Lettre à l'éditeur Épilepsies 2005 ; 17 (4) : 283-4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. À propos de la nouvelle définition de la crise et de l’épilepsie J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et une certaine émotion la traduction de l’article d’Epilepsia (Epilepsies 2005 ; 17 : 129-32) concernant les élucubrations qui ont conduit un certain nombre d’épileptologues de renom à proposer une nouvelle définition de la crise épileptique et surtout de l’épilepsie (Epilepsia 2005 ; 46 : 470-2.) Première question : pourquoi proposer et/ou dans quel but exact une nouvelle définition de l’épilepsie ? Car écrire « qu’il y a peu d’accord à définir crise et épilepsie » revient à faire l’impasse sur une somme de travaux, en particulier ceux de la Commission d’épidémiologie et du pronostic des épilepsies que j’ai eu l’honneur de présider pendant les deux années où a été mise au point la classification des facteurs de risque utilisée dans toutes les enquêtes épidémiologiques bien faites{ (Epilepsia 1993 ; 34 : 592-6). Deuxième question : C’est un peu troublant que cette commission n’ait pas fait appel à un ou plusieurs épidémiologistes pour statuer ou au moins discuter le bien-fondé, l’utilité et l’utilisation de ces définitions. Dans la communauté scientifique c’est quand même les épidémiologistes qui ont besoin, afin d’évaluer les problèmes de santé publique, d’une définition claire et précise et pragmatique de la maladie ! J’avais été contacté d’ailleurs par J. Engel lors de la mise en place de cette commission et lui avais fait parvenir mes réflexions et mes doutes sur les propositions de définitions, qui à l’époque étaient sur les fonts baptismaux. No comment en retour. Comment serait définie, suivant la commission ad hoc, l’épilepsie : Une seule crise associée, au choix, à la lecture des différents chapitres à : – une prédisposition anormalement importante aux crises ; – la présence d’une altération cérébrale ; – une perturbation cérébrale persistante ; – une anomalie épileptogène persistante. Synthèse (?) : La présence d’une altération cérébrale persistante, entraînant une perturbation cérébrale persistante est donc une anomalie épileptogène persistante et suffisante pour parler d’une prédisposition anormalement importante aux crises. L’utilisation de quatre formules différentes pour décrire la condition susceptible d’entraîner des crises épileptiques montre bien, s’il le fallait, l’embarras des membres de la commission à définir un nouveau concept qui manifestement n’est pas clair dans leur esprit. 283 Troisième question : pourquoi ne pas avoir donné la traduction de la discussion de mes collègues épidémiologistes sur le sujet (Epilepsia 2005 ; 46 : 1698-702) à laquelle j’adhère complètement ? Dernier commentaire : il est clair, à mon humble avis, que l’on ne peut admettre cette définition de l’épilepsie sans une discussion au sein de notre Ligue par l’intermédiaire d’une commission ad hoc. La publication de la traduction de ce texte dans l’organe officiel de la LFCE ne doit pas être l’équivalent d’un acquis. Personnellement, je garderai, le temps qu’il me reste à traiter des patients avec épilepsie, la définition impliquant la survenue d’une deuxième crise non provoquée qui, à mes yeux, reste la meilleure preuve, en dehors d’altérations EEG spécifiques, d’une « prédisposition anormalement importante aux crises ». Pierre Jallon Réponse Dans l’éditorial du dernier numéro de la revue Épilepsies, j’incitais les lecteurs à réagir à la nouvelle définition de la crise épileptique et de l’épilepsie proposée par une commission ad hoc constituée par la LICE, et publiée dans une traduction française dans ce même numéro. Pierre Jallon, ès qualités d’épidémiologiste, réagit et ouvre le débat. Je rappelle ici que la LFCE n’adoptera ces définitions que si elles sont un jour pleinement entérinées par les instances internationales. Personnellement, je le souhaite, mais le débat est en cours. Je rappelle que cette nouvelle définition a été difficile à établir, après de longs et vigoureux débats, qui sont allés bien au-delà des signataires de l’article. Alors, controverse ? Il n’y en a pas concernant la définition de la crise, qui d’ailleurs évolue peu. Il y en a, clairement, en ce qui concerne la définition de l’épilepsie, qui a beaucoup évolué. Je ne peux commenter Pierre Jallon en ce qui concerne les décisions qui ont gouverné la composition de cette commission « ad hoc » : un épidémiologiste y aurait certainement eu sa place. En ce qui concerne l’épilepsie, il est certain que la nécessité d’attendre la confirmation par une seconde crise n’est pas apparue comme primordiale pour porter le diagnostic d’épilepsie, dans la mesure où des facteurs prédictifs de récurrence étaient présents. Ceci correspond, en fait, à une approche très pragmatique du Épilepsies vol. 17, n° 4 octobre, novembre, décembre 2005 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Lettre à l’éditeur problème posé par un patient : en pratique, s’il peut être considéré comme « à risque de crise », il doit bénéficier de la prise en charge adéquate (incluant le cas échéant, un traitement médicamenteux). Cette position est anti-dogmatique et tournée vers la pratique. Un point qui me semble plus important encore, et sur lequel je me suis personnellement engagé, est l’élargissement qu’implique cette nouvelle définition : l’épilepsie ne se traduit pas uniquement par la crise. Pensons à tous les troubles cognitifs, développementaux, psychologiques même, qui résultent de la présence d’une activité anormale, électrique, biochimique, au sein de réseaux neuronaux, entre les crises et en dehors des crises. Au maximum, le syndrome de Landau et Kleffner et les formes apparentées. Pour presque tous les patients, des atteintes/ dysfonctionnements, certes moins spectaculaires. Mêmes mécanismes, mêmes causes, que la crise qui ne représente donc ici que la partie émergée de l’iceberg. Une avancée majeure de cette définition est l’inclusion des conséquences de l’épilepsie dans sa définition. Un plus indéniable, si l’on veut faire prendre au sérieux les épilepsies par les grands organismes, nationaux et internationaux. La difficulté soulevée par Pierre Jallon n’en reste pas moins réelle. Pour des épidémiologistes, qui ont besoin de repères simples, de critères clairs, la nouvelle définition des épilepsies pose problème : comment différencier de manière fiable une crise occasionnelle et la première crise d’une épilepsie ? Si l’on voulait polémiquer, on pourrait répondre que la distinction n’a jamais vraiment été faite, qu’une première crise apparente est peut-être la nième, que nous n’en savons pas assez pour distin- Épilepsies, vol. 17, n° 4 octobre, novembre, décembre 2005 284 guer la crise proprement dite des altérations très polymorphes que l’on peut mettre en évidence sur le plan neurophysiologique et même clinique en dehors de toute crise (ces « fragments d’épilepsie » qui couvrent les pages des EEG de profondeur dans les épilepsies focales que l’on explore, mais que l’on pourrait rapprocher des « décharges » dites « infracliniques » des EEG de surface). On conçoit le caractère artificiel et dogmatique d’une définition qui exigeait au moins deux crises, ce qui ne changeait pas grand-chose au problème de fond. En effet, deux crises (voire plus) sur 24 heures ne constituent pas non plus une « épilepsie » dans l’ancienne acceptation (cf. les crises partielles isolées de l’adolescent, que Pierre Jallon connaît si bien). Je pense que pour les cliniciens, cette nouvelle définition correspond bien à une mise à plat utile. Les épidémiologistes, en revanche, seront sans doute en difficulté, surtout parce qu’ils se sont habitués au confort de la nécessité d’une deuxième crise pour parler d’épilepsie. Il pourrait s’agir d’un faux problème : pour un travail épidémiologique, il est possible de se référer à un nombre de crises et de catégoriser les sujets selon ce critère. Il est possible aussi, comme nous le faisons tous en pratique, d’attendre un peu après une première crise avant de la considérer comme vraiment « isolée » et éventuellement « occasionnelle ». Si elle est « symptomatique », et que les mêmes causes entraînent les mêmes effets, il devient difficile de ne pas parler d’épilepsie, dans tous les sens du terme. Le débat est ouvert, et sera enrichissant pour tous. Pierre Genton