
Etudes de syntaxe : français parlé, français hors de France, créoles 
Actes du colloque franco-allemand, Paris X, le 19 octobre 2007 
 
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que tout marquage évidentiel est interprété comme une restriction de l’évidence réelle de la phrase. 
C’est  aussi  le  cas  de  mots  qui  par  leur  signification  lexicale  signifieraient  le  plus  haut  degré 
d’évidence.  
 
 
III. Le verbe modal devoir 
 
Ces  dernières  années,  on  a  essayé  d’utiliser  le  concept  d‘évidentialité  pour  expliquer  des 
phénomènes décrits jusqu'ici de façon peu satisfaisante dans les langues romanes. Dans les travaux 
de Patrick Dendale sur le verbe modal devoir, c’est une nécessité théorique qui entraîne la distinction 
entre évidentialité et modalité. Dendale (1994) a étudié les valeurs modales de devoir qui présentent 
une  large  variété  d’emplois  difficilement  concevable  en  terme  de  modalité.  Ce  qui  est  commun  à 
toutes les occurrences de devoir, c’est l’expression d’un choix entre plusieurs inférences possibles à 
partir d’un  fait donné.  La  propriété évidentielle  de  devoir  consisterait  à choisir  une des  conclusions 
possibles et à la marquer comme celle qui est probable. Il résume, pour ainsi dire, toute une suite de 
procédés cognitifs réalisés par le locuteur, mais qui ne s’exprime pas en surface. Devoir ne marque 
pas  principalement  une  qualité  épistémique  de  l’information  donnée,  mais  il  caractérise  l’opération 
même  qui  crée  l’information.  C’est  donc  une  qualité  autoréférentielle  du  langage  qui  produit  la 
distinction entre modalité et évidentialité.  
Dans  une  description  structurelle,  devoir,  en  tant  que  marqueur  évidentiel,  se  décrit  par  plusieurs 
oppositions. Tout d’abord, il s’oppose à l’énoncé non-évidentiel qui présente l’information que Caroline 
est malade comme fait „évident“ au sens strict (36a):  
(36a) Caroline n’est pas au travail aujourd’hui. Elle est malade.  
(36b) Caroline n’est pas au travail aujourd’hui. Elle doit être malade. 
En tant  que marqueur d’un processus créateur d’information, devoir s’oppose  à d’autres marqueurs 
d’évidentialité, comme le conditionnel épistémique dans (37b) qui indique un discours ou une réflexion 
intérieure  rapporté  dans  un  récit,  et  la  phrase  subordonnée  dans  (37c)  qui  explique  une  vérité 
généralement connue.  
(37a) Tiens on sonne à la porte. Ça doit être le facteur.  
(37b) Tiens on sonne à la porte. Ce serait le facteur. 
(37c) Si on sonne à la porte à midi, c’est le facteur. 
Dans l’énoncé (38a), le futur antérieur du verbe, grâce à sa valeur inactuelle, permet de comprendre 
l’énonciation comme une supposition, tandis que devoir souligne, dans la périphrase verbale de (38b), 
la création d’une information. Il marque le choix entre plusieurs possibilités qui pourraient expliquer le 
comportement d’une personne:  
(38a) Il l’aura fait par pitié. 
(38b) Il doit l’avoir fait par pitié. 
La valeur évidentielle de devoir s’oppose à l‘expression de la perception concrète d’une chose par le 
locuteur même qui rend superflue toute référence aux sources de son savoir. C’est pourquoi une suite 
d‘énoncés comme (39) serait difficilement acceptable: 
(39) Ça doit être ma mère. 
?
*Je l’avais immédiatement vue et reconnue. 
L’instabilité des valeurs modales de devoir, qui s’étend de la nécessité à l’incertitude, conduit donc à 
la conclusion que son noyau fonctionnel est l’indication de l’évidentialité (Dendale 1994, 37). Le point 
de  départ  de  l’introduction  du  concept  d’évidentialité  est  une  sorte  d’économie  de  la 
grammaticographie.  Une  multitude  de  fonctions  qui  tout  d’abord  ne  semble  être  qu’énumérable  se 
réduit à un principe commun. La définition du marqueur évidentiel donnée par Dendale / Tasmowski 
correspond à cette idée: « Dans ce contexte, un marqueur évidentiel est une expression langagière 
qui apparaît dans l'énoncé et qui indique si l’information transmise dans cet énoncé a été empruntée 
par le locuteur à autrui ou si elle a été créée par le locuteur lui-même, moyennant une inférence ou 
une perception » (Dendale/Tasmowski 1994: 5).  
Dans le corpus C-ORAL-ROM, on peut vérifier cette hypothèse sur la fonction évidentielle de devoir. 
Après avoir exclu les occurrences de doit où il désigne une obligation, nous avons relevé 70 énoncés 
dans lesquels la forme doit marque que  l’information est obtenue par  inférence. On pourrait ajouter 
aux exemples analysés ceux avec les autres formes de devoir. 
(40) une maman / euh # qui a accouché sous X / # et &euh / d’une petite fille / qui doit 
avoir à peu prés quatorze ans maintenant // # et elle essayait de faire changer les papiers
  [ffamcv10] 
(41) vous voulez pas prendre le plat du jour ou le menu où ça doit vous coûter dans les 
cent balles // # et puis vous so  [ffammn22] 
(42) qui c'est qui cite Winlox ? # on s'est dit / oh mais ça doit être Christophe / ça va // # 
ça va / c'est bon // #  [fpubdl14]