ment, d’un objet, d’un individu, le jugement de
valeur est appréciatif (Caussin et Saliceti, 2010) :
– en reconnaissant à un objet une importance par-
ticulière,
– par référence à un modèle (une norme) qu’il
pose comme devant être imité, à une finalité comme
devant être réalisée.
La valeur est donc un optatif, une attente, dans la
visée d’une perfection qui se résout en désir ou en
devoir sur le plan moral, et ne peut s’expliquer que
comme une réponse à un manque, à une aspiration
d’un sujet pensant et agissant.
Les critères d’appréciation de la valeur
lors d’un échange
Si les approches philosophiques se caractérisent
par un travail conceptuel conséquent autour des fon-
dements du processus de valorisation, les écono-
mistes ont, quant à eux, engagé des réflexions appro-
fondies concernant les critères d’appréciation et de
mesure de la valeur d’un bien lors d’un échange. Les
théories de la valeur ont donc été développées afin de
déterminer l’espace homogène commun à toutes les
marchandises à l’intérieur duquel ces dernières sont
mesurables, comparables et donc susceptibles d’être
considérées comme égales (Lallement, 1990). C’est
ainsi en économie politique que la valeur perçue
trouve son premier usage technique (Fouquet, 2002).
Dans ce champ disciplinaire, au-delà de la classique
distinction, formellement introduite par Smith
(1776)5, entre valeur d’échange (désignant la faculté
que donne un objet d’en acquérir un autre) et valeur
d’usage (liée à la satisfaction que procure l’usage
d’un bien au consommateur), les courants de l’éco-
nomie politique se structurent autour d’une concep-
tion objective (valeur-travail) ou subjective de la
valeur (valeur utilité – rareté). L’objectif commun de
ces approches est de pouvoir définir des critères
d’appréciation de la valeur d’une marchandise à l’oc-
casion d’un échange, en vue de rendre compte théori-
quement des prix.
S’inspirant en partie de la théorie du « Juste Prix6»
de Saint Thomas d’Aquin, Adam Smith (1776) s’inscrit
dans une conception objective de la valeur, et considère
la quantité de travail (nécessaire à la production d’un
bien), comme étant la source et la mesure de toute
valeur d’échange : « ce que chaque chose coûte réelle-
ment à celui qui veut se la procurer, c’est le travail et la
peine qu’il doit s’imposer pour l’obtenir » (Smith,
1776). Ainsi, si pour tous les auteurs s’inscrivant dans
cette approche la valeur d’usage est une condition
nécessaire à la valeur d’échange, elle ne suffit pas à
en constituer le fondement, comme l’illustre le para-
doxe de l’eau et du diamant7(Lallement, 1990). La
thèse soutenant le travail comme élément central de la
définition de la valeur (d’échange) a été approfondie
par Ricardo et, dans un tout autre esprit, par Marx. Le
premier reprend la théorie de Smith et l’affine, pour
l’essentiel, en considérant non pas le travail com-
mandé (quantité de travail que la vente de la marchan-
dise permet d’acheter) mais le travail incorporé
(quantité de travail nécessaire pour fabriquer la mar-
chandise). Le second introduira la notion de temps de
travail socialement nécessaire pour produire la mar-
chandise. Il s’agit du temps qu’exige « tout travail,
exécuté avec le degré moyen d’habileté et d’intensité et
dans des conditions qui, par rapport au milieu social
donné, sont normales » (Marx, 1867). Marx précise
également que lorsque la marchandise arrive sur le
marché, l’échange amène les producteurs à comparer
les valeurs de leurs produits. Ce phénomène conduit
alors les individus à attribuer aux marchandises des
propriétés qui sont en réalité celles de leurs rapports
sociaux. C’est ce qu’il nomme le caractère fétichiste de
la marchandise. Au-delà de ces différences, les
approches par la valeur-travail convergent vers l’idée
que les prix de marché sont étroitement liés à la
valeur des marchandises, et gravitent ainsi autour
Arnaud Rivière, Rémi Mencarelli
100
5. D’autres auteurs avaient déjà suggéré une telle distinction
(Galiani en 1751, Graslin en 1767, Turgot en 1769).
6. Le juste prix d’un bien doit couvrir les dépenses en travail et les
autres dépenses. Un des attributs du juste prix est d’être invariable
tant que la qualité ne varie pas. Saint Thomas et les scolastiques
admettent que le prix puisse augmenter lorsque la qualité est amé-
liorée, c’est-à-dire lorsque l’utilité du bien augmente (Nézeys,
1998).
7. Ce paradoxe est utilisé par Smith pour illustrer l’absence de cor-
rélation entre valeur d’usage et valeur d’échange. L’eau a une très
forte valeur d’usage. Pourtant elle ne vaut presque rien.
Inversement, le diamant, pourtant presque inutile, a une forte
valeur d’échange car il a fallu une forte quantité de travail com-
mandé pour l’extraire et le tailler.
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