Ateliers de psychopathologie Conséquences psychologiques des

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Épilepsies vol. 18, n° 4 octobre, novembre, décembre 2006
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Ateliers de psychopathologie
Conséquences psychologiques
des épilepsies idiopathiques
sur la scolarité et l’insertion
socio-professionnelle
L’annonce du diagnostic
André Polard
Le Mans
Cette intervention fait suite à un travail de thèse (Polard, 2004)*
que j’ai intitulé : « L’épilepsie du sujet ». J’en dégagerai seule-
ment quelques points clés utiles pour situer l’enjeu que constitue
l’annonce du diagnostic et surtout les effets qui s’en suivent
pour la personne concernée, son entourage, et les professionnels
qui ont à intervenir auprès du patient.
Cette thèse, qui s’appuie sur des références psychanalytiques,
m’avait amené à énoncer l’opportunité d’un « dispositif » qui
viendrait accompagner ou faire partie de ce moment que cons-
titue l’annonce du diagnostic, dispositif qui viserait surtout à faire
advenir la parole de la personne ou des personnes concernées –
chose qui n’est pas facile dans les temps de début de la maladie.
L’écoute porterait sur trois points :
1) le récit de la crise comme discours intégrant la prise en
compte de l’entourage ;
2) l’écoute des phénomènes d’aura et des signes précurseurs
à la crise ;
3) l’accueil du réel de la crise.
Le récit de la crise : des mots au discours
Outre bien sûr, les consultations pour le diagnostic strictement
médical et le traitement adapté qui s’en déduit, le malade est
plongé dans une expérience majeure (pour les clichés : le carac-
tère effrayant de la crise, la nécessité pour celui qui en est atteint
de cacher son état, le retour à l’état sain, etc.) qui a du mal à
trouver ses mots, ses lieux et ses temps.
Après la crise : il ne s’agit pas d’une guérison mais d’un
retour plus ou moins rapide à l’état normal. L’enfant qui fait
une absence en classe reprend le cours des événements après
les avoir totalement perdus pendant son absence. Celui qui
est victime d’une grave crise peut être transporté dans un état
d’extrême gravité, en état de dépendance à autrui, à l’hôpital,
et se retrouver dans son état normal quelques heures après. La
personne qui fait une crise d’épilepsie vit donc une succession
d’états intenses et paradoxaux, sur un rythme rapide. Cette
succession rend fragile toute proposition d’écoute comme le
proposent traditionnellement les psychanalystes (cf. La psycha-
nalyse au risque de l’épilepsie) (Mélèse, 1993), est rarement
reçue comme élément du vécu et alimente parfois même l’hy-
pothèse de la simulation.
Depuis l’Antiquité, la maladie a trouvé des appellations variées.
Nous constatons que chacune contient l’expression d’un trait
qui reste valable aujourd’hui :
le « Mal de St Jean » désigne les grandes attaques et « Le
Mal de St Gilles « les petites attaques. le « Mal d’Hercule »,
la force et la violence de l’attaque ;
le « Mal des Comices », la place sociale très particulière
de l’épilepsie ; redoutée, invalidante, mettant le sujet en
position d’exception, produisant la honte et le statut si
particulier de « la Maladie Sacrée », comme soumission à
des forces surnaturelles ou, quoi qu’il en soit, inconnues,
conception tellement ancrée encore de nos jours ;
le « Mal Lunatique », qui vient figurer la périodicité des
crises, présente dans la définition médicale même de la
maladie où n’est considéré comme épileptique que celui
qui a des crises répétées ;
le « Mal Démoniaque », à rapporter aux phénomènes de
possession par ce trait majeur : le sujet, l’objet de la pos-
session comme de l’épilepsie, ne l’est qu’un certain temps,
et, durant les intervalles, apparaît tout à fait normal ;
le « Mal Caduque » (ou Falling Sickness en anglais), dési-
gnant la chute, donnée majeure de la crise.
Si ces mots ne sont plus utiles en tant que diagnostic -qui s’est
singulièrement restreint autour des crises dans la neurologie
moderne - ils n’en sont pas pour autant désuets pour exprimer
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les divers aspects de la maladie. C’est encore ce que font les
malades ou leur entourage pour essayer de dire ce qui leur
arrive, en utilisant les mots du contexte culturel actuel.
C’est un ouvrage de Byron Good (Good, 1998) qui m’a aussi
rappelé l’intérêt que pouvait avoir la pratique clinique d’avant
les techniques d’imagerie médicale.
Dans un souci épidémiologique sur la fréquence de l’épilepsie,
une étude fut faite par des chercheurs turcs. Ils collectaient les
récits auprès des malades épileptiques et de leur entou-
rage. Ces récits montrent une structure narrative du vécu de
la maladie. Loin de servir uniquement à la véracité des faits,
les histoires sont aussi un moyen de donner forme au vécu
et de rendre le passé disponible aux malades eux-mêmes (en
particulier à cause de l’amnésie post-critique). Il y a, comme
le dit Ricoeur, « inscription du discours ». Le malade est alors
semblable à un « lecteur » qui lit une histoire.
Recevoir les mots utilisés, symboliser l’origine de la souffrance,
trouver une image autour de laquelle un récit prendra forme,
c’est saisir le pouvoir de l’alléger. Lorsque ce n’est pas écouté,
cela met en doute la réalité vécue du patient et dément ses affir-
mations. Cela plonge le malade dans le désarroi…
Mais Byron Good conçoit aussi le diagnostic clinique du
médecin comme un récit : à partir des histoires racontées par le
patient, il construit un énoncé diagnostique qui est l’invocation
d’une réponse efficace. Dès qu’il y a récit, il y a un lecteur et un
auditeur ; les deux doivent produire du sens, dans l’interaction.
Là encore, même si les pratiques médicales ont de nouveaux
moyens d’investigation, rien ne justifie la disparition de cet
échange, passant par une parole, une écoute, une construction
commune, au-delà de la description des seuls signes objectifs
de la maladie.
S’il a été question du récit par le patient, il ne faut pas oublier
que la crise est pour beaucoup frappée d’amnésie ; nous ne
méconnaissons pas les efforts de quelques auteurs à pratiquer
l’hypnose pour permettre à la personne de se souvenir et ceci
semble t-il avec succès, ceci n’est pas mon domaine. Le plus
souvent c’est l’entourage qui permet au malade de reconstituer
le temps perdu et dissiper ainsi l’angoisse.
Ceci est très important. Le sujet va ainsi reconstituer l’éche-
veau par l’intermédiaire de l’autre là présent. Un lien fort va
ainsi s’établir mais c’est surtout à notre sens un soin d’ur-
gence que de restituer au patient ce qui s’est passé en « son
absence ».
On ne laissera pas de côté le lien de dépendance qui peut égale-
ment se tisser entre le sujet et son entourage à partir de l’incapa-
cité où se trouve celui-ci de rassembler ce qui s’est passé entre
l’avant crise et la chambre d’hôpital par exemple ou le fossé où
il se trouve. Nous avons osé ici parler d’ « Autrentourage » pour
introduire la complexité de la place de l’entourage.
Ce récit de l’Autrentourage auprès du sujet épileptique vient
combler les « vides du temps ». Ceci nous paraît très important ;
le temps nous a manqué pour seulement en dire quelques mots.
Le livre de Paul Virillio est à ce titre passionnant travaillant sur
la gestion du temps
L ’écoute de l’aura et, plus largement,
des signes précurseurs
Pour parler de ce moment si particulier des signes précurseurs
de la crise (quand il y en a), je citerai les propos du neurologue
Alajouanine en 1974 : « Sortir de soi pour entrer soudain dans un
monde de sensations, de sentiments et de pensées, ce complet
dépaysement n’est guère favorable à une récapitulation, ce dont
il ne semble rester qu’un passager éblouissement…l’expression
se heurte en quelque sorte aux barrières du langage. Aussi est-
elle généralement réduite et presque uniquement centrée sur
des modifications affectives : joie, béatitude, sentiment d’uni-
verselle harmonie, images, odeurs, etc. ».
Ces moments qui ont leurs caractères propres et surtout des
conditions psycho-physiologiques particulières, ces moments
qui ne sont « plus tout à fait du corps sans être tout à fait de
l’âme » peuvent avec avantage être l’objet d’attention toute
particulière. Le psychanalyste qui y porte intérêt devra les
distinguer de l’écoute d’un rêve. Et pourtant, il s’y manifeste
que le contenu de l’aura constitue une « autre scène », qui peut
aider le patient à ne pas être dans la soumission totale à être
totalement « saisi » (par la crise).
Exemple d’Antoine butant sur les mots qui permet de préciser
que les « phénomènes précurseurs dont les auras caractérisées,
qui seront d’autant plus arrêtées qu’elles seront en quelque sorte
« apprivoisées » par le sujet. Prenons cette séquence :
«
Lendemain de Section Clinique à Ste Anne, Antoine attendait
le bus 91 à St Paul rêvassant, il était tôt, il allait à une séance
d’analyse. Lui traverse alors bizarrement l’esprit, le souvenir du
quart de vin servi au restaurant universitaire qui était très bon,
il était comme discrètement sucré, il fut retiré du service parce
qu’il contenait... Quoi donc ? le trouble alors le prend, il sent
venir la crise ou plutôt l’aura, l’estomac s’échauffe. Antoine a
appris à tâcher de se calmer. Quel était ce produit ? Interdit.
Ne pas se fixer. Ne pas chercher de façon obnubilée. Eviter le
mot isolé ! voilà l’une des règles qui sont venues de la pratique ;
Après tout, en analyse, on apprend à laisser venir les associa-
tions. Allons y ! Antoine pense à Jussieu qui est en travaux.
Un aimant, un amant, Duras, côtes de Duras, on a les associa-
tions qu’on peut ! Au lycée de Brest des travaux aussi... le fer...
Aimant... Amiante ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! La crise s’arrête.
« Calme soudain retrouvé ! »
Plus d’un praticien vous dira combien bon nombre d’épilepti-
ques ont un savoir sur leur épilepsie et déclarent, en phase cons-
ciente de crise bien évidemment, « je sens que ça va s’arrêter ».
Henry Ey (1973), Pichon-Rivière (1983), Schmidt (1951),
Hendrick (1940) ont rapporté des cas d’auras. La richesse du
matériel concernant l’aura ne peut être reçue que grâce aux
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séances d’analyse et à l’intérêt porté par l’analyste lui-même,
convaincu que ce sont des moments de contenu psychique riche
– qui peut présenter autant d’intérêt que le récit d’un rêve même
s’il n’en a pas le même statut.
L ’accueil du réel de la crise
En matière d’épilepsie, le spécialiste de psychologie, entendons
par ce terme général le psychologue ou le psychothérapeute, est
présent de deux manières principalement :
pour un examen technique qui aide à la localisation du
foyer épileptogène ou à l’évaluation des troubles liés à
ceux-ci ;
pour le soutien psychologique de la personne ; on se trou-
verait ici du côté du moi conscient.
Notre démarche va être différente ; nous ne cherchons nous-
mêmes aucune explication à la survenue de la maladie ou
des crises. Le soutien psychologique n’est pas non plus notre
premier souci. Ce soutien est là, pour moi, de fait, dans l’écoute
du Sujet.
La conception de l’accueil du réel, la crise ici présentée, va se
démarquer de ce qui est attendu généralement du « psy». Si nous
parlons de réel, c’est pour désigner tout ce qui, dans la crise, est
vécu comme trauma, douloureusement sans doute, mais surtout
sans sens et sans mots.
Ce travail proposé me semblerait proche de ce qui concerne le
traumatisme y compris tel que les cellules d’urgentologie l’en-
visagent. Ce sont des situations où le sujet se voit confronté
à une mort imminente, en passe de perdre la vie, ou tout au
moins son intégrité psychique. Pour Freud ce qui fait trauma,
c’est moins la violence de la situation que l’impréparation du
psychisme à cette situation, c’est un événement psychique.
Je pense là aussi au travail de Mme Oppenheim-Gluckman
(1996) sur le réveil de coma et l’indestructiblité du psychique ;
la démonstration de l’intérêt du travail sur l’inconscient est par
elle de nouveau faite et peut, nous le pensons, être rapportée à la
situation que vivent les épileptiques au sortir de leur crise.
Proposition pour un dispositif d’accueil :
une offre psychanalytique
La personne qui vient de vivre une ou des crises commence son
parcours médical, pour mettre en place un diagnostic et le traite-
ment. Mais une proposition conjointe pourrait donc être formulée
ainsi : vous venez de faire une crise d’épilepsie, je suis psychana-
lyste, je vous invite à une série de six entretiens, un chaque semaine,
où vous viendrez me parlez de ce qui vient de vous arriver.
Ces entretiens n’auraient pas pour objet d’enquêter sur l’histoire
du sujet, ni de repérer les éléments psychologiques de la survenue
des crises mais, en tant que psychanalyste, chercher à entendre ce
qui s’est passé pour le sujet dans cet événement traumatique.
1. Tous les patients se plaignent de ressentir l’impression d’avoir
complètement changé de personnalité.
Ceci nous semble être de courte durée en matière d’épilepsie et
qualifié d’état crépusculaire.
2. La temporalité est profondément altérée, l’écoulement harmo-
nieux du temps est profondément arrêté, pour faire place à un
moment figé qualifié de saisie. L’épileptique est en effet dans
un rythme du temps perturbé par les absences et les crises sans
oublier ce que Schilder appelle le rythme inexploré du corps.
3.
Que la crise soit considérée une rupture de sens ou un court-
circuit, ma conception de cet événement vécu est de proposer en
quelque sorte l’idée d’une épilepsie du sujet – qui bien que plongé
dans l’inconscience – peut être aidé à advenir dans une parole.
Puisque l’épilepsie est une maladie qui se définit comme la
répétition des crises, nous pensons qu’à côté du traitement
médicamenteux, ces entretiens auraient leur place et aideraient
à éviter leur répétition et sans doute amoindrir leurs effets sur la
vie du patient et de son entourage.
En France cette préoccupation – et par là même le traitement médi-
camenteux – occupent une place centrale voire « de monopole ».
Je sais en effet qu’en Allemagne le traitement médicamenteux en
particulier est accompagné d’autres techniques relativement peu
usitées en France. Je l’ai développé dans mon chapitre consacré
aux fonctions de l’aura en parlant des techniques de « contrôle »
par la personne de la survenue des crises. Rappelons qu’il s’agit
du mouvement « Einfälle » qui porte si bien son nom !
Ces entretiens auraient leur place dans la phase du diagnostic et de
son annonce – c’est-à-dire au début de la maladie. Pour les épilep-
sies symptomatiques, une cause organique peut être énoncée ; cela a
de l’importance pour le sujet qui tombe malade. Pour les épilepsies
idiopathiques, ce serait d’autant plus important pour les patients qui
demeurent dans une grande perplexité. Et ceci, même si, répétons-
le, il n’est pas question d’y chercher une cause psychologique.
Références
Ey H. Traité des hallucinations. Paris : Masson, 1973.
Good BJ. Comment faire de l’anthropologie médicale ? Médecine,
rationalité et vécu. Le Plessis-Robinson : Institut Synthelabo ed,
L’empêcheur de tourner en rond, 1998.
Hendrick I. Psychoanalytic observations on the aurae of two cases with
convulsions. Psychosomatic medicine, 1940.
Melese L. Épilepsies (de la sédition de l’inédit à la crise du psychana-
lyste). In : Paris : Bordas. (ed), L’Apport freudien, 1993.
Oppenheim–Gluckman H. Mémoire de l’absence clinique psychanaly-
tique des réveils de coma, 1996.
Pichon-Riviere E. La psichiatria, una nueva problematica. Del
psicoanàlisis a la psicologia social (II). Buenos Aires, Ed Nueva
vision, 1983.
*Polard A. L’épilepsie du sujet . Paris : L’Harmattan. In : Etudes
psychanalytiques, 2004 ; 1 : 364 pages.
Schmidt P. Conscience et convulsions psychiques dans quelques états
épileptiques. Thèse de médecine, Université de Créteil, 1951.
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