Les nombres de Lucas et Lehmer sans diviseur primitif

Journal de Th´eorie des Nombres
de Bordeaux 18 (2006), 299–313
Les nombres de Lucas et Lehmer
sans diviseur primitif
par Mourad ABOUZAID
R´
esum´
e. Y. Bilu, G. Hanrot et P.M. Voutier ont montr´e que pour
toute paire de Lucas ou de Lehmer (α, β) et pour tout n > 30, les
entiers, dits nombres de Lucas (ou de Lehmer) un(α, β) admet-
taient un diviseur primitif. L’objet de ce papier est de compl´eter
la liste des nombres de Lucas et de Lehmer d´efectueux donn´ee par
P.M. Voutier, afin d’en avoir une liste exhaustive.
Abstract. Y. Bilu, G. Hanrot et P.M. Voutier showed that for
any Lucas or Lehmer’s pair (α, β) and for all n > 30, rational
integers un(α, β), said Lucas or Lehmer numbers had a primitive
divisor. The purpose of this paper is to complete the list of de-
fective Lucas or Lehmer’s numbers given by P.M. Voutier, so that
we have an exhaustive list.
1. Introduction
A la fin du XIXi`eme si`ecle, Lucas [5], [6] propose une ´etude pouss´ee des
nombres dits de Lucas d´efinis comme suit : une paire de Lucas est une
paire (α, β) d’entiers alg´ebriques racines d’un polynˆome de degr´e deux `a
discriminant positif, tels que α+βet αβ soient dans Z− {0}, premiers
entre eux et tels que α/β ne soit pas une racine de l’unit´e. A toute paire
de Lucas (α, β) on associe une suite d’entiers (un)nNdite de nombres de
Lucas, d´efinie par :
nN, un=un(α, β) = αnβn
αβ.
Lucas en donne de nombreuses propri´et´es arithm´etiques, ainsi que d’im-
portantes applications telles que l’approximation rapides d’entiers quadra-
tiques ou des tests de primalit´e pour les nombres de Mersenne.
En 1913, Carmichael se penche sur les travaux de Lucas en s’int´eressant
en particulier aux diviseurs primitifs des nombres de Lucas ([2]). Etant
donn´ee une paire de Lucas (α, β) et un entier n, un diviseur premier de un
sera dit primitif s’il ne divise pas le produit (αβ)2u1...un1. En notant
Manuscrit re¸cu le 5 octobre 2004.
300 Mourad Abouzaid
Pl’application qui `a un entier associe sont plus grand diviseur premier,
Carmichael montre ´egalement que pour n > 12, on a
P(un)>n1.
Il en d´eduit que pour nassez grand, tout nombre unadmet un diviseur
primitif.
En 1930 dans [4], Lehmer g´en´eralise les r´esultats de Lucas en d´efinissant
ses propres suites : une paire de Lehmer est une paire (α, β) d’entiers
alg´ebriques, racines d’un polynˆome de degr´e deux `a discriminant stricte-
ment positif, tels que (α+β)2et αβ soient dans Z{0}, premiers entre eux
et tels que α/β ne soit pas une racine de l’unit´e. A toute paire de Lehmer
(α, β) on associe une suite d’entiers (˜un)nNdite de nombres de Lehmer
d´efinie par :
nN,˜un= ˜un(α, β) = (αnβn)/(αβ)
(αnβn)/(α2β2)
si nest impair,
si nest pair.
Un diviseur premier de ˜unsera dit primitif s’il ne divise pas le produit
(α2β2)2˜u1. . . ˜un1.
En 1955, Ward [10] se penche a son tour sur les nombres de Lehmer, et
comme Carmichael l’avait fait pour les nombres de Lucas, il montre que
pour n > 18, tout nombre ˜unadmet un diviseur primitif. Ce r´esultat sera
am´elior´e pas Dust qui montre en 1965 dans [3] qu’il suffit de prendre n > 12.
En 1962, Schinzel [7] ´etend la d´efinition des nombres de Lucas et Lehmer
au cas des polynˆomes de degr´e deux `a discriminant n´egatifs et montre
l`a encore que pour tout couple (α, β) et pour tout nassez grand, unet
˜unadmettent un diviseur primitif. Y. Bilu, G. Hanrot et P.M. Voutier
[1] ont montr´e que c’etait le cas d´es que n > 30. P. M. Voutier donne
´egalement dans [9] une liste exhaustive des paires de Lucas n-d´efectueuses
pour 4 < n 630, n 6= 6 et des paires de Lehmer n-d´efectueuses pour
6< n 630, n 6∈ {8,10,12}, (on dira qu’une paire (α, β) est n-d´efectueuse
si le ni`eme terme de la suite associ´ee `a (α, β) ne poss`ede pas de diviseur
primitif).
L’objet de ce papier est de reprendre en d´etails les d´emonstrations faites
dans [1] afin de combler les trous laiss´es par Voutier et de donner une
liste compl`ete des paires de Lucas et Lehmer d´efectueuses. Les corrections
apport´ees `a [1] seront not´ees en gras, sauf dans le cas n= 12 o`u l’approche
est un peu diff´erente.
Remarque : toute paire de Lucas (α, β) est ´egalement une paire de Leh-
mer et
un=˜un
(α+β)˜un
si nest impair,
si nest pair.
Ainsi, si (α, β) est une paire de Lucas et nN\{2}, tout nombre premier
rest un diviseur primitif de unsi et seulement si c’est un diviseur primitif
Les nombres de Lucas et Lehmer sans diviseur primitif 301
de ˜unet une paire de Lucas (α, β) est n-d´efectueuse si et seulement si c’est
une paire de Lehmer n-d´efectueuse.
Au vu de la forme des termes un(α, β) et ˜un(α, β), il est naturel de
consid´erer les polynˆomes cyclotomiques
Φn(X, Y ) = Y
16k<n
(k,n)=1
(Xe2ikπ/nY)
et leurs valeurs en (α, β). Ainsi, pour tout nNon a :
(1.1) αnβn=Y
d|n
Φd(α, β),
(1.2) un=Y
d|n, d6=1
Φd(α, β),˜un=Y
d|n, d>2
Φd(α, β).
En particulier, pour tout nN, Φn(α, β) divise unet ˜un.
Cela nous permettra, apr`es une ´etude rapide de l’arithm´etique des suites
de Lucas et de Lehmer, d’´enoncer un crit`ere cyclotomique donnant des res-
trictions importantes et d´ecisives concernant les paires de Lucas et Lehmer
d´efectueuses. La deuxi`eme partie sera consacr´ee `a l’´etude exhaustive des
cas laiss´es de cot´e par Voutier.
2. Crit`ere cyclotomique
2.1. Quelques lemmes pr´eliminaires.
Proposition 2.1. Soit (α, β)une paire de Lehmer et (˜um)mNla suite de
Lehmer correspondante. Alors :
(1) Pour tout m > 0, on a (αβ, ˜um) = 1.
(2) Si ddivise m, alors ˜uddivise ˜umet (˜um/˜ud,˜ud)divise m/d.
(3) Pour tous entiers positifs met non a (˜um,˜un) = ˜u(m,n).
(4) Si un nombre premier rne divise pas αβ(α2β2)2alors rdivise
˜ur1˜ur+1.
(5) Si un nombre premier rdivise ˜umalors rdivise ˜umr/˜um. De plus,
si r > 2, alors rdivise exactement ˜umr/˜um(i.e. r2ne divise pas
˜umr/˜um).
(6) Si 4divise ˜um, alors 2divise exactement ˜u2m/˜um.
(7) Si un nombre premier r > 2divise (αβ)2, alors rdivise ˜ur.
De plus, si r > 3, alors rdivise exactement ˜ur.
(8) Si un nombre premier rdivise (α+β)2, alors rdivise ˜u2r.
De plus, si r > 3, alors rdivise exactement ˜u2r.
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D´emonstration. Pour cette preuve, on notera N1, N2, . . . , N7des entiers
alg´ebriques d´ependant de α,βet des indices des termes des suites (un),
(vn) et (˜un) que l’on consid`ere. Soit donc (α, β) une paire de Lehmer et
(˜um)mNla suite de Lehmer correspondante. On d´efinit une nouvelle suite
(vm)mN:
mN, vm=(αm+βm)/(α+β)
αm+βm
si mest impair,
si mest pair.
1: Pour tout mNon a :
(α+β)2m=α2m+β2m+αβN0=v2m+αβN0
= (α2m+1 +β2m+1)/(α+β) + αβN1=v2m+1 +αβN1.
Or par hypoth`ese, αβ et (α+β)2sont premiers entre eux donc αβ et vm
le sont ´egalement. De mˆeme pour tout mimpair,
˜um= (αmβm)/(αβ) = vm1+αβN2
et pour mpair,
˜um= (αmβm)/((αβ)(α+β)) = vm1+αβN3.
Donc pour tout m, (αβ, vm) = 1 impose (αβ, ˜um) = 1.
2: Soient mNet dun diviseur de m. D’apr`es (1.2) il est clair que ˜ud
divise ˜um. D’autre part, comme αm= (βd+ (αdβd))m/d on a :
αmβm
αdβd=
m/d
X
k=1 m/d
k(αdβd)k1βmkd.
En multipliant de chaque cot´e par αmdil vient :
(2.1) αmd˜um
˜ud
=m
d(αβ)md+N4˜udsi mdest pair,
(2.2) αmd(α+β)˜um
˜ud
=m
d(αβ)md+N5˜udsi mdest impair.
Comme (αβ, ˜ud) = 1, l’assertion 2est d´emontr´ee.
3: Soient met ndeux entiers positifs. Il existe set tdans Ntels que
tm sn = (m, n) = d(). Notons alors m=dm0,n=dn0,k=tm
et l=sn. D’apr`es (), tm0sn0= 1 donc tet s,tet n0,set m0sont
respectivement premiers entre eux. Ainsi (k, l) = det kl= (k, l).
D’autre part (αkβk)(αl+βl)(αk+βk)(αlβl) = 2(αβ)l(αklβkl)
donc
(2.3) ˜ukvl˜ulvk= 2(αβ)l˜uklsi klest pair,
(2.4) (α+β)2˜ukvl˜ulvk= 2(αβ)l˜uklsi klet lsont impairs,
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(2.5) ˜ukvl(α+β)2˜ulvk= 2(αβ)l˜uklsi klet ksont impairs.
Si 2 ne divise pas (˜uk,˜ul), d’apr`es l’assertion 1, (˜uk,˜ul) divise ˜ukl. Suppo-
sons donc que 2 divise (˜uk,˜ul). Comme ˜u2k/˜uk=vk, d’apr`es (2.1) et (2.2),
comme αβ et vksont premiers entre eux, 2 divise vksi kest pair et (α+β)2
si kest impair. Il en va de mˆeme pour ldonc dans tous les cas, comme αβ
est premier avec tous les ˜um, (˜uk,˜ul) divise ˜ukl. Par ailleurs, comme kl
divise ket l, ˜ukldivise (˜uk,˜ul), d’o`u l’´egalit´e.
4: Soit run nombre premier ne divisant pas αβ(α2β2)2. Si r > 2, on a
(α2β2)2˜ur1˜ur+1 = (αr1βr1)(αr+1 βr+1)
=α2r+β2r(αβ)r1(α2+β2).
Or comme rne divise pas αβ, d’apr`es le petit th´eor`eme de Fermat, il vient :
(αβ)2(α+β)2˜ur1˜ur+1 0 mod r,
Et comme rest premier avec (αβ)2(α+β)2,rdivise ˜ur1˜ur+1.
Pour r= 2, on a :
˜ur1˜ur+1 = ˜u3=α2+αβ +β2= (α+β)2αβ.
Donc si 2 ne divise ni ˜u3ni αβ, alors 2 divise (α+β)2, ce qui prouve
l’assertion 4.
5: Soient mNet run nombre premier. Comme dans la preuve du 2, on
a :
(2.6) αrm βrm
αmβm=
r1
X
k=1 r
k(αmβm)k1βm(rk)+ (αmβm)r1.
Or pour tout k∈ {1, ..., r 1},rdivise r
k. De plus, αmβm=N6˜um.
Donc si rdivise ˜umalors rdivise (αrm βrm)/(αmβm) = ˜urm/˜um.
D’autre part, si r > 2, de (2.6) on tire ´egalement
(2.7) αm(r1) ˜urm
˜umr(αmβm)N7(αmβm)r1αm(r1) =r(αβ)m(r1).
Donc si rdivise ˜umalors rdivise αmβmet comme (αβ, ˜um) = 1, r2ne
peut diviser ˜urm/˜um.
6: soit mNtel que 4 divise ˜um. Alors,
α2mβ2m
αmβm= 2βm+ (αmβm).
Or si mest pair, (α2mβ2m)/(αmβm) = ˜u2m/˜um. Donc si 4 divise ˜um
alors 4 divise (αmβm) mais 4 ne divise pas 2βmcar (αβ, ˜um) = 1. Donc
2 divise exactement ˜u2m/˜um.
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