Préface Épilepsies 2010 ; 22 (3) : 179-80 Cœur et épilepsie Pierre Jallon <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. On ne peut que se réjouir du regain d’intérêt que cliniciens et chercheurs portent depuis une vingtaine d’années sur les relations complexes entre cœur et épilepsie. Si, depuis l’individualisation du syndrome de Stockes Adams entre 1827 et 1846, le concept d’épilepsie « cardiaque », vivement combattu par Gowers, est devenu progressivement obsolète, et si, avec l’avènement de l’EEG et la contribution fondamentale de l’école de Marseille et de son maître Henri Gastaut, dans la description des syncopes, on acceptait finalement le diktat que toute perte de connaissance ne pouvait venir que du cerveau – par un mécanisme de nature « épileptique », résultat d’une décharge excessive de neurones hyperexcitables –, ou du cœur – par un mécanisme « syncopal » correspondant à une « paralysie fonctionnelle des neurones cérébraux d’origine hypoxique ou anoxo-ischémique » –, il n’en demeurait pas moins que les relations entre cœur et épilepsie restaient obscures et complexes. doi: 10.1684/epi.2010.0321 Décharge excessive versus paralysie fonctionnelle de neurones... Était-ce toujours aussi simple ? Au cours de ma dernière année à l’hôpital du Val de Grâce, en 1990, j’ai vécu trois situations qui m’ont fortement motivé en arrivant à Genève, dans le choix de mon travail de thèse de Privat Docent. 1) Le père d’un jeune homme m’annonce au téléphone le décès de son fils, découvert le matin même, mort dans son lit. Je suivais ce jeune homme à ma consultation pour une épilepsie généralisée difficile à traiter, sous polythérapie. Il était, par ailleurs, porteur d’une valvulopathie mitrale et de discrets troubles du rythme cardiaque qui n’avaient jamais inquiété mon collègue cardiologue. Le décès fut, sans conteste d’ailleurs, déclaré en rapport avec une crise épileptique récente, en raison de la morsure de la langue indiscutable. J’étais pour la première fois confronté à la douloureuse situation de la sudden unexpected death in epilepsy (SUDEP) ou mort soudaine inattendue en 179 épilepsie, aux questions inévitables de la famille, et au doute insidieux sur l’origine réelle du décès ; 2) Une jeune recrue m’est amenée à la consultation, car, au cours d’une marche « forcée », ce jeune homme a présenté une perte de connaissance prolongée avec convulsions. L’interrogatoire est difficile, on note une morsure de la langue, mais il n’y a pas de facteurs de risque pour une crise provoquée, l’électroencéphalogramme (EEG) de routine, après privation de sommeil, est normal. En revanche, on découvre un syndrome du QT long ; 3) Je reçois une demande de consultation du service de médecine pour une jeune patiente, un peu « border line », qui fait des pertes de connaissance « à l’emporte pièce » dont je suis témoin ! Elle prenait du tégrétol (carbamazépine [CBZ]) depuis plusieurs années, pour des crises partielles dont la sémiologie est bien différente de ses pertes de connaissance récentes. Sur l’ECG, je fais la découverte d’un bloc de branche, probablement en rapport avec la prise de CBZ, car la symptomatologie disparaît à l’arrêt du traitement... Les conclusions de mon travail, centré sur la SUDEP, mais réduit, à vrai dire, à une somme bibliographique, n’étaient certes pas révolutionnaires ! La vidéo-EEG contribuait largement à améliorer le diagnostic différentiel entre syncope et crise. Elle permettait de mieux individualiser le concept de « crise arythmogénique », qui, dans certains cas, pouvait expliquer la survenue d’une SUDEP. Des expérimentations animales et des stimulations corticales au cours d’interventions chirurgicales mettaient en exergue le concept de zone épileptogène arythmogénique. Finalement, tout se passait « du côté » de l’insula, de l’hypothalamus et du système sympathique, à l’origine de dérèglements subits cardiorespiratoires, responsables in fine de la SUDEP. Alors, depuis, quid novi ? Comment expliquer que, malgré l’avènement de nouvelles molécules et le développeÉpilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010 P. Jallon Quand pourrons-nous mettre en œuvre des mesures préventives pour éviter ces situations dramatiques ? ment de la chirurgie, le taux proportionnel de mortalité rapporté par l’Inserm en France ne se modifie pas depuis 25 ans ? De la génétique aux canalopathies, des études anatomiques aux hypothèses physiopathologiques les plus pertinentes, en savons-nous réellement plus ? En savons-nous un peu plus sur les circonstances exactes qui amènent, chez un patient avec épilepsie, à la défaillance cardiaque ? Merci à ceux qui ont participé à la rédaction de cette mise au point d’avoir essayé de répondre au moins en partie à ces questions. Sommes-nous plus à même de pouvoir expliquer aux familles le pourquoi de cette disparition brutale et inattendue ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. □ Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010 180