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vie. Bien que reconnaissant que certains
cas pouvaient commencer plus tôt dans
l’enfance et que d’autres débutaient bru-
talement, le terme de schizophrénie
employé par Bleuler fut utilisé de maniè-
re large et permanente, car il n’impliquait
pas un début précoce systématique ni une
évolution déficitaire, avec comme parti-
cularité la description de la fragmenta-
tion et du schisme du fonctionnement
mental caractéristiques de la maladie.
Bleuler concevait la schizophrénie
comme caractérisée par des symptômes
fondamentaux exprimant directement un
processus destructif, associé à des symp-
tômes accessoires qui, bien que relative-
ment communs, n’étaient pas présents de
manière systématique mais restaient par-
fois transitoires ou absents.
Parmi les quatre A de Bleuler (troubles
des associations, de l’affect, autisme et
ambivalence), certains des symptômes
exprimés sur le plan comportemental ne
seraient pas, aujourd’hui, systématique-
ment qualifiés de psychotiques.
La définition du terme psychotique trou-
vée dans le glossaire du DSM-IV est
relativement étroite : “Limité à des
délires ou hallucinations survenant en
l’absence de conscience de leur nature
pathologique.”
Bleuler considérait les hallucinations et
les délires comme des symptômes un peu
accessoires. Autrement dit, pour Bleuler,
une personne souffrant de schizophrénie
pouvait ne pas être qualifiée de psycho-
tique au sens du DSM-IV dans le strict
sens du terme.
L’auteur a ainsi créé la catégorie de la
schizophrénie “simple” dans laquelle les
symptômes (psychotiques) accessoires
ne sont pas présents et que l’auteur ne
considérait que rarement présents chez
les patients hospitalisés au long cours.
Kraeplin, en revanche, bien que d’accord
sur l’existence d’un trouble des associa-
tions et de l’affect en tant que symptôme
fondamental de dementia praecox, n’a
jamais considéré l’autisme et l’ambiva-
lence comme faisant partie intégrante
de la maladie.
Bien que reconnaissant ce que Bleuler
désignait par schizophrénie simple,
Kraeplin était prudent concernant cette
catégorie qu’il considérait comme “une
forme clinique particulière”.
Wyrsh, un étudiant de Bleuler, avait
bien compris et délimité la schizophré-
nie simple : “Depuis 1920 et les années
suivantes, nous considérons en Suisse
un concept relativement large de schi-
zophrénie, plus large que celui de
Kraeplin en Allemagne, permettant de
comprendre pourquoi les gens se
moquent de la conception de Bleuler
qui étend la schizophrénie en dehors de
ses bornes.”
Bleuler reconnaissait : “Aux niveaux les
plus bas de la société, les schizophrènes
atteints de forme simple végètent en
tant qu’employés, servantes, tra-
vailleurs à la journée. On trouve aussi
des vagabonds comme dans d’autres
formes de schizophrénie de degré
moyen. Aux niveaux plus élevés de la
société, le type le plus commun est la
femme (dans un rôle relativement mal-
heureux, nous pourrions le concéder),
se plaignant en permanence et ayant des
exigences sur tout sans jamais recon-
naître ses devoirs.”
Cette conception misogyne et opposant
les classes sociales ne doit pas être
minimisée si l’on veut comprendre la
diffusion initiale des idées de Bleuler.
La compétition entre un concept large
et un concept plus étroit de la schizo-
phrénie eut d’importantes consé-
quences sur les études épidémiolo-
giques jusque dans les années 1980.
Les diagnostics de forme pseudo-
névrotique, latente, modérée ou non
symptomatique de schizophrénie ont
caractérisé la description de cette
pathologie, y compris aux États-Unis.
Les DSM
Dans le DSM-I, en 1952, la définition
de “réaction schizophrénique”, relative-
ment ambiguë, était largement dérivée
de la position de Bleuler sur les symp-
tômes fondamentaux.
Le DSM-II, en 1968, n’a pas éclairci les
choses, mentionnant simplement les
symptômes bleulériens permettant de
différencier la schizophrénie paranoïde
des formes affectives de la maladie.
Le DSM-III, en 1980, “système de dia-
gnostic officiel” utilisant de véritables
règles d’inclusion ou d’exclusion de
symptômes, mesurant leur sévérité et
leur évolution dans le temps, permet un
diagnostic. Avant 1980, le diagnostic de
schizophrénie aux États-Unis était sou-
mis à la présence de symptômes psy-
chotiques et à leur lien avec les symp-
tômes de premier rang de Kurt
Schneider. Cet auteur les considérait
comme pathognomoniques de la schizo-
phrénie en l’absence d’une étiologie
organique de la maladie.
Depuis la publication du DSM-III, puis
de sa version révisée (DSM-III-R), et
maintenant du DSM-IV, le diagnostic
officiel de schizophrénie doit inclure la
survenue de symptômes psychotiques
actifs à un certain moment de l’évolu-
tion de la maladie. Cependant, la
recherche continue activement dans la
voie des études génétiques, du traite-
ment de l’information et des évaluations
psychophysiologiques chez les patients
présentant une vulnérabilité à la schizo-
phrénie. On peut donc parler de “spectre
schizophrénique”, bien que les observa-
tions n’aient jamais été cliniquement ou
épidémiologiquement diagnostiquées
comme relevant de la schizophrénie.
Le calcul de la prévalence et de l’inci-
dence de la schizophrénie dépend étroi-
tement des systèmes diagnostiques utili-
sés. La National Comorbidity Survey, ou
mise au point
Mise au point