C’est dire si pour la plupart des patients, être admis dans
un service comme le mien représente toujours un pro-
fond facteur d’angoisse.
Il en va de même pour leur propre entourage familial.
Une inquiétude légitimement augmentée, par exemple,
lors d’admissions faisant suite à une rechute et où les
pronostics, pour ce type de pathologies exagérément
agressives ci-dessus indiquées, sont ordinairement
sombres, d’autant plus que, majoritairement, les lourds
traitements administrés se trouvent, dans la plupart des
cas, faiblement codifiés car fréquemment assujettis à des
améliorations incertaines.
Lorsque ces admissions surviennent et au détour des
entretiens infirmiers qui s’en suivent, il m’arrive encore,
hier comme aujourd’hui, de questionner les familles, sur
ce qu’à leurs yeux représente le service dans lequel leurs
proches sont admis.
À une très grande majorité ces « publics » expriment que
l’entrée de l’un de leurs êtres chers, dans le service onco-
logique de l’hôpital les expose, à la notion de : « gra-
vité ». La menace pour la vie des patients s’agrège ainsi
au besoin de vigilance, d’écoute et de protection de tous
les instants pour les familles.
L’hôpital en général et les services spécialisés comme
nos unités d’oncologie en particulier, confrontent le
patient au risque irrévocable de sa propre mort — que
le risque soit réel ou non — et conjugue, par extension,
leurs familles, à la douloureuse pensée, de la vie après
la perte de l’être cher. À sa disparition… Au deuil…
Dès l’admission, surtout si elle présage des soins théra-
peutiques plus ou moins longs et lourds, un ineffable
« réflexe » paraît alors se mettre en mouvement pour le
patient, comme pour ses proches.
C’est dans ces instants-là que, distinctement, l’environ-
nement de l’hôpital se révèle alors à leurs yeux, comme
un environnement fréquemment étrange. Hostile, tou-
jours.
Là où les blouses blanches s’affairent, là où les odeurs,
les bruits ou encore les silences – tous « silences » —
s’installent, cela concourt à la création d’une atmosphère
anxiogène.
Un univers composé de frayeurs, d’angoisses, d’inquié-
tudes car peuplé de « mauvais pressentiments » autant
que de prémonitions funestes.
Apeurés, patients et familles subissent ordinairement ce
monde à part, sans pudeur, ou tout est mis à nu… au
propre comme au figuré.
Ils endurent avec passivité cet environnement périlleux
et ils le ressentent régulièrement comme extrêmement
« inamical », inconnu, menaçant, complexe.
À Gustave-Roussy, dans ce plus vaste centre européen
de lutte contre le cancer, nombreux sont les « publics »,
qui perçoivent inlassablement ces lieux hantés par la
menace. Une menace dont ils ne savent pas toujours
décrire les pourtours.
Bien étonnant paradoxe que la dilatation de ces senti-
ments de peur, d’inconfort et « d’effraction », qui se pro-
duisent là où en principe, l’on est admis à des fins thé-
rapeutiques, afin d’être soigné et, lorsque cela est
possible, guéri.
Un ressenti qui n’est pas uniquement prodigué ici par
la seule « atmosphère » ambiante des lieux.
Lors de mes stages de 3eannée, notamment dans des
services « sensibles » tels que la chirurgie, les urgences,
la réanimation ou encore en traumatologie, ou chez les
grands brûlés, j’étais fréquemment l’impuissant témoin
d’équipes soignantes ordinairement débordées, fréné-
tiques car anormalement organisées, ou encore, faible-
ment disponibles car en sous-effectifs.
Une mixité étonnante de facteurs improductifs qui contri-
buaient encore plus à l’efflorescence de cette percep-
tion négative de la « brutalité » des lieux.
J’ai pu alors remarquer que pour la famille, la phase
aiguë de la maladie de leur être cher est un temps ordi-
nairement vécu dans l’incertitude par rapport au moment
de latence de l’affection. Un moment où tout paraît sus-
pendu dans l’attente que le diagnostic du patient soit
posé.
Ce temps, aussi furtif que menaçant, participe à la créa-
tion « d’interstices temporels » dans lesquels viennent
alors se greffer, pour les familles, l’angoisse d’être aban-
données, d’être laissées seules et en tête-à-tête avec leurs
peurs, leurs ignorances, leurs craintes, leurs angoisses…
Pour le soignant, prendre alors en ces instants précis
plus efficacement en charge la famille, dans ces moments
« où tout se joue », peut contribuer à apaiser les peurs.
Cela peut concourir à mieux mettre en œuvre, par l’ex-
plication « de ce qui se passe », une représentation plus
claire, plus distincte et plus humaine, du pronostic du
malade et des traitements qui en découleront.
Il s’agit ainsi pour le soignant de dispenser à la famille,
en même temps que les soins qu’il prodigue au patient,
une prise en charge spécifique et qui serait essentielle-
ment composée d’écoute, d’éclaircissements et de sol-
licitude.
Apaiser, soulager, mettre en confiance la famille cela
Expériences infirmières
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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.14-n°3-4 2014
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