Il en va de même des notions de langage intérieur et de langage
extérieur : le langage intérieur n’est pas un fait ; tout ce que nous
pouvons connaître, c'est la manifestation extérieure, ou matérialisable
(en sons ou en lettres) du langage, normal ou pathologique ; derrière le
« langage intérieur », on retrouve le présupposé que nous connaissons,
d'expérience ou d'observation, la nature et les cheminements du langage.
Si nous voulons éviter dans l'avenir les discussions stériles sur des
positions arbitraires échappant à toute démonstration, nous devons
prendre pour point de départ ce fait : que parler du langage, c'est avoir
déjà l'usage d'un langage. Cette familiarité conduit inévitablement au
péril d'aborder cet objet d'étude comme s'il ne nécessitait aucune étude,
comme si les définitions et les méthodes d'analyse allaient de soi.
Bien des mécomptes sont nés de raisonnements empruntés à
d'autres domaines, à ceux de la physiologie motrice et sensorielle en
particulier, et plaqués sur les problèmes de langage sans poser la
question de leur validité. Bien des difficultés sont issues du recours à la
psychologie : geste, perception, mémoire sont plus difficiles encore à
aborder que le langage, ne laissant pas comme lui un objet d'analyse et
de discussion, — le discours —. De toute façon, les comparaisons d'un
domaine à l'autre ne sont justifiées qu'après une exploration préalable
de chacun, qui en pose l'originalité.
Enfin, bien des insuffisances proviennent des cadres accidentels
imposés par un apprentissage personnel, un enseignement scolaire, un
milieu culturel, et ne seront évitées que par une méfiance systématique.
La grammaire traditionnelle n'est guère qu'une présentation empirique
et partielle, facilitant l'usage et l'apprentissage d'une langue ; elle peut
séparer un bon et un mauvais usage d'une langue ; elle s'adresse toujours
à ceux qui parlent déjà ; ce n'est pas par elle que nous avons
effectivement rencontré l'activité de langage et son apprentissage ; cette
remarque la situe bien comme une codification après le langage,
utilisable à l’intérieur d'une langue particulière. La grammaire ne peut
que masquer en quoi consiste plus fondamentalement l'usage d'une
langue quelconque ; elle ne nous fournira pas la base qui nous manque ;
supposant le langage comme un préalable hors de discussion, elle passe
à côté des aphasies.
B. — LA LINGUISTIQUE DEPUIS FERDINAND DE SAUSSURE
Dans l'étude du langage, cette démarche critique est née avec les
travaux de Saussure et son traité de linguistique générale ; elle a conduit
à fonder sur des bases scientifiques la linguistique, qui se définit comme
structurale. Depuis Saussure, on a reconnu que les unités de langage ne
se définissent que par opposition et contraste vis-à-vis d'autres unités
de langage avec lesquelles elles constituent un système. Ces unités
forment système sur un double plan, celui du signifié ou plan
sémiologique *, celui du signifiant
_________
* Dans tout cet exposé, sémiologie, sémiologique, seront utilisés pour désigner
les signes linguistiques ; le sens médical du mot sémiologie, indiquant les signes
des maladies, est écarté.