Quant à moi, je vous demanderai d`être lucide, c`est-à

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mation courante payé 28 ou 30 francs au producteur. {Applaudissements
à
gauche.)
Ainsi, dans un restaurant où l'on paye 200 francs nn litre
de vin — v o u s savez que ce n'est pas rare — avec le service
de 12 p. 100 en plus, le garçon reçoit sensiblement en pourboire, pour déposer la bouteille sur la table, autant que le
viticulteur qui, pendant trois cent soixante-cinq jour*, peine
et engage des fiais de cultuie énormes pour pioduire le m ê m e
litre de vin.
Pensez-vous vraiment qu'un tel état de choses pourra se perpétuer ? Mais c'est là u n e autre question dont n o u s aurons à
parler dans d'antre* circonstances.
Le résultat de tout cela est que des régions entières *ont en
proie à la plus vive inquiétude et à l'angoisse la plus profonde. Je pense à ces grands villages n a g u è i e riants et prospères qui se dépeuplent régulièrement, à ces villages dont le
n o m est familier à m e s oreilles, Pépieux, Pouzols-en-Minervois.
Leucate, Pitou dans les Corbières, Olonzac dans l'Hérault, où
l e s familles qui restent sentent planer sur elles la menace
d'avoir à quitter u n pays sur leq;uel elles n e peuvent plus
vivre du fruit de leur travail, un pays qu'elles aiment parce
que c'est le leur, parce que, selon l'image du tribun, elles y
sont attachées de toutes leurs fibres « par l'immobilité des
t o m b e s et par le balancement des berceaux ».
Dans Je seul arrondissement de Narbonne, les prêts consentis
"sont supérieurs à trois millions de francs pour 50.0C0 à 55.000
Biectares de vignes. Des viticulteurs, dont les biens sont complètement hypothéqués, ne sont plus, e n fait, propriétaires de
_eurs vignes.
11 y aura, demain, monsieur le ministre, des villages à vendre. M. le président du conseil pourra, si cela les amuse, en
offrir quelques-uns pour leurs étrennes à ses petits-enfants. II
ne lui en coûtera pas très cher.
Etonnez-vous ensuite si le désespoir s'empare de ces gens-là,
îe désespoir qui naît quand les h o m m e s se prennent à douter
de la possibilité de faire entendre la raison par des m o y e n s
raisonnables.
Or, de ces gens-là, votre décret va précipiter, c o n s o m m e ï
la ruine en leur faisant supporter l'injuste part du sacrifice
nécessaire pour résorber les excédents dont les autres tirent
profit.
C'est pour toutes ces raisons que nous condamnons ce décret,
'que nous nous emploierons de toutes nos forces à en supprimer
l e s néfastes conséquences.
Mais ce décret, ne l'oubliez pas, fait partie de ceux qui
[doivent être soumis à la ratification du Parlement.
Car la loi dispose : « Us entreront provisoirement en vigueur
'dès leur publication au Journal officiel de la République française, mais ne deviendront définitifs qu'après leur ratification
ar le Parlement auquel ils seront soumis avant le 31 décembre 1953 ».
Si, par conséquent, ce décret « provisoirement en vigueur »
n'est pas s o u m i s à la ratification du Parlement, soit avant
le terme du 31 décembre 1953 indiqué par la loi, soit avaîit
la disparition du g o u v e r n e m e n t Laniel — au cas où votre
trépas ministériel inteiviendrait avant le jour de la Nativité —
n o u s Je tiendrons pour n o n avenu et plaiderons sa nullité.
Déposez-le donc, messieurs les ministre*. Déposez-le avant
'qu'il n'ait produit ses injustes et redoutables effets. Déposez-le
vite pour ratification, afin que successivement la commission
compétente et l'Assemblée en soient saisies.
Le Parlement, dont on a souvent médit, saura en effet, n o u s
l'espérons, réparer vos erreurs et vous rappeler, puisque c'est
nécessaire, que ce n'est pas la poignée de professionnels dont
l'opinion a prévalu, mais l'Assemblée nationale, et elle seule,
,qui reste responsable et souveraine.
(Applaudissements
à
gauche.)
M. le président. La parole est à M. Caillavet.
M. Henri Caillavet. Mesdames, messieurs, l e s paysans sont
mécontents. Cependant — fait beaucoup plus grave — ils appréhendent l'avenir.
Dans nos régions de petite exploitation, monsieur le ministre,
l e revenu m o y e n n'atteindra même pas, cette année, le salaire
m i n i m u m garanti. D'aucuns, il est vrai, entendent exploiter ce
malaise, cette petite jacquerie ; mais, quoi qu'il en soit, nos
agriculteurs s'irritent légitimement.
Le paysan n'est pas u n économiste scientifique. Il ne se préoccupe pas de doctrines. En revanche, il appréhende avec u n e
lucidité parfaite les problèmes de la vie de tous l e s jours; il
les connaît et n'a besoin cle personne pour l e s lui expliquer.
Dans les circonstances actuelles, que ne comprend donc pas le
paysan ? Il constate l'écart entre les prix à la production et l e s
prix de revente au détail, l'absence de justice dans le rapport
gain-travail, la disparité des prix industriels et des prix
agricoles. Le paysan ne s'oppose pas aux conséquences de la liberté
économique, mais il ne veut pas les supporter seul lorsque le
mécanisme des prix ne fonctionne plus et que l'absence de régulation le pénalise automatiquement. En effet, l'économie agricole est bel et bien désorganisée puisque les prix ne sont p l u s
la résultante de l'offre et de la demande. Notre économie agricole est désorganisée et cette désorganisation aboutit malheur e u s e m e n t à la permanence de la h a u s s e des prix de détail.
Or, les prix de détail, monsieur le ministre, se m a i n t i e n n e n t
m ê m e si les prix s'écroulent à la production.
Voilà le drame et le vice que présente notre économie- agricole. Le résultat est que les revenus de la classe agricole, générateurs d'expansion économique et de débouchés naturels pour
notre industrie, diminuent, tandis que se m a i n t i e n n e n t le coût
de la vie et le tra'.n de vie lui-même de la nation.
Si le coût de la vie baissait, c'est-à-dire si les populations
pouvaient acheter davantage cle produits agricoles, le p a y s a n
vendrait davantage et améliorerait ses prix pour la compétition
extérieure. Voilà pourquoi le paysan qui accepterait une baisse
généralisée n'admet par une baisse qui se traduit, pour lui,
seulement, par u n prix devenu injuste, antisocial.
Cette désorganisation de l'économie n'est pas u n leurre et
je ne v e u x qu'en retenir u n e p r e u v e : l'uniformisation des prix
au détail.
Cette uniformisation conduit à la négation de l'espace et du
temps. Négation de l'espace, car il est anormal que le produit
soit v e n d u au détail à dix kilomètres de son lieu de production,
au m ê m e prix qu'à 1.000 kilomètres; négation dans le t e m p s ,
parce qu'il est anormal que l e s produits soient v e n d u s à la
saison aussi chers qu'à l'arrière-saison.
Cette situation résulte essentiellement des deux f a d e u r s suiv a n t s : d'une part, la centralisation outrancière des expéditions
sur Paris et l'existence de marchés véritablement et régulièrem e n t truqués serais-je tenté de dire, m o n s i e u r le ministre,
par les circuits commerciaux préétablis — entendez par là l e s
< mandataires aux Halles — et, d'autre part, l'alignement automatique des prix des marchandises achetées ou v e n d u e s directem e n t de la consommation à la production sur les prix des produits qui sont transites sur Paris.
En d'autres termes, c'est le prix des marchandises sur lequel
porte les premières transactions qui fait le prix des marchandises écoulées en province.
Monsieur le ministre, n o u s reconnaissons personnellement
vos efforts. Ils sont méritoires.
Toutefois, v o u s en conviendrez aisément, les m e s u r e s prises
par le Gouvernement ont le défaut d'être fragmentaires. Il n ' y
a pas u n problème agricole, et il n ' y a pas davantage u n prob l è m e industriel ou un prololème financier, il y a u n seul problème, le problème de l'économie française. Tout est lié, tout
interfère.
Par exemple, il serait imprudent d'engager notre agriculture
dans la voie de l'augmentation de Ja production si, en m ê m e
temps, on ne lui assurait pas des garanties d'écoulement. Il n e
sci virait à rien de vouloir garantir les prix agricoles si, en
retour, n o u s n'organisions pas l e s marchés.
Je pense donc, monsieur le ministre, que v o u s n'apaiserez l e s
difficultés du monde p a y s a n qu'en prenant d'abord certaines
m e s u r e s d'urgence et que v o u s ne résoudrez ensuite les contradictions agricoles qu'en prenant des mesures de fond dans le
cadre d'une politique d'ensemble.
Je v o u s pose une question : s'il est exact que le Gouvernem e n t a suspendu toute nouvelle importation de complément, n e
serait-il pas alors possible d'envisager l'étalement de certaines
des importations prévues dans les accords commerciaux conclus
avec l'étranger ?
A mon sens, cet étalement pourrait être u n e m e s u r e efficace
de premier secours. Néanmoins, en présence d'une surproduction, notamment de viande, de blé, de lait, de fruits, u n e aide ^
à l'exportation est indispensable. L'exemple du Canada et celui *
de l'Italie pourraient guider n o s efforts.
Certes, le soutien de l'exportation a u n caractère artificiel,
mai*, m o m e n t a n é m e n t , je crois que cette mesure s'impose, afin
de dégorger le marché national. Le Gouvernement veut-il, pour
obtenir l'apaisement social, peut-il accepter ce sacrifice budgétaire ?
J'ajoute que des m e s u r e s exceptionnelles d'achat, telles celles
de l'intendance, pourraient être recherchées et appliqués pour
une période déterminée. Je songe n o t a m m e n t à une politique
de contrats d'achat.
Entre l'Etat et l e s particuliers seraient passés des contrats
d'achat limités, les producteurs étant provisoirement détenteurs et gardiens de la production pour laquelle, cependant, ils
recevraient u n acompte important.
Ainsi, il serait remédié, sans poussée inflationniste, a u *
difficultés de trésorerie de la classe paysanne. Sans aucun
doute, peut-on envisager d'autres mesures, d'autres modalités.
Il appartient à vos services de les imaginer, m o n s i e u r le
ministre.
Quant à moi, je vous demanderai d'être lucide, c'est-à-dire'
d'être plus réaliste que théoricien. Je serais tenté de vous
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