211 Épilepsies vol. 18, n° 4 octobre, novembre, décembre 2006
JFE 2006
les divers aspects de la maladie. C’est encore ce que font les
malades ou leur entourage pour essayer de dire ce qui leur
arrive, en utilisant les mots du contexte culturel actuel.
C’est un ouvrage de Byron Good (Good, 1998) qui m’a aussi
rappelé l’intérêt que pouvait avoir la pratique clinique d’avant
les techniques d’imagerie médicale.
Dans un souci épidémiologique sur la fréquence de l’épilepsie,
une étude fut faite par des chercheurs turcs. Ils collectaient les
récits auprès des malades épileptiques et de leur entou-
rage. Ces récits montrent une structure narrative du vécu de
la maladie. Loin de servir uniquement à la véracité des faits,
les histoires sont aussi un moyen de donner forme au vécu
et de rendre le passé disponible aux malades eux-mêmes (en
particulier à cause de l’amnésie post-critique). Il y a, comme
le dit Ricoeur, « inscription du discours ». Le malade est alors
semblable à un « lecteur » qui lit une histoire.
Recevoir les mots utilisés, symboliser l’origine de la souffrance,
trouver une image autour de laquelle un récit prendra forme,
c’est saisir le pouvoir de l’alléger. Lorsque ce n’est pas écouté,
cela met en doute la réalité vécue du patient et dément ses affir-
mations. Cela plonge le malade dans le désarroi…
Mais Byron Good conçoit aussi le diagnostic clinique du
médecin comme un récit : à partir des histoires racontées par le
patient, il construit un énoncé diagnostique qui est l’invocation
d’une réponse efficace. Dès qu’il y a récit, il y a un lecteur et un
auditeur ; les deux doivent produire du sens, dans l’interaction.
Là encore, même si les pratiques médicales ont de nouveaux
moyens d’investigation, rien ne justifie la disparition de cet
échange, passant par une parole, une écoute, une construction
commune, au-delà de la description des seuls signes objectifs
de la maladie.
S’il a été question du récit par le patient, il ne faut pas oublier
que la crise est pour beaucoup frappée d’amnésie ; nous ne
méconnaissons pas les efforts de quelques auteurs à pratiquer
l’hypnose pour permettre à la personne de se souvenir et ceci
semble t-il avec succès, ceci n’est pas mon domaine. Le plus
souvent c’est l’entourage qui permet au malade de reconstituer
le temps perdu et dissiper ainsi l’angoisse.
Ceci est très important. Le sujet va ainsi reconstituer l’éche-
veau par l’intermédiaire de l’autre là présent. Un lien fort va
ainsi s’établir mais c’est surtout à notre sens un soin d’ur-
gence que de restituer au patient ce qui s’est passé en « son
absence ».
On ne laissera pas de côté le lien de dépendance qui peut égale-
ment se tisser entre le sujet et son entourage à partir de l’incapa-
cité où se trouve celui-ci de rassembler ce qui s’est passé entre
l’avant crise et la chambre d’hôpital par exemple ou le fossé où
il se trouve. Nous avons osé ici parler d’ « Autrentourage » pour
introduire la complexité de la place de l’entourage.
Ce récit de l’Autrentourage auprès du sujet épileptique vient
combler les « vides du temps ». Ceci nous paraît très important ;
le temps nous a manqué pour seulement en dire quelques mots.
Le livre de Paul Virillio est à ce titre passionnant travaillant sur
la gestion du temps
L ’écoute de l’aura et, plus largement,
des signes précurseurs
Pour parler de ce moment si particulier des signes précurseurs
de la crise (quand il y en a), je citerai les propos du neurologue
Alajouanine en 1974 : « Sortir de soi pour entrer soudain dans un
monde de sensations, de sentiments et de pensées, ce complet
dépaysement n’est guère favorable à une récapitulation, ce dont
il ne semble rester qu’un passager éblouissement…l’expression
se heurte en quelque sorte aux barrières du langage. Aussi est-
elle généralement réduite et presque uniquement centrée sur
des modifications affectives : joie, béatitude, sentiment d’uni-
verselle harmonie, images, odeurs, etc. ».
Ces moments qui ont leurs caractères propres et surtout des
conditions psycho-physiologiques particulières, ces moments
qui ne sont « plus tout à fait du corps sans être tout à fait de
l’âme » peuvent avec avantage être l’objet d’attention toute
particulière. Le psychanalyste qui y porte intérêt devra les
distinguer de l’écoute d’un rêve. Et pourtant, il s’y manifeste
que le contenu de l’aura constitue une « autre scène », qui peut
aider le patient à ne pas être dans la soumission totale à être
totalement « saisi » (par la crise).
Exemple d’Antoine butant sur les mots qui permet de préciser
que les « phénomènes précurseurs dont les auras caractérisées,
qui seront d’autant plus arrêtées qu’elles seront en quelque sorte
« apprivoisées » par le sujet. Prenons cette séquence :
«
Lendemain de Section Clinique à Ste Anne, Antoine attendait
le bus 91 à St Paul rêvassant, il était tôt, il allait à une séance
d’analyse. Lui traverse alors bizarrement l’esprit, le souvenir du
quart de vin servi au restaurant universitaire qui était très bon,
il était comme discrètement sucré, il fut retiré du service parce
qu’il contenait... Quoi donc ? le trouble alors le prend, il sent
venir la crise ou plutôt l’aura, l’estomac s’échauffe. Antoine a
appris à tâcher de se calmer. Quel était ce produit ? Interdit.
Ne pas se fixer. Ne pas chercher de façon obnubilée. Eviter le
mot isolé ! voilà l’une des règles qui sont venues de la pratique ;
Après tout, en analyse, on apprend à laisser venir les associa-
tions. Allons y ! Antoine pense à Jussieu qui est en travaux.
Un aimant, un amant, Duras, côtes de Duras, on a les associa-
tions qu’on peut ! Au lycée de Brest des travaux aussi... le fer...
Aimant... Amiante ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! La crise s’arrête.
« Calme soudain retrouvé ! »
Plus d’un praticien vous dira combien bon nombre d’épilepti-
ques ont un savoir sur leur épilepsie et déclarent, en phase cons-
ciente de crise bien évidemment, « je sens que ça va s’arrêter ».
Henry Ey (1973), Pichon-Rivière (1983), Schmidt (1951),
Hendrick (1940) ont rapporté des cas d’auras. La richesse du
matériel concernant l’aura ne peut être reçue que grâce aux
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