JFE 2006 Ateliers de psychopathologie Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Conséquences psychologiques des épilepsies idiopathiques sur la scolarité et l’insertion socio-professionnelle L’annonce du diagnostic André Polard Le Mans <[email protected]> Cette intervention fait suite à un travail de thèse (Polard, 2004)* que j’ai intitulé : « L’épilepsie du sujet ». J’en dégagerai seulement quelques points clés utiles pour situer l’enjeu que constitue l’annonce du diagnostic et surtout les effets qui s’en suivent pour la personne concernée, son entourage, et les professionnels qui ont à intervenir auprès du patient. Cette thèse, qui s’appuie sur des références psychanalytiques, m’avait amené à énoncer l’opportunité d’un « dispositif » qui viendrait accompagner ou faire partie de ce moment que constitue l’annonce du diagnostic, dispositif qui viserait surtout à faire advenir la parole de la personne ou des personnes concernées – chose qui n’est pas facile dans les temps de début de la maladie. L’écoute porterait sur trois points : 1) le récit de la crise comme discours intégrant la prise en compte de l’entourage ; 2) l’écoute des phénomènes d’aura et des signes précurseurs à la crise ; 3) l’accueil du réel de la crise. Le récit de la crise : des mots au discours Outre bien sûr, les consultations pour le diagnostic strictement médical et le traitement adapté qui s’en déduit, le malade est plongé dans une expérience majeure (pour les clichés : le caractère effrayant de la crise, la nécessité pour celui qui en est atteint de cacher son état, le retour à l’état sain, etc.) qui a du mal à trouver ses mots, ses lieux et ses temps. Après la crise : il ne s’agit pas d’une guérison mais d’un retour plus ou moins rapide à l’état normal. L’enfant qui fait une absence en classe reprend le cours des événements après les avoir totalement perdus pendant son absence. Celui qui est victime d’une grave crise peut être transporté dans un état d’extrême gravité, en état de dépendance à autrui, à l’hôpital, Épilepsies vol. 18, n° 4 octobre, novembre, décembre 2006 jleepi00145_cor6.indd 210 et se retrouver dans son état normal quelques heures après. La personne qui fait une crise d’épilepsie vit donc une succession d’états intenses et paradoxaux, sur un rythme rapide. Cette succession rend fragile toute proposition d’écoute comme le proposent traditionnellement les psychanalystes (cf. La psychanalyse au risque de l’épilepsie) (Mélèse, 1993), est rarement reçue comme élément du vécu et alimente parfois même l’hypothèse de la simulation. Depuis l’Antiquité, la maladie a trouvé des appellations variées. Nous constatons que chacune contient l’expression d’un trait qui reste valable aujourd’hui : – le « Mal de St Jean » désigne les grandes attaques et « Le Mal de St Gilles « les petites attaques. le « Mal d’Hercule », la force et la violence de l’attaque ; – le « Mal des Comices », la place sociale très particulière de l’épilepsie ; redoutée, invalidante, mettant le sujet en position d’exception, produisant la honte et le statut si particulier de « la Maladie Sacrée », comme soumission à des forces surnaturelles ou, quoi qu’il en soit, inconnues, conception tellement ancrée encore de nos jours ; – le « Mal Lunatique », qui vient figurer la périodicité des crises, présente dans la définition médicale même de la maladie où n’est considéré comme épileptique que celui qui a des crises répétées ; – le « Mal Démoniaque », à rapporter aux phénomènes de possession par ce trait majeur : le sujet, l’objet de la possession comme de l’épilepsie, ne l’est qu’un certain temps, et, durant les intervalles, apparaît tout à fait normal ; – le « Mal Caduque » (ou Falling Sickness en anglais), désignant la chute, donnée majeure de la crise. Si ces mots ne sont plus utiles en tant que diagnostic -qui s’est singulièrement restreint autour des crises dans la neurologie moderne - ils n’en sont pas pour autant désuets pour exprimer 210 1/23/2007 11:06:33 PM Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. JFE 2006 les divers aspects de la maladie. C’est encore ce que font les malades ou leur entourage pour essayer de dire ce qui leur arrive, en utilisant les mots du contexte culturel actuel. C’est un ouvrage de Byron Good (Good, 1998) qui m’a aussi rappelé l’intérêt que pouvait avoir la pratique clinique d’avant les techniques d’imagerie médicale. Dans un souci épidémiologique sur la fréquence de l’épilepsie, une étude fut faite par des chercheurs turcs. Ils collectaient les récits auprès des malades épileptiques et de leur entourage. Ces récits montrent une structure narrative du vécu de la maladie. Loin de servir uniquement à la véracité des faits, les histoires sont aussi un moyen de donner forme au vécu et de rendre le passé disponible aux malades eux-mêmes (en particulier à cause de l’amnésie post-critique). Il y a, comme le dit Ricoeur, « inscription du discours ». Le malade est alors semblable à un « lecteur » qui lit une histoire. Recevoir les mots utilisés, symboliser l’origine de la souffrance, trouver une image autour de laquelle un récit prendra forme, c’est saisir le pouvoir de l’alléger. Lorsque ce n’est pas écouté, cela met en doute la réalité vécue du patient et dément ses affirmations. Cela plonge le malade dans le désarroi… Mais Byron Good conçoit aussi le diagnostic clinique du médecin comme un récit : à partir des histoires racontées par le patient, il construit un énoncé diagnostique qui est l’invocation d’une réponse efficace. Dès qu’il y a récit, il y a un lecteur et un auditeur ; les deux doivent produire du sens, dans l’interaction. Là encore, même si les pratiques médicales ont de nouveaux moyens d’investigation, rien ne justifie la disparition de cet échange, passant par une parole, une écoute, une construction commune, au-delà de la description des seuls signes objectifs de la maladie. S’il a été question du récit par le patient, il ne faut pas oublier que la crise est pour beaucoup frappée d’amnésie ; nous ne méconnaissons pas les efforts de quelques auteurs à pratiquer l’hypnose pour permettre à la personne de se souvenir et ceci semble t-il avec succès, ceci n’est pas mon domaine. Le plus souvent c’est l’entourage qui permet au malade de reconstituer le temps perdu et dissiper ainsi l’angoisse. Ceci est très important. Le sujet va ainsi reconstituer l’écheveau par l’intermédiaire de l’autre là présent. Un lien fort va ainsi s’établir mais c’est surtout à notre sens un soin d’urgence que de restituer au patient ce qui s’est passé en « son absence ». On ne laissera pas de côté le lien de dépendance qui peut également se tisser entre le sujet et son entourage à partir de l’incapacité où se trouve celui-ci de rassembler ce qui s’est passé entre l’avant crise et la chambre d’hôpital par exemple ou le fossé où il se trouve. Nous avons osé ici parler d’ « Autrentourage » pour introduire la complexité de la place de l’entourage. Ce récit de l’Autrentourage auprès du sujet épileptique vient combler les « vides du temps ». Ceci nous paraît très important ; 211 jleepi00145_cor6.indd 211 le temps nous a manqué pour seulement en dire quelques mots. Le livre de Paul Virillio est à ce titre passionnant travaillant sur la gestion du temps L ’écoute de l’aura et, plus largement, des signes précurseurs Pour parler de ce moment si particulier des signes précurseurs de la crise (quand il y en a), je citerai les propos du neurologue Alajouanine en 1974 : « Sortir de soi pour entrer soudain dans un monde de sensations, de sentiments et de pensées, ce complet dépaysement n’est guère favorable à une récapitulation, ce dont il ne semble rester qu’un passager éblouissement…l’expression se heurte en quelque sorte aux barrières du langage. Aussi estelle généralement réduite et presque uniquement centrée sur des modifications affectives : joie, béatitude, sentiment d’universelle harmonie, images, odeurs, etc. ». Ces moments qui ont leurs caractères propres et surtout des conditions psycho-physiologiques particulières, ces moments qui ne sont « plus tout à fait du corps sans être tout à fait de l’âme » peuvent avec avantage être l’objet d’attention toute particulière. Le psychanalyste qui y porte intérêt devra les distinguer de l’écoute d’un rêve. Et pourtant, il s’y manifeste que le contenu de l’aura constitue une « autre scène », qui peut aider le patient à ne pas être dans la soumission totale à être totalement « saisi » (par la crise). Exemple d’Antoine butant sur les mots qui permet de préciser que les « phénomènes précurseurs dont les auras caractérisées, qui seront d’autant plus arrêtées qu’elles seront en quelque sorte « apprivoisées » par le sujet. Prenons cette séquence : « Lendemain de Section Clinique à Ste Anne, Antoine attendait le bus 91 à St Paul rêvassant, il était tôt, il allait à une séance d’analyse. Lui traverse alors bizarrement l’esprit, le souvenir du quart de vin servi au restaurant universitaire qui était très bon, il était comme discrètement sucré, il fut retiré du service parce qu’il contenait... Quoi donc ? le trouble alors le prend, il sent venir la crise ou plutôt l’aura, l’estomac s’échauffe. Antoine a appris à tâcher de se calmer. Quel était ce produit ? Interdit. Ne pas se fixer. Ne pas chercher de façon obnubilée. Eviter le mot isolé ! voilà l’une des règles qui sont venues de la pratique ; Après tout, en analyse, on apprend à laisser venir les associations. Allons y ! Antoine pense à Jussieu qui est en travaux. Un aimant, un amant, Duras, côtes de Duras, on a les associations qu’on peut ! Au lycée de Brest des travaux aussi... le fer... Aimant... Amiante ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! La crise s’arrête. « Calme soudain retrouvé ! » Plus d’un praticien vous dira combien bon nombre d’épileptiques ont un savoir sur leur épilepsie et déclarent, en phase consciente de crise bien évidemment, « je sens que ça va s’arrêter ». Henry Ey (1973), Pichon-Rivière (1983), Schmidt (1951), Hendrick (1940) ont rapporté des cas d’auras. La richesse du matériel concernant l’aura ne peut être reçue que grâce aux Épilepsies vol. 18, n° 4 octobre, novembre, décembre 2006 1/23/2007 11:06:34 PM JFE 2006 séances d’analyse et à l’intérêt porté par l’analyste lui-même, convaincu que ce sont des moments de contenu psychique riche – qui peut présenter autant d’intérêt que le récit d’un rêve même s’il n’en a pas le même statut. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. L ’accueil du réel de la crise En matière d’épilepsie, le spécialiste de psychologie, entendons par ce terme général le psychologue ou le psychothérapeute, est présent de deux manières principalement : – pour un examen technique qui aide à la localisation du foyer épileptogène ou à l’évaluation des troubles liés à ceux-ci ; – pour le soutien psychologique de la personne ; on se trouverait ici du côté du moi conscient. Notre démarche va être différente ; nous ne cherchons nousmêmes aucune explication à la survenue de la maladie ou des crises. Le soutien psychologique n’est pas non plus notre premier souci. Ce soutien est là, pour moi, de fait, dans l’écoute du Sujet. La conception de l’accueil du réel, la crise ici présentée, va se démarquer de ce qui est attendu généralement du « psy». Si nous parlons de réel, c’est pour désigner tout ce qui, dans la crise, est vécu comme trauma, douloureusement sans doute, mais surtout sans sens et sans mots. Ce travail proposé me semblerait proche de ce qui concerne le traumatisme y compris tel que les cellules d’urgentologie l’envisagent. Ce sont des situations où le sujet se voit confronté à une mort imminente, en passe de perdre la vie, ou tout au moins son intégrité psychique. Pour Freud ce qui fait trauma, c’est moins la violence de la situation que l’impréparation du psychisme à cette situation, c’est un événement psychique. Je pense là aussi au travail de Mme Oppenheim-Gluckman (1996) sur le réveil de coma et l’indestructiblité du psychique ; la démonstration de l’intérêt du travail sur l’inconscient est par elle de nouveau faite et peut, nous le pensons, être rapportée à la situation que vivent les épileptiques au sortir de leur crise. Proposition pour un dispositif d’accueil : une offre psychanalytique La personne qui vient de vivre une ou des crises commence son parcours médical, pour mettre en place un diagnostic et le traitement. Mais une proposition conjointe pourrait donc être formulée ainsi : vous venez de faire une crise d’épilepsie, je suis psychanalyste, je vous invite à une série de six entretiens, un chaque semaine, où vous viendrez me parlez de ce qui vient de vous arriver. Ces entretiens n’auraient pas pour objet d’enquêter sur l’histoire du sujet, ni de repérer les éléments psychologiques de la survenue des crises mais, en tant que psychanalyste, chercher à entendre ce qui s’est passé pour le sujet dans cet événement traumatique. Épilepsies vol. 18, n° 4 octobre, novembre, décembre 2006 jleepi00145_cor6.indd 212 1. Tous les patients se plaignent de ressentir l’impression d’avoir complètement changé de personnalité. Ceci nous semble être de courte durée en matière d’épilepsie et qualifié d’état crépusculaire. 2. La temporalité est profondément altérée, l’écoulement harmonieux du temps est profondément arrêté, pour faire place à un moment figé qualifié de saisie. L’épileptique est en effet dans un rythme du temps perturbé par les absences et les crises sans oublier ce que Schilder appelle le rythme inexploré du corps. 3. Que la crise soit considérée une rupture de sens ou un courtcircuit, ma conception de cet événement vécu est de proposer en quelque sorte l’idée d’une épilepsie du sujet – qui bien que plongé dans l’inconscience – peut être aidé à advenir dans une parole. Puisque l’épilepsie est une maladie qui se définit comme la répétition des crises, nous pensons qu’à côté du traitement médicamenteux, ces entretiens auraient leur place et aideraient à éviter leur répétition et sans doute amoindrir leurs effets sur la vie du patient et de son entourage. En France cette préoccupation – et par là même le traitement médicamenteux – occupent une place centrale voire « de monopole ». Je sais en effet qu’en Allemagne le traitement médicamenteux en particulier est accompagné d’autres techniques relativement peu usitées en France. Je l’ai développé dans mon chapitre consacré aux fonctions de l’aura en parlant des techniques de « contrôle » par la personne de la survenue des crises. Rappelons qu’il s’agit du mouvement « Einfälle » qui porte si bien son nom ! Ces entretiens auraient leur place dans la phase du diagnostic et de son annonce – c’est-à-dire au début de la maladie. Pour les épilepsies symptomatiques, une cause organique peut être énoncée ; cela a de l’importance pour le sujet qui tombe malade. Pour les épilepsies idiopathiques, ce serait d’autant plus important pour les patients qui demeurent dans une grande perplexité. Et ceci, même si, répétonsle, il n’est pas question d’y chercher une cause psychologique. Références Ey H. Traité des hallucinations. Paris : Masson, 1973. Good BJ. Comment faire de l’anthropologie médicale ? Médecine, rationalité et vécu. Le Plessis-Robinson : Institut Synthelabo ed, L’empêcheur de tourner en rond, 1998. Hendrick I. Psychoanalytic observations on the aurae of two cases with convulsions. Psychosomatic medicine, 1940. Melese L. Épilepsies (de la sédition de l’inédit à la crise du psychanalyste). In : Paris : Bordas. (ed), L’Apport freudien, 1993. Oppenheim–Gluckman H. Mémoire de l’absence clinique psychanalytique des réveils de coma, 1996. Pichon-Riviere E. La psichiatria, una nueva problematica. Del psicoanàlisis a la psicologia social (II). Buenos Aires, Ed Nueva vision, 1983. *Polard A. L’épilepsie du sujet . Paris : L’Harmattan. In : Etudes psychanalytiques, 2004 ; 1 : 364 pages. Schmidt P. Conscience et convulsions psychiques dans quelques états épileptiques. Thèse de médecine, Université de Créteil, 1951. 212 1/23/2007 11:06:35 PM