doi: 10.1684/epi.2010.0321
Cœur et épilepsie
Pierre Jallon
On ne peut que se réjouir du regain d’inté-
rêt que cliniciens et chercheurs portent depuis
une vingtaine d’années sur les relations
complexes entre cœur et épilepsie.
Si, depuis l’individualisation du syndrome
de Stockes Adams entre 1827 et 1846, le concept
d’épilepsie « cardiaque », vivement combattu
par Gowers, est devenu progressivement obso-
lète, et si, avec l’avènement de l’EEG et la contri-
bution fondamentale de l’école de Marseille et
de son maître Henri Gastaut, dans la description
des syncopes, on acceptait finalement le diktat
que toute perte de connaissance ne pouvait
venir que du cerveau –par un mécanisme de
nature « épileptique », résultat d’une décharge
excessive de neurones hyperexcitables –,ou du
cœur –par un mécanisme « syncopal » corres-
pondant à une « paralysie fonctionnelle des
neurones cérébraux d’origine hypoxique ou
anoxo-ischémique » –,iln’en demeurait pas
moins que les relations entre cœur et épilepsie
restaient obscures et complexes.
Décharge excessive versus paralysie fonc-
tionnelle de neurones... Était-ce toujours aussi
simple ?
Au cours de ma dernière année à l’hôpital
du Val de Grâce, en 1990, j’ai vécu trois situa-
tions qui m’ont fortement motivé en arrivant à
Genève, dans le choix de mon travail de thèse
de Privat Docent.
1) Le père d’un jeune homme m’annonce au
téléphone le décès de son fils, découvert le
matin même, mort dans son lit. Je suivais ce
jeune homme à ma consultation pour une
épilepsie généralisée difficile à traiter, sous poly-
thérapie. Il était, par ailleurs, porteur d’une
valvulopathie mitrale et de discrets troubles du
rythme cardiaque qui n’avaient jamais inquiété
mon collègue cardiologue. Le décès fut, sans
conteste d’ailleurs, déclaré en rapport avec une
crise épileptique récente, en raison de la
morsure de la langue indiscutable. J’étais pour
la première fois confronté à la douloureuse
situation de la sudden unexpected death in epilepsy
(SUDEP) ou mort soudaine inattendue en
épilepsie, aux questions inévitables de la
famille, et au doute insidieux sur l’origine réelle
du décès ;
2) Une jeune recrue m’est amenée à la consulta-
tion, car, au cours d’une marche « forcée »,
ce jeune homme a présenté une perte de
connaissance prolongée avec convulsions.
L’interrogatoire est difficile, on note une mor-
sure de la langue, mais il n’y a pas de facteurs
de risque pour une crise provoquée, l’électro-
encéphalogramme (EEG) de routine, après
privation de sommeil, est normal. En revanche,
on découvre un syndrome du QT long ;
3) Je reçois une demande de consultation du
service de médecine pour une jeune patiente,
un peu « border line », qui fait des pertes de
connaissance « à l’emporte pièce » dont je
suis témoin ! Elle prenait du tégrétol (carbama-
zépine [CBZ]) depuis plusieurs années, pour
des crises partielles dont la sémiologie est bien
différente de ses pertes de connaissance
récentes. Sur l’ECG, je fais la découverte d’un
bloc de branche, probablement en rapport
avec la prise de CBZ, car la symptomatologie
disparaît à l’arrêt du traitement...
Les conclusions de mon travail, centré sur
la SUDEP, mais réduit, à vrai dire, à une somme
bibliographique, n’étaient certes pas révolu-
tionnaires !
La vidéo-EEG contribuait largement à amé-
liorer le diagnostic différentiel entre syncope et
crise. Elle permettait de mieux individualiser le
concept de « crise arythmogénique », qui, dans
certains cas, pouvait expliquer la survenue d’une
SUDEP. Des expérimentations animales et des
stimulations corticales au cours d’interventions
chirurgicales mettaient en exergue le concept de
zone épileptogène arythmogénique. Finale-
ment, tout se passait « du côté » de l’insula, de
l’hypothalamus et du système sympathique, à
l’origine de dérèglements subits cardiorespira-
toires, responsables in fine de la SUDEP.
Alors, depuis, quid novi ?
Comment expliquer que, malgré l’avène-
ment de nouvelles molécules et le développe-
Préface
Préface
Épilepsies 2010 ; 22 (3) : 179-80
Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010
179
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.