Modalité et évidentialité en français
Ma démarche s’inscrit dans le cadre d’une approche informée par les séman-
tiques formelles dynamiques. Bien que les représentations (formes logiques)
ici proposées soient statiques (au sens d’une sémantique montagovienne), je
suppose qu’elles devraient être in fine intégrées dans un formalisme représenta-
tionnaliste, de type sémantique dynamique (cf. Kempson 2011), pour les rendre
sensibles au contexte. D’autre part, j’admets (comme dans nombre d’approches
non-formelles de la pragmatique, par exemple les approches pertinentistes)
que cette forme logique peut se trouver modifiée par la pragmatique au tra-
vers d’une « logique d’inférence de sens commun » (common sense entailment
logic, cf. Asher & Lascarides 2003) effectuant les inférences nécessaires à l’in-
terprétation contextuelle d’un énoncé, et pouvant exploiter des connaissances
extra-linguistiques. J’admets, en outre, l’existence d’une strate spécifiquement
pragmatique et « légère » de conventionnalisation linguistique, ni explicable par
des processus pragmatiques libres, ni liée à des contraintes sur la forme linguis-
tique (morpho-syntaxe), et précédant typiquement une évolution sémantique
(Caudal & Roussarie 2006 ; Caudal 2012). Elle correspond à une approche en
termes de polysémie (cf. Saussure, ce volume) des relations entre une valeur
sémantique et des usages pragmatiques conventionnalisés.
2. INTERACTION ENTRE TEMPS, ASPECT ET MODALITÉ
2.1. Relations entre sens aspectuo-temporel et modalité en français
L’analyse du rôle des formes aspectuo-temporelles dans des énoncés à sens
modal contrefactuel/irréel
2
est certainement l’un des problèmes les plus ardus
du domaine du TAM (Temps, Aspect, Modalité). On songera bien sûr aux
emplois dits irrealis ou contrefactuels de l’imparfait, par exemple dans les
constructions comparatives contrefactuelles telles que (1), ou dans les structures
conditionnelles :
(1) Un mètre de plus / un peu plus, et le train déraillait.
Deux stratégies prédominent dans la littérature consacrée à de telles configura-
tions.
La première consiste à postuler que ces temps sont à la fois temporellement
et modalement sous-spécifiés, et ont un sens de base inactuel, i.e. « non-présent »
(alternant entre un sens futur/modal, et un sens passé/non-modal) ; cf. par
exemple le « toncal » de J. Damourette et É. Pichon (1911-1936) ou le « faux
passé » de S. Iatridou (2000). La seconde stratégie consiste non pas à donner de
l’ampleur à la voilure sémantique des temps, mais à la réduire pour les rendre
navigables dans les eaux de la modalité. Par exemple, dans le cas de l’imparfait,
2.
J’adopterai une théorie de la modalité recourant à des mondes possibles, à la Kratzer (1981). Le contrefactuel,
en tant que possibilité donnée comme accessible ou inaccessible au moment de l’énonciation, est ici pris comme
une catégorie de la modalité.
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“LF_173” (Col. : RevueLangueFrançaise) — 2012/3/11 — 0:29 — page 116 — #116
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