sera médecin, s’il n’est
géomètre.” Funeste augure !
Hélas, ou plutôt heureusement, cette révolution technologique n’échappe pas
à l’ambivalence du progrès. Elle peut libérer le patient des contraintes du
traitement et de la dépendance aux soignants. Mais elle peut aussi accroître
sa dépendance s’il doit mesurer sans comprendre et/ou sans agir et/ou agir
sans décider lui-même de l’action. C’est-à-dire si l’outil numérique ne prend
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pas place au sein d’une éducation thérapeutique du patient, mais prétend
s’y substituer. La surveillance informatique pourrait même le placer direc-
tement sous le contrôle de l’assureur. Lamesureen continu de la glycémie
et de sa cinétique permet au patient éduqué de prendre la bonne décision au
bon moment, mais elle peut aussi entretenir une angoisse obsessionnelle
poussant le patient à mesurer sa glycémie toutes les minutes, transformant
ainsi son cerveau affolé en cellule B pancréatique. Elle peut aussi le placer
sous la dépendance infantilisante d’une e-infirmière le “coachant” par SMS.
Elle peut encore servir de mouchard, dénonçant son laxisme à son médecin
ou à son assureur qui lui proposera d’adhé rer à un système de bonus/malus,
pour “l’aider à se motiver”. Pire que l’esclavage, “l’esclavage volontaire” !
Il serait par ailleurs naïf de croire que les outils numériques dits “conviviaux”
permettront d’alléger le travail de deuil que doit faire tout patient atteint de
maladie chronique. On aura beau lui expliquer qu’il n’est plus seul puisque
désormais il est connecté, il devra toujours accepter la double rupture
imposée par l’annonce du diagnostic : “Ce ne sera jamais plus comme avant”
et “ Désormais vous serez différent des autres.” Bien sûr, la souffrance varie
d’une personne à l’autre selon la gravité de la maladie, douloureuse ou non,
handi capante ou non, visible ou non, et selon l’importance des contraintes
du traitement, mais aussi en fonction du style de personnalité de chacun, de
ses expériences de la vie déterminant une plus ou moins grande “aptitude au
deuil” et de la qualité du soutien social perçu. C’est la difficulté de ce “travail
d’acceptation” qui explique que l’observance reste aussi médiocre même quand
il s’agit d’une observance consentie “en pleine conscience”. Et l’impossibilité de
faire leur deuil conduit certains patients à se rendre “malades d’être malades”
en recourant au déni, à la dénégation, au clivage, à la pensée magique… Pour
guérir de cette “seconde maladie”, il faut associer l’action et la parole. Il faut
l’aide d’un éducateur et d’un tuteur de résilience, par exemple d’un vrai médecin.
Pr André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
© Correspondances
enMétabolismes Hormones
Diabètes et Nutrition 2016;
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