Cancer du rein métastatique : nouvelles molécules, nouvelles stratégies dossier thématique Cancer du rein métastatique : état des lieux des différentes lignes de traitement Medical treatment of metastatic renal cell carcinoma: state of the art p o i nt s f o rt s » Les thérapies ciblées ont révolutionné la prise en charge du cancer du rein métastatique. » Les 2 principales classes thérapeutiques sont les antiangiogéniques et les inhibiteurs de mTOR. » La séquence optimale de traitement reste à définir, tout comme la place de la néphrectomie avec l’étude CARMENA. » Les inhibiteurs de tyrosine kinases de deuxième génération highlights A. Thiery-Vuillemin* ont démontré des résultats positifs dans des études de phase III. The 2 main therapeutic classes are antiangiogenics and mTOR inhibitors. The optimal sequence of treatment remains to be precised, such as the place of nephrectomy with CARMENA study. Second-generation tyrosine kinase inhibitors have shown positive results in phase III studies. » Les résultats des études adjuvantes sont attendus. Results of adjuvant studies are strongly awaited. Mots-clés : Cancer du rein - Thérapies ciblées - Antiangiogéniques Inhibiteurs de mTOR - Séquences. Keywords: Renal cancer - Targeted therapies - Antiangiogenics - mTOR inhibitors - Sequence. L * Service d’oncologie médicale, CHU de Besançon ; Inserm, UMR1098, Besançon ; université de FrancheComté, UMR1098, SFR IBCT, Besançon. 50 Targeted therapies have strongly modified the management of metastatic renal cancer. a prise en charge du cancer du rein s’est complètement modifiée en l’espace d’une dizaine d’années grâce à une meilleure compréhension des voies pro-oncogéniques, notamment de la voie VHL-angiogenèse, avec pour résultat l’avènement des thérapies ciblées. Celles-ci ont quasiment supplanté les stratégies d’immunothérapie à base de cytokines dans le traitement systémique du cancer du rein métastatique. Actuellement, 2 classes thérapeutiques sont particulièrement étudiées : les antiangiogéniques et les inhibiteurs de mTOR. Le bévacizumab est le premier antiangiogénique à avoir démontré son efficacité dans le cadre d’une phase II randomisée, publiée en 2003 (1). Depuis, 5 molécules ont obtenu leur autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement du cancer du rein métastatique et sont utilisées en routine en France. Le tableau résume l’activité des principales thérapies ciblées. Traitements systémiques de première ligne Antiangiogéniques Le sunitinib est un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) antiangiogénique qui a démontré son activité en première ligne de traitement du cancer du rein métastatique à cellules claires dans une étude de phase III randomisée qui le comparait à l’interféron (IFN) α. La survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG) ont été significativement meilleures avec le sunitinib : 11 mois versus 5 mois et 26,4 mois versus 21,8 mois de médiane respectivement (2). Une étude de phase II randomisée sur 292 patients retrouve une tendance non significative en faveur de l’administration classique (4 semaines sur 6 à 50 mg) du sunitinib par rapport à un schéma continu à 37,5 mg, avec une médiane de SSP de 9,9 mois versus 7,1 mois Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 2 - avril-mai-juin 2012 Cancer du rein métastatique : état des lieux des différentes lignes de traitement Tableau. Synthèse des principales études impliquant des thérapies ciblées dans le cancer du rein métastatique. Type d’étude Nombre de patients Patients prétraités Bras expérimental SSP (mois) SG (mois) TR (%) Escudier B et al. Phase III randomisée 649 Non Bévacizumab/interféron 9 MUI 10,2 23,3 31,0 Rini BI et al. Phase III randomisée 732 Non Bévacizumab/interféron 9 MUI 8,5 18,3 25,5 Melichar B et al. Phase II non randomisée 147 Non Bévacizumab/interféron 3 MUI 14,8 Non atteinte 24,3 Motzer RJ et al. Phase III randomisée 750 Non Sunitinib 11 26,4 31,0 Motzer RJ et al. Press release Phase III randomisée 517 Oui/non Tivozanib 11,9 NR NR Hudes G et al. Phase III randomisée 626 Non Temsirolimus 5,5 10,9 8,6 Sternberg CN et al. Phase III randomisée 233 Oui/non Pazopanib 9,2 22,9 30,0 Escudier B et al. Phase III randomisée 903 Oui Sorafénib 5,5 17,8 10 Motzer RJ et al. Phase III randomisée 416 Oui Évérolimus 4,9 14,8 1,8 Rini BI et al. Phase III randomisée 723 Oui Axitinib 6,7 NR 19,0 NR : non rapportés ; SG : survie globale ; SSP : survie sans progression ; TR : taux de réponse. (p = 0,09) [3]. Le bévacizumab est la seule molécule à avoir démontré un bénéfice significatif en termes de SSP dans 2 études de phase III randomisées lorsqu’elle est associée à l’IFNα, versus IFNα seul : études AVOREN et CALGB 90206 (4, 5). Le sunitinib et le bévacizumab étaient donnés à des patients présentant principalement des cancers du rein métastatiques de pronostics bon et intermédiaire. Entre 85 et 90 % des patients avaient subi une néphrectomie. Récemment, une étude de phase II incluant 147 patients présentant des caractéristiques comparables à celles des malades de l’étude AVOREN semble retrouver que la dose d’IFN α associé au bévacizumab peut être réduite à 3 MUI, pour une médiane de SSP de 14,8 mois jamais retrouvée par ailleurs en première ligne (6). Deux nouveaux antiangiogéniques émergent en première ligne. Le pazopanib est un ITK qui a démontré sa supériorité sur le placebo dans une étude de phase III randomisée portant sur des patients avec cancer du rein métastatique prétraités ou non par cytokine. La courbe de SSP des 155 patients naïfs de traitement systémique, avec une médiane de 11,1 mois, se rapproche de celles du sunitinib ou du bévacizumab ; le profil de toxicité semble plus intéressant (7). Cela a motivé une AMM européenne conditionnelle et la réalisation de l’étude de phase III randomisée de non-infériorité COMPARZ, comparant le pazopanib et le sunitinib en première ligne. Le tivozanib est le seul ITK à avoir démontré sa supériorité sur un autre antiangiogénique, le sorafénib, lors de l’étude rando- Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 2 - avril-mai-juin 2012 misée de phase III TIVO-1 (8). Les patients avaient subi une néphrectomie et ne devaient pas avoir été traités par antiangiogéniques ou inhibiteurs de mTOR au préalable mais pouvaient avoir reçu une première ligne de traitement systémique (cytokines). L’étude a atteint son objectif principal : la médiane de SSP de l’ensemble de la population est de 11,9 mois pour le tivozanib versus 9,1 mois pour le sorafénib et de 12,7 mois versus 9,1 mois pour les patients naïfs de tout traitement par cytokines. Le profil de toxicité reste voisin de celui des autres ITK antiangiogéniques. Ces résultats ont été présentés au congrès américain en cancérologie en 2012. Inhibiteur de mTOR La seule molécule à avoir démontré une activité significative dans une étude de phase III chez des patients avec cancer du rein métastatique de mauvais pronostic est le temsirolimus. Cet inhibiteur de mTOR a démontré une amélioration de la SG chez les patients de mauvais pronostic par rapport à l’IFNα : médiane de 10,9 mois versus 7,3 mois. À noter que 19 % des patients avaient une histologie différente du classique carcinome à cellules claires (9). Deuxième ligne et au-delà Auparavant, les patients recevaient un traitement de première ligne à base de cytokine (interleukine 2 51 Cancer du rein métastatique : nouvelles molécules, nouvelles stratégies dossier Références 1. Ya n g J C , H a w o r t h L , Sherry RM et al. A randomized trial of bevacizumab, an antivascular endothelial growth factor antibody, for metastatic renal cancer. N Engl J Med 2003; 349(5):427-34. 2. Motzer RJ, Hutson TE, Tomczak P et al. O verall survival and updated results for sunitinib compared with interferon alfa in patients with metastatic renal cell carcinoma. J Clin Oncol 2009;27(22): 3584-90. 3. Motzer RJ, Hutson TE, Olsen MR et al. Randomized phase II trial of sunitinib on an intermittent versus continuous dosing schedule as first-line therapy for advanced renal cell carcinoma. J Clin Oncol 2012; 30(12):1371-7. 4. Escudier B, Bellmunt J, Négrier S et al. Phase III trial of bevacizumab plus interferon alfa-2a in patients with metastatic renal cell carcinoma (AVOREN): final analysis of overall survival. J Clin Oncol 2010;28(13):2144-50. 5. Rini BI, Halabi S, Rosenberg JE et al. Phase III trial of bevacizumab plus interferon alfa versus interferon alfa monotherapy in patients with metastatic renal cell carcinoma: final results of CALGB 90206. J Clin Oncol 2010;28(13):2137-43. 52 thématique et/ou IFNα). Le sorafénib est un ITK antiangiogénique qui a montré sa supériorité sur le placebo lors d’une étude de phase III randomisée après cytokine (10). Toutefois, la première ligne de traitement comporte le plus souvent des antiangiogéniques. L’évérolimus est un inhibiteur de mTOR qui a démontré une meilleure SSP que le placebo (médiane : 4,9 mois versus 1,9 mois) chez des patients avec un cancer du rein métastatique ayant déjà reçu 1 ou 2 ITK antiangiogéniques (11). Les ITK antiangiogéniques de deuxième génération sont efficaces en deuxième ligne de traitement ; par exemple, l’axitinib a une meilleure SSP que le soréfanib (médiane : 6,7 mois versus 4,7 mois) chez des patients ayant reçu une thérapie systémique de première ligne (cytokine et sunitinib principalement) [12]. Il est important de distinguer, parmi les patients ayant reçu de l’axitinib, les 2 sous-groupes principaux : ceux prétraités par cytokines (n = 126) avaient une SSP plus longue que ceux prétraités par sunitinib (n = 184), avec des médianes de 12,1 mois versus 4,8 mois. Les résultats d’une seconde étude randomisée de phase III (AGILE 1052) comparant axitinib et sorafénib chez des patients en première ou deuxième ligne de traitement sont attendus. Quelques données sur les combinaisons et séquences La chronicisation ainsi que la multiplicité des possibilités thérapeutiques posent le problème du choix de l’ordre d’administration des diverses molécules. En effet, pour le moment, les études de combinaisons de thérapies ciblées restent décevantes, à l’image de l’étude TORAVA (13). Diverses études complémentaires de phase II/III randomisées ont été menées, dont les résultats sont en attente : INTORACT (temsirolimus + bévacizumab versus bévacizumab + IFNα) ; RECORD-2 (bévacizumab + IFNα versus bévacizumab + évérolimus) ; BEST (4 combinaisons différentes comprenant temsirolimus, bévacizumab et sorafénib). Actuellement, le clinicien propose donc ces molécules selon 2 modalités principales : soit 2 antiangiogéniques puis 1 inhibiteur de mTOR, soit une alternance antiangiogénique-inhibiteur de mTORantiangiogénique. Seules des études rétrospectives, avec de faibles effectifs, ou des études prospectives observationnelles permettent, pour le moment, d’évaluer l’intérêt de telle ou telle séquence. Diverses études de phase II/III sont attendues : PISCES (sunitinib puis pazopanib ou l’inverse, en tenant compte du choix du patient), SWITCH (sunitinib puis sorafénib ou l’inverse), WYETH 404 (temsirolimus versus sorafénib en deuxième ligne après sunitinib), RECORD-3 (sunitinib puis évérolimus ou l’inverse). L’étude la plus ambitieuse est l’essai START, qui comparera 6 stratégies séquentielles différentes. Parmi les nouvelles molécules, le dovitinib est un ITK de deuxième génération prometteur, ciblant à la fois les récepteurs au VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), au PDGF (Platelet-Derived Growth Factor) mais aussi au FGF (Fibroblast Growth Factor). L’essai GOLD est une étude de phase IIII randomisée qui tente de le positionner en troisième ligne chez des patients ayant reçu 1 seul antiangiogénique et 1 seul inhibiteur de mTOR : cette stratégie originale favorise une séquence alternant antiangiogénique et inhibiteur de mTOR. Conclusion Les thérapies ciblées ont révolutionné la prise en charge du cancer du rein métastatique avec, dans certains cas, une évolution vers une chronicisation de la maladie. Il est important de ne pas oublier que seule l’interleukine 2 à haute dose a permis d’obtenir des rémissions sur le long terme, au prix d’une morbimortalité non négligeable. Le ratio activité/toxicité des nouvelles biothérapies explique leur succès. Toutefois, la meilleure séquence de traitement reste à définir. Il y a peu de comparaisons directes de ces molécules en première ligne, mais de nouvelles données sont attendues cette année. L’arrivée de ces molécules innovantes fait aussi évoluer la prise en charge du cancer du rein métastatique en fonction de l’histologie du cancer. Ainsi, les doubles inhibiteurs d’antiangiogéniques et de c-MET (du type forétinib) semblent intéressants dans le traitement des carcinomes papillaires (14). Ces stratégies offrent de nouvelles possibilités thérapeutiques, et notamment celle de traiter les patients plus tôt. Trois molécules (sunitinib, sorafénib et pazopanib) tentent de se positionner dans la prise en charge adjuvante des cancers du rein localisés avec des études de phase III randomisées en cours ou closes aux inclusions : STRAC, SORCE, VEG113387. En cas de résultats positifs d’une de ces études, le choix de la première ligne de traitement à la phase métastatique sera bien entendu conditionné par le traitement adjuvant reçu par le patient ; ce qui se fait déjà dans d’autres tumeurs (cancers du sein, colorectal, etc.). ■ Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 2 - avril-mai-juin 2012 Cancer du rein métastatique : nouvelles molécules, nouvelles stratégies dossier thématique Cancer du rein métastatique : état des lieux des différentes lignes de traitement A. Thiery-Vuillemin R é f é r e n c e s (suite de la p. 52) 6. Melichar B, Bracarda S, Matveev V et al. BEVLiN: Prospective study of the safety and efficacy of first-line bevacizumab (BEV) plus low-dose interferon-2a (IFN) in patients (pts) with metastatic renal cell carcinoma (mRCC). Congrès américain en cancérologie 2011: abstr. 4546. 7. Sternberg CN, Davis ID, Mardiak J et al. Pazopanib in locally advanced or metastatic renal cell carcinoma: results of a randomized phase III trial. J Clin Oncol 2010;28(6): 1061-8. 8. http://www.aveopharma.com/product_candidates/ tivozanib 9 . H u d e s G , C a r d u c c i M , To m c z a k P e t a l . Temsirolimus, interferon alfa, or both for advanced renal- cell carcinoma. N Engl J Med 2007;356(22): 2271-81. carcinoma (AXIS): a randomised phase 3 trial. Lancet 2011; 378(9807):1931-9. 10. Escudier B, Eisen T, Stadler WM et al. Sorafenib for 13. Négrier S, Gravis G, Pérol D et al. Temsirolimus and beva- treatment of renal cell carcinoma: final efficacy and safety results of the phase III treatment approaches in renal cancer global evaluation trial. 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