L`observance en cardiologie : quelques remarques

SUIVRE OU NE PAS SUIVRE SON TRAITEMENT : QUELS
ENJEUX ?
Les enjeux de l’observance comportent deux versants symé-
triques : celui de l’efficacité thérapeutique d’une part, et celui du
caractère potentiellement iatrogène des prescriptions de l’autre.
Un médicament actif est d’autant plus efficace qu’il est correc-
tement pris, effet documenté dans les essais cliniques, dont par
exemple le Beta-blocker Heart Attack Trial (2). Au contraire, la
mauvaise observance favorise l’inefficacité thérapeutique, majore
les risques iatrogènes et les interactions médicamenteuses et peut
biaiser les résultats des essais cliniques. Ces conséquences
néfastes ont été documentées dans un grand nombre d’affections :
dans l’insuffisance cardiaque, la mauvaise observance aug-
mente la fréquence des hospitalisations (3, 4) ;
la qualité de l’anticoagulation est dépendante de l’obser-
vance (5) ;
l’efficacité des hypolipidémiants peut être influencée par l’ob-
servance (6) ;
au décours d’un infarctus du myocarde, les mauvais observants
ont un risque mortel plus important (7).
LE PATIENT PREND-IL SON TRAITEMENT ?
L’exemple de l’hypertension artérielle dite “résistante” illustre bien
l’importance de la question de l’observance en pratique courante.
Avant d’évoquer une inefficacité des antihypertenseurs, il faut éva-
luer la réalité de la prise des médicaments. Cette dernière est par-
fois surprenante, car les patients non observants peuvent être plus
nombreux que prévu, comme le montre le dosage de l’enzyme de
conversion chez des patients censés prendre un IEC (8).
Quantifier la mauvaise observance, c’est tenter d’appréhender ce
qui échappe au prescripteur. Même en faisant appel à des
méthodes sophistiquées (souvent peu adaptées à la pratique cou-
La Lettre du Cardiologue - n° 296 - juin 1998
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DOSSIER
L’observance en cardiologie : quelques remarques
N. Postel-Vinay*, T. Lang**
* Service de médecine interne, Hôpital Saint-Joseph, 185, rue Raymond-
Losserand, 75014 Paris.
** Service de biostatistiques et informatique médicale, Hôpital Pitié-
Salpêtrière, 91, bd de l’Hôpital, 75013 Paris.
L’observance (“compliance” en langue anglaise) se définit
comme la concordance entre le comportement d’un patient
et les prescriptions hygiéniques, diététiques et médicamen-
teuses qui lui ont été faites. Ce sujet dépasse les frontières
des différentes spécialités médicales et repose sur des
concepts généraux appartenant à toutes les disciplines. La
prise d’un médicament (cardiovasculaire ou non) et/ou le
suivi d’un conseil médical impliquent la personnalité du
patient, sa compréhension de la maladie, sa confiance envers
le médecin. Les paramètres pouvant interférer avec le bon
suivi des prescriptions sont très nombreux et certains auteurs
en reconnaissent plus de 200 (d’ordre psychologique, phar-
macologique ou socioculturel). Tous répondent à un prin-
cipe général essentiel : la relation thérapeutique découle d’un
acte de communication entre le médecin et son patient, mais
aussi du vécu du patient vis-à-vis de sa maladie ou de son
traitement. Pour améliorer l’observance, le patient doit être
mieux compris dans son contexte global et nos pratiques thé-
rapeutiques doivent être améliorées, notre attitude person-
nalisée en fonction de chaque cas. Nous avons détaillé
ailleurs ces différents points, qui ne sont pas spécifiques de
la cardiologie (1).
Tableau I. Méthodes permettant d’évaluer l’observance (1).
Observation des effets pharmacologiques cliniques ou biolo-
giques (ex. : baisse de la fréquence cardiaque et prise de bêtablo-
quants, toux sous IEC, œdème des membres inférieurs sous inhi-
biteurs calciques, hypokaliémie des diurétiques, modifications à
l’ECG de la repolarisation de la Cordarone®, etc.).
Emploi d’autoquestionnaires.
Interrogatoire du patient (la plupart des auteurs soulignent que le
médecin sous-estime toujours la fréquence et la durée des épi-
sodes de non-observance).
Dosages pharmacologiques sanguins ou urinaires (dosage de
l’enzyme de conversion, de la natriurèse).
Comptage des ouvertures d’un pilulier électronique (dans le
cadre d’essais cliniques). Notons que l’ouverture d’un pilulier
n’est pas synonyme de prise du médicament.
Décompte des conditionnements et unités restantes (boîtes vides
devant être rapportées dans le cadre d’essais cliniques).
Observation de l’effet thérapeutique (ex. : modification du taux
de lipides ou de l’INR, contrôle de la pression artérielle).
La Lettre du Cardiologue - n° 296 - juin 1998
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rante), on ne peut voir que la partie émergée de l’iceberg. L’ou-
verture d’un pilulier électronique n’est pas synonyme de prise
réelle du médicament. Compter les comprimés restant dans une
plaquette thermoformée ne nous donne pas la certitude que les
médicaments manquants ont été réellement consommés. Globa-
lement, on estime que 50 à 70 % des patients prennent 80 à
100 % des médicaments prescrits ; 30 à 40 % en prennent 40 à
80 %, le reste en prend soit moins de 40 %, soit... plus de 100 %
(9). Dans le cadre des essais cliniques, les sujets prenant au moins
75 à 80 % des médicament testés sont considérés comme de bons
observants.
Enfin, on peut également s’interroger sur les différences d’ob-
servance en fonction de la pathologie en cause. Les médications
à visée cardiovasculaire pourraient être mieux suivies en raison
de l’importance particulière que les patients leur accordent (10).
En dépit de ces difficultés, l’interrogatoire, la clinique et les exa-
mens complémentaires restent des moyens simples pour évaluer
l’observance. Le tableau I donne quelques exemples pratiques.
COMMENT AMÉLIORER L’OBSERVANCE ?
Proposer un traitement est un acte de communication. La for-
mulation du traitement doit être claire et sans erreur pharmaco-
logique. La délivrance de l’ordonnance doit être pédagogique et
adaptée à chaque patient. Il ne faut pas hésiter à s’assurer de la
bonne compréhension du patient. La formulation de la proposi-
tion thérapeutique doit éviter l’erreur de ne pas être à l’écoute de
son patient. Les objectifs du patient et du médecin ne sont pas
toujours superposables. Les médecins surestiment la conviction
des patients quant à la nécessité du traitement et sous-estiment
leur demande d’informations (11).
Nous ne détaillerons pas ici les conseils généraux destinés à opti-
miser la relation médecin-malade en vue d’une meilleure obser-
vance (1). Améliorer l’observance suppose la mise en œuvre de
moyens parfois nombreux. Ceux décrits dans la littérature inter-
viennent à cinq niveaux (figure 1).
PEUT-ON ÊTRE PLUS EFFICACE EN AMÉLIORANT L’OBSER-
VANCE ?
De nombreux moyens destinés à améliorer l’observance ont été
évalués dans le cadre de pathologies très différentes et à de mul-
tiples niveaux (médecins, patients, personnels paramédicaux,
etc.). Aucune recette miracle ne se dégage des essais d’interven-
tion jugés isolément.
En dépit des difficultés méthodologiques dues à la diversité des
expériences, Haynes a proposé une synthèse (12). Après avoir passé
en revue 1 553 abstracts et 252 articles complets, il a retenu
13 essais randomisés ayant évalué leur impact à la fois sur l’ob-
servance et sur les effets thérapeutiques : 7 font la preuve d’une
amélioration de l’observance et 6 montrent une amélioration des
résultats thérapeutiques. Haynes conclut que même dans l’essai le
plus probant, la démonstration du bénéfice de l’amélioration de
l’observance n’apparaît pas majeure. Cependant, compte tenu de
l’importance du problème, il invite les médecins à encore et tou-
jours innover, afin d’aider les patients à suivre leurs prescriptions.
L’EXEMPLE DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE
Les moyens décrits dans la littérature pour améliorer l’observance
des hypertendus sont variés (tableau II). Ils peuvent être utilisés
séparément, ou être associés, mais il n’est pas possible d’en hié-
rarchiser l’intérêt et l’efficacité (13). La simplification des trai-
tements avec l’emploi de molécules données en une seule prise
par jour paraît souhaitable (14).
La formation spécifique des médecins au problème de l’observance
est encourageante (15). En revanche, l’intérêt de la simple remise
d’un document écrit est modeste : une brochure peut améliorer la
connaissance des patients sur leur maladie, sans pour autant par-
venir à influencer leur niveau de pression artérielle ou leur poids
(16). Des méthodes sophistiquées non reproductibles en pratique
courante ont été mises en œuvre dans le cadre d’essais cliniques
(consultation gratuite, rappel automatique des rendez-vous, infor-
mations écrites et audiovisuelles, séminaires et même, dans cer-
tains cas, envoi de cartes d’anniversaire !), mais leur impact semble
limité. L’amélioration de l’observance des hypertendus suppose,
en fait, la mise en œuvre de plusieurs méthodes se complétant au
fil d’une relation thérapeutique inscrite dans le long terme.
➁➂
MÉDECIN PATIENT
Niveau 1 : consultation, temps spécifique accordé à l’observance
(amélioration
de la communication de la proposition thérapeutique).
Niveau 2 : formation spécifique du médecin au problème de
l’observance.
Niveau 3 : éducation du patient par l’infirmière, le kinésithéra-
peute, la diététicienne, le médecin au sein d’un groupe de malades.
Niveau 4 : interventions “sociales”, assistante sociale, améliora-
tion de l’accès aux soins, intervention au niveau de la famille et du
réseau social.
Niveau 5 : information directe du patient par les journaux, la télé-
vision, les dépliants dans les salles d’attente.
Figure 1. Cinq niveaux d’intervention pour améliorer l’observance (1).
Remise de documentations écrites au patient (envoi postal, dépôt
dans la salle d’attente, remise en consultation).
Apprentissage au patient de l’automesure tensionnelle.
Formation spéciale dispensée au médecin.
Recours à des contacts paramédicaux en dehors du médecin trai-
tant : infirmière, pharmacien, médecin du travail, diététicienne,
clinique de l’hypertension artérielle.
Recours à des contacts familiaux.
Tenue de séances de formation des patients.
Gestion informatisée du dossier des patients.
Carnet de suivi.
Amélioration des prises de rendez-vous et de l’accès aux soins.
Tableau II. Moyens mis en œuvre pour améliorer l’observance des
hypertendus (1).
La Lettre du Cardiologue - n° 296 - juin 1998
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DOSSIER
L’EXEMPLE DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DU SUJET ÂGÉ
Dans le cadre d’études spécifiques, il est possible d’obtenir des
taux élevés de bons observants chez les sujets de 70 ans et plus.
La remise de documentations écrites, des contacts réguliers avec
une infirmière formée à l’éducation des patients et la mise en
place d’une structure de soins à domicile après l’hospitalisation
permettent d’améliorer l’observance (17). Ces bons résultats s’ex-
pliquent par la qualité de la prise en charge dans le cadre d’études
spécialisées et par le fait que les patients inclus signent un consen-
tement éclairé (ce qui est un biais de sélection important concer-
nant l’observance), tandis que les patients souffrant de démences
sont exclus (17).
L’amélioration de l’observance des insuffisants cardiaques âgés
améliore-t-elle leur condition physique ? La littérature n’apporte
pas de démonstration statistique probante (12, 17, 18). Les
conseils répétés du pharmacien venant à domicile peuvent, après
trois mois de suivi, apporter de faibles bénéfices en termes cli-
niques, mais leur intérêt reste incertain (18).
REMARQUES SUR LES ESSAIS DAMÉLIORATION DE
L’OBSERVANCE
En termes statistiques, l’évaluation des bénéfices cliniques obte-
nus par l’amélioration de l’observance sont maigres, sinon par-
fois décevants. Les nombreux efforts pédagogiques permettent
d’augmenter le score des médicaments sortis de leur “blister”,
ou le nombre d’ouvertures des piluliers électroniques. Ils amé-
liorent les connaissances thérapeutiques des patients jugés par
questionnaire. Cependant, il ne s’agit là que d’objectifs intermé-
diaires. In fine, ce qui intéresse vraiment le clinicien, c’est de par-
venir à une diminution du nombre d’hospitalisations, une baisse
du niveau tensionnel, une baisse du nombre d’événements car-
diovasculaires : autant d’objectifs que les statistiques ne par-
viennent guère à mettre en évidence. Pourquoi ?
Aspects méthodologiques
Les essais d’intervention randomisés destinés à évaluer les béné-
fices cliniques de l’amélioration de l’observance sont particuliè-
rement complexes à mettre en œuvre. Le nombre de patients
inclus est le plus souvent réduit. La faible taille des échantillons
est sans doute une explication à l’absence de significativité en
termes de bénéfices cliniques.
Aspects subjectifs des bénéfices attendus
Li Goodyer ne cache pas sa déception quant aux maigres résul-
tats cliniques obtenus après trois mois d’efforts chez des insuffi-
sants cardiaques âgés (18). Ce désappointement mérite un com-
mentaire allant au-delà des considérations statistiques. En fait,
ne faut-il pas nous interroger sur notre propension à surestimer
le bénéfice des médicaments ? Nos thérapeutiques sont efficaces,
mais le plus souvent à faible rendement. Si les bénéfices cliniques
sont exprimés en nombre de patients à traiter pour éviter un évé-
nement cardiovasculaire, les résultats apparaissent plus découra-
geants (19). Cette remarque, initialement faite à propos des essais
cliniques, pourrait sans doute être étendue aux essais randomisés
d’amélioration de l’observance.
Les groupes contrôles ne sont pas assimilables à un groupe
placebo
Les essais randomisés d’amélioration de l’observance comparent
un programme d’intervention à une prise en charge traditionnelle.
Constater l’absence de preuves statistiques d’une amélioration
clinique induite par l’amélioration de l’observance ne signifie pas
que l’action sur l’observance soit inutile, mais qu’elle est diffi-
cile à prouver. À notre sens, l’approche randomisée de l’amélio-
ration de l’observance semble être dans la même difficulté sta-
tistique que la comparaison de deux traitements actifs, sans
recours au placebo (par exemple : la comparaison d’un IEC et
d’un inhibiteur calcique dans l’HTA). Pour peu que la prise en
charge traditionnelle soit déjà correcte, l’éventuel “plus” apporté
par l’amélioration de l’observance ne pourrait être significatif
que sur un grand nombre de sujets.
Le facteur temps
Améliorer l’observance revient à modifier le comportement des
patients. Or, tout processus éducatif réclame du temps. La lutte
contre le tabagisme nous a appris que le conseil médical d’arrêt
du tabac dépasse de loin la simple prescription de timbres à la
nicotine. Le patient ne peut devenir observant au conseil d’arrêt
du tabac qu’avec la multiplicité de moyens médicaux, éducatifs,
législatifs et même financiers (hausse du prix du tabac), qui, au
fil du temps, deviennent synergiques. Une faiblesse probable des
essais d’intervention est la trop courte durée des études.
NE PAS AMÉLIORER L’OBSERVANCE DES MAUVAIS
TRAITEMENTS
Améliorer l’observance d’un traitement présuppose que la thé-
rapeutique en cours soit la bonne. Cette évidence mérite d’être
rappelée si l’on considère le problème des variations de pratique
médicale et des traitements inadaptés (par exemple : en Grande-
Bretagne, les généralistes utilisent insuffisamment les IEC par
rapport aux diurétiques de l’anse chez les insuffisants cardiaques)
(20).
La démonstration des effets pervers d’un mauvais traitement pris
avec une bonne observance a été involontairement illustrée par
l’étude CAST. Cet essai se proposait de démontrer que la prise
d’antiarythmiques dans les suites d’un infarctus du myocarde
(dans le but de supprimer des arythmies ventriculaires asympto-
matiques ou pauci-symptomatiques) était capable de réduire les
décès. Hélas, dans cette étude, les résultats du groupe traité étaient
moins bons que ceux du groupe placebo. Une augmentation de
10 % de l’observance se soldait par un triplement du risque
d’arythmie mortelle (21) ! Ce cas est, bien sûr, extrême. Il illustre
la situation où les effets nocifs du traitement l’emportent sur ses
avantages.
Un défaut d’observance peut parfois être justifié si le traitement
est inutile ou trop puissant pour un malade donné. C’est ainsi que
chez des hypertendus traités, l’observance la plus faible a été
observée dans le groupe des patients qui a pu interrompre ulté-
rieurement son traitement antihypertenseur, partiellement ou en
totalité (22)..../...
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