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Relations entre temps, aspect, modalité et évidentialité dans le système
du français
Patrick Caudal
Langue française / Volume 2012 / Issue 173 / May 2012, pp 115 - 129
DOI: 10.3917/lf.173.0115, Published online: 25 May 2012
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Patrick Caudal (2012). Relations entre temps, aspect, modalité et évidentialité dans le système du français. Langue
française, 2012, pp 115-129 doi:10.3917/lf.173.0115
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Patrick Caudal
CNRS & Université Paris-Diderot
Relations entre temps, aspect, modalité et
évidentialité dans le système du français
1. INTRODUCTION 1
La question centrale que j’entends aborder ici est celle du rôle du sens aspectuo-
temporel dans la construction des interprétations modales et évidentielles en
français. En particulier, j’étudierai de près les usages dits conjecturaux du futur
sujet fécond dans la littérature récente (cf. Bellahsène 2007 ; Morency 2010 ; Saus-
sure & Morency 2011) – m’efforçant de déterminer en quoi ils sont évidentiels
ou simplement modaux (on aura à l’esprit que les relations entre modalité et
évidentialité sont largement débattues, cf. McCready 2010 ; Faller 2011).
Je tenterai de montrer dans un premier temps (§ 2) que les catégories
aspectuo-temporelles jouent un rôle important dans la détermination des inter-
prétations modales en français – notamment parce que les contenus modaux sont
en fait des descriptions d’états (comparables à des verbes statifs) placées sous
la portée des marques de temps-aspect (en tant qu’elles expriment des « points
de vue aspectuels » (cf. Smith 1991) distincts de la contribution aspectuelle du
verbe et de sa complémentation hors flexion). Puis, dans un second temps (§ 3),
j’appliquerai les résultats obtenus au domaine de l’évidentialité, en me penchant
sur les usages dits conjecturaux du futur (simple et antérieur). Je proposerai
notamment que les usages épistémiques et évidentiels du futur ne diffèrent pas
sur le plan de la sémantique, mais de la pragmatique, et que les paramètres
aspectuo-temporels constituent l’un des facteurs pouvant les différencier.
1.
Je tiens à remercier Louis de Saussure pour ses objections et remarques, qui furent aussi nombreuses que
pertinentes.
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Ma démarche s’inscrit dans le cadre d’une approche informée par les séman-
tiques formelles dynamiques. Bien que les représentations (formes logiques)
ici proposées soient statiques (au sens d’une sémantique montagovienne), je
suppose qu’elles devraient être in fine intégrées dans un formalisme représenta-
tionnaliste, de type sémantique dynamique (cf. Kempson 2011), pour les rendre
sensibles au contexte. D’autre part, j’admets (comme dans nombre d’approches
non-formelles de la pragmatique, par exemple les approches pertinentistes)
que cette forme logique peut se trouver modifiée par la pragmatique au tra-
vers d’une « logique d’inférence de sens commun » (common sense entailment
logic, cf. Asher & Lascarides 2003) effectuant les inférences nécessaires à l’in-
terprétation contextuelle d’un énoncé, et pouvant exploiter des connaissances
extra-linguistiques. J’admets, en outre, l’existence d’une strate spécifiquement
pragmatique et « légère » de conventionnalisation linguistique, ni explicable par
des processus pragmatiques libres, ni liée à des contraintes sur la forme linguis-
tique (morpho-syntaxe), et précédant typiquement une évolution sémantique
(Caudal & Roussarie 2006 ; Caudal 2012). Elle correspond à une approche en
termes de polysémie (cf. Saussure, ce volume) des relations entre une valeur
sémantique et des usages pragmatiques conventionnalisés.
2. INTERACTION ENTRE TEMPS, ASPECT ET MODALITÉ
2.1. Relations entre sens aspectuo-temporel et modalité en français
L’analyse du rôle des formes aspectuo-temporelles dans des énoncés à sens
modal contrefactuel/irréel
2
est certainement l’un des problèmes les plus ardus
du domaine du TAM (Temps, Aspect, Modalité). On songera bien sûr aux
emplois dits irrealis ou contrefactuels de l’imparfait, par exemple dans les
constructions comparatives contrefactuelles telles que (1), ou dans les structures
conditionnelles :
(1) Un mètre de plus / un peu plus, et le train déraillait.
Deux stratégies prédominent dans la littérature consacrée à de telles configura-
tions.
La première consiste à postuler que ces temps sont à la fois temporellement
et modalement sous-spécifiés, et ont un sens de base inactuel, i.e. « non-présent »
(alternant entre un sens futur/modal, et un sens passé/non-modal) ; cf. par
exemple le « toncal » de J. Damourette et É. Pichon (1911-1936) ou le « faux
passé » de S. Iatridou (2000). La seconde stratégie consiste non pas à donner de
l’ampleur à la voilure sémantique des temps, mais à la réduire pour les rendre
navigables dans les eaux de la modalité. Par exemple, dans le cas de l’imparfait,
2.
J’adopterai une théorie de la modalité recourant à des mondes possibles, à la Kratzer (1981). Le contrefactuel,
en tant que possibilité donnée comme accessible ou inaccessible au moment de l’énonciation, est ici pris comme
une catégorie de la modalité.
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cette approche consisterait à brider ou évacuer le contenu soit temporel, soit
aspectuel de ce temps ; voir la notion d’« allocentrisme » de L. de Saussure (2010)
(qui exprime « un moment envisagé depuis un point de vue distinct du point de
vue déictique du locuteur » ; l’imparfait est alors aspectuellement imperfectif,
mais temporellement sous-spécifié), ou celle de « virtualité » de W. De Mulder et
F. Brisard (2007) (qui voit dans l’imparfait une forme modale plutôt qu’aspectuo-
temporelle). La responsabilité incombe alors à la pragmatique d’enrichir de façon
appropriée une sémantique réduite.
Toutefois, un nombre grandissant de travaux suggèrent au contraire que
les temps passés employés dans des énoncés contrefactuels (i) n’ont jamais de
valeur modale, et (ii) conservent leur plein sens aspectuo-temporel. Ces tra-
vaux considèrent que les configurations temps passé / interprétation modale
analogues à (1) associent un contenu aspectuo-temporel et un contenu modal dis-
tincts sémantiquement et morphologiquement (voire syntaxiquement), tels que
le premier porte sur le second, mais pas sur le contenu propositionnel lui-même
placé sous la portée du sens modal – on suppose au passage que les expres-
sions modales décrivent des événements statifs (de croyance ou de désir), que
les temps peuvent quantifier (ce point sera justifié infra). Schématiquement, on
aurait la portée sémantique donnée en (2), pour toutes les formes ou expressions
modales (y compris des structures comme les conditionnelles) marquées par
des temps (et associant un contenu temporel avec un « point de vue aspectuel »,
Smith 1991). Ce qui nous donne trois domaines sémantiques hiérarchisés en
termes de portée :
(2)
De nombreuses références récentes consacrées au français ont apporté des
éléments probants en faveur de (2)
3
, de A.-M. Berthonneau et G. Kleiber (2006)
à P. Caudal (2011). Il nous sera impossible de les détailler ici
4
, mais en très
bref, l’intérêt de l’approche à portée sémantique (2) est d’expliquer de façon
élégante et économique (car sans hypothèses supplémentaires)
5
toute une série
de données. Ainsi, (2) prédit (cf. Caudal 2011) que le marquage temporel du
verbe des protases de structures conditionnelles ne porte pas sur la proposition
exprimée par la protase, mais sur le contenu modal exprimé par la construction ;
ceci explique la possibilité d’insérer un modifieur futur (demain) dans une protase
3. Gosselin (2010) recourt à la même idée, mais sans la justifier.
4.
On trouvera chez Ippolito (2003), Mari (2011, 2012), Caudal (2011), entre autres, une multitude d’arguments
qui doivent amener à privilégier l’analyse à portée sémantique.
5. Il me semble relever du bon sens qu’une analyse qui doit sans cesse résoudre des conflits interprétatifs par
des enrichissements pragmatiques est moins économique qu’une analyse qui produit les interprétations idoines
sans devoir d’abord passer par la case « conflit », toutes choses étant égales par ailleurs, bien entendu.
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marquée au passé en (3) (Ippolito 2003), sans conflit sémantique. De même, le
fait que le temps porte sur le contenu modal de la structure conditionnelle et
non sur le contenu du verbe de la protase en (4a) explique le contraste aspectuel
avec (4b) (où le temps quantifie l’événement décrit par le verbe) : s’en allait en
(4a) décrit un événement vu (perfectivement) dans sa totalité, alors qu’il peut
décrire un événement en cours (imperfectif) en (4b). Et le contraste entre (4a) (où
l’événement décrit est perfectivement vu) et (5) (où il est vu imperfectivement)
ainsi que (6) fait sens si l’on considère que l’interprétation aspectuelle du contenu
propositionnel de la protase (sous la portée du modal, et donc hors de portée de
la flexion temporelle) est notamment déterminée par le type de procès du verbe
sous-jacent. Le domaine sémantique [3] en (2) est une zone de neutralisation de
l’aspect grammatical, se comportant exactement comme les propositions à temps
sous-spécifié, ou sans marquage aspectuo-temporel ; cf. J. Tonhauser (2011) 6.
(3) Si Yannig avait passé son examen de breton demain, il l’aurait réussi.
(4) a. Si Yannig s’en allait, on le saurait.
b. Yannig s’en allait.
(5) Si Yannig était en train mourir, on le saurait.
(6) Si Yannig était malade, on le saurait.
2.2. Effets interprétatifs du temps et de l’aspect avec les verbes de
modalité
Les effets interprétatifs des temps avec les verbes devoir et pouvoir offrent
un autre ensemble important d’observations en faveur de l’analyse à portée
(cf. Homer 2010 ; Mari 2012), en particulier les lectures dites « d’implication
d’actualité » (actuality entailment, Bhatt 1999) (IA dorénavant). Lorsque devoir et
pouvoir sont employés au passé simple (PS) ou au passé composé (PC) dans un
contexte perfectif
7
, ils sont capables d’une interprétation qui relève de l’avéré,
et non plus de l’irréel : cf. le sens de réussir à V assigné à pouvoir V au PC+PS
en (7a), et celui d’avoir/être V
participe passé
sous la contrainte assigné à devoir V au
PC+PS en (7b), qui contrastent respectivement avec (8a) et (8b) :
(7) a. Jean put+a pu s’enfuir.
b. Jean dut+a dû s’enfuir.
(8) a. Jean pouvait s’enfuir.
b. Jean devait s’enfuir.
6.
Très précisément, une Aktionsart atélique dans un domaine aspectuellement neutre favorise une interprétation
aspectuelle de type imperfective (cf. être malade en (6)) ; une Aktionsart télique y favorise une interprétation
perfective (cf. s’en aller en (4a)).
7.
Comme un relecteur l’a observé, ces lectures sont bien entendu plus nettes avec le PS qu’avec le PC, car
le PC est aspectuellement ambivalent – il s’agit d’un temps à la fois passé et présent, et à la fois associé à
un point de vue perfectif et résultatif (i.e. décrivant les conséquences présentes d’un événement passé). Voir
Caudal & Roussarie (2006). On se concentrera ici sur le composant perfectif du PC.
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