Session professionnelle 313
FAUT-IL PRENDRE EN CHARGE LES VIGILANCES?
D. Sciard*, L. Ricour*, M. Matuszczak** - *Département Gestion des Risques, Géné-
rale de Santé, 96 avenue d’Iéna, 75783 Paris Cedex 16, France. **Abteilung für
Anäesthesiologie, Kliniken der Stadt Köln, 200 Ostmerheimer Strasse, 51109 Cologne,
Allemagne.
INTRODUCTION
C’est en réponse à quelques grands drames de santé publique comme celui du sang
contaminé, que se sont développés les systèmes de vigilances. Il est en effet apparu
essentiel aux pouvoirs publics de mettre en place des systèmes de surveillance des
effets indésirables et des incidents liés à l’utilisation à grande échelle de «produits de
santé» (les médicaments, les produits sanguins, les dispositifs médicaux et récemment
les produits biologiques).
Les vigilances sanitaires [1] représentent une veille sanitaire permanente dont les
objectifs sont :
Le signalement des incidents.
L’enregistrement, le traitement et l’investigation des événements indésirables et inci-
dents liés à l’utilisation de produits et biens thérapeutiques.
La traçabilité des produits et produits de santé.
La réponse aux alertes sanitaires.
Dans le contexte sanitaire français, elles concernent :
Les médicaments et les médicaments dérivés du sang (pharmacovigilance).
Les produits sanguins labiles (hémovigilance).
Les dispositifs médicaux (matériovigilance).
Les organes et tissus prélevés (biovigilance).
Les réactifs de laboratoire (réactovigilance).
Par extension, nous nous intéresserons à la maîtrise du risque infectieux (infectiovi-
gilance) bien que ne faisant pas à proprement parler partie des vigilances réglementaires.
Après quelques définitions, nous nous proposons de développer la notion de vigi-
lance dans le champ plus large de la gestion des risques, de déterminer les différentes
responsabilités et de voir quelle est la place de l’anesthésiste dans la prise en charge des
vigilances.
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1. DEFINITIONS
Nous ne ferons qu’expliciter brièvement certaines de ces vigilances rarement sous
la responsabilité des anesthésistes (pharmacovigilance, biovigilance, réactovigilance
et pour une moindre part matériovigilance) et insisterons davantage sur l’hémovigi-
lance ou l’infectiovigilance, largement prises en charge, quant à elles, par les anesthésistes.
1.1. PHARMACOVIGILANCE
La pharmacovigilance a pour objet la surveillance du risque d’effet indésirable
résultant de l’utilisation de médicaments ou des produits apparentés (médicaments
dérivés du sang).
1.2. MA TERIO VIGILANCE
La matériovigilance a pour objet la surveillance des incidents ou risques d’incidents
liés à l’utilisation d’un dispositif médical (DM) [2].
1.3. BIOVIGILANCE
La biovigilance concerne les produits issus du corps humain et des animaux utilisés
pour des greffes (organes, tissus et cellules) et englobe aussi les produits utilisés et mis
au contact direct de ces produits (liquide de transport, de conservation, de croissance
des cellules). Elle a pour objet le respect des pratiques jusqu’au suivi du greffé.
1.4. REA CTO VIGILANCE
La réactovigilance a pour objet la sécurité des réactifs de laboratoire, suivi des inci-
dents et de la conformité des réactifs.
1.5. SECURITE TR ANSFUSIONNELLE
La sécurité transfusionnelle va au-delà de la stricte hémovigilance et a pour objectif
de réduire les risques liés à la transfusion des Produits Sanguins Labiles (PSL), pro-
duits cellulaires et plasma frais congelé.
1.6. HEMOVIGILANCE
L’hémovigilance [3] a pour objet la surveillance des incidents ou risques d’inci-
dents liés à l’utilisation des PSL. C’est une obligation récente (décret du 24 janvier 1994)
qui incombe aux Etablissements de Santé (ES) et aux Etablissements de Transfusion
Sanguine (ETS). C’est un élément de la sécurité transfusionnelle.
L’Agence Française du Sang (AFS), devenue l’Etablissement Français du Sang (EFS),
a été en charge de l’hémovigilance dès sa création en 1993 et jusqu’au 1
er
janvier 1999,
date à laquelle elle a intégré l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
Santé (AFSSaPS) qui fédère désormais toutes les vigilances institutionnalisées [4].
L’hémovigilance s’appuie sur un réseau constitué [5] :
Au niveau local par le Correspondant d’Hémovigilance de l’Etablissement de Santé.
Au niveau locorégional par le(s) Correspondant(s) d’Hémovigilance de l’Etablisse-
ment de transfusion sanguine.
Au niveau régional, par le coordonnateur régional d’hémovigilance sous l’autorité
du Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales.
Au niveau central, par la cellule spécialisée de l’EFS.
Par ailleurs, les établissements publics de santé transfuseurs sont tenus de se doter
d’un Comité de Sécurité Transfusionnelle et d’Hémovigilance (recommandé pour les
Etablissements Privés).
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1.7. INFECTIOVIGILANCE
L’infectiovigilance a pour objet la surveillance dans les Etablissements de Santé
des risques infectieux majeurs afin de prévenir toute transmission nosocomiale.
Cette vigilance entre dans les missions des Comités de Lutte contre les Infections
Nosocomiales (CLIN) qui doivent être mis en place et évalués dans tous les établisse-
ments de santé publics et privés [6].
Les infections acquises au sein de l’établissement, d’origine pluri-factorielle, sont
susceptibles de concerner les patients, les professionnels, et toute personne entrant en
contact avec les patients.
2. LES «ACTEURS» DANS L’ETABLISSEMENT DE SANTE
2.1. PROFIL ET MISSIONS DU CORRESPONDANT D’HEMOVIGILANCE (CH)
C’est en général un médecin, mais il peut s’agir d’un pharmacien après avis du
directeur de l’AFSSaPS par arrêté pris par le Ministre Chargé de la Santé.
Il est désigné par le directeur et assure cette fonction pour le compte de l’établis-
sement.
Son nom est communiqué à l’AFSSaPS, au Coordonnateur Régional d’Hémovigi-
lance et à l’ETS distributeur.
Il doit [7] :
Signaler les effets inattendus ou indésirables liés à l’utilisation de PSL.
Entreprendre d’urgence les investigations sur des effets transfusionnels inattendus
ou indésirables.
Recueillir et conserver les informations relatives à ces signalements.
Transmettre les informations à l’ETS distributeur, à l’AFSSaPS et au Coordon-
nateur Régional.
Signaler les difficultés rencontrées dans sa fonction à l’AFSSaPS et au Coordon-
nateur Régional.
2.2. L E PRESIDENT DE CLIN
La prévention du risque infectieux, le suivi et le traitement des patients infectés
nécessitent la collaboration de différents spécialistes du risque infectieux qu’ils soient
infectiologues, microbiologistes, hygiénistes, chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs…
et doivent donner lieu à des actions coordonnées sous la direction d’une personne clai-
rement identifiée.
Le président du CLIN [8] ne doit pas obligatoirement être un médecin spécialiste
des maladies infectieuses mais est ce médecin coordonnateur, garant des bonnes prati-
ques, qui s’assure que dans son établissement toutes les compétences sont réunies pour
que la lutte contre les infections nosocomiales soit la plus efficace possible.
3. LES VIGILANCES DANS LE CADRE DE L’ACCREDITATION
Le référentiel de l’Agence Nationale d’Accréditation des Etablissements de Santé
(ANAES) [9] reprend précisément les différentes responsabilités engagées dans le pro-
cessus de l’hémovigilance, de la sécurité transfusionnelle et du risque infectieux.
3.1. VIGILANCES SANIT AIRES ET SECURITE TR ANSFUSIONNELLE (VST)
Les références spécifiques concernant la Sécurité Transfusionnelle
montrent qu’el
le
ne repose pas sur la bonne volonté d’une personne, en particulier du Correspondant
d’Hémovigilance, mais elle concerne l’établissement et les professionnels qui y
travaillent.
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VST.1 .b. : la commission médicale d’établissement (CME), les praticiens et la direc-
tion des soins infirmiers (DSSI) s’engagent dans le dispositif de Vigilance Sanitaire
et de Sécurité Transfusionnelle.
VST.2.c . : la traçabilité des produits et dispositifs médicaux est assurée.
VST.3.a. : les professionnels sont informés de leurs obligations de signalement des
événements indésirables relatifs à l’utilisation des Produits Sanguins Labiles…
Dans tous les cas, il semble judicieux, dans le cadre du règlement intérieur, de rap-
peler ces obligations.
VST.4 : l’établissement met en œuvre les règles de Sécurité Transfusionnelle.
- Maîtrise de l’utilisation des PSL
- Approvisionnement
- Dossier transfusionnel
- Bonnes pratiques
- Information patient et médecin traitant…
VST.5.c. : un programme d’amélioration continue de la Sécurité Transfusionnelle est
en cours.
La direction doit :
Exprimer sa volonté d’assurer un environnement sécuritaire favorable permettant
l’application des règles de la transfusion.
Mettre à la disposition de la communauté médicale un personnel formé à la pratique
transfusionnelle.
Faciliter l’élaboration du dossier à partir des informations provenant des admissions,
des infirmier(e)s (IDE), du médecin responsable de la transfusion, du CH et de l’ETS.
La communauté médicale doit :
Se sentir concernée par la sécurité transfusionnelle. Un problème de sécurité peut
mettre en danger l’établissement et par là même, l’exercice individuel de tous les
praticiens.
Le CH :
Est le garant des bonnes pratiques.
Est responsable du suivi des incidents transfusionnels.
N’endosse pas la responsabilité du médecin prescripteur de la transfusion, du méde
-
cin assurant la transfusion ou celle de l’établissement.
L’ETS est un partenaire de l’établissement de soin, du médecin transfuseur et du CH.
3.2.
SURVEILLANCE, PREVENTION ET CONTROLE DU RISQUE INFECTIEUX (SPI)
La gestion du risque infectieux dans le cadre de l’accréditation va au-delà de la
simple infectiovigilance et correspond à une véritable politique de maîtrise du risque
infectieux qu’il s’agisse de la surveillance et de la prévention des infections nosoco-
miales (IN), de la bonne utilisation des antibiotiques mais aussi de la formation des
professionnels et de l’évaluation de cette politique au sein de l’établissement.
SPI.2.a. : l’implication de la direction est primordiale : concertation avec la CME, la
DSSI, les professionnels concernés.
SPI.2.b. : garantir la coordination des actions menées par les différents profession-
nels ou secteurs d’activité.
SPI.2.c. : communication au sein de l’établissement et avec l’extérieur.
SPI.2.d et e. : formation et formation continue en hygiène.
SPI.3.a. : un responsable en hygiène est identifié au sein de l’établissement.
SPI.4. : stratégie de surveillance ciblée, dispositif d’alerte, suivi de l’évolution du
taux des bactéries résistantes aux antibiotiques.
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De nouveau, nous remarquons que la maîtrise du risque infectieux ne repose pas sur
la compétence et la bonne volonté d’une seule personne en l’occurrence le Président du
CLIN.
Ces articles du manuel d’accréditation reprennent ce qui est du rôle :
De la direction (SPI.2.a., SPI.2.c. SPI.2.d et e. SPI.3.a.).
Du président de CLIN et du laboratoire de microbiologie (SPI.2.b. SPI.4.).
4. POURQUOI FAUT-IL INTEGRER LES VIGILANCES A UNE GESTION
GLOBALE DU RISQUE?
A ce jour, il n’y a pas d’obligation réglementaire de coordonner les vigilances, mais
les incitations se multiplient : au-delà de l’accréditation, la loi de Sécurité Sanitaire
regroupe toutes les fonctions de contrôle et d’évaluation des Produits de Santé au sein
de l’AFSSaPS [10]. Cette coordination est le gage de plus d’efficience.
4.1. UNE SINISTRALITE CROISSANTE
Le nombre et le coût des réclamations mettant en cause la responsabilité des Eta-
blissements de Santé ont augmenté ces dernières années d’une façon très importante.
Les statistiques du premier assureur de responsabilité Hospitalière en France, la
Société Hospitalière d’Assurances Mutuelles (SHAM) , montre qu’en dix ans le nom-
bre de déclarations de sinistres corporels (+ 251 %) et le coût de ces sinistres (+ 239 %)
a plus que doublé [11].
L’étude a porté sur 1450 établissements publics et privés. 52 % des déclarations
étaient dues à des causes cliniques et ont représenté 88 % des coûts.
Il est surtout intéressant de noter que dans tous les cas le juge s’est montré particu-
lièrement attentif à l’organisation, aux moyens humains et matériels que mettaient en
œuvre les établissements pour assurer la sécurité du patient.
Cette évolution de la sinistralité trouve son origine dans la conjonction de plusieurs
facteurs :
Une médiatisation plus importante des accidents et incidents bien qu’ils ne soient ni
plus nombreux, ni plus graves.
Une vigilance accrue des patients [13], consommateurs avertis réclamant une partici-
pation plus active dans le processus de soins et exigeant plus de transparence de la
part des professionnels de santé (première motivation du patient lésé qui saisit la
justice).
Le morcellement croissant des tâches au sein des Etablissements de Santé, lié à une
hyper-spécialisation des professionnels et au développement des technologies mé-
dicales.
La nécessité de mettre en place des «chaînes de soins» comportant de plus en plus
d’intervenants, ce qui accroît les problèmes d’organisation, et par voie de conséquen-
ce, l’apparition de dysfonctionnements potentiellement préjudiciables pour le patient.
Une profonde évolution de la jurisprudence [14, 15] allant dans le sens des intérêts
des patients et du renforcement des obligations des Etablissements de Santé : la res-
ponsabilité de l’établissement peut être engagée sans faute.
4.2. VIGILANCES REGLEMENT AIRES ET GESTION DES RISQUES
Les démarches réglementées de prévention des risques sanitaires existent actuelle-
ment dans tous les établissements. Elles sont certainement efficaces puisqu’en termes
de sinistralité, elles ne couvrent que 5 % des incidents constatés mais, en raisonnant a
contrario, cela signifie aussi que 95 % des incidents susceptibles de se produire dans un
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