17, 18, 19 et 20 septembre 2002

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COMMENT MODULER LA MOBILISATION DES GRAISSES ?
Isabelle de Glisezinski
Service d’Exploration de la Fonction Respiratoire et de Médecine du Sport
Hôpital Purpan, TSA 40031 31059 Toulouse Cedex 9.
INSERM U586
Chez l’homme, les lipides sont stockés sous forme de triglycérides dans le tissu adipeux
(TA) et constituent la plus grande réserve de substrats énergétiques. Le TA représente chez
l’homme adulte jeune sédentaire environ 15 à 20% du poids corporel total, alors que chez la
femme le pourcentage de masse adipeuse est encore plus important (20 à 25%). Il faut
distinguer le TA sous-cutané ou superficiel (environ 80% de l’ensemble du TA de
l’organisme) du TA profond périviscéral. Les risques de complications métaboliques et
cardio-vasculaires seraient à l’heure actuelle plutôt imputés à l’excès de lipides du TA
profond. Il est actuellement bien établi qu’un excès d’acides gras circulants (issus de
l’hydrolyse des triglycérides) est à l’origine des effets délétères cités précédemment, en
particulier par induction d’une insulinoresistance. Toutes augmentations des concentrations
sanguines d’acides gras, telles qu’on les rencontre dans l’obésité (et plus particulièrement
l’obésité androïde), auront donc des conséquences néfastes.
Les acides gras circulants sont la résultante d’une part de la mobilisation des lipides à
partir du TA et d’autre part de leur utilisation en tant que substrat énergétique par la cellule
(en particulier la cellule musculaire). Donc, pour avoir des concentrations plasmatiques peu
élevées d’acides gras, il est nécessaire d’avoir une bonne adéquation entre la libération
d’acides gras par l’adipocyte et l’oxydation de ces acides gras au niveau du muscle. On le
voit, il ne suffit pas, dans la prise en charge d’une surcharge pondérale, de mobiliser au
maximum les lipides du TA pour réduire la masse adipeuse, il est également très important en
terme de santé d’augmenter l’utilisation de ces lipides pour éviter un afflux massif d’acides
gras dans le sang circulant.
Nous allons voir dans un premier temps quels sont les facteurs qui interviennent dans le
contrôle de la mobilisation des lipides à partir du TA. Nous verrons dans un second temps les
situations physiologiques ou pathologiques qui viennent moduler ces facteurs de contrôle.
Il est, depuis de nombreuses années, bien établi que la mobilisation des lipides à partir du
TA est sous l’influence du système sympathique. Les catécholamines (AdrénalineNoradrénaline), libérées par le système nerveux végétatif orthosympathique et par les
médullosurrénales, sont lipolytiques, c’est-à-dire qu’elles permettent la libération des lipides.
Cependant, il faut nuancer cette action. L’effet lipolytique est du à la fixation des
catécholamines sur un récepteur béta-adrénergique au niveau de la membrane de l’adipocyte,
ce qui va entraîner dans la cellule une activation de Lipase Homono-Sensible (LHS), enzyme
qui permet l’hydrolyse des triglycérides. Mais, l’adipocyte possède également à sa surface des
récepteurs alpha-adrénergiques, qui eux sont anti-lipolytiques, c’est-à-dire qu’ils empêchent la
libération des lipides en inhibant la LHS. Nous verrons par la suite dans quelles situations cet
effet alpha-adrénergique est plus ou moins important. Il existe également une autre hormone
ayant un effet anti-lipolytique puissant, il s’agit de l’insuline, hormone secrétée en postprandial par le pancréas et permettant le stockage énergétique (lipogénèse).
Récemment nous avons mis en évidence un autre facteur lipolytique, le Peptide Atrial
Natriurétique (ANP), qui pourrait dans certaines circonstances se révéler comme un facteur
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important de la mobilisation des lipides. Bien entendu, de nombreux autres facteurs ou
hormones interviennent dans la mobilisation des lipides, telle que l’hormone de croissance,
mais leur importance physiologique est encore mal définie.
L’action de ces hormones sur le TA dépend soit de leurs concentrations plasmatiques soit
de la sensibilité des récepteurs adipocytaires à ces hormones.
Le TA profond a une plus grande sensibilité aux récepteurs béta-adrénergiques lipolytiques
et l’action des récepteurs anti-lipolytiques alpha-adrénergiques à ce niveau est moindre qu’au
niveau du TA superficiel. De plus, pour le TA sous-cutané, il existe des différences en
fonction de la localisation. La graisse glutéale (hanches) est plus difficile à mobiliser que la
graisse abdominale en raison d’une plus grande quantité de récepteurs alpha-adrénergiques.
En plus des différences selon la localisation, il faut tenir compte des différences de
mobilisation en fonction du sexe. En effet, la femme a d’une part, une meilleure sensibilité
béta-adrénergique, d’autre part, au cours de l’exercice physique, elle a une moins grande
libération d’adrénaline, or les récepteurs antilipolytiques alpha2 sont activés par l’adrénaline.
Par conséquent, la femme a une meilleure capacité de mobilisation des lipides comparée à
l’homme.
Enfin, en pathologie, lors d’excès de masse grasse (surcharge pondérale, obésité) il existe
une action alpha-adrénergique beaucoup plus importante. Ceci serait du en partie à la taille
des adipocytes ; en effet, plus la cellule est de grande taille plus elle possède des récepteurs
alpha-adrénergiques. De plus, indépendamment de la quantité de masse grasse, plus un
individu est sédentaire plus l’activité anti-lipolytique alpha-adrénergique est marquée. Il en
est de même pour la réponse lipolytique béta-adrénergique. Plus un sujet est mince et plus il
est entraîné en endurance, plus ses récepteurs béta seront efficaces. Donc un sportif a plus de
facilité à mobiliser ces graisses qu’un sédentaire, et encore plus qu’un obèse (a priori
sédentaire). Par ailleurs, le sujet entraîné en endurance a une plus grande facilité à oxyder
(utiliser) les lipides, ceci lui permet donc d’avoir des concentrations sanguines d’acides gras
beaucoup plus faibles par rapport à un obèse. On peut se poser la question de l’intérêt lors
d’excès de masse grasse de l’existence de ce frein à la lipolyse (moins d’effet béta et plus
d’effet alpha-adrénergique chez l’obèse). En fait, face à une quantité massive de TA, il est
nécessaire de limiter la libération des lipides si on ne veut pas avoir des concentrations trop
élevées d’acides gras circulants, d’autant plus que chez un sujet sédentaire l’oxydation de ces
acides gras par le muscle est limitée. Vu sous cet angle, l’altération de la lipolyse chez l’obèse
n’est peut-être qu’un mécanisme de protection face aux complications dont nous avons parlé
précédemment.
Même si dans certaines situations, nous venons de le voir, la lipolyse est moins efficace,
celle-ci peut être améliorée par une prise en charge adaptée.
Tout d’abord il faut noter que la lipolyse diffère en fonction du statut nutritionnel. En effet,
lors du jeûne la mobilisation des lipides est supérieure afin de fournir les substrats
énergétiques nécessaires, cette mobilisation est facilitée par la diminution de sécrétion
d’insuline. La mobilisation n’est donc pas la même selon la période de la journée et la prise
des repas.
Nous avons vu que lors de surcharge pondérale la lipolyse était altérée. Qu’en est-il après
la réalisation d’un régime hypocalorique et la perte de masse grasse ? Des études réalisées lors
de régimes très basses calories (VLCD) mettent en évidence une augmentation de la réponse
béta-adrénergique et une diminution de la réponse alpha-adrénergique. La restriction
calorique permet donc d’améliorer la mobilisation des lipides. Un des mécanismes d’action
pourrait être entre autre la réduction de masse grasse, c’est-à-dire la diminution de taille des
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adipocytes et donc du nombre des récepteurs alpha-adrénergiques. La diminution des
concentrations d’insuline peut également contribuer à l’amélioration de cette mobilisation.
Un autre moyen d’augmenter la lipolyse est la pratique d’une activité physique. Au cours
d’un exercice physique la sécrétion des hormones hyperglycémiantes et lipolytiques
augmentent, en particulier les catécholamines, et la sécrétion de l’hormone hypoglycémiante
et antilipolytique (l’insuline) diminue. Ce phénomène est d’autant plus important que
l’exercice est intense et qu’il se prolonge dans le temps. La mobilisation des lipides est donc
augmentée afin de fournir l’énergie nécessaire à la contraction musculaire. Par ailleurs,
l’entraînement en endurance permet, comme nous l’avons vu plus haut, d’améliorer la
sensibilité béta-adrénergique et de diminuer la réponse alpha-adrénergique. Un sportif libère
donc beaucoup plus facilement des acides gras dans le sang ; cependant, les concentrations
plasmatiques en acides gras restent peu élevées par rapport à un sédentaire, d’autant plus si ce
dernier est en surcharge pondérale, car l’entraînement favorise une meilleure oxydation des
lipides par le muscle. Nous le voyons l’activité physique, contrairement au régime
alimentaire, permet de jouer sur les deux versants : mobilisation à partir du TA mais
également utilisation au niveau musculaire.
La prise en charge de l’obésité passe donc par la diététique (régime hypocalorique) mais il
est indispensable d’y associer une pratique régulière d’activité physique, pour une plus grande
efficacité et un maintien du poids à long terme.
Qu’en est-il de la prise en charge pharmacologique dans la mobilisation des lipides, existet-il des médicaments permettant de «faire fondre la graisse» ? En théorie, des agents
stimulants béta-adrénergiques ou au contraire alpha-bloquants permettent d’augmenter la
lipolyse. Cependant, ces produits pharmacologiques, administrés par voie générale, ont bien
trop d’effets secondaires, par rapport aux bénéfices éventuels sur la mobilisation des lipides,
pour pouvoir être mis sur le marché dans ces indications-là. Pour éviter les effets généraux,
des produits à application locale cutanée (à base par exemple de caféine) sont proposés. De
même, l’électrostimulation a été préconisée pour mobiliser la graisse sous-cutanée.
Malheureusement, aucun de ces procédés n’a jusqu’à présent fait la preuve d’une efficacité
sur la lipolyse du tissu sous-cutané, et encore moins du TA viscéral. Il n’existe donc pas de
médicament de la mobilisation des graisses efficace ou exempt d’effets négatifs.
Quoi qu’il en soit, nous avons vu que la priorité n’est pas à l’augmentation excessive de la
lipolyse, même si la demande des patients pour des raisons esthétiques va dans ce sens ; il est
avant tout nécessaire de raisonner en terme de santé et à long terme. Dans cette optique,
l’entraînement en endurance permet non seulement de mobiliser ses réserves énergétiques à
partir du TA mais également de les utiliser au niveau musculaire, en évitant ainsi l’afflux
d’acides gras dans la circulation sanguine. Ceci est un travail à long terme mais essentiel si
l’on veut éviter les complications cardio-vasculaires. Alors, qu’attendons-nous pour faire de
l’activité physique ?
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