Campagne, marais et paysan
Il incombe au paysan égyptien, comme ceux de toutes les parties du monde, la tâche de cultiver
le sol et de nourrir la population. Son nom même,
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! sekhety, litt. « celui de la
campagne », « le campagnard », « le paysan », connote ses principales occupations et la
nature du sol sur lequel il vit, puisque la campagne égyptienne est représentée par l’élément
caractéristique de l’espace marécageux,
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, sekhet (copte sôché) comme antonyme de la
ville –, qui fait apparaître le hiéroglyphe de la roselière (), où non seulement on cultive, on
fait pâturer les bêtes, où on pêche, on chasse, mais où aussi on se livrer à la cueillette des
plantes utiles tant pour l’alimentation, pour les supports de l’écriture (le papyrus) que pour la
sparterie.
La campagne recouvre tant l’espace agricole que marécageux, c’est-à-dire deux territoires
spécifiques que les Égyptiens nommaient, dans leur terminologie spécifique à la vallée du Nil,
ouou (
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) et pehou (
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), respectivement « terroir cultivable » et « espace
marécageux », ce dernier situé aux limites des terres cultivées.
Le paysan égyptien est donc celui qui vit dans cet espace plongé pendant quatre mois de l’année
sous l’eau de la crue et qui, lorsque le sol chargé de limon émerge, y mène, tenant les
mancherons de sa charrue, une vie harassante faite des travaux et des jours, toyant ceux qui
vivent de l’exploitation du marais égyptien, chasseurs, pêcheurs et oiseleurs. [S.H. AUFRÈRE,
UMR 5052, Université Paul Valéry].
Bibliographie : S.H. AUFRÈRE, « Le “territoire cultivé” (ouou) et la “réserve aquatique”
(pehou) dans les monographies des Nomes de l’Égypte ancienne », dans La campagne
antique : espace sauvage, terre domestiquée, Cahiers KUBABA V, L’Harmattan, 2003, p. 9-
44.
Paysans et Pharaon
L’analyse des documents de toutes les époques montre qu’à l’homme de la campagne incombe
la lourde charge de nourrir en céréales, fruits et légumes, de vêtir de lin une importante
population composés d’ayant-droits. L’homme ne fait qu’un avec le terroir où il est né et ne
s’en éloigne guère, dans la mesure où la ronde des saisons et les travaux attachés à chacune
d’entre elles ne lui en laissent guère l’opportunité. Que les terres sur lesquelles il travaille
appartiennent en propre à l’État ou que leurs revenus soient affectés à des institutions ou à des
temples, le système même de redistribution traditionnel des ressources repose sur la force de
travail du paysan et de sa famille. Sa situation n’est guère enviable. Ainsi que le rappelle la
Satire des métiers, le paysan est quelqu’un qui n’a pratiquement pas le statut d’homme, réduit à
l’état de bétail humain pour les plus misérables d’entre eux, au point que le mépris pour celui
qui travaille la glèbe émerge à de nombreuses reprises dans la littérature égyptienne.
Au plan littéraire, il émerge cependant du monde de la terre tout un pan de la sagesse populaire,
de la connaissance de l’environnement et de son biorythme. Le conte de l’oasien plaideur, un
écrit remontant au Moyen Empire, décrit la condition rurale. L’auteur du conte, évoquant un
oasien de Basse-Égypte venu dans la vallée pour y chercher des ressources pour sa famille, le
dépeint dans sa candeur naïve, paysan de toujours, fellah d’aujourd’hui, comme un homme
attaché à des valeurs traditionnelles. Pourtant, ayant subi l’injustice d’un avide, fourbe et cruel à
la fois, il manie la métaphore avec éloquence face à l’autorité devant laquelle il vient déposer
plainte.
Derrière le conte, l’écrivain soumet au lecteur, sous la forme apparente d’un fait divers mon
en épingle, la situation du paysan traditionnellemen t exploité et démuni devant l’autorité de plus
forts que lui. C’est Pharaon, auquel on aura lu les discours inspirés de l’Oasien, qui tranche en
dernière instance dans l’affaire qu’il soumet au juge. Le retournement complet de situation –
l’agresseur condamné à servir celui qu’il a volé – est une morale exemplaire. Si petit que soit le
paysan il peut fait entendre sa voix au nioveau le plus élevé. Au-delà de la morale du conte, le
celui-ci rappelle que l’autorité pharaonique, consciente de la faiblesse de son statut, rend justice
au paysan, moins rustique qu’il n’y paraît, car non seulement le pays s’appuie totalement sur
son travail fondé sur la connaissance intrinsèque du sol sur lequel il déploie ses efforts, mais il
plaide également au nom du principe universel du droit des gens de ne pas subir l’arbitraire des
puissants, dont Pharaon a pour charge, gardien de Maât, de réprimer les abus. Cependant, si le
paysan du conte campe un personnage haut en couleur, celui-ci n’est pas caractéristique de la
majorité de jadis, cette dernière étant bien souvent décrite dans des ouvrages récents comme
survivant au seuil de la misère physique et morale, encore exploitée naguère par un système
oligarchique.
Quel que soit le régime juridique du lopin qu’il cultive, le paysan de l’époque pharaonique subit
toujours à son corps défendant, bon an mal an, dans son quotidien, la pression fiscale, et son
revenu diminue d’autant. Il paye en renaclant l’impôt proportionnellement calculé sur la base
des résultats que les arpenteurs de Pharaon ou de l’autorité à laquelle la terre est soumise, ont
fait du rendement de chaque champ, après vérification du bornage. Et sans doute était-il exploité
par des gestionnaires sans scrupules, scribes enregistrant les chiffres du boisseau, qui lui
laissaient seulement de quoi vivre, forçant certains d’entre eux à fuir leur condition, une
situation qui s’est produite, notamment à la fin du Moyen Empire égyptien et qui apparaît
comme une des causes de la Deuxième Période intermédiaire. L’anachorèse est un fléau qui
sévit jusqu’à l’époque ptolémaïque, ce qui démontre la rudesse avec laquelle le paysan est traité.
Le pays, dans la survie de son système, est confronté aux dures contraintes de la vie
économique, qui l’emportent sur toute autre espèce de considération humaine. Car à son
humble échelle, le paysan est celui sur lequel reposent tout à la fois, d’un point de vue
institutionnel l’édifice pharaonique qui s’est écroulé plusieurs fois dans son histoire, et d’un
point de vue économique la prospérité des habitants de la basse vallée du Nil.
En outre, le paysan apparaît, même dans la vie d’outre-tombe, comme un invariant de la vie
égyptienne puisque le défunt en est tenu à exploiter par lui-même le territoire d’où il tire ses
ressources dans le champ d’Ialou, qui revêt, mutatis mutandis, l’aspect sous lequel les
Égyptiens imaginaient la campagne égyptienne. [S.H. AUFRÈRE, UMR 5052, UniversiPaul
Valéry].
Bibliographie : B. MENU, Recherches sur l’histoire juridique, économique et sociale de
l’ancienne Égypte, II, BdE 122, Le Caire, 1998 ; G. LEFEBVRE, Romans et contes égyptiens de
l’époque pharaonique, Paris, 1982, p. 41-69 ; G. FECHT, dans I, col. 638-651, s. v.
« Bauerngeschichte » ; W. HELCK, dans I, col. 637, s. v. « Bauer » ; H. AYROUT, S.J.,
Fellahs d’Égypte, Le Caire, 1952 (bibl.).
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