Analyse d’ouvrage L’arc-en-ciel de l’évolution Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 04/06/2017. V oilà un livre passionnant, provocant et riche d’informations. Ecrit par Joan Roughgarden qui est professeur à l’université de Stanford (ÉtatsUnis) et spécialiste de l’écologie des lézards, il a l’ambition de couvrir tous les aspects de la sexualité animale et humaine dans ses aspects les plus variés en une sorte de témoignage à la gloire de la diversité. Commençons par le côté positif. Le livre comprend trois grandes parties. La première décrit de manière extensive les habitudes sexuelles de nombreuses espèces, allant de la non-permanence du phénotype sexuel à la différence entre sexe et genre (nous y reviendrons), aux familles à multiples genres, aux modalités du choix chez les femelles et à l’homosexualité chez les animaux. Il en existe plusieurs centaines d’exemples encore qu’il s’agisse dans tous les cas, bien décrits et bien référencés, de bisexualité plutôt que d’homosexualité vraie. Joan Roughgarden tire de cette diversité de situations une conclusion rafraîchissante, à savoir que la théorie darwinienne de l’évolution fondée sur la sélection sexuelle (en gros, les mâles se disputent et les femelles choisissent le meilleur) ne peut expliquer cet éventail et cet arc-en-ciel de possibilités. Elle propose une autre théorie dite de la sélection sociale qui met l’accent sur la coopération et est basée sur la théorie des jeux. La deuxième partie aborde les problèmes liés au développement de l’embryon humain, à la détermination du sexe et à son appropriation par l’individu, à la notion de norme (Où est le normal ? Où est le pathologique ?). La troisième partie décrit la diversité des préférences sexuelles dans l’espèce humaine allant des cas connus chez les Indiens zunis et navajos, les Mahus en Polynésie, les Hijras de l’Inde, les Mukhannathuns de La Mecque jusqu’aux Eunuques un peu partout. Elle trouve des exemples de sympathie pour l’homophilie dans la Bible et exonère même Saint Paul du péché d’homophobie. Elle insiste bien sûr sur la Grèce antique et revendique Jeanne d’Arc comme une « transgender ». Elle termine par une description de la sociologie des transsexuels aux États-Unis. En conclusion, elle propose d’inclure l’enseignement et le respect de la diversité dans le curriculum médical et les pratiques de soin. Comme on le voit, le débat est large et ambitieux. Il n‘est pas question ici de faire une analyse systématique de tous ces aspects. Je ne ferai que commenter certains thèmes. Le premier concerne la notion de « genre ». On sait que le mot gender désigne en anglais « la manière dont une personne exprime son identité sexuelle dans un contexte culturel ». Ce mot ne concerne en principe que l’espèce humaine. Il n’a pas d’équivalent en français. Le dictionnaire Harrap’s le traduit tout bonnement par sexe. Pour nos dictionnaires, notre genre ne peut que relever de la grammaire ou bien alors être bon ou mauvais. Joan Roughgarden l’étend aux espèces animales comme « l’apparence, le comportement et l’histoire d’un être sexué ». Elle décrit ainsi des espèces animales où il y a deux ou trois « genres » masculins ou féminins chez les poissons, les batraciens, les oiseaux, etc.. Mais arrivant à l’espèce humaine, elle hésite à dépasser le nombre de deux genres alors que d’après les critères qu’elle donne pour le règne animal, on pourrait facilement imaginer que le bigame, le polygame, le gourou d’une secte, le gigolo, le moine, le pédophile, etc. pour ne parler que des hommes, appartiendraient tous à des genres différents. mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 4, juillet-août 2006 jlemte_analyse_19-06_cor4.indd 295 295 7/25/2006 4:33:44 PM Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 04/06/2017. Analyse d’ouvrage Une faiblesse fondamentale du texte est que l’accent est constamment mis sur les valeurs symboliques au lieu des mécanismes, sur le pourquoi au lieu du comment. Un exemple suffira : l’hyène tachetée femelle de Tanzanie est connue pour avoir un pénis pratiquement identique à celui du mâle. Je cite (p. 39) : « It has been suggested that the enlarged clitoris is a side effect of high testosterone level in female spotted hyenas… I don’t buy that theory … This structure can’t develop from a few splashes of testosterone in the blood. I believe this case demonstrates that mammalian genital has a symbolic function. » Or, un simple survol de la littérature montre qu’il s’agit d’un cas extrêmement bien connu et étudié (au moins une trentaine de publications) de masculinisation au cours de la vie fœtale. Un autre exemple, négatif celui-là, est l’oubli sans doute intentionnel du fameux cas de nos amis les campagnols dont les préférences sexuelles, monogames ou polygames, dépendent étroitement d’une interaction entre ocytocine, vasopressine et dopamine. Ces faits sont bien démontrés et si on peut en regretter le déterminisme, il est difficile d’y ajouter du symbole. D’une manière générale, les aspects purement génétiques sont curieusement faibles. La thérapie génique est traitée de manière très pauvre et l’auteur met sur le même plan (p. 320) l’amélioration du pool génétique du malade et celui de ses descendants. Le plaidoyer pour la diversité souffre d’un défaut d’approche moléculaire. Nulle part on ne trouve la notion de polymorphisme génétique ou de SNP’s et l’auteur pense que les individus diffèrent entre eux par seulement 60 gènes, ce qui est une sousestimation grossière. Enfin, ni la diversité animale ni les antécédents historiques ne justifient d’accepter tous les aspects de la diversité à laquelle l’auteur voudrait faire ériger une statue à San Francisco en réplique à la statue de la Liberté. La morale humaine dépasse les exemples animaux. Ceux-ci sont utiles pour nous aider à comprendre les mécanismes, mais non pour nous servir d’arguments éthiques. A 296 jlemte_analyse_19-06_cor4.indd 296 l’extrême, le respect absolu de la diversité pourrait faire accepter beaucoup de conduites que nous considérons à juste titre comme déviantes. Je préférerais une statue à la gloire de l’unicité fondamentale du génome humain plutôt qu’à sa diversité. Le lecteur se doute que ce livre a reçu des critiques contrastées, souvent bienveillantes dans les grandes revues (Nature, Science, Scientific American) et enthousiastes dans la presse californienne. La personnalité de l’auteur (précédemment Jonathan et devenu Joan lors d’une « transition » réalisée il y a huit ans avec l’accord de Condoleezza Rice, alors « provost des études » à l’université de Stanford y est pour beaucoup. Il est juste de signaler que Joan Roughgarden vient de publier dans la respectable revue Science du 17 février 2006 (p. 965-9), un article scientifique de fond (Reproductive social behavior : cooperative games to replace sexual selection) où le lecteur pourra trouver le support mathématique, extrêmement intimidant, de sa théorie de la sélection sociale en remplacement de la sélection sexuelle. Il faut espérer que l’on n’aura pas à résoudre de telles équations avant de pouvoir choisir un/une partenaire. Cet article, qui ose donc s’attaquer à Darwin, a suscité une batterie de neuf lettres de critique signées par un total de 59 éminents scientifiques du monde entier. Elles ont paru dans le numéro du 5 mai de cette revue (p. 689-97), où l’on trouvera aussi la réponse, vaillante autant qu’il se peut, de l’auteur. La sociologie de la science est tout aussi intéressante que la science elle-même. Jacques Hanoune Référence Joan Roughgarden. Evolution’s Rainbow. Diversity, gender and sexuality in nature and people. Berkeley : University of California Press 2004, 474 pages. mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 4, juillet-août 2006 7/25/2006 4:33:47 PM