Revue Hématologie 2006 ; 12 (3) : 201-9 Orientation diagnostique devant une hyperéosinophilie Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Diagnosis of hypereosinophilia Jean-Emmanuel Kahn Nicolas Girszyn Olivier Blétry Service de médecine interne, hôpital Foch, 40, rue Worth, 92151 Suresnes Cedex <[email protected]> Résumé. L’hyperéosinophilie (HE), définie par une élévation des polynucléaires éosinophiles (PNE) sanguins supérieure à 0,5 x 109/L, se rencontre dans un nombre très varié de situations pathologiques et de spécialités médicales. Toute HE nécessite des investigations. Parfois de découverte fortuite, elle peut permettre le diagnostic précoce d’une pathologie potentiellement grave. L’anamnèse et le contexte clinique devront initialement faire rechercher une origine médicamenteuse, parasitaire ou allergique. Dans un deuxième temps, des étiologies plus rares devront être évoquées : maladies spécifiques d’organes (maladie de Carrington, pemphigoïde bulleuse...), tumeurs solides et hémopathies, vascularites. Lorsqu’aucune cause n’est mise en évidence après un bilan étiologique exhaustif, on évoque alors le diagnostic de syndrome hyperéosinophilique (SHE), dont le pronostic est dominé par l’atteinte cardiaque. Au sein de cette entité hétérogène ont été découvertes deux variétés physiopathologiquement distinctes : une dite « myéloproliférative », parfois associée à des délétions chromosomiques aboutissant à une activation constitutionnelle de tyrosines kinases (gène de fusion entre Fip1-like1, FIP1L1, et un gène codant pour un récepteur à activité tyrosine-kinase, Platelet-derivated growth factor receptor a, PDGFRa). Lorsque ce transcrit est mis en évidence, l’imatinib a une efficacité spectaculaire. Dans une deuxième variété, dite « lymphoïde », l’HE semble être réactionnelle à la sécrétion de cytokines (interleukine-5 principalement) par une expansion (clonale ou non) de lymphocytes Th2. Les corticoïdes alors le traitement de choix, et le mepolizumab, anticorps monoclonal anti-IL-5, en cours d’évaluation, semble prometteur. Environ 40 % des syndromes hyperéosinophiliques restent inexpliqués au plan moléculaire. Mots clés : hyperéosinophilie, syndrome hyperéosinophilique Tirés à part : J.-E. Kahn Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Abstract. Hypereosinophilia (> 0,5 x 109/L) is a common clinical finding that can be secondary to a large variety of diseases. Hypereosinophilia always needs to be elucidating, especially because it can reveal malignancies. The history (travels) and the clinical conditions with an increased total IgE level could suggest helminth infections. Others usual diagnoses include allergic diseases and drug reactions. In a second time, rarer causes must be suspected: specific organ-disease (chronic eosinophilic pneumoniae, bullous pemphigoid...), malignancies (solid tumors, leukemia, and lymphoma) or systemic diseases (vasculitis). When evaluation of a chronic hyperéosinophilie fails to reveal an underlying disease, the diagnosis of hypereosinophilic syndrome (HES) is evocated. HES is defined by unexplained prolonged hypereosinophilia, which can be associated with heterogeneous haematological conditions, mainly myeloproliferative and lymphocytic disease. The myeloproliferative variant can be (but not only) consecutive to a fusion between Fip1-like1 (FIP1L1) and Platelet-derivated growth factor receptor a (PDGFRa) genes, inducing increased tyrosine kinase activity of PDGFRa. Imatinib, a tyrosine kinase inhibitor, is dramatically effective in presence of this fusion product. In the lymphocytic variant, hypereosinophilia is secondary to a primitive Th2 lymphoid disorder, overproducing interleukin 5 (IL-5). Corticosteroids are then considered as 201 the first line therapy. Mepolizumab, an anti IL-5 monoclonal antibody, currently in course of evaluation, is promising, but have only a suspensive action. Despite these recent findings, about 50 % of HES remain unexplained. Key words: eosinophilia, hypereosinophilic syndrome L Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. es polynucléaires éosinophiles (PNE) sont des cellules possédant un noyau bilobé et caractérisées par des granules spécifiques ayant une grande affinité tinctoriale pour les colorants acides tels que l’éosine, lui conférant un aspect rouge orangé caractéristique. Leur rôle physiologique et en pathologie humaine a été longtemps sous-estimé. Nous détaillerons au cours de cette revue les aspects physiologiques récents concernant les éosinophiles, les principaux diagnostics à évoquer devant une hyperéosinophilie (HE). Lorsqu’aucune étiologie n’est retrouvée, le diagnostic de syndrome hyperéosinophilique (SHE) est évoqué. Ce syndrome hétérogène regroupe des variants qui ont en commun l’existence de lésions tissulaires induites par les PNE mais qui se caractérisent par des bases moléculaires spécifiques : gène de fusion FIP1L1-PDGFR a (aboutissant à une activation constitutive du récepteur tyrosine kinase PDGFRa) pour le variant « myéloïde » (que certains auteurs anglo-saxons ainsi que l’Organisation Mondiale de la Santé ont reclassé comme « leucémie chronique à éosinophiles »), excès de production d’IL-5 dans le variant lymphoïde. Une meilleure compréhension de la base moléculaire de ces variants a permis le développement de thérapeutiques innovantes, comme les inhibiteurs de tyrosines kinases (imatinib), ou le mepolizumab (anticorps anti-IL-5). Physiopathologie 202 Pendant des décennies, le PNE a été seulement considéré comme un marqueur biologique d’infections parasitaires ou d’atopie. De nombreux travaux ont totalement remis en cause le rôle de cette cellule, confirmant celui joué dans la réponse inflammatoire, mais lui conférant en plus une action immunorégulatrice importante ainsi qu’un rôle effecteur cytotoxique. Le PNE est issu de la moelle osseuse à pâtir de cellules souches hématopoïétiques. Il partage un précurseur commun avec les basophiles. Trois cytokines apparaissent essentielles pour la production de PNE matures : l’interleukine-5 (IL-5), principale cytokine de l’éosinophilopoïèse [1], l’IL-3 et le GM-CSF [2]. L’IL-5 (cytokine Th2) favorise la production, la différentiation et le relargage sanguin des PNE. La souris invalidée pour le gène de l’IL-5 est incapable de produire des PNE suite à une sensibilisation allergénique [3], alors qu’une surexpression de ce gène conduit à une HE majeure [4]. Chez l’homme, des essais thérapeutiques avec le mepolizumab (anticorps monoclonal anti-IL-5) ont montré une réduction majeure de l’HE sanguine mais aussi médullaire et tissulaire [5]. Une hypersécrétion d’IL-5 (réponse lymphocytaire Th2) est impliquée dans les HE observée au cours des infections parasitaires, de l’atopie, et des variants lymphoïdes de SHE. Le PNE est habituellement rapidement attiré vers les tissus cibles sous l’influence de facteurs chimiotactiques spécifiques (éotaxines) ou non spécifiques (leucotriènes, C5a, C3a, cytokines). Les éotaxines (éotaxine ou CCL11, éotaxine 2 ou CCL 24 et éotaxine 3 ou CCL 26) sont les chimiokines les plus spécifiques du PNE, et sont principalement sécrétées par les cellules résidentes des épithéliums en réponse à un signal de danger. Le récepteur des éotaxines à la surface du PNE est CCR3 (aussi impliqué dans la liaison au VIH), et plusieurs antagonistes de CCR3 sont en cours de développement dans l’allergie et l’asthme [6]. L’IL-5 intervient aussi à cette étape en renforçant l’action chimiotactique de CCL11, en augmentant l’expression de molécules d’adhésion et en favorisant le relargage de médiateurs inflammatoires par le PNE. L’adhésion à l’endothélium puis la migration tissulaire, sous l’influence du gradient de chimiokines, font intervenir successivement différentes molécules d’adhésion : le phénomène de rolling (ralentissement des PNE dans la circulation permettant leur adhésion puis la diapédèse) est dépendant des P-sélectines, puis l’adhésion elle-même liée à l’interaction entre des intégrines à la surface du PNE et les récepteurs endothéliaux (ICAM-1 et VCAM-1). L’expression d’un certain type d’intégrine pourrait déterminer le tissu cible du PNE (intégrine a4b7 et migration vers les tissus digestifs). Enfin, la survie au niveau tissulaire des PNE (par diminution de l’apoptose) est favorisée par l’IL-5. Le PNE pourra alors, sous l’influence des différents activateurs, exercer son rôle de cellule inflammatoire (figure 1) : sécrétion de facteurs pouvant augmenter de façon autocrine sa propre activité (CCL11, IL-5, GM-CSF, TNFa), de médiateurs lipidiques, de cytokines et de chimiokines (CCL11, RANTES ou CCL5), de radicaux oxygénés, d’enzymes et de protéines cationiques, contenues dans les granules cytoplasmiques du PNE : major basic protein (MBP), eosinophil peroxydase (EPO), eosinophil cationic protein (ECP), eosinophil derivated neurotoxine (EDN). Ces dernières exercent ont une action cytotoxique bénéfique notamment antiparasitaire, mais peuvent aussi entraîner des dommages tissulaires : toxicité cardiaque, neurologique et bronchique de la MBP, de l’EPO et de l’ECP, activité anti-virale de l’EDN et de l’ECP, bronchospasme lié à la MBP [7, 8]. En plus de ses propriétés inflammatoires, le PNE possède un rôle important de cellule immunorégulatrice : par l’intermédiaire de cytokines et chimiokines sécrétées, le PNE est Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Chimiokines CCL11, CCL5, IL-8, MIP1α Récepteurs aux chimiokines CCR3, CCR1, CCR2, CXCR 3 Cytokines IL-2, 3, 4, 5, 6, 8, 10, 12, 13, 16, 18 INF, TGF, TNF, GM-CSF Récepteurs aux cytokines Récepteurs au complément C3a, C5a Radicaux oxygénés H2O2, O2- Récepteurs aux médiateurs lipidiques Médiateurs lipidiques Prostaglandine, platelet activating factor leucotriènes, thromboxanes Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Toll Like Receptor 2, 4, 7, 9 Superfamille des Ig FcεR, FcαR, FcγRβ CMH I, CMH II, CD4 Molécules de costimulation CD86, CD28, CD 40 Enzymes Phosphatases, phospholipase, catalase, sulfatases ECP MBP EPO EDN Protéines cationiques Figure 1. Le polynucléaire éosinophile (PNE) : cellule inflammatoire et immunorégulatrice. Représentation sur la partie gauche de l’ensemble des récepteurs exprimés à la surface du PNE, et sur la partie droite de l’ensemble des médiateurs sécrétés. capable d’attirer de nombreux acteurs sur le site inflammatoire. Il possède à sa surface des récepteurs impliqués dans l’immunité innée (tool-like receptor, récepteur au complément, aux cytokines et chimiokines), mais aussi dans l’immunité adaptative (CMH-I et CMH-II, récepteurs Fc) ainsi que des molécules de co-stimulation impliquées dans le signal 2 (CD28, CD86, CD40), lui conférant un rôle de cellule présentatrice d’antigène, d’activation et de polarisation (TH1/Th2) lymphocytaire T. Ces différentes propriétés ont permis d’envisager un rôle des PNE notamment dans la défense antimycobactérie [9] (via l’EPO), dans la lutte anti-tumorale [10]. Orientation diagnostique Une hyperéosinophilie se définit par un chiffre de PNE supérieur à 0,5 x 109/L. L’orientation diagnostique devant une HE majeure dépend principalement des éléments cliniques suivant : prises médicamenteuses, notion d’atopie, de voyage ou d’exposition à une parasitose, signes cliniques d’accompagnement et importance de l’HE. Certaines étiologies ne s’accompagnent qu’exceptionnellement d’une HE majeure (supérieure à 1,5 x 109/L) : atopie, insuffisance surrénale lente, tuberculose, histiocytose langheransienne, mucoviscidose. Les causes (tableau 1) en sont variées : médicaments, maladies spécifiques d’organes (pemphigoïde bulleuse, maladie de Carrington, maladie de Crohn...), hémopathies myéloïdes et lymphoïdes et enfin des maladies systémiques (vasculariHématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 tes, embols de cholestérol). Les parasitoses seront suspecter sur la notion de voyages et sur l’élévation des IgE totales. Causes iatrogènes L’interrogatoire à la recherche d’une cause iatrogène doit être policier. En dehors de nombreux antibiotiques, neuroleptiques, antihypertenseurs responsables d’HE, il faut insister sur le DRESS syndrome (pour Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms), qui comporte une fièvre, une éruption cutanée pouvant aller jusqu’à l’érythrodermie, des adénopathies périphériques. Le pronostic vital peut être engagé par hépatite fulminante ou insuffisance rénale aiguë par néphropathie interstitielle immunoallergique. Le délai d’introduction du médicament en cause est classiquement de 2 à 8 semaines. Les médicaments les plus fréquemment impliqués sont les antiépileptiques (phénobarbital, phénytoïne, carbamazépine), la disulone, les sulfamides et l’allopurinol. Causes infectieuses Une infection VIH devra systématiquement être écartée. La tuberculose et l’hépatite C sont parfois associées à une HE. Les helminthiases sont les principales parasitoses responsables d’HE (par le biais d’une réponse immune Th2). Dans ce contexte, les IgE totales sont le plus souvent élevées, leur synthèse étant favorisées par les cytokines Th2 (principalement IL-4 et IL-13) : la normalité des IgE totales rend peu probable une cause parasitaire. Cette donnée, associée à un interrogatoire minutieux sur la notion de voyage, d’animal 203 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Tableau 1 Principales causes des éosinophilies chroniques non parasitaires Affections systémiques Dermatoses Syndrome de Churg et Strauss Pemphigoïde bulleuse Granulomatose de Wegener Lymphomes épidermotropes Périartérite noueuse Mastocytose systémique Embolies de cholestérol Maladie de Kimura Syndrome de Shulman Cellulite de Wells Polyarthrite rhumatoïde Pustulose à éosinophiles d’ Ofuji Poumon éosinophile Causes iatrogènes Médicaments B lactamines, isoniazide Syndrome de Löffler parasitaire Imipramine, amphotéricine B Aspergillose bronchopulmonaire allergique Alphaméthyl-dopa Angéite de Churg et Strauss Médicaments inducteurs de DRESS Pneumonie de Carrington Hémopathies, cancers et déficits immunitaires Affections digestives Maladie de Hodgkin Maladie de Crohn, maladie coeliaque Lymphomes (T et B) Maladie de Whipple Leucémies chroniques ou aigues Pathologies virales Cancers solides Hépatite C, VIH Déficits immunitaires complexes Tuberculose Histiocytose langheransienne Syndrome hyperéosinophilique dans l’entourage devrait permettre d’éviter de multiples sérologies coûteuses et inutiles. La démarche étiologique est basée sur la notion de séjour en zone d’endémie parasitaire (voir tableau 2) : En l’absence de séjour en zone tropicale, on évoquera 204 – Une toxocarose (ou syndrome de larva migrans viscérale), liée à toxocara canis. Elle sera évoquée sur la notion de chat ou chien dans l’entourage, d’enfants jouant dans des bacs à sable souillés, d’un syndrome de Löffler, mais elle peut être totalement asymptomatique. Le diagnostic de certitude est sérologique ; – Une distomatose hépatique (fasciola hepatica). Elle associe fièvre, hépatalgie et ictère, après ingestion de cressons sauvage. L’imagerie hépatique et la sérologie permettront de conforter le diagnostic ; – Une trichinose (trichinella spiralis). L’atteinte musculaire est prédominante (myosite fébrile), et le diagnostic sérologique (ou biopsie musculaire). Le parasite est transmis par de la viande (sanglier, porc, cheval) peu cuite, et cette infection s’observe par petite épidémie ; – Une anisakiase (anisakis). Le tableau est digestif, pseudoulcéreux. Le poisson cru constitue la principale source de contamination. Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence du parasite lors de la fibroscopie digestive haute, sur les biopsies ou par sérologie ; – L’oxyurose (prurit anal) et le ténia (signes digestifs) peuvent être asymptomatique, diagnostiqués respectivement par un scotch-test et un examen parasitologique des selles, mais l’HE dépasse rarement 1,5 x 109/L. La botriocéphalose, l’échinococcose alvéolaire, la fissuration de kyste hydatique, la gale ou l’hypodermose sont moins fréquentes et rarement responsables d’HE majeure. Au retour de zone d’endémie parasitaire L’anguillulose, l’ascaridiose et l’ankylostomiase (diagnostic par un examen parasitologique des selles) et les filarioses péritonéales (sérologie) peuvent être asymptomatiques. Une atteinte pulmonaire fera envisager un poumon éosinophile tropical lié à une filariose (sérologie) ou une paragonimose (sérologie douve du poumon, examen de crachats). La bilharziose donnera une atteinte hépatique ou urinaire, et sera confirmée par la mise en évidence du parasite sur des examens de selles, d’urines, ou par un sérodiagnostic. On évoquera toujours les parasitoses autochtones précédemment citées. Causes dermatologiques On évoquera systématiquement une origine parasitaire (helminthiases, gale) ou iatrogène en fonction du contexte. L’eczéma de contact et la dermatite atopique ne peuvent être retenus comme causes d’HE majeure en dehors d’une atteinte cutanée extensive. L’examen des téguments permet d’évoquer certaines affections dermatologiques pouvant s’accompagner d’une HE majeure. Pemphigoïde bulleuse Elle touche les sujets âgés. L’HE peut précéder l’apparition des bulles et orienter à tort le diagnostic vers une origine « allergique » au stade précoce de la maladie (urticaire et prurit). L’HE est rarement supérieure à 1,5 x 109/L. Lymphomes T épidermotropes Le syndrome de Sézary et le mycosis fungoïde peuvent s’accompagner d’une HE majeure. Le diagnostic peut être difficile, notamment avec un SHE à expression cutanée (biopsie cutanée faussement négative). Les biopsies cutanées devront être répétées avec phénotypage lymphocytaire et recherche d’une clonalité T systématique. Parfois, l’étude du frottis sanguin (mise en évidence de la cellule de SézaryBouvrain) pourra redresser le diagnostic. Mastocytose systémique Le diagnostic est évoqué devant des flushs, une urticaire pigmentaire, une hépatosplénomégalie, une ostéoporose. La confirmation viendra de l’examen histologique (peau, moelle, foie) avec colorations spécifiques des mastocytes, immunohistochimie et recherche de la mutation cKit. Le Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Tableau 2 Causes parasitaires des hyperéosinophilies IgE totales Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Séjour tropical - Bilharziose Filariose Ascaridiose, ankylostomose Anguillulose Distomatose pulmonaire (paragonimose) Parasitoses autochtones - Toxocarose Trichinose Distomatose Oxyurose Anisakiase Taeniasis Plus rares : botriocéphalose, fissuration de kyste hydatique, hypodermose, échinococcose, gale dosage d’histamine et le taux de tryptase peuvent aider au diagnostic. Une équipe américaine a suggéré, sur la base d’études immunohistochimiques de biopsies médullaires, que les SHE associés au gène de fusion FIP1L1-PDGFRa correspondraient en fait à des formes particulières de mastocytose systémique associées à une HE [11]. Ces données sont controversées, surtout au vu des données cliniques : les atteintes organiques classiquement rencontrées au cours des mastocytoses ne rejoignent que rarement les manifestations habituellement rencontrées au cours du SHE, et la fibrose endomyocardique (fréquente dans les SHE associée au FIP1L1-PDGFRa) n’est pas décrite dans les mastocytoses systémiques telles qu’on les rencontre en pratique clinique. Autres Le syndrome de Gleich associe un angio-œdème, avec HE sanguine, une élévation de IgE totales, une augmentation polyclonale des IgM. La maladie de Kimura touche les hommes adultes d’origine asiatique et se présente sous la forme d’adénopathies non inflammatoires, d’une atteinte ORL (glandes salivaires) et cutané (nodules sous cutanés). Le diagnostic repose sur la biopsie ganglionnaire ou cutanée. Le diagnostic différentiel avec une hyperplasie angiolymphoïde avec éosinophilie (HALE) est parfois difficile. La cellulite à éosinophiles ou syndrome de Wells peut prêter à confusion avec une cause infectieuse, mais l’HE et l’histologie (images en flammèches de fibres collagènes entourées d’éosinophiles) aident au diagnostic. Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Causes pulmonaires Une pneumopathie médicamenteuse doit être systématiquement éliminée. Les causes parasitaires peuvent prendre l’aspect d’un syndrome de Löffler (ascaridiase, ankylostomiase, anguillulose, toxocarose) sous la forme d’un bronchospasme et d’infiltrats radiologiques labiles. La pneumonie éosinophilique chronique idiopathique ou maladie de Carrington [5] peut être considérée commune une entité à part entière ou comme une localisation purement respiratoire d’un syndrome hyperéosinophilique idiopathique. Elle s’observe essentiellement chez la femme et se révèle habituellement par un asthme et une altération modérée de l’état général. Les images radiologiques sont parfois caractéristiques : infiltrats périphériques, labiles, dit en négatif de l’œdème pulmonaire. Elle régresse très bien sous corticoïdes, mais la corticodépendance est fréquente. L’aspergillose bronchopulmonaire allergique associe un asthme souvent corticodépendant, une HE sanguine, et des dilatations des bronches. Le diagnostic est confirmé par la présence de taux élevés d’IgE spécifiques anti-aspergillaire. Le principal diagnostic différentiel est le syndrome de Churg et Strauss. Causes digestives S’il existe des signes digestifs (diarrhée et/ou douleurs abdominales), plusieurs diagnostics doivent être évoqués, une fois les helminthiases digestives éliminées. La maladie de Crohn, la maladie cœliaque et la maladie de Whipple peuvent s’accompagner d’une HE chronique. 205 La gastro-entérite à éosinophiles fait pour nous partie intégrante du SHE, dont elle peut être la seule manifestation. Si l’infiltration éosinophilique du tube digestif prédomine au pôle muqueux, les manifestations seront essentiellement des douleurs abdominales, un météorisme et de la diarrhée. Si l’infiltration prédomine au pôle séreux, on observera essentiellement une ascite. L’échographie, la tomodensitométrie et l’endoscopie peuvent montrer un épaississement des anses grêles et les biopsies montrent la présence d’infiltrats éosinophiles. Maladies systémiques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. L’HE est habituelle au cours de deux vascularites associées aux anticorps anticytoplasme des polynucléaires (ANCA) : l’angéite allergique de Churg et Strauss (SCS) et la granulomatose de Wegener (GW). Le SCS associe asthme sévère et manifestations extra-respiratoires (neuropathie). La fréquence de l’HE est de 95 % dans le SCS (parfois massive > 20 x 109/L) pour seulement 10 % au cours de la GW. Les signes extra-respiratoires permettent de distinguer ces angéites nécrosantes de la pneumonie de Carrington ou de l’aspergillose bronchopulmonaire allergique. Les ANCA sont présents dans 50 % seulement des SCS, contre plus de 90 % des GW. La périartérite noueuse (PAN) classique se distingue des précédentes par l’absence de signes respiratoires et d’ANCA (présents dans moins de 10 % des cas) et par la fréquence des multinévrites. Une HE, parfois massive, est observée dans 30 % des cas. Les embols multiples de cristaux de cholestérol, qui s’observent chez un patient athéromateux, sont souvent déclenchées par une artériographie ou un simple traitement anticoagulant. Les orteils pourpres et le livedo des membres inférieurs sont évocateurs, de même que l’insuffisance rénale. La polyarthrite rhumatoïde est classiquement citée comme cause d’HE, mais aucune donnée chiffrée concernant sa fréquence n’est retrouvée dans la littérature. Le syndrome de Shulman se manifeste par un état sclérodermiforme sans phénomène de Raynaud ni atteinte viscérale. La biopsie profonde (incluant le fascia musculaire) montrera une fasciite avec infiltrats à prédominance lymphocytaire, sans PNE : c’est une fasciite avec HE et non une fasciite à éosinophiles. La gravité de la maladie est liée au risque de complications hématologiques (aplasie médullaire, survenue d’un lymphome). Hémopathies et tumeurs solides 206 L’HE peut être associée à diverses tumeurs solides (tube digestif surtout, bronches, seins), et peut parfois précéder le diagnostic de plusieurs années. L’enquête néoplasique devra être exhaustive en cas d’HE associée à une importante altération de l’état général inexpliquée. Une hémopathie myéloïde devra systématiquement être éliminée, surtout en présence d’une hépatosplénomégalie, d’une myélémie, de cytopénies ou d’une élévation de la vitamine B12. On recherchera principalement une leucémie myéloïde chronique, une thrombocytémie essentielle ou une maladie de Vaquez. D’autres leucémies chroniques associées à des anomalies caryotypiques spécifiques s’accompagnent classiquement d’une HE, notamment la translocation 5-12 impliquant le PDGFRb. Certaines myélodysplasies peuvent être source d’une HE, ainsi que la LAM 4 Eo, associée à une inversion du chromosome 16 et définie par la présence d’éosinophiles médullaires anormaux. Une HE peut être présente au cours de diverses hémopathies lymphoïdes malignes : maladie de Hodgkin, leucémie aiguë lymphoblastique, lymphome T (lymphadénopathie angioimmunoblastique, lymphomes épidermotropes) ou lymphome B non hodgkinien. Le syndrome de Wiskott Aldrich, le syndrome d’Omenn et le syndrome de Job-Buckley sont des déficits immunitaires diagnostiqués chez le petit enfant. Syndrome hyperéosinophilique Lorsque toute cette enquête est négative, on parle de syndrome hyperéosinophilique. Les critères diagnostiques, définis en 1975 par Chusid [12] (tableau 3) restent d’actualité bien que critiquables pour certains d’entre eux : en ce qui concerne le critère « absence d’étiologie retrouvée », les progrès récents ont permis d’individualiser d’authentiques hémopathies myéloïdes ou lymphoïdes (voir ci-dessous). Ceci a conduit certains auteurs à proposer de reclasser certaines HE comme des leucémies à éosinophiles [13] (HE liées au FIP1L1-PDGFRa), hors du champ des SHE. Les critères « PNE > 1,5 x 109/L » ou « durée > 6 mois » sont discutables quand on sait l’absence de parallélisme formel entre l’importance de l’HE et les manifestations viscérales d’une part, et le risque de manifestations aiguës graves n’autorisant pas un délai de 6 mois pour porter ce diagnostic d’autre part. Enfin, il faut se souvenir qu’un diagnostic de SHE est parfois redressé après plusieurs mois ou années lorsqu’apparaît un cancer digestif ou une vascularite. Ce cadre est en fait très hétérogène. Les données physiopathologiques ont permis de distinguer plusieurs variants clinico-biologiques [14] : un variant myéloïde, parfois associé à un transcrit de fusion FIP1L1-PDGFRa, et considéré, avant l’utilisation de l’imatinib, de plus mauvais pronostic ; un variant lymphoïde, lié à des anomalies lymphocytaires Tableau 3 Critères de Chusid pour le diagnostic de syndrome hyperéosinophilique - PNE > 1,5 × 109/L - Durée > 6 mois - Aucune autre étiologie retrouvée malgré un bilan exhaustif - Présence d’une infiltration tissulaire éosinophile Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Th2, avec prédominance d’une atteinte cutanée et un pronostic probablement meilleur ; des formes idiopathiques encore inexpliquées au plan moléculaire. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Manifestations cutanéo-viscérales du SHE On observe au cours du SHE une nette prédominance masculine (4/1 à 9/1) [15], et l’âge de début se situe habituellement entre 20 et 50 ans. Les signes généraux (fébricule, arthromyalgies, asthénie et amaigrissement) touchent environ 50 % des patients. Les organes les plus fréquemment atteints sont la peau, le cœur, les poumons, le tube digestif et le système nerveux (tableau 4), la fréquence de chacune de ces manifestations étant d’environ 50 % [16, 17]. La plupart des atteintes viscérales sont la conséquence directe des PNE et du relargage des protéines cationiques [18]. Il est important de rappeler que la sévérité des manifestations n’est pas proportionnelle à l’importance de l’HE. Les manifestations cardiaques évoluent en plusieurs phases : initialement, il s’agit d’une myocardite à PNE, souvent silencieuse, mais pouvant rarement menacer le pronostic vital (insuffisance cardiaque aiguë, troubles de conduction) ; dans un second temps, développement de thombi sur l’endocarde du ventricule gauche avec risque d’évolution finale vers une fibrose endomyocardique avec cardiopathie restrictive. L’ECG peut montrer des troubles de repolarisation diffus. L’examen de choix pour le diagnostic est l’échocardiographie [19] qui permet d’évaluer l’intensité de la fibrose et son retentissement. La tomodensitométrie ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque sont probablement des alternatives intéressantes. L’atteinte cardiaque peut être inaugurale ou apparaître plusieurs années après le début du SHE, imposant son dépistage par une échocardiographie régulière (au moins annuelle). Elle doit être dépistée le plus précocement possible, car une fois installées, les lésions de fibrose endomyocardique régressent rarement. Les manifestations neurologiques centrales non focales sont les plus fréquentes : céphalées, inhabituelles par leur intensité et leur persistance, troubles mnésiques ou de l’humeur, syndrome confusionnel ou véritable démence. Les manifestations centrales focalisées (accident vasculaire) et les méningites sont beaucoup plus rares. L’IRM cérébrale pourra visualiser des hypersignaux de la substance blanche en séquence T2. Les atteintes périphériques (polyneuropathies à prédominance sensitive) sont plus rares et doivent systématiquement faire éliminer une vascularite. Les manifestations dermatologiques sont polymorphes : prurit, éruptions maculo-papuleuses, nodules. Certaines sont plus évocatrices : hémorragies sous-unguéales en flammèches, ulcérations muqueuses buccales et/ou génitales, syndrome de Raynaud. Les manifestations digestives se résument le plus souvent à des douleurs abdominales, une diarrhée, ou une ascite. Les biopsies digestives confirment l’existence d’un infiltrat de PNE. Une hépatomégalie ou une splénomégalie évoquent une origine myéloïde. Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 Tableau 4 Principales manifestations du syndrome hyperéosinophilique Cutanées : éruption cutanée, prurit, angio-œdème, ulcérations muqueuses, nodules Cardiaques : myocardite, thrombus intraVG, fibrose endomyocardique Neurologiques : syndrome confusionnel, démence, accident vasculaire, neuropathies Digestives : douleurs, diarrhée, ascite Pulmonaires : asthme, infiltrats labiles Les manifestations bronchopulmonaires sont non spécifiques (toux, asthme), infiltrats radiologiques alvéolo-interstitiels. D’autres manifestations sont exceptionnelles : atteintes rénales (par lésions interstitielles, glomérulaires ou vasculaires), accidents thromboemboliques (embolie pulmonaire, syndrome de Budd-Chiarri), des cholangites. Caractérisation moléculaire du SHE La caractérisation moléculaire du SHE est une des étapes essentielles du bilan « étiologique ». Il s’agit de détecter des hémopathies indolentes, ne rentrant pas dans un cadre nosologique précis. Elles peuvent toucher primitivement la lignée myéloïde ou, plus indirectement, la lignée lymphoïde Th2 responsable d’une hypersécrétion de cytokines, principalement l’IL-5, capables de stimuler l’éosinophilopoïèse. La détection de ces hémopathies est primordiale car elle conditionne le pronostic (gravité des formes myéloprolifératives) et la prise en charge thérapeutique. SHE « myéloïdes » ou primitifs Cette entité (environ 30 % des SHE) associe une HE inexpliquée (et les atteintes viscérales propres à cette HE) et des anomalies classiquement rencontrées dans les syndromes myéloprolifératifs : hépatomégalie, splénomégalie, atteintes des autres lignées (anémie, thrombopénie, myélémie), vitamine B12 élevée, myélofibrose. Le caryotype est le plus souvent normal. En 2003, Cools et al. ont mis en évidence un transcrit de fusion FIP1L1-PDGFRa chez 56 % d’une série de 16 patients avec SHE. Il s’agit d’une mutation clonale (liée à une délétion 4q12) aboutissant à l’activation constitutionnelle d’une tyrosine kinase sensible à l’imatinib mésylate, en l’occurrence le PDGFRa (récepteur a du facteur de croissance des plaquettes). La fréquence de ce transcrit de fusion semble dans notre expérience plus proche de 17 % (biais de recrutement « hématologique » dans la série princeps). Ce variant de SHE serait associé à un risque élevé d’atteinte cardiaque, à une élévation de la tryptase sérique et à un plus mauvais pronostic [20]. SHE lymphoïdes L’HE est dans ce cas liée à la présence de population lymphocytaires Th2 circulantes de phénotype anormal (le plus souvent CD3-CD4+ ou CD3+CD4-CD8-) [14, 21], dont 207 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. le caractère clonal (mis en évidence par étude du réarrangement du TCR) n’est pas constant (seulement 50 % des cas) [22]. Ces patients ont plus souvent une atteinte cutanée (dont l’angioedème), les IgE et le thymus and activation related chemokine (TARC, CCL17) sont habituellement élevés. Ces variants lymphoïdes représentent environ 30 % des SHE [23]. La réponse aux corticoïdes est habituelle, avec malheureusement un degré variable de corticodépendance. Aucun lymphome avéré n’est habituellement détectable à ce stade, mais plusieurs observations rapportent l’évolution après quelques années vers d’authentiques proliférations lymphoïdes malignes [14]. Malgré tous les progrès physiopathologiques, environ 50 % des SHE restent inexpliqués au plan moléculaire. certains SHE myéloïdes sans FIP1L1-PDGFRa, suggérant l’implication d’autres tyrosines kinases, non encore identifiées). L’imatinib est efficace à des posologies faibles (100 à 200 mg/j, soit la moitié des doses utilisées dans la leucémie myéloïde chronique). Un risque de dégranulation massive des PNE avec myocardite aiguë a été décrit à l’initiation du traitement, réversible sous corticoïdes. Évolution et pronostic Des traitements plus agressifs ont été proposés : alemtuzumab, fludarabine, allogreffe de moelle. Dans la publication de Chusid en 1975, la survie moyenne était de 9 mois, soit 12 % à 5 ans. En 1990, une série française portant sur 40 patients faisait état d’une mortalité de 80 % à 5 ans et 42 % à 15 ans [17]. Dans cette série, le pronostic était principalement lié au développement d’une atteinte cardiaque. Il est probable que les progrès thérapeutiques (principalement l’imatinib), et un dépistage précoce de l’atteinte cardiaque améliorent nettement le pronostic. Enfin, il existe un risque d’évolution de l’hémopathie sous-jacente, notamment l’apparition d’une leucémie aiguë au cours des variants myéloprolifératifs. Principes de traitement Indications thérapeutiques On recommande de traiter tous les patients symptomatiques et ceux avec une atteinte cardiaque ou neurologique débutante paucisymptomatique voire silencieuse. Il semble raisonnable de traiter tous les patients ayant un variant myéloïde (que le transcrit FIP1L1-PDGFRa soit ou non présent). L’importance de l’HE n’est pas en soit un critère de début d’un traitement chez les patients asymptomatiques, mais il parait raisonnable de ne pas laisser évoluer sans traitement des HE massives (> 5 x 109/L). Modalités thérapeutiques Les modalités thérapeutiques ont été bouleversées par les progrès physiopathologiques et l’introduction de nouvelles molécules, principalement l’imatinib. 208 En cas de SHE myéloïde, on conseillait jusqu’à présent l’association d’interféron a et d’hydroxyurée [24, 25], traitement souvent mal tolérée au long cours et non dénuée d’effets indésirables. Il paraît raisonnable de recourir maintenant à l’imatinib (GLIVEC®) en première intention [13, 26, 27], bien évidemment en cas de FIP1L1-PDGFRa (absence de résistance primaire décrite), mais aussi en l’absence du transcrit (dans notre expérience, correction de l’HE au cours de Dans les autres situations, on recommande initialement un traitement corticoïdes (prednisone 0,5 mg/kg/j). En cas d’inefficacité ou de corticodépendance à un niveau élevé (plus de 10 mg de prednisone par jour), on peut faire appel à l’interféron a, ou au mepolizumab (anticorps monoclonal anti-IL-5). Les travaux préliminaires sont encourageants [28, 29], et une étude multicentrique est en cours dans le SHE afin de valider son indication. En pratique Toute hyperéosinophilie impose la recherche d’une étiologique : il pourra s’agir tout simplement d’une atopie (en rappelant que l’HE dépasse alors exceptionnellement 1 x 109/L) ou d’une cause médicamenteuse à systématiquement rechercher avant de débuter une enquête exhaustive. La normalité des IgE totales rend peu probable une origine parasitaire. La recherche d’une cause tumorale (cancer solide ou hémopathie) et d’une infection VIH est systématique, surtout s’il existe une importante altération de l’état général. En l’absence d’étiologie retrouvée, il faudra envisager le diagnostic de SHE et essayer de le caractériser au plan moléculaire : phénotypage des lymphocytes sanguins, clonalité T circulante, recherche du FIP1L1-PDGFRa sur du sang périphérique, dosage de tryptase, vitamine B12, IgE totales. Le dosage d’IL-5 circulante a probablement peu d’intérêt pour identifier un variant lymphoïde (les PNE sont aussi capable de sécréter l’IL-5). Le dosage de TARC [30] pourrait être plus intéressant en tant que marqueur d’un dysfonctionnement Th2. Au plan thérapeutique, il paraît raisonnable d’envisager un traitement antiparasitaire d’épreuve à large spectre (albendazole, flubendazole + ivermectine) si les IgE totales sont élevées et les premières explorations négatives. Ceci permettra en plus d’éradiquer une anguillulose quiescente avant toute corticothérapie. Dans le cadre d’un SHE, le traitement pourra s’orienter vers l’imatinib, les corticoïdes, l’interféron et le mepolizumab. La détection d’une cardiopathie sera systématique au diagnostic et lors du suivi. Enfin, il arrive qu’aucune étiologie ne soit retrouvée à une HE de découverte fortuite, parfois massive, mais sans aucun retentissement viscéral identifiable ; la question d’un traitement dans ces situations est complexe, mais une abstention thérapeutique peut être proposée sous réserve d’une surveillance attentive. ■ Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006 RÉFÉRENCES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. 1. Lopez AF, Sanderson CJ, Gamble JR, Campbell HD, Young IG, Vadas MA. Recombinant human interleukin 5 is a selective activator of human eosinophil function. J Exp Med 1988 ; 167 : 219-24. 17. Lefebvre C, Bletry O, Degoulet P, Guillevin L, BentataPessayre M, Le Thi Huong D, Godeau P. Facteurs pronostiques du syndrome hyperéosinophilique. Etude de 40 observations. Ann Med Interne (Paris) 1989 ; 140 : 253-7. 2. Rothenberg ME. Eosinophilia. N Engl J Med 1998 ; 338 : 1592-600. 18. Tai PC, Ackerman SJ, Spry CJ, Dunnette S, Olsen EG, Gleich GJ. Deposits of eosinophil granule proteins in cardiac tissues of patients with eosinophilic endomyocardial disease. Lancet 1987 ; 1 : 643-7. 3. Foster PS, Hogan SP, Ramsay AJ, Matthaei KI, Young IG. Interleukin 5 deficiency abolishes eosinophilia, airways hyperreactivity, and lung damage in a mouse asthma model. J Exp Med 1996 ; 183 : 195-201. 19. Bletry O, Scheuble C, Cereze P, et al. Manifestations cardiaques du syndrome hyperéosinophilique. Intérêt de l’échographie cardiaque bidimensionelle (12 cas). Arch Mal Coeur Vaiss 1984 ; 77 : 633-41. 4. Dent LA, Strath M, Mellor AL, Sanderson CJ. Eosinophilia in transgenic mice expressing interleukin 5. J Exp Med 1990 ; 172 : 1425-31. 20. Klion AD, Noel P, Akin C, et al. Elevated serum tryptase levels identify a subset of patients with a myeloproliferative variant of idiopathic hypereosinophilic syndrome associated with tissue fibrosis, poor prognosis, and imatinib responsiveness. Blood 2003 ; 101 : 4660-6. 5. Menzies-Gow A, Flood-Page P, Sehmi R, et al. Anti-IL-5 (mepolizumab) therapy induces bone marrow eosinophil maturational arrest and decreases eosinophil progenitors in the bronchial mucosa of atopic asthmatics. J Allergy Clin Immunol 2003 ; 111 : 714-9. 6. Erin EM, Williams TJ, Barnes PJ, Hansel TT. Eotaxin receptor (CCR3) antagonism in asthma and allergic disease. Curr Drug Targets Inflamm Allergy 2002 ; 1 : 201-14. 7. Gleich GJ, Frigas E, Loegering DA, Wassom DL, Steinmuller D. Cytotoxic properties of the eosinophil major basic protein. J Immunol 1979 ; 123 : 2925-7. 8. Rothenberg ME, Hogan SP. The Eosinophil. Annu Rev Immunol 2005 ; [Epub ahead of print]. 9. Borelli V, Vita F, Shankar S, et al. Human eosinophil peroxidase induces surface alteration, killing, and lysis of Mycobacterium tuberculosis. Infect Immun 2003 ; 71 : 605-13. 10. Costello R, O’Callaghan T, Sebahoun G. Rev Med Interne 2005 ; 26 : 479-84 ; [Eosinophils and antitumour response]. 11. Pardanani A, Brockman SR, Paternoster SF, et al. FIP1L1PDGFRA fusion : prevalence and clinicopathologic correlates in 89 consecutive patients with moderate to severe eosinophilia. Blood 2004 ; 104 : 3038-45. 12. Chusid MJ, Dale DC, West BC, Wolff SM. The hypereosinophilic syndrome : analysis of fourteen cases with review of the literature. Medicine 1975 ; 54 : 1-27. 13. Gotlib J, Cools J, Malone 3rd JM, Schrier SL, Gilliland DG, Coutre SE. The FIP1L1-PDGFRalpha fusion tyrosine kinase in hypereosinophilic syndrome and chronic eosinophilic leukemia : implications for diagnosis, classification, and management. Blood 2004 ; 103 : 2879-91. 14. Roufosse F, Cogan E, Goldman M. The hypereosinophilic syndrome revisited. Annu Rev Med 2003 ; 54 : 169-84. 21. Cogan E, Schandene L, Crusiaux A, Cochaux P, Velu T, Goldman M. Brief report : clonal proliferation of type 2 helper T cells in a man with the hypereosinophilic syndrome. N Engl J Med 1994 ; 330 : 535-8. 22. Simon HU, Plotz SG, Dummer R, Blaser K. Abnormal clones of T cells producing interleukin-5 in idiopathic eosinophilia. N Engl J Med 1999 ; 341 : 1112-20. 23. Roche-Lestienne C, Lepers S, Soenen-Cornu V, et al. Molecular characterization of the idiopathic hypereosinophilic syndrome (HES) in 35 French patients with normal conventional cytogenetics. Leukemia 2005 ; 19 : 792-8. 24. Coutant G, Bletry O, Prin L, et al. Traitement des syndromes hyperéosinophiliques à expression myéloproliférative par l’association hydroxyurée-interféron alpha. Ann Med Interne (Paris) 1993 ; 144 : 243-50. 25. Butterfield JH, Gleich GJ. Interferon-alpha treatment of six patients with the idiopathic hypereosinophilic syndrome. Ann Intern Med 1994 ; 121 : 648-53. 26. Cools J, DeAngelo DJ, Gotlib J, et al. A tyrosine kinase created by fusion of the PDGFRA and FIP1L1 genes as a therapeutic target of imatinib in idiopathic hypereosinophilic syndrome. N Engl J Med 2003 ; 348 : 1201-14. 27. Gleich GJ, Leiferman KM, Pardanani A, Tefferi A, Butterfield JH. Treatment of hypereosinophilic syndrome with imatinib mesilate. Lancet 2002 ; 359 : 1577-8. 28. Plotz SG, Simon HU, Darsow U, et al. Use of an antiinterleukin-5 antibody in the hypereosinophilic syndrome with eosinophilic dermatitis. N Engl J Med 2003 ; 349 : 2334-9. 15. Weller PF, Bubley GJ. The idiopathic hypereosinophilic syndrome. Blood 1994 ; 83 : 2759-79. 29. Garrett JK, Jameson SC, Thomson B, et al. Anti-interleukin-5 (mepolizumab) therapy for hypereosinophilic syndromes. J Allergy Clin Immunol 2004 ; 113 : 115-9. 16. Fauci AS, Harley JB, Roberts WC, Ferrans VJ, Gralnick HR, Bjornson BH. NIH conference. The idiopathic hypereosinophilic syndrome. Clinical, pathophysiologic, and therapeutic considerations. Ann Intern Med 1982 ; 97 : 78-92. 30. de Lavareille A, Roufosse F, Schmid-Grendelmeier P, et al. High serum thymus and activation-regulated chemokine levels in the lymphocytic variant of the hypereosinophilic syndrome. J Allergy Clin Immunol 2002 ; 110 : 476-9. 209 Hématologie, vol. 12, n° 3, mai-juin 2006