L`arc-en-ciel de l`évolution

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Analyse d’ouvrage
L’arc-en-ciel de l’évolution
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V
oilà un livre passionnant, provocant et riche d’informations. Ecrit
par Joan Roughgarden qui est professeur à l’université de Stanford (ÉtatsUnis) et spécialiste de l’écologie des
lézards, il a l’ambition de couvrir tous
les aspects de la sexualité animale et
humaine dans ses aspects les plus
variés en une sorte de témoignage à
la gloire de la diversité.
Commençons par le côté positif. Le
livre comprend trois grandes parties.
La première décrit de manière extensive les habitudes sexuelles de nombreuses espèces, allant de la non-permanence du phénotype sexuel à la
différence entre sexe et genre (nous
y reviendrons), aux familles à multiples genres, aux modalités du choix
chez les femelles et à l’homosexualité
chez les animaux. Il en existe plusieurs centaines d’exemples encore
qu’il s’agisse dans tous les cas, bien
décrits et bien référencés, de bisexualité plutôt que d’homosexualité vraie.
Joan Roughgarden tire de cette diversité de situations une conclusion
rafraîchissante, à savoir que la théorie darwinienne de l’évolution fondée sur la sélection sexuelle (en gros,
les mâles se disputent et les femelles
choisissent le meilleur) ne peut expliquer cet éventail et cet arc-en-ciel de
possibilités. Elle propose une autre
théorie dite de la sélection sociale qui
met l’accent sur la coopération et est
basée sur la théorie des jeux.
La deuxième partie aborde les problèmes liés au développement de
l’embryon humain, à la détermination du sexe et à son appropriation par l’individu, à la notion de
norme (Où est le normal ? Où est le
pathologique ?).
La troisième partie décrit la diversité des préférences sexuelles dans
l’espèce humaine allant des cas connus chez les Indiens zunis et navajos,
les Mahus en Polynésie, les Hijras
de l’Inde, les Mukhannathuns de La
Mecque jusqu’aux Eunuques un peu
partout. Elle trouve des exemples de
sympathie pour l’homophilie dans
la Bible et exonère même Saint Paul
du péché d’homophobie. Elle insiste bien sûr sur la Grèce antique et
revendique Jeanne d’Arc comme une
« transgender ». Elle termine par une
description de la sociologie des transsexuels aux États-Unis. En conclusion,
elle propose d’inclure l’enseignement
et le respect de la diversité dans le
curriculum médical et les pratiques
de soin.
Comme on le voit, le débat est large
et ambitieux. Il n‘est pas question ici
de faire une analyse systématique de
tous ces aspects. Je ne ferai que commenter certains thèmes. Le premier
concerne la notion de « genre ». On
sait que le mot gender désigne en
anglais « la manière dont une personne exprime son identité sexuelle
dans un contexte culturel ». Ce mot
ne concerne en principe que l’espèce
humaine. Il n’a pas d’équivalent en
français. Le dictionnaire Harrap’s le
traduit tout bonnement par sexe. Pour
nos dictionnaires, notre genre ne peut
que relever de la grammaire ou bien
alors être bon ou mauvais. Joan Roughgarden l’étend aux espèces animales
comme « l’apparence, le comportement et l’histoire d’un être sexué ».
Elle décrit ainsi des espèces animales
où il y a deux ou trois « genres » masculins ou féminins chez les poissons,
les batraciens, les oiseaux, etc.. Mais
arrivant à l’espèce humaine, elle
hésite à dépasser le nombre de deux
genres alors que d’après les critères
qu’elle donne pour le règne animal,
on pourrait facilement imaginer que
le bigame, le polygame, le gourou
d’une secte, le gigolo, le moine, le
pédophile, etc. pour ne parler que
des hommes, appartiendraient tous à
des genres différents.
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Analyse d’ouvrage
Une faiblesse fondamentale du texte est que l’accent est
constamment mis sur les valeurs symboliques au lieu des
mécanismes, sur le pourquoi au lieu du comment. Un
exemple suffira : l’hyène tachetée femelle de Tanzanie
est connue pour avoir un pénis pratiquement identique à
celui du mâle. Je cite (p. 39) : « It has been suggested that
the enlarged clitoris is a side effect of high testosterone
level in female spotted hyenas… I don’t buy that theory
… This structure can’t develop from a few splashes of testosterone in the blood. I believe this case demonstrates
that mammalian genital has a symbolic function. » Or, un
simple survol de la littérature montre qu’il s’agit d’un cas
extrêmement bien connu et étudié (au moins une trentaine de publications) de masculinisation au cours de la
vie fœtale. Un autre exemple, négatif celui-là, est l’oubli
sans doute intentionnel du fameux cas de nos amis les
campagnols dont les préférences sexuelles, monogames
ou polygames, dépendent étroitement d’une interaction
entre ocytocine, vasopressine et dopamine. Ces faits sont
bien démontrés et si on peut en regretter le déterminisme,
il est difficile d’y ajouter du symbole.
D’une manière générale, les aspects purement génétiques
sont curieusement faibles. La thérapie génique est traitée
de manière très pauvre et l’auteur met sur le même plan
(p. 320) l’amélioration du pool génétique du malade et
celui de ses descendants. Le plaidoyer pour la diversité
souffre d’un défaut d’approche moléculaire. Nulle part
on ne trouve la notion de polymorphisme génétique ou
de SNP’s et l’auteur pense que les individus diffèrent
entre eux par seulement 60 gènes, ce qui est une sousestimation grossière.
Enfin, ni la diversité animale ni les antécédents historiques ne justifient d’accepter tous les aspects de la diversité à laquelle l’auteur voudrait faire ériger une statue à
San Francisco en réplique à la statue de la Liberté. La
morale humaine dépasse les exemples animaux. Ceux-ci
sont utiles pour nous aider à comprendre les mécanismes, mais non pour nous servir d’arguments éthiques. A
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l’extrême, le respect absolu de la diversité pourrait faire
accepter beaucoup de conduites que nous considérons
à juste titre comme déviantes. Je préférerais une statue
à la gloire de l’unicité fondamentale du génome humain
plutôt qu’à sa diversité.
Le lecteur se doute que ce livre a reçu des critiques contrastées, souvent bienveillantes dans les grandes revues
(Nature, Science, Scientific American) et enthousiastes
dans la presse californienne. La personnalité de l’auteur
(précédemment Jonathan et devenu Joan lors d’une « transition » réalisée il y a huit ans avec l’accord de Condoleezza Rice, alors « provost des études » à l’université de
Stanford y est pour beaucoup. Il est juste de signaler que
Joan Roughgarden vient de publier dans la respectable
revue Science du 17 février 2006 (p. 965-9), un article
scientifique de fond (Reproductive social behavior : cooperative games to replace sexual selection) où le lecteur
pourra trouver le support mathématique, extrêmement intimidant, de sa théorie de la sélection sociale en remplacement de la sélection sexuelle. Il faut espérer que l’on
n’aura pas à résoudre de telles équations avant de pouvoir choisir un/une partenaire. Cet article, qui ose donc
s’attaquer à Darwin, a suscité une batterie de neuf lettres
de critique signées par un total de 59 éminents scientifiques du monde entier. Elles ont paru dans le numéro du 5
mai de cette revue (p. 689-97), où l’on trouvera aussi la
réponse, vaillante autant qu’il se peut, de l’auteur.
La sociologie de la science est tout aussi intéressante que
la science elle-même.
Jacques Hanoune
Référence
Joan Roughgarden. Evolution’s Rainbow. Diversity, gender and
sexuality in nature and people. Berkeley : University of California
Press 2004, 474 pages.
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