
mort possible, même lorsque le pronostic est péjoratif, dès
le diagnostic ou en cours de traitement. Ils doivent le voir
comme n’importe quel autre enfant, ou n’importe quel
autre enfant malade. Parallèlement, ils ne peuvent ignorer
la réalité du pronostic. Il leur faut donc tenir compte de ces
deux réalités irréductibles :
–cet enfant est un enfant vivant, tant qu’il vit ;
–il est atteint d’une maladie dont il peut mourir.
Cette position ne consiste pas en un compromis entre
optimisme et pessimisme, entre illusion et strict réalisme
médical, et il importe aussi de ne pas « zigzaguer » entre
ces termes extrêmes, selon les moments du traitement ou
les autres situations médicales auxquelles sont confrontés
les soignants. Cette position difficile ne peut être mainte-
nue seule. En effet, le travail collectif est nécessaire dans
un tel contexte, impliquant la compétence et la solidarité
entre soignants, mais aussi l’accord authentique (jamais
stabilisé une fois pour toutes) avec les choix du service
(choix de recrutement, de traitement, organisation de
l’équipe, choix financiers…) et les décisions concernant
cet enfant. La mort possible d’un enfant ne laisse pas ses
soignants indifférents, ce qui est rassurant, mais mobilise
leur regard sur leur place dans l’équipe et leurs relations
aux collègues. Elle mobilise également les raisons mêmes
de leur vocation, de leurs choix professionnels (en pédia-
trie, en cancérologie pédiatrique, par exemple), surtout
lorsque, avec le temps, ils se sont confrontés à l’expé-
rience de la réalité avec les déceptions inévitables, les
doutes, les moments de découragement. Le stress, qui
découle de ces situations, est l’une des causes majeures
de l’usure des soignants [8]. C’est pourquoi la présence
d’un soutien extérieur (un psychanalyste animant un
groupe de parole ou un groupe Balint) [9] est particulière-
ment utile. Mais ce peut être celui du « psy » du service
(psychologue, psychiatre, psychanalyste) qui occupe dans
l’équipe une place un peu différente des autres soignants.
Il fait en effet partie, comme eux, de cette équipe, mais
n’a pas les responsabilités de décider des traitements ou
de les appliquer. Les risques de déstabilisation de l’équipe
sont forts, qu’il s’agisse de faire bloc, ou au contraire
d’être tenté par le chacun pour soi, ou encore de voir
s’exacerber des divisions préexistantes, structurelles,
inévitables : entre « vieux » et « jeunes », entre médecins
et infirmières, entre ceux ou celles qui se sentent à l’aise
(voire attirés) par l’enfant en danger et ceux ou celles qui
ne le supportent pas et préfèrent se mettre à distance.
Ces diverses attitudes sont compréhensibles, aucun
soignant n’est un robot polyvalent, froid, supportant
toute situation sans émotion, et elles ne sont pas
dangereuses (ni pour l’équipe, ni pour les patients), à
condition qu’elles restent compréhensibles aux uns et
aux autres, qu’elles ne soient ni excessives, ni systémati-
ques. Il n’y a pas, dans une équipe, de « spécialistes » de
la mort de l’enfant. En revanche, il peut y avoir des soi-
gnants spécialisés en soins palliatifs, en soins de support,
en traitement de la douleur, car ces activités demandent
une formation spécifique, qui peut se transmettre au sein
de l’équipe.
Ainsi, face à un enfant qui peut ou qui va mourir, il
importe de savoir ce qu’est un enfant, un enfant atteint
d’une maladie grave [10], ce qu’est la mort pour un enfant
et comment lui en parler [11], ce qu’est sa propre relation
à la mort et sa relation au patient. Celle-ci implique la
relation à l’enfant (et à l’adolescent ou au bébé), mais
également à ses parents et à sa fratrie, puisqu’un enfant,
encore moins qu’un adulte, n’est jamais absolument seul.
Car la première condition de l’éthique est d’être compé-
tent, particulièrement dans une situation où l’autre attend
beaucoup, pour pouvoir répondre à son attente, ses
demandes, ses besoins, et garder une relation authentique
et égalitaire autant que possible avec lui, sans lui nuire.
L’enfant face à la mort
Face à la mort, un enfant, comme un adulte d’ailleurs,
mais à sa manière, se pose des questions nombreuses et
différenciées. Il se demande comment « le mourir » risque
de se passer. Il s’appuie sur ce qu’il a pu voir dans sa
famille ou dans le service, mais également sur ce qu’il a
vécu jusqu’alors dans son traitement ou avant sa maladie.
La question de la douleur est, bien entendu, fondamen-
tale, mais aussi celle de tous les symptômes physiques
(troubles respiratoires, cutanés, gênes diverses…)etilse
demande si ses soignants et ses parents pourront les trai-
ter. Il se demande s’il pourra garder ses capacités physi-
ques et intellectuelles jusqu’au bout, et donc ne pas rester
passif, dépendant, coincé dans son lit. Mais aussi s’il
pourra jouer avec sa fratrie et garder sa relation à elle
ainsi qu’à ses copains. Il se demande s’il pourra aussi
continuer à dialoguer avec les autres, se faire compren-
dre, les comprendre. C’est pourquoi il faut être attentif
aux troubles cognitifs et aux troubles de la conscience,
ainsi qu’à tout ce qui peut gêner la préservation de cette
relation. Il peut s’agir de trouver le juste équilibre du trai-
tement antalgique (calmer la douleur suffisamment, mais
préserver suffisamment la lucidité et la vigilance), du trai-
tement des hallucinations (lorsqu’elles sont excessive-
ment angoissantes et accaparent toute l’attention de
l’enfant) ou de la confusion mentale (qui risque d’effrayer
les proches et de rendre l’enfant incompréhensible à leurs
yeux, ou de susciter des malentendus gênants). Dans un
tel cas, ils se demandent s’il ne devient pas fou, ou s’ils ne
doivent pas prendre au sérieux ses paroles et ses compor-
tements, et y percevoir la « vérité » de ce qu’il pense
d’eux.
L’enfant cancéreux, par exemple, n’est pas seulement
un enfant qui a un cancer et qui peut mourir (même si la
majorité d’entre eux guérissent) ou qui va mourir, comme
mt pédiatrie, vol. 12, n° 6, novembre-décembre 2009 417
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