La Lettre du Cardiologue - n° 296 - juin 1998
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DOSSIER
L’EXEMPLE DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DU SUJET ÂGÉ
Dans le cadre d’études spécifiques, il est possible d’obtenir des
taux élevés de bons observants chez les sujets de 70 ans et plus.
La remise de documentations écrites, des contacts réguliers avec
une infirmière formée à l’éducation des patients et la mise en
place d’une structure de soins à domicile après l’hospitalisation
permettent d’améliorer l’observance (17). Ces bons résultats s’ex-
pliquent par la qualité de la prise en charge dans le cadre d’études
spécialisées et par le fait que les patients inclus signent un consen-
tement éclairé (ce qui est un biais de sélection important concer-
nant l’observance), tandis que les patients souffrant de démences
sont exclus (17).
L’amélioration de l’observance des insuffisants cardiaques âgés
améliore-t-elle leur condition physique ? La littérature n’apporte
pas de démonstration statistique probante (12, 17, 18). Les
conseils répétés du pharmacien venant à domicile peuvent, après
trois mois de suivi, apporter de faibles bénéfices en termes cli-
niques, mais leur intérêt reste incertain (18).
REMARQUES SUR LES ESSAIS D’AMÉLIORATION DE
L’OBSERVANCE
En termes statistiques, l’évaluation des bénéfices cliniques obte-
nus par l’amélioration de l’observance sont maigres, sinon par-
fois décevants. Les nombreux efforts pédagogiques permettent
d’augmenter le score des médicaments sortis de leur “blister”,
ou le nombre d’ouvertures des piluliers électroniques. Ils amé-
liorent les connaissances thérapeutiques des patients jugés par
questionnaire. Cependant, il ne s’agit là que d’objectifs intermé-
diaires. In fine, ce qui intéresse vraiment le clinicien, c’est de par-
venir à une diminution du nombre d’hospitalisations, une baisse
du niveau tensionnel, une baisse du nombre d’événements car-
diovasculaires : autant d’objectifs que les statistiques ne par-
viennent guère à mettre en évidence. Pourquoi ?
Aspects méthodologiques
Les essais d’intervention randomisés destinés à évaluer les béné-
fices cliniques de l’amélioration de l’observance sont particuliè-
rement complexes à mettre en œuvre. Le nombre de patients
inclus est le plus souvent réduit. La faible taille des échantillons
est sans doute une explication à l’absence de significativité en
termes de bénéfices cliniques.
Aspects subjectifs des bénéfices attendus
Li Goodyer ne cache pas sa déception quant aux maigres résul-
tats cliniques obtenus après trois mois d’efforts chez des insuffi-
sants cardiaques âgés (18). Ce désappointement mérite un com-
mentaire allant au-delà des considérations statistiques. En fait,
ne faut-il pas nous interroger sur notre propension à surestimer
le bénéfice des médicaments ? Nos thérapeutiques sont efficaces,
mais le plus souvent à faible rendement. Si les bénéfices cliniques
sont exprimés en nombre de patients à traiter pour éviter un évé-
nement cardiovasculaire, les résultats apparaissent plus découra-
geants (19). Cette remarque, initialement faite à propos des essais
cliniques, pourrait sans doute être étendue aux essais randomisés
d’amélioration de l’observance.
Les groupes contrôles ne sont pas assimilables à un groupe
placebo
Les essais randomisés d’amélioration de l’observance comparent
un programme d’intervention à une prise en charge traditionnelle.
Constater l’absence de preuves statistiques d’une amélioration
clinique induite par l’amélioration de l’observance ne signifie pas
que l’action sur l’observance soit inutile, mais qu’elle est diffi-
cile à prouver. À notre sens, l’approche randomisée de l’amélio-
ration de l’observance semble être dans la même difficulté sta-
tistique que la comparaison de deux traitements actifs, sans
recours au placebo (par exemple : la comparaison d’un IEC et
d’un inhibiteur calcique dans l’HTA). Pour peu que la prise en
charge traditionnelle soit déjà correcte, l’éventuel “plus” apporté
par l’amélioration de l’observance ne pourrait être significatif
que sur un grand nombre de sujets.
Le facteur temps
Améliorer l’observance revient à modifier le comportement des
patients. Or, tout processus éducatif réclame du temps. La lutte
contre le tabagisme nous a appris que le conseil médical d’arrêt
du tabac dépasse de loin la simple prescription de timbres à la
nicotine. Le patient ne peut devenir observant au conseil d’arrêt
du tabac qu’avec la multiplicité de moyens médicaux, éducatifs,
législatifs et même financiers (hausse du prix du tabac), qui, au
fil du temps, deviennent synergiques. Une faiblesse probable des
essais d’intervention est la trop courte durée des études.
NE PAS AMÉLIORER L’OBSERVANCE DES MAUVAIS
TRAITEMENTS
Améliorer l’observance d’un traitement présuppose que la thé-
rapeutique en cours soit la bonne. Cette évidence mérite d’être
rappelée si l’on considère le problème des variations de pratique
médicale et des traitements inadaptés (par exemple : en Grande-
Bretagne, les généralistes utilisent insuffisamment les IEC par
rapport aux diurétiques de l’anse chez les insuffisants cardiaques)
(20).
La démonstration des effets pervers d’un mauvais traitement pris
avec une bonne observance a été involontairement illustrée par
l’étude CAST. Cet essai se proposait de démontrer que la prise
d’antiarythmiques dans les suites d’un infarctus du myocarde
(dans le but de supprimer des arythmies ventriculaires asympto-
matiques ou pauci-symptomatiques) était capable de réduire les
décès. Hélas, dans cette étude, les résultats du groupe traité étaient
moins bons que ceux du groupe placebo. Une augmentation de
10 % de l’observance se soldait par un triplement du risque
d’arythmie mortelle (21) ! Ce cas est, bien sûr, extrême. Il illustre
la situation où les effets nocifs du traitement l’emportent sur ses
avantages.
Un défaut d’observance peut parfois être justifié si le traitement
est inutile ou trop puissant pour un malade donné. C’est ainsi que
chez des hypertendus traités, l’observance la plus faible a été
observée dans le groupe des patients qui a pu interrompre ulté-
rieurement son traitement antihypertenseur, partiellement ou en
totalité (22)..../...