Démence de type Alzheimer et démence vasculaire mixte

La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Février 2000 • 7
Le diagnostic de démence de type
Alzheimer et de démence vascu-
laire mixte (ci-après appelée « démence
mixte ») est probablement plus fréquent
qu’on l’a cru jusqu’à maintenant. En
général, le diagnostic est fondé sur
l’examen radiologique, mais il peut
également être fondé sur les résultats de
l’examen clinique. Le traitement com-
porte deux volets : la maîtrise judi-
cieuse des facteurs de risque vasculaire
et un traitement spécifique de la ma-
ladie d’Alzheimer (MA).
Évolution des opinions sur la
démence mixte
« Rien de neuf sous le soleil ». Cet
adage s’applique tout autant à la
médecine qu’aux autres entreprises
humaines. Des recherches récentes ont
de nouveau mis en lumière la relation
entre les facteurs de risque vasculaire
et la démence, et ces résultats scien-
tifiques pourraient avoir les répercus-
sions les plus profondes et en même
temps des conséquences immédiates
pour nos patients. Cette relation n’est
pas limitée seulement à la démence
par infarctus multiples (DIM); elle
inclut toutes les causes du syndrome
de démence, y compris la MA.
Cette redécouverte en dit long sur la
conceptualisation récente de la
démence. Aussi tard qu’à la fin des
années 1970, les opinions sur la
démence tardive étaient plutôt contra-
dictoires. D’une part, on percevait la
démence comme une forme de sénilité
(un synonyme de « vieillissement ») et
donc comme une conséquence normale
du vieillissement. On croyait, d’autre
part, que la démence était causée par le
durcissement des artères. Bien que
l’artériosclérose ait été reconnue
comme une entité pathologique, la
démence et l’artériosclérose étaient
parfois considérées comme un seul et
même trouble survenant chez les per-
sonnes très âgées. Dans nos efforts en-
thousiastes pour faire reconnaître la
MA comme une entité pathologique
distincte, exigeant une approche dia-
gnostique systématique, nous avons
« jeté le bébé (les facteurs de risque vas-
culaire) avec l’eau du bain (la sénilité) ».
Divers types de recherches mettent
de nouveau en évidence une relation
entre les facteurs de risque vasculaire et
la MA. Dans un article de synthèse,1,2 les
auteurs d’études épidémiologiques ont
montré que l’hypertension est un facteur
de risque de déficit cognitif tardif, y
compris la MA, sans égard à leur étiolo-
gie. Chez les personnes atteintes de la
MA, les déficits cognitifs sont plus
graves en présence d’une athérosclérose
cérébrale.3D’autres études ont égale-
ment montré que d’autres facteurs de
Démence de type Alzheimer
et démence vasculaire mixte
Le diagnostic de démence de type Alzheimer et de démence vasculaire
mixte est probablement plus fréquent qu’on l’a cru jusqu’à maintenant.
En général, le diagnostic est fondé sur l’examen radiologique, mais il
peut également être fondé sur les résultats de l’examen clinique.
par Kenneth J. Rockwood,M.D., FRCPC
Le DrRockwood est professeur
agrégé à l’Université Dalhousie et
gériatre au Queen Elizabeth II
Health Sciences Centre, Halifax,
Nouvelle-Écosse
risque cardiovasculaire, notamment
l’hypercholestérolémie, le diabète et la
fibrillation auriculaire, augmentent le
risque de MA1,2
Il faut aussi souligner que la relation
entre les facteurs de risque vasculaire et
la MA a en grande partie cessé de
préoccuper les chercheurs même si
plusieurs études neuropathologiques et
neuroradiologiques démontraient le
contraire.1Dans des études sur des
séries de cas de patients atteints de la
MA, les chercheurs ont détecté des
signes évoquant une ischémie cérébrale
chez environ 20 % à 30 % des patients;
dans une autre étude sur les altérations
de la matière blanche révélées par le
test de résonance magnétique nucléaire
(RMN), cette proportion atteignait
presque les deux tiers.
Dans un tel contexte, il ne faudrait
pas s’étonner que de nombreux
chercheurs cliniciens concernés par la
démence croient que les taux actuels de
démence mixte (MA/DIM) on cite
souvent des taux de l’ordre de 5 % à
15 % des cas de démence 1devraient
être révisés à la hausse. Ce serait même
la forme de démence la plus fréquente :
deux études neuropathologiques de
grande envergure menées aux États-Unis
ont en effet montré que la démence vas-
culaire pure (c’est-à-dire une démence
vasculaire sans signe de MA) est très
rare, l’incidence étant de 1 % environ.1
Nous soulignons que ce sont des don-
nées préliminaires et que cette conclu-
sion n’est pas universelle. Dans une
étude menée en Grande-Bretagne, par
exemple,4l’incidence concordait avec
les estimations usuelles de 10 % à 20 %
de tous les cas de démence. D’autres
études sont nécessaires, mais il est évi-
dent que les patients atteints d’une ma-
ladie cardiovasculaire courent un risque
de déficit cognitif attribuable aussi bien
à des facteurs vasculaires qu’à d’autres
facteurs. Bien que les autres formes de
démence (par exemple, la démence
associée à la maladie des corps de
Lewy, la démence fronto-temporale)
soient observées en présence d’une
ischémie cérébrale, nous réserverons le
terme « démence mixte » à la maladie
d’Alzheimer et à la démence vasculaire
concomitantes.
Diagnostic de la démence mixte :
la démarche actuelle
L’étude du diagnostic de la démence
mixte est au coeur des recherches du
groupe CIVIC (Consortium to
Investigate Vascular Impairment of
Cognition). Les résultats préliminaires
de l’étude CIVIC sur cette démence,
une étude canadienne multicentre,
seront publiés.5Ces résultats montrent
qu’en général deux démarches sont
utilisées pour poser le diagnostic de
démence mixte. Le plus souvent, chez
les patients atteints d’une MA de gra-
vité bénigne à modérée, la tomodensi-
tométrie révèle des altérations de la
matière blanche ou d’autres lésions
ischémiques (par exemple, des infarc-
tus corticaux ou sous-corticaux, y
compris des infarctus dits lacunaires).
Il est plus rare que les patients présen-
tent à la fois des signes cliniques de
MA et de démence vasculaire
(Tableau 1). Il se peut, par exemple,
qu’un patient atteint d’un déficit co-
gnitif de début insidieux et d’évolution
progressive dès le début de la démence
ait des antécédents d’accident vascu-
laire cérébral (AVC) s’accompagnant
d’un déclin cognitif rapide suivi d’une
évolution progressive. Dans un tel cas,
le diagnostic clinique de la démence
mixte pourrait être posé avec une cer-
taine confiance. Dans l’étude CIVIC,
le diagnostic de démence mixte n’était
pas posé par la présence concomitante
d’une MA caractéristique et de fac-
teurs de risque vasculaire en l’absence
d’autres signes d’ischémie, puisque
l’on sait maintenant que les facteurs de
risque vasculaire sont des risques de
MA (Tableau 2).
Pour le praticien, les conclusions de
l’étude CIVIC signifient que la propor-
tion de patients chez qui il pourra dia-
gnostiquer une démence mixte sera fonc-
tion de l’accès aux examens de neuro-
imagerie. Les médecins qui appliquent
rigoureusement les recommandations de
la Conférence consensuelle canadienne
sur la démence quant à l’orientation des
patients en neuro-imagerie seront donc
susceptibles de diagnostiquer moins sou-
vent la démence mixte que les médecins
qui auront adopté des critères plus larges.
Il en est de même pour les médecins qui
appliqueront des critères plus larges pour
l’orientation des patients; les résultats de
l’étude CIVIC permettent de croire que
les spécialistes du traitement de la
démence ordonnent des examens par
tomodensitométrie pour la grande
majorité des patients examinés sur
demande d’une consultation.
La mise en évidence de signes en
foyer à l’examen neurologique peut
aider à poser le diagnostic clinique de
démence mixte (MA/DIM). Le plus
souvent, toutefois, le diagnostic est
fondé sur les antécédents de lésions
focales y compris des accidents
ischémiques transitoires (AIT) et des
AVC) l’apparition soudaine ou l’ag-
gravation brusque d’une MA par
ailleurs caractéristique (Tableau 1).
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Divers types de recherches mettent de nouveau en
évidence une relation entre les facteurs de risque
vasculaire et la MA. Dans un article de synthèse,1,2
les auteurs d’études épidémiologiques ont montré que
l’hypertension est un facteur de risque de déficit
cognitif tardif, y compris la MA, sans égard à leur
étiologie.
Traitement de la démence mixte :
stratégies actuelles
À l’heure actuelle, le traitement de la
démence mixte comporte deux
volets : le traitement des facteurs de
risque vasculaire et le traitement du
déficit cognitif.
Le traitement des facteurs de risque
vasculaire vise d’abord à maîtriser l’hy-
pertension. Même si on a déjà craint
que le traitement antihypertensif puisse
causer un déficit cognitif, les résultats
de recherches les plus récents n’ap-
puient pas cette hypothèse. Dans
l’étude SYST-EUR sur le traitement de
l’hypertension artérielle systolique
chez les personnes âgées,6l’incidence
de la démence dans le groupe de traite-
ment a été moitié moins élevée que
dans le groupe placebo. Dans le groupe
de traitement, les patients présentant
une hypertension systolique (TA sys-
tolique de 160 mm Hg à 219 mm Hg et
TA diastolique moins élevée que
95 mm Hg) ont été assignés à un
groupe de traitement de première inten-
tion par la nitrédipine, un antagoniste
du calcium. Si nécessaire, cet agent
pouvait être associé à l’énalapril ou
La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Février 2000 • 9
À l’heure actuelle, le traitement de la démence mixte
comporte deux volets : le traitement des facteurs de
risque vasculaire et le traitement du déficit cognitif.
Tableau 1
INDICES D’UNE DÉMENCE MIXTE CHEZ UN PATIENT ATTEINT D’UNE MA PAR AILLEURS
CARACTÉRISTIQUE
Dans l’anamnèse
Recherchez les indices suivants :
une MA d’apparition soudaine
un délire qui précipite ou révèle une MA
une longue période stable
un déclin infraclinique (variante de la MA d’évolution lente)
une progression par paliers
des maladies intercurrentes
des signes moteurs ou sensoriels en foyer
d’autres masses intracrâniennes
À l’examen
Recherchez les indices suivants :
une rigidité unilatérale
un parkinsonisme d’apparition soudaine
d’autres signes en foyer ou latéraux
d’autres masses intracrâniennes ou une incarcération de la racine d’un nerf rachidien
Tableau 2
INDICES QUI, DANS UNE MA PAR AILLEURS CARACTÉRISTIQUE, NE PERMETTRAIENT PAS À
EUX SEULS DE POSER UN DIAGNOSTIC DE DÉMENCE MIXTE
Indices
facteurs de risque vasculaire
(facteurs également reconnus comme facteurs de risque de MA et non pas seulement de démence vasculaire)
crises de confusion
(symptomatologie fluctuante pouvant appartenir au tableau de la MA; le délire est fréquent dans la MA)
signes en foyer isolés
(signes unilatéraux isolés extracrâniens; des lésions cérébrales possibles doivent être confirmées par neuro-imagerie)
remplacé par l’énalapril, un inhibiteur
de l’enzyme de conversion de l’an-
giotensine. Le diurétique hydrochlo-
rothiazide était prescrit en traitement de
troisième intention. Parmi les patients
dont le profil complet de la fonction
cognitive était connu, 21 des 1 180
patients du groupe placebo ont reçu un
diagnostic de démence, comparative-
ment à 11 des 1 238 patients du groupe
de traitement après une médiane de
suivi de deux ans (p = 0,05). Ces résul-
tats thérapeutiques sont probants, mais
ils n’ont pas encore été reproduits.
Dans les études précédentes sur le
traitement de l’hypertension systolique,
les chercheurs avaient tendance à ne
pas mesurer la fonction cognitive avec
suffisamment de précision pour pouvoir
démontrer un effet thérapeutique.
Par ailleurs, deux études récentes
menées dans la population ont produit
des résultats contradictoires. Guo et ses
collègues7ont mené une étude en
Suède, auprès de patients âgés de 75
ans et plus, et ils ont démontré que le
traitement par les diurétiques avait pro-
duit un effet protecteur contre le déclin
cognitif chez les patients hypertendus.
À l’opposé, dans l’étude canadienne
sur la santé et le vieillissement,
Maxwell et ses collègues8ont montré
que le risque de déficit cognitif avait
augmenté chez les personnes âgées
traitées avec des antagonistes du cal-
cium. Lorsqu’on tient compte de tous
ces résultats d’études, il semble que le
traitement antihypertensif soit bien
toléré chez les patients âgés qui présen-
tent une hypertension systolique, mais
dont la fonction cognitive est bonne et
qui sont par ailleurs en bonne santé
(c’est-à-dire qui ressemblent le plus
aux patients de l’étude SYST-EUR).
Chez ces patients, le traitement con-
tribuera probablement à diminuer le
risque de crise cardiaque, d’AVC ou de
démence. Quant aux bienfaits du traite-
ment chez les patients hypertendus âgés
atteints de plusieurs maladies ou
présentant un léger déficit cognitif, ils
ne sont pas connus de façon certaine, et
la fonction cognitive doit être surveillée
étroitement dans leur cas. En général, il
est déconseillé d’abaisser énergique-
ment la tension artérielle systolique
chez ces patients. Même si les autres
facteurs de risque vasculaire semblent
jouer un rôle important et même si la
maîtrise de ces facteurs de risque sem-
ble reliée à une diminution de l’inci-
dence des AVC, aucune étude n’a
encore démontré qu’une telle interven-
tion diminue l’incidence de la
démence. Il faudrait peut-être mener
des études de plus grande envergure
avec une définition plus précise des
indicateurs ; il se pourrait aussi que les
AVC et la démence vasculaire soient
induits par des mécanismes différents.
Le traitement plus spécifique de la
démence mixte est axé sur la MA. Bien
qu’aucune étude distincte n’ait été
menée sur la démence mixte, dans la
plupart des études sur la MA réalisées
jusqu’à maintenant, les chercheurs
avaient admis des patients ayant subi des
infarctus sous-corticaux ou lacunaires
occasionnels ou présentant des altéra-
tions bénignes de la matière blanche.
Compte tenu de ces résultats de
recherche et du faible nombre d’options
thérapeutiques, je choisis en général de
prescrire un traitement d’essai par le
donépézil, le seul médicament approuvé
pour le traitement de la MA au Canada.
Conclusion
Nous avons beaucoup à apprendre de
l’étude du syndrome de la démence
mixte, tant au sujet des mécanismes
pathologiques que des difficultés du
diagnostic. L’expérience accumulée
au cours des quelques années qui
viennent sera peut-être aussi riche
d’enseignement que l’expérience
passée.
10 • La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Février 2000
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8. Maxwell CJ, Hogan DB, Ebly EM:
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function in elderly people: results from
the Canadian Study of Health and
Aging. CMAJ 1999; 161:501-6.
Quant aux bienfaits du traitement chez les patients
hypertendus âgés atteints de plusieurs maladies ou
présentant un léger déficit cognitif, ils ne sont pas
connus de façon certaine, et la fonction cognitive doit
être surveillée étroitement dans leur cas.
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