Dossier coordonné par Joël Belmin Auto-évaluation • Questions • Réponses 1428 1511 Éditorial • Maladie d’Alzheimer : un chantier pour la santé publique en France J. Belmin, J.-M. Léger 1429 Mises au point Correspondance Joël Belmin, Service de gériatrie et consultation mémoire, Hôpital Charles Foix et Université Paris VI, 7 avenue de la République, 94205 Ivry-sur-Seine. [email protected] • Épidémiologie des démences C. Berr, T. N. Akbaraly, F. Nourashemi, S. Andrieu 1431 • Syndromes démentiels du sujet âgé : démarches diagnostiques S. Pariel-Madjlessi, C. Opéron, R. Péquignot, C. Konrat, S. Léonardelli, J. Belmin 1442 • Neuro-imagerie des démences S. Lehéricy, C. Delmaire, D. Galanaud, D. Dormont 1453 • Mild Cognitive Impairment J. Touchon, F. Portet 1464 • Démences vasculaires et démences mixtes D. Zekry, C. Duyckaerts, J.-J. Hauw 1469 • Démences frontotemporales I. Le Ber, B. Dubois 1477 • Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson C. Meyniel, P. Damier 1485 • Aspects cliniques de la maladie d’Alzheimer M. Soto, E. Reynish, F. Nourhashémi, B. Vellas 1491 • Prise en charge de la maladie d’Alzheimer J. Belmin, R. Péquignot, C. Konrat, S. Pariel-Madjlessi 1500 1427 Une priorité de santé publique Dossier thématique Troubles cognitifs et démences Presse Med. 2007; 36: 1428 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés Test de lecture troubles cognitifs et démences Dossier thématique Auto-évaluation Troubles cognitifs et démences La lecture régulière de La Presse Médicale fait partie intégrante de votre démarche permanente de formation. Dorénavant, pour optimiser cette formation, nous vous proposons avec chaque dossier thématique un court test de lecture. Avant d’aborder la lecture de ce dossier thématique, nous vous proposons de faire un pré-test vous permettant d’évaluer vos connaissances sur ce sujet. Les éléments de réponse aux questions se trouvent dans les différents articles du dossier. Bien entendu, vous pouvez refaire le test après la lecture complète des articles pour voir si vous avez modifié vos réponses. Les réponses et des commentaires sont disponibles à la fin du dossier thématique. Vrai Faux Pour faire le diagnostic de démence, il est nécessaire d’avoir les éléments suivants : plainte du patient concernant sa mémoire, déficit objectif de la mémoire, aphasie, retentissement des troubles cognitifs sur la vie sociale. ❏ ❏ 2. L’imagerie cérébrale montre toujours une atrophie corticale chez les patients âgés atteints de la maladie d’Alzheimer. ❏ ❏ 3. L’épilepsie, les chutes et les pneumopathies infectieuses sont des complications de la maladie d’Alzheimer. ❏ ❏ 4. Chez les patients ayant une démence débutante, les éléments suivants sont en faveur du diagnostic de démence à corps de Lewy : • Syndrome extrapyramidal • Hallucinations visuelles • Hallucinations auditives • Maladie de Parkinson • Paralysie de l’oculomotricité • Altération marquée des fonctions exécutives • Caractère fluctuant des symptômes cognitifs • Crises épileptiques ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ Les inhibiteurs de la cholinestérase sont indiqués dans le Mild cognitive impairment ou déclin cognitif léger. ❏ ❏ 1. 5. 1428 Réponses p. 1511 tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 en ligne sur / on line on troubles cognitifs et démences www.masson.fr/revues/pm Dossier thématique Éditorial Presse Med. 2007; 36: 1429–30 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. Maladie d’Alzheimer : un chantier pour la santé publique en France Joël Belmin1, Jean-Marc Léger2 1. Service de gériatrie et consultation mémoire, Hôpital Charles Foix et Université Paris VI, Ivry-sur-Seine (94) 2. Service d’explorations fonctionnelles orienté en neurologie, Hôpital Pitié-Salpétrière, Paris (75) Correspondance : Disponible sur internet : le 12 septembre 2007 Joël Belmin, Service de gériatrie et consultation mémoire, Hôpital Charles Foix et Université Paris VI, 7 avenue de la République, 94205 Ivry-sur-Seine. [email protected] Alzheimer’s disease: a major piece of work for Public Health in France L tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.07.003 1429 a maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées responsables de démence constituent aujourd’hui un véritable fait de société. Elles sont entrées dans notre vie quotidienne et dans notre inconscient collectif. Lequel d’entre nous n’a-t-il jamais plaisanté sur son “Alzheimer débutant” face à l’oubli d’un numéro de téléphone ou d’un rendez-vous ? Compte tenu du nombre de personnes touchées, proche de 1 million de cas en France, il est vraisemblable que la plupart des français ont dans leur entourage familial ou amical une ou plusieurs personnes concernée(s) par ces maladies. Celles-ci font l’objet d’une médiatisation importante : dans la presse, il n’y a pas de mois sans annonces de découvertes scientifiques relatives à ces maladies, ou d’informations sur des personnalités atteintes. Au cinéma, dans les séries télévisées et dans les romans, on voit de plus en plus souvent apparaître des personnages atteints, voire même des œuvres entièrement construites autour de la maladie – ils apparaissent même dans les sketches de nos humoristes ! Paradoxalement, alors que ces maladies sont de mieux en mieux connues du public, certains médecins restent encore mal informés sur leur diagnostic et leur prise en charge. Aussi, ce dossier de La Presse Médicale, qui présente une série de mises au point actualisées sur cette thématique, est le bienvenu. Bien évidemment, la préoccupation de notre société à propos des démences n’est pas le fruit du hasard. La maladie d’Alzheimer et les autres démences sont très fréquentes et le nombre de patients augmente de façon importante du fait du vieillissement de la population [1]. Le retentissement de ces maladies sur les patients est majeur, et concerne les dimensions fondamentales des individus que sont la mémoire, les autres fonctions cognitives et l’autonomie. Les conséquences sur l’entourage familial sont elles aussi sévères. Ces maladies sont responsables Belmin J, Léger JM 1430 d’hospitalisation à répétition et sont la principale cause d’entrée en institution d’hébergement. Le coût pour la société est considérable [2], estimé à 10 milliards d’euros par an en France dans un récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé [3]. La maladie d’Alzheimer est placée aujourd’hui sous les feux de l’actualité. Le président de la République récemment élu l’a déclarée « grande cause nationale » et a souhaité en faire un chantier présidentiel. Les attentes dans ce domaine sont nombreuses. Améliorer le repérage des patients et leurs accès au diagnostic est un premier axe : si, paradoxalement, la maladie est de mieux en mieux connue du public, elle est encore méconnue par de nombreux médecins. On estime que chez environ la moitié des patients, le diagnostic n’a pas été fait. Il est important de sensibiliser les médecins généralistes à repérer ces patients à l’aide d’outils simples, et de les adresser vers des centres spécialisés en cas de suspicion de démence ; lesquels centres sont aujourd’hui surchargés, avec des délais d’attente importants, et un accroissement de la capacité de soin de ces centres est indispensable. L’amélioration des soins à domicile est une autre attente forte ; si ceux-ci ont fait beaucoup de progrès au cours des dernières années, ils doivent être encore améliorés au plan quantitatif et qualitatif. Leur répartition sur le territoire n’est pas homogène. L’aide aux patients isolés est encore très difficile et, surtout, l’aide et le soutien aux aidants familiaux des patients sont très insuffisants. Les accueils de jour représentent une aide importante pour certains aidants, mais ces accueils sont encore peu nombreux et ne sont pas pris en charge par le système de santé. Un troisième axe, tout à fait négligé jusqu’à présent, concerne la prise en charge des patients en institution d’hébergement dans tous ses aspects [4]. Enfin, la recherche sur la thérapeutique est une dimension capitale, avec l’espoir d’obtenir dans un délai relativement proche des agents thérapeutiques capables de transformer l’évolution naturelle de la maladie d’Alzheimer. Pour atteindre ce but, il faut promouvoir la recherche fondamentale et la recherche clinique sur cette thématique, mobiliser les professionnels des secteurs public et privé, les patients et leur entourage, et aussi encourager la coopération entre chercheurs, cliniciens et industriels du médicament. Quant à la recherche sur la prévention, elle est aussi un axe important pour le futur, même si cet aspect est aujourd’hui moins avancé que la recherche en thérapeutique [5, 6]. Références 1 2 3 4 5 6 Ramaroson H, Helmer C, Barberger-Gateau P, Letenneur L, Dartigues JF. Prévalence des démences et de la maladie d’Alzheimer chez les sujets âgés de plus de 75 ans : résultats actualisés de la cohorte Paquid. Rev Neurol. 2003; 159: 405-11. Bonin-Guillaume S, Zekry D, Giacobini E, Gold G, Michel JP. L’impact économique des démences. Presse Med. 2005; 34: 35-41. Gallez C, pour l’Office parlementaire d’évaluation en santé. Rapport sur la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. République française : Assemblée Nationale-Sénat, 2005. Vellas B, Gauthier S, Allain H, Andrieu S, Aquino JP, Berrut G et al, Société française de gériatrie et gérontologie. Consensus sur la démence de type Alzheimer au stade sévère. Presse Med. 2005; 34: 1545-55. Belmin J, Verny M. La prévention de la maladie d’Alzheimer : espoirs et déceptions. Presse Med. 2006; 35: 1291-2. Vogel T, Benetos A, Verreault R, Kaltenbach G, Kiesmann M, Berthel M. Les facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer : vers une prévention? Presse Med. 2006; 35: 1309-16. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 en ligne sur / on line on troubles cognitifs et démences www.masson.fr/revues/pm Dossier thématique Mise au point Presse Med. 2007; 36: 1431–41 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. Épidémiologie des démences Claudine Berr1, Tasnime Nassime Akbaraly1, Fati Nourashemi2, Sandrine Andrieu3 1. Inserm, U888, Université Montpellier 1, Montpellier (34) 2. Inserm, U558, Université Toulouse III, Service de médecine interne et gérontologie clinique, Hôpital Casselardit, CHU, Toulouse (31) 3. Inserm, U558, Université Toulouse III, Service d’épidémiologie et de santé publique, CHU, Toulouse (31) Correspondance : ■ Key points ■ Points essentiels Epidemiology of dementia La démence est un problème de santé publique majeur dont le poids va être grandissant dans les 30 prochaines années. La prévalence augmente avec l’âge et l’incidence est un peu plus élevée chez les femmes, surtout après 80 ans. La durée de survie des patients déments est d’environ 5 ans. Le mode de vie apparaît comme une pierre angulaire dans le risque de démence, l’accent étant mis sur les activités physiques, intellectuelles et sociales et sur le rôle de la nutrition. Il est maintenant nécessaire d’avoir des résultats issus d’études d’intervention pour savoir si une meilleure prise en charge de l’hypertension artérielle, du diabète, voire des dyslipidémies peut diminuer le risque de démence. Dementia is a major public health problem and its burden will increase in the 30 years to come. Prevalence increases with age and incidence is slightly higher in women than men, especially after the age of 80 years. Survival after the onset of dementia is approximately 5 years. Lifestyle and health habits are a keystone for dementia: risk factors include physical, intellectual and social activity and nutritional habits. Data from well-conducted intervention studies are necessary to show whether better care for hypertension, diabetes, and dyslipidemia might decrease the incidence of dementia. E n 2006, la population des plus de 60 ans s’élève à 12,5 millions de personnes en France (http://www.insee.fr). À l’horizon 2050, si la baisse de la mortalité se poursuit au même rythme qu’aujourd’hui, les plus de 60 ans représenteront, avec 22,4 millions d’individus, 35,1 % de la population française. Ces chiffres sont à garder en mémoire avant de tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.022 débuter cette mise au point. L’épidémiologie des démences est un vaste champ de recherches et de connaissances qui a beaucoup évolué depuis une dizaine d’années avec l’apport des études longitudinales en population et une meilleure standardisation des procédures diagnostiques. Mais ces travaux doivent s’appuyer sur des études longues et coûteuses de 1431 Disponible sur internet : le 08 juin 2007 Claudine Berr, Équipe U888 Inserm, 39 avenue Charles Flahault, BP 34493, 34093 Montpellier Cedex 5. Tél. : 04 99 61 45 66 [email protected] Berr C, Akbaraly TN, Nourashemi F, Andrieu S par la nécessité de faire une recherche active des cas de démence. En effet, alors que les démences sont fréquentes – touchant globalement 5 % des plus de 65 ans – le diagnostic de démence n’est bien souvent pas fait, même à des stades relativement sévères de la maladie. À partir des cas recherchés systématiquement en population générale, seule 1 démence sur 2 est diagnostiquée, tous stades confondus, en France (données de l’étude Paquid : Personnes âgées Aquitaine ou QUID des personnes âgées) comme dans d’autres pays [1, 2]. Aux stades légers de la maladie, seul 1 cas sur 3 est connu par le patient ou son médecin. Prévalence et incidence des démences Méthodes d’évaluation La démence pose des problèmes spécifiques de repérage et de validation des cas. La plupart des études en population ont adopté une stratégie en 2 temps, avec une première étape de “screening” de la population d’étude utilisant des tests permettant de repérer les individus suspects de démence, et une phase diagnostique où les personnes repérées ont un examen clinique permettant de faire un éventuel diagnostic de démence avec les outils paracliniques nécessaires (examen neuropsychologique, imagerie, biologie, etc.) et un contact avec un informant. De multiples tests de repérage des cas peuvent être proposés, la passation du MMSE (Mini Mental State Examination) étant choisie dans de nombreuses études. Cette procédure en 2 temps pose toujours le problème majeur de la sensibilité et de la spécificité des outils ou algorithmes utilisés pour repérer les cas suspects, mais c’est celle qui est la plus couramment utilisée pour des raisons de faisabilité, d’acceptabilité et de coût. Beaucoup moins fréquemment (par exemple en Grande-Bretagne ou en Italie), les fichiers des médecins généralistes sont utilisés pour repérer les cas de démence. Les problèmes diagnostiques majeurs sont la non-identification des cas de démence et les erreurs de diag- Glossaire AIT AVC CDR DSM HTA ICD MCI MMSE Paquid 1432 PAD PAS accident ischémique transitoire accident vasculaire cérébral Clinical Dementia Rating Diagnostic and Statistical Mental Disorders hypertension artérielle International Classification of Diseases Mild Cognitive Impairment Mini Mental State Examination Personnes âgées Aquitaine ou QUID des personnes âgées pression artérielle diastolique pression artérielle systolique nostic, ces problèmes s’accentuent pour les cas de sévérité légère à modérée. Une part de la variabilité des taux obtenus dans différentes études peut être expliquée par la proportion plus ou moins importante des démences modérées détectées, variable d’une étude à l’autre mais rarement bien décrite. Plus la recherche des cas est active, utilisant des outils très sensibles à la présence de troubles cognitifs encore mineurs, et plus on repérera de formes légères à modérées. Une étude sans recherche active des cas, comme celles réalisées à partir de fichiers médicaux, conduit à ne comptabiliser que les cas pris en charge par le système de soins, et plus certainement des cas sévères que des formes modérées. Résultats des principales études La source principale de données sur la prévalence des démences en France vient de l’étude Paquid, étude de cohorte menée en population générale depuis 1989 en Gironde et Dordogne chez des sujets âgés de plus de 65 ans. La prévalence a été estimée en 1989 [3] et réévaluée en 1999 [4] sur les plus de 75 ans survivants de la cohorte initiale. Des données d’incidence ont été publiées au terme de 5 ans et 10 ans de suivi. L’étude Paquid a inclus initialement des personnes âgées vivant à domicile et un sous-échantillon de personnes âgées vivant en institution. L’essentiel des données chiffrées que nous présentons porte sur les démences toutes causes confondues, fréquemment sur la maladie d’Alzheimer [4-7]. Il faut s’appuyer sur les méta-analyses réalisées dans les années 1990 et réactualisées en 2000 par le consortium Eurodem si l’on veut s’intéresser aux démences vasculaires et mixtes, les autres formes de démences étant rarement étudiées [8]. À partir d’analyses de données européennes du groupe Eurodem, le taux de prévalence des démences chez les sujets de plus de 65 ans est estimé à 6,4 % [5]. La prévalence augmente avec l’âge, cette augmentation est illustrée sur la figure 1. La maladie d’Alzheimer représente 70 % des démences prévalentes et les autres démences sont vasculaires (10 %) et mixtes (20 %). Les chiffres obtenus dans l’étude Paquid lors du recrutement des sujets en 1988-1989 sont aussi représentés dans la figure 1, la prévalence en 1989 chez les plus de 75 ans étant égale à 7,7 % [9]. Les chiffres de prévalence de la maladie d’Alzheimer en France viennent d’être revus à la hausse à l’occasion de la visite à 10 ans de cette cohorte [10]. Les données présentées portent sur 1 461 sujets d’âge moyen 82,6 ans avec 63,2 % de femmes et 9,7 % de personnes vivant en institution. À partir des 260 personnes démentes identifiées, on peut estimer la prévalence à 17,8 % pour ces sujets de plus de 75 ans, 13,2 % pour les hommes et 20,5 % pour les femmes. Cette prévalence augmente très nettement avec l’âge et est beaucoup plus marquée en institution, où plus de 2/3 des sujets sont déments. Près de 80 % des cas sont des maladies d’Alzheimer, 10 % sont des démences vasculaires. On peut estimer qu’actuellement plus de 850 000 tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Épidémiologie des démences Mise au point troubles cognitifs et démences Fi gure 1 Prévalence des démences : données chez les hommes et chez les femmes. Sources : données de méta-analyse Eurodem sur des études des années 1990 [5] ; données initiales de l’étude Paquid (1988-1989) [9] ; données lors du suivi à 10 ans de l’étude Paquid (1998-1999) [4]. personnes de plus de 65 ans sont atteintes de démence en France (rapport Opeps), avec quasiment 3 fois plus de femmes que d’hommes chez ces patients, les plus de 90 ans représentant 230 000 cas (tableau I). Les analyses faites à partir de 8 études européennes menées dans sept pays (Danemark, Espagne, Finlande, France, GrandeBretagne, Suède, Pays-Bas) permettent de donner des chiffres pour chaque tranche d’âge, avec un taux d’incidence moyen qui augmente fortement de 2/1 000 personnes/année entre 65 et 69 ans à 70/1 000 personnes/année après 90 ans [11] (tableau II). En pratique, peu d’estimations ont été publiées en Europe selon la sévérité des cas alors que cette approche est à la fois indispensable pour comprendre les différences de taux d’une étude à l’autre mais aussi pour réaliser des études économiques et planifier la prise en charge [12]. Une étude finlandaise (The Kuopio 75+ study) utilise le DSM-III-R (Diagnostic and Statistical Mental Disorders, 3rd Ed Revised) pour définir les formes légères (prévalence 8 %), modérées (8,3 %) ou sévères (8,3 %) dans une population de plus de 75 ans [13]. Dans la même tranche d’âge, les taux décrits dans l’étude Paquid avec une définition de la sévérité selon le score au Ta bl e au I Prévalence (%) de la maladie d’Alzheimer en fonction de l’âge et du sexe selon différentes études en population Eurodem [5] Paquid (France) [4] Faenza et Granarolo (Italie) [6] CHS (États-Unis) [7] 13,7 Hommes 65-69 ans 1,6 - 0,76 70-74 ans 2,9 - 1,8 75-79 ans 5,6 7,7 5,6 15,4 80-84 ans 11,0 12,5 15,0 33,3 > 85 ans 18,0 23,9 23,8 42,9 10,4 Femmes 65-69 ans 1,0 - 1,2 70-74 ans 3,1 - 3,2 75-79 ans 6,0 5,7 6,0 20,6 80-84 ans 12,6 16,6 13,1 32,6 > 85 ans 25,0 38,4 34,6 50,9 tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 1433 Source : rapport Opeps. Berr C, Akbaraly TN, Nourashemi F, Andrieu S Ta bl e au I I Incidence (%) de la maladie d’Alzheimer et des démences vasculaires en Europe : données du groupe Eurodem Maladie d’Alzheimer Âge Démence vasculaire Hommes Femmes Hommes Femmes 65-69 ans 0,6 0,7 0,5 0,8 70-74 ans 1,5 2,3 1,9 2,4 75-79 ans 1,8 4,3 2,4 3,6 80-84 ans 6,3 8,4 0,1 0,6 85-89 ans 8,8 14,2 0,9 2,3 > 90 ans 17,6 23,6 3,5 5,8 Source : Fratiglioni et al. Incidence of dementia and major subtypes in Europe: a collaborative study of population-based cohorts. Neurology. 2000; 54 (11): S10-S15. MMSE sont un peu plus faibles (respectivement 4,4, 5,6 et 7 %) [4]. Dans le Kungsholmen Project, la définition est fondée sur l’échelle clinique CDR (Clinical Dementia Rating) avec des taux égaux à 8,4, 8,4 et 8,3 % [14]. Malgré les différences dans les critères, on peut globalement retenir que chacun de ces stades représente environ 1/3 des cas présents. Dans une revue récente, ont été analysées les données d’incidence et de prévalence chez les plus de 85 ans publiées dans la littérature [15]. Les chiffres de prévalence sont situés dans une fourchette assez large entre 15 et 40 % alors que les chiffres d’incidence varient de 60 à 100 pour 1 000 personnes/ année. La discussion sur ces chiffres élevés et imprécis reste ouverte compte tenu du faible nombre de sujets inclus dans ces études et des difficultés spécifiques de diagnostic dans le grand âge. Mais cette question va devenir dominante avec l’évolution démographique et l’arrivée dans le grand âge des “Baby boomers” à partir de 2030. Évolution 1434 Peu d’études permettent actuellement de savoir si la fréquence des démences s’est modifiée au cours du temps, l’évolution des classifications (DSM-III puis III-R et IV, ICD-9 puis 10 : International Classification of Diseases) sur les 20 dernières années et des méthodologies d’enquête différentes rendent les comparaisons difficiles. Plusieurs analyses ont été réalisées à partir des données recueillies de 1960 à 1984 à la Mayo Clinic (Rochester), elles ne sont pas en faveur de l’hypothèse d’une tendance séculaire d’augmentation globale de l’incidence mais trouvent une augmentation des taux après 85 ans [16]. Dans l’étude Paquid, à âge égal, la prévalence est plus élevée 10 ans après le début de l’étude (1998-99) qu’à la phase d’inclusion (1988-89) [17]. On ne peut exclure que cette augmentation de prévalence soit en partie expliquée par une meilleure sensibilisation au diagnostic de démence. De plus, l’information recueillie au cours des 10 ans de suivi des performances cognitives permet certainement un diagnostic plus précis qu’à l’inclusion. Ainsi, l’évolution des fonctions cognitives est intégrée dans les algorithmes de repérage des cas au cours du suivi. Néanmoins, il est aussi possible que cette augmentation corresponde à une réelle évolution, liée soit à un accroissement de la durée de la maladie, lui-même lié à un accroissement de l’espérance de vie ou à une meilleure prise en charge des patients, soit à une élévation réelle de l’incidence. La dernière analyse internationale reposant sur une méthodologie de consensus entre experts (Delphi consensus) nous donne une estimation au niveau mondial du nombre de cas de démence, avec 24,3 millions de cas, et près de 4,6 millions de nouveaux cas chaque année, correspondant à un nouveau cas toutes les 7 s [18]. Le nombre de cas attendus va doubler tous les 20 ans, pour atteindre plus de 80 millions de cas en 2040. Environ 60 % des cas vivent dans des pays développés mais le nombre de cas va aussi augmenter très fortement en Chine, Inde et autres pays d’Asie et du Pacifique Ouest. Ces chiffres sont en accord avec ceux proposés à partir de la méta-analyse de Wimo qui, de 25 millions de cas en 2000, prévoit 63 millions en 2030 et 114 millions en 2050, dont 84 dans les régions les moins développées [19]. Il est particulièrement intéressant de pouvoir faire des projections telles que celles proposées par Brookmeyer sous différentes hypothèses de réduction des risques, que cette réduction soit “naturelle” ou qu’elle soit le résultat d’une intervention [20, 21]. Pour réaliser ces calculs, il faut disposer de données sur l’incidence selon l’âge et sur la survie avec ou sans la maladie pour pouvoir construire des taux de prévalence par âge. Ces équations sont ensuite appliquées aux données démographiques actuelles ou aux projections, elles peuvent intégrer les effets des interventions qui pourraient changer l’incidence de la maladie ou sa mortalité. Ainsi avec cette méthode peut-on moduler les projections brutes qui sont, en l’état actuel de nos connaissances, très alarmantes. Devenir et survie des sujets déments On commence maintenant à mieux connaître la durée d’évolution d’une démence – durée qui correspond au temps de survie des patients – mais les facteurs qui la déterminent ne sont pas bien compris. Une bonne estimation de cette durée est pourtant nécessaire car elle est, avec l’incidence, l’autre composante déterminante pour estimer le nombre de cas présents. Les études les plus récentes donnent des chiffres assez concordants entre 3 et 4,5 ans [22, 23]. Au terme de 8 années de suivi dans la cohorte Paquid, le temps moyen de survie est égal à 4,5 ans pour des sujets déments dont l’âge moyen au début de la démence est égal à 82,3 ans. D’une façon générale, les femmes atteintes par une démence ont une survie plus longue que les hommes atteints par une démence et tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Épidémiologie des démences Quels facteurs de risque ou de protection dans les démences et la maladie d’Alzheimer ? La majorité des travaux sur les facteurs associés à la survenue d’une démence porte sur la maladie d’Alzheimer, les quelques travaux sur les démences vasculaires sont centrés autour des facteurs de risque vasculaires. Nous nous limiterons aux travaux sur les démences toutes causes confondues et aux travaux spécifiques de la maladie d’Alzheimer. La recherche de facteurs de risque modifiables est un des enjeux majeurs de la recherche épidémiologique étiologique dans la maladie d’Alzheimer. Elle est actuellement dominée tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 par des travaux sur les facteurs de risque vasculaires avec une montée en puissance des études sur la nutrition, une bonne part de ces facteurs pouvant se rattacher à des modes de vie. Mais d’autres voies méritent d’être explorées, comme la place des antécédents médicaux ou les expositions à certains facteurs environnementaux. La maladie d’Alzheimer est une maladie du sujet âgé, mais on commence à s’intéresser non pas aux caractéristiques des sujets dans les années précédant le diagnostic mais plus globalement à la vie entière du sujet, en particulier la période “midlife”, qui se situe vers 4050 ans [28]. Les facteurs pouvant conduire à des maladies chroniques à des âges avancés peuvent avoir leur origine à des périodes précoces de la vie et se cumuler tout au long de celle-ci [29]. Ces facteurs peuvent aussi avoir des effets différents selon les périodes de la vie comme le suggèrent certains résultats sur l’hypertension artérielle. Âge, sexe et caractéristiques sociodémographiques L’âge est le premier facteur de risque de démence et de maladie d’Alzheimer, comme nous l’avons déjà illustré avec les données de prévalence et d’incidence. C’est à partir de données de prévalence (cf. figure 1) qu’une plus grande fréquence de la démence est décrite chez les femmes ; cependant, cette observation peut à la fois être liée à une durée de la maladie plus longue chez les femmes ou à la plus forte fréquence de facteurs de risque chez les femmes (par exemple un bas niveau d’éducation), facteurs qui sont alors des facteurs de confusion dans l’association maladie d’Alzheimer-sexe. Cette différence entre les 2 sexes n’est pas retrouvée de manière unanime dans les études d’incidence, mais 2 méta-analyses [30, 31] ont montré une incidence plus élevée chez les femmes. Ce résultat est à moduler selon l’âge des sujets. Ainsi, dans l’étude Paquid, l’incidence plus élevée chez les femmes n’est observée qu’après 80 ans [32]. Les premières observations d’une association entre bas niveau d’éducation et risque de démence ont d’abord été interprétées comme étant le reflet d’un biais de diagnostic, les sujets avec un bas niveau d’étude étant ceux qui avaient de moins bons résultats aux tests neuropsychologiques et étaient plus facilement repérés. Mais les relations entre niveau d’éducation et maladie d’Alzheimer ne peuvent se limiter à cette interprétation. À l’inverse, les sujets ayant un haut niveau d’étude ont un risque moindre de démence ou auraient un début plus tardif des troubles, le haut niveau d’éducation correspondant alors à une plus grande réserve cérébrale permettant au sujet d’utiliser, par exemple, plus de stratégies dans les fonctions de reconnaissance [33]. Il ne faut pas non plus oublier que le niveau d’éducation est aussi un indicateur socioéconomique, mais des études tendent à démontrer un effet de l’éducation indépendant de celui de la catégorie socioprofessionnelle [34] ou des revenus [35], cet effet étant plus marqué chez les femmes. Des travaux plus récents viennent 1435 cette différence homme/femme est encore plus marquée lorsqu’il s’agit de la maladie d’Alzheimer. Les résultats publiés par Eurodem [24] montraient que le risque de décès est 2 fois plus important pour les déments prévalents que pour les sujets non déments et la durée de survie est toujours plus faible chez les sujets déments, quel que soit l’âge. Un élément important à considérer dans l’évolution de la maladie est l’entrée en institution, et la recherche de facteurs prédictifs de cette étape a fait l’objet de nombreuses études dont les résultats sont difficilement comparables en raison de différences méthodologiques importantes, liées notamment au mode de recrutement des sujets (en population générale ou hospitalière, via des services d’aide à domicile ou des groupes de soutien aux aidants). Le type de facteur pris en compte diffère selon ce mode de recrutement : en population représentative, les facteurs liés à la personne aidée sont généralement étudiés, mais les facteurs liés à l’entourage le sont rarement alors qu’ils apparaissent déterminants dès lors qu’ils sont pris en compte [25]. Ainsi, le lien de parenté ou le fardeau ressenti par l’aidant sont des facteurs fréquemment retrouvés dans la littérature. Parmi les facteurs liés à la personne aidée, on retrouve l’âge, le fait de vivre seul, le statut marital, une santé perçue diminuée, des incapacités pour les actes de la vie quotidienne, de moins bonnes performances cognitives, la présence de pathologies sévères, le recours à des soins médicaux et la prise de traitements [26]. Parmi les facteurs liés à l’aide, on trouve que le recours à des services professionnels ou à un système d’hébergement temporaire majore le risque d’entrée en institution, pouvant témoigner d’un recours trop tardif à l’aide ou de l’efficacité de ce recours détectant des situations à risque et conduisant à un placement qui sera fait dans de bonnes conditions. Les troubles mentaux sont toujours liés à l’entrée en institution (qu’il s’agisse de troubles cognitifs ou de troubles du comportement) alors que l’incapacité physique est un facteur plus discuté, surtout dans des populations de personnes démentes [27]. En revanche, d’autres caractéristiques telles que le sexe, le niveau de revenu et le lieu de vie (urbain/rural) ne semblent pas systématiquement associées au placement. Mise au point troubles cognitifs et démences Berr C, Akbaraly TN, Nourashemi F, Andrieu S 1436 de montrer que le niveau socio-économique en début de vie affecte le niveau des fonctions cognitives à un âge avancé, mais pas celui de maladie d’Alzheimer [36]. On ne dispose pas encore d’analyses “vie entière” permettant de bien appréhender la place dans le vieillissement cérébral des inégalités sociales avec des marqueurs performants. Différents facteurs, dont le point commun est qu’ils sont très liés au mode de vie, apparaissent comme des facteurs protecteurs vis-à-vis de la survenue d’une démence. Ainsi, la diversité et l’intensité des activités intellectuelles au cours de la vie sont réduites chez les sujets ayant une maladie d’Alzheimer [37]. Cette “inactivité” peut être présentée comme un facteur de risque potentiel de maladie d’Alzheimer mais aussi comme le reflet de signes cliniques très précoces de la maladie, plusieurs décades avant l’installation des symptômes. Une revue de 15 études longitudinales en Europe et aux États-Unis [28] nous permet de faire le point sur la place des activités et contacts sociaux, et il apparaît en fait difficile de conceptualiser et de quantifier activités sociales et réseau social, la multiplicité des outils rendant difficile la comparaison des résultats. Globalement, on retiendra un effet favorable pour les activités intellectuelles ou autres (avec des différences selon le type ou l’intensité de ces activités), les contacts sociaux et le statut marital (favorable pour les individus mariés). L’activité physique – appréciée avec des questionnaires évaluant le nombre, la fréquence ou la durée des activités [38] ou simplement le temps de marche [39] – représente un domaine important qui pourrait être traité également avec les facteurs vasculaires. Tous les travaux récents sur activités physiques, démences et maladie d’Alzheimer convergent pour montrer un effet bénéfique de l’activité physique investiguée en moyenne 5-6 ans avant le diagnostic. Un premier essai randomisé d’intervention dans la maladie d’Alzheimer a montré une amélioration de la qualité de vie et de la mobilité des patients au terme de 3 mois d’intervention auprès des patients et de leur aidant, un bénéfice étant retrouvé après 2 ans de suivi [40]. Enfin, parler de mode de vie sans parler des consommations de tabac et d’alcool serait une vision incomplète. Les données sur le tabac, facteur de protection reconnu dans la maladie de Parkinson et présenté comme tel dans la maladie d’Alzheimer dans quelques études cas-témoins, apparaissent plutôt dans les études prospectives comme un facteur de risque de maladie d’Alzheimer [41]. Pour l’alcool, c’est à partir des travaux de Paquid sur le caractère protecteur d’une consommation modérée de vin [42] que se sont développées de multiples études qui, globalement, montrent un effet plutôt protecteur d’une consommation modérée d’alcool, et non pas spécifiquement de vin dans le risque de maladie d’Alzheimer [43]. Une des explications avancées pour expliquer ces observations est que cette consommation modérée serait associée à un mode de vie protecteur, à une diminution du risque cardiovasculaire, à une action directe de l’alcool sur le métabolisme de l’acétylcholine ou, plus spécifiquement pour le vin, à un rôle protecteur de composés flavonoïdes. Facteurs de risque vasculaire et maladies cardiovasculaires Dans la cohorte Honolulu-Asia Aging Study, une augmentation de la pression artérielle systolique (PAS > 160 mmHg) en “midlife” est associée à un plus faible poids cérébral et plus de plaques séniles dans le néocortex et l’hippocampe, alors qu’une augmentation de la pression artérielle diastolique (PAD > 95 mmHg) est associée à un plus grand nombre de dégénérescences neurofibrillaires dans l’hippocampe [44]. Ces résultats sont en accord avec la littérature qui montre une association entre pression artérielle élevée et démence incidente ou déclin des fonctions cognitives [45, 46]. Selon la période de la vie considérée, les effets ne sont pas les mêmes. Quasiment toutes les études rapportent une association entre pression artérielle élevée mesurée 20 à 30 ans avant l’évaluation cognitive et survenue d’une démence, avec un risque plus élevé chez les sujets non traités. En revanche, pour les études où la pression artérielle est estimée en “late life”, les résultats sont contradictoires. Le premier essai randomisé avec un antihypertenseur (nitrendipine), l’étude Syst-Eur, avait montré une diminution de l’incidence des démences chez des sujets âgés avec HTA (hypertension artérielle) systolique isolée [47]. Chez des sujets âgés de l’étude Progress avec des antécédents d’AVC (accident vasculaire cérébral) ou d’AIT (accident ischémique transitoire), une réduction significative du risque de déclin cognitif mais pas de démence est observée chez les sujets traités (périndopril ou indapamide) [48]. Dans l’étude Scope, qui propose un traitement par candésartan chez des sujets âgés avec une HTA modérée, on n’observe pas d’effet significatif sur le score MMSE ou son évolution [49]. Les résultats de ces études randomisées avec des protocoles dont l’objectif principal n’était pas d’évaluer l’effet sur la survenue d’une démence ou d’un déclin cognitif sont encore trop limités. Le bénéfice d’un traitement antihypertenseur est indéniable pour les maladies cardiovasculaires et les AVC, mais pour la cognition il pourrait dépendre de l’âge du sujet et du type de traitement. Le cholestérol est un composant important du cerveau, et de nombreux travaux soutiennent l’hypothèse d’un rôle important du cholestérol dans la formation des plaques amyloïdes [50]. Les études sur niveaux de cholestérol, déclin des fonctions cognitives et démences sont très contradictoires [51]. De nombreux facteurs expliquent cette hétérogénéité : la période de dosage dans la vie, le nombre de dosages, la nutrition, les traitements et la susceptibilité génétique. Comme pour l’HTA, ce serait plutôt les niveaux élevés de cholestérol en “midlife” qui seraient le plus associés à une augmentation du risque de maladie d’Alzheimer. Les espoirs soulevés par les tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Épidémiologie des démences en acides gras oméga 3 du poisson, le taux de ces acides gras étant lui-même associé à un déclin des fonctions cognitives [80]. L’analyse épidémiologique des relations entre consommation de nutriments et déclin cognitif est complexe et il est très peu probable qu’un seul composé joue un rôle majeur. L’intérêt pour le régime méditerranéen vient de travaux convergents montrant une diminution du risque de maladies cardiovasculaires et de la mortalité avec une alimentation favorisant des apports élevés en légumes, fruits, céréales et graisses insaturées (huile d’olive), modérément élevés en poisson, des apports modérés en produits laitiers, faibles en viandes et volailles, associée à une consommation modérée de vin. Ainsi, une publication dans une population newyorkaise vient de montrer que chez des individus ayant un régime proche du régime méditerranéen, le risque de maladie d’Alzheimer est significativement diminué [81]. Cette observation est en accord avec une part des résultats obtenus pour les micro ou macronutriments et souligne la nécessité de considérer les interactions entre ces différents composés. Autres facteurs Nutrition Expositions professionnelles et environnementales à des agents physiques et chimiques Plusieurs études épidémiologiques de cohorte (Paquid [63, 64], Eva [65, 66], Rotterdam Study [67], Chicago Health and Aging Study [68]) ont trouvé une relation entre antioxydants et moindre risque de démence ou de déclin cognitifs, avec quelques discordances. Les résultats sont néanmoins en faveur d’un rôle potentiellement protecteur de la vitamine E plus que de la vitamine C, mais aussi des caroténoïdes et du sélénium. Les études d’observation sur les suppléments en vitamines A, E ou C ou en oligoéléments (zinc, sélénium) sont beaucoup plus contradictoires et comportent des biais importants d’indication et de sélection des populations. Les résultats des essais randomisés chez le sujet âgé sain ou avec une maladie d’Alzheimer ou un MCI (Mild Cognitive Impairment) ne sont pas encore suffisamment convaincants pour préconiser la prise d’antioxydants en prévention du vieillissement cérébral. Des études épidémiologiques ont montré que les hauts niveaux d’homocystéine circulants sont associés à l’augmentation du risque de démences vasculaires et de type Alzheimer [69, 70]. Une association positive a été montrée entre les folates plasmatiques et la vitamine B12 et les fonctions cognitives [71-73]. Une amélioration des performances cognitives a également été observée après supplémentation de folates et de vitamines B12 [71], toutefois ce résultat n’est pas retrouvé systématiquement par toutes les études [74] et nous n’avons pas encore les résultats des études d’intervention qui sont en cours. L’effet protecteur de la consommation de poisson sur le risque de démence est décrit chez des sujets âgés dans la Rotterdam Study [75, 76], dans l’étude Paquid [77] et dans l’étude Chap [78, 79]. Cet effet protecteur peut être expliqué par les apports À partir de données de neurotoxicité avec des expositions à fortes doses, on suspecte des relations entre différents domaines d’activité professionnelle et maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, sclérose latérale amyotrophique). Mais, en pratique, la littérature n’apporte que relativement peu d’informations sur les relations entre expositions professionnelles et risque de maladie d’Alzheimer. Différents facteurs ont été trouvés associés au risque de démence ou de maladie d’Alzheimer : les expositions aux champs magnétiques correspondant à certains métiers de l’électricité, du téléphone, des transports [82-86], les solvants [87, 88] mais les études négatives sont nombreuses dans ces 2 domaines. Pour les expositions aux pesticides, des effets modérés sur la cognition ont été décrits en transversal avec les fonctions cognitives [89] et chez les hommes de l’étude Paquid avec la maladie d’Alzheimer [90]. Pour les expositions aux métaux lourds et à l’aluminium, les études sont globalement négatives [91-96]. Les effets sanitaires de l’aluminium hydrique sur le fonctionnement cognitif ou la présence d’une démence ont été décrits en population générale ou sur des cas hospitaliers. Les études dont la méthodologie est la moins critiquable sont en faveur d’une augmentation du risque de démence ou de maladie d’Alzheimer [97, 98], risque estimé entre 1,5 et 2,5 pour une concentration hydrique d’aluminium > 100 ou 110 mg/L. Le problème de fond de ces résultats reste celui de la plausibilité de l’hypothèse biologique : l’eau ne représente que 5 à 10 % des apports dans l’organisme humain, même si la biodisponibilité de l’aluminium apportée par l’eau de boisson est supérieure à celle de l’aluminium apportée par tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 1437 premiers résultats d’études cas-témoins montrant une diminution du risque de maladie d’Alzheimer chez les sujets traités par statines n’ont pas été confirmés par les résultats de grandes études longitudinales [52-54]. Les résultats de 3 études randomisées [55-57] se sont avérés négatifs. L’incidence des démences apparaît plus élevée chez les sujets ayant un diabète de type II. Cette augmentation de risque avec des risques relatifs compris entre 1,5 et 2 est trouvée tant pour la maladie d’Alzheimer que pour les démences vasculaires [58]. Une étude en IRM vient de montrer une association entre diabète de type II et atrophie hippocampique indépendamment de la pathologie vasculaire [59]. Un effet bénéfique du traitement antidiabétique sur l’évolution des fonctions cognitives a été mis en évidence chez des sujets de plus de 60 ans suivis 2 ans [60]. Aucun résultat d’essai randomisé n’est disponible pour tester cette hypothèse. Ce n’est que depuis peu que l’on s’intéresse à la place des maladies cardiovasculaires dans le risque de démence, avec la mise en évidence d’une augmentation du risque s’il existe des antécédents d’insuffisance cardiaque, de maladies coronariennes, de fibrillation auriculaire ou d’AVC [61, 62]. Mise au point troubles cognitifs et démences Berr C, Akbaraly TN, Nourashemi F, Andrieu S les aliments (expertise “Évaluation des risques sanitaires liés à l’exposition de la population française à l’aluminium” : http:// www.invs.sante.fr/publications/default.htm.). L’intérêt récent pour le mercure, dont les sources humaines sont la consommation de poisson, les amalgames dentaires et les vaccins, ne peut être correctement documenté avec les données actuelles [99, 100]. Traitements hormonaux de la ménopause Malgré la forte plausibilité biologique d’un rôle neuroprotecteur des œstrogènes, la majorité des essais thérapeutiques n’a pas permis d’établir que le traitement hormonal substitutif de la ménopause pouvait améliorer de façon significative une maladie d’Alzheimer déjà déclarée [101, 102]. Les études épidémiologiques longitudinales suggèrent une réduction de 29 à 44 % du risque de développer la maladie d’Alzheimer chez les femmes traitées [103, 104]. Mais, les résultats récents de l’étude randomisée américaine “Women’s Health Initiative Memory Study” sur des femmes post-ménopausées [105-107] indiquent une augmentation du risque de démence ou de déclin des fonctions cognitives chez les femmes traitées par œstrogènes avec ou sans progestatifs. Tant la population d’étude (femmes à risque cardiovasculaire, de plus de 65 ans au début du traitement) que le type de traitement hormonal substitutif de la ménopause (Premarin® + médroxyprogestérone par voie orale) limitent l’extrapolation de ces résultats. Les prescriptions en France privilégient d’autres formes d’œstrogènes et de progestatifs. Mais il n’est pas légitime de considérer aujourd’hui que la prise d’un traitement hormonal substitutif de la ménopause puisse avoir un rôle protecteur dans les démences et la maladie d’Alzheimer. L’analyse de la littérature n’incite pas à proposer la prescription de traitement hormonal substitutif de la ménopause pour la prévention de la maladie d’Alzheimer. Conflits d’intérêts : aucun Références 1 2 3 4 5 6 1438 7 Kurz X, Scuvee-Moreau J, Salmon E, Pepin JL, Ventura M, Dresse A. La démence en Belgique : taux de prévalence chez les sujets âgés consultant en médecine générale. Rev Med Liege. 2001; 56: 835-9. Tyas SL, Tate RB, Wooldrage K, Manfreda J, Strain LA. Estimating the incidence of dementia: the impact of adjusting for subject attrition using health care utilization data. Ann Epidemiol. 2006; 16: 477-84. Letenneur L, Dequae L, Jacqmin H, Nuissier J, Decamps A, Barberger-Gateau P et al. Prévalence de la démence en Gironde (France). Rev Epidemiol Sante Publique. 1993; 41: 139-45. Ramaroson H, Helmer C, Barberger-Gateau P, Letenneur L, Dartigues JF. 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Tél. : 01 49 59 45 65 [email protected] ■ Key points ■ Points essentiels Dementia syndromes in the elderly: diagnostic procedures Le syndrome démentiel est une altération acquise de plusieurs fonctions cognitives entraînant un retentissement dans la vie quotidienne et constaté en l’absence de trouble de la vigilance. Le syndrome démentiel peut être révélé par des symptômes de perte de mémoire, mais aussi par une perte d’autonomie fonctionnelle, la survenue d’une dépression ou encore par des troubles du comportement ou reconnu lors d’un examen de dépistage. L’évaluation des fonctions cognitives est une étape incontournable de ce diagnostic. Des tests simples réalisables par tout médecin permettent une première approche. Une évaluation cognitive plus détaillée par un spécialiste ou un neuropsychologue est nécessaire (hormis dans les formes évoluées). Devant une démence, il faut conduire l’investigation étiologique, évaluer sa sévérité et son retentissement pour organiser la prise en charge. Du fait de la méconnaissance et du retard au diagnostic des démences du sujet âgé, la question de leur dépistage et/ou de leur détection à un stade plus précoce est soulevée. 1442 Dementia is a deterioration in several cognitive functions that affects daily living and is observed in the absence of impaired vigilance. Dementia may be revealed by symptoms of memory loss but also by a loss of functional autonomy, onset of depression or by behavioral problems; it may also be recognized during a screening examination. Evaluation of cognitive functions is an essential stage of this diagnosis. Simple tests that any physician can perform provide a first approach. A more detailed cognitive evaluation by a specialist or neuropsychologist is then necessary (except in advanced cases). Once dementia is diagnosed, a causal investigation is required to assess its severity and extent, in order to organize management. Lack of recognition of dementia in the elderly and delay in its diagnosis raise the question of screening to detect it at an earlier stage. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.021 Syndromes démentiels du sujet âgé : démarches diagnostiques L es démences sont un groupe de maladies qui présentent des particularités communes, le syndrome démentiel, et qui sont fréquentes chez les sujets âgés. Les démences constituent un problème de santé publique préoccupant dans tous les pays développés, du fait du grand nombre de cas et du retentissement majeur de ces maladies sur la santé des individus et sur leur entourage social. En France, le taux de prévalence des démences chez les plus de 65 ans est estimé à 5 % [1-3] et en 2003, on estimait à 769 000 le nombre de cas chez les personnes âgées de plus de 75 ans [4]. Les démences induisent une perte d’autonomie qui mobilise l’aide de l’entourage naturel, l’intervention d’aides professionnelles et souvent nécessite l’entrée en institution. Enfin, les démences sont associées à une augmentation du risque d’être hospitalisé et en cas d’hospitalisation la durée de séjour est plus longue. Pour toutes ces raisons, le coût de ces maladies est considérable, estimé à 10 milliards d’euros en France chaque année selon le récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (Opeps) [5]. La prise en charge des patients atteints de démence est largement insuffisante [5]. Parmi les facteurs responsables de cette situation, la méconnaissance du diagnostic et/ou sa reconnaissance à un stade déjà avancé de la maladie représentent des facteurs majeurs [2]. En effet, selon les données de plusieurs études épidémiologiques, le diagnostic n’a pas été fait chez environ 1/3 des patients souffrant de démence. De plus, la démence est diagnostiquée à un stade avancé chez environ un autre tiers des patients [4]. Enfin, chez les patients pour lesquels un diagnostic est fait, le délai moyen entre la survenue des premiers symptômes et le diagnostic est de l’ordre de 20 mois [5] et ce délai est encore plus grand chez les patients les plus âgés et chez ceux ayant un bas niveau socioculturel. L’insuffisance du diagnostic entraîne indiscutablement une perte de chance pour les patients et leurs familles, notamment pour les démences qui relèvent d’un traitement médicamenteux [2, 6]. De plus, la qualité de la prise en charge générale des patients et l’aide portée à l’entourage des patients ont fait des progrès considérables au cours des dernières années [5] : aides professionnelles à l’autonomie, accueils de jour, meilleure organisation de l’information du public, notamment grâce aux centres locaux d’information et de coordination (Clic), au soutien des aidants familiaux, attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), remboursement des soins dans le cadre des affections de longue durée (ALD), organisation des soins en cas d’hospitalisation, etc. Aussi, il est très vraisemblable que les patients et leur entourage familial puissent en bénéficier plus facilement et plus précocement lorsque le diagnostic de démence est fait que lorsque celui-ci est méconnu. Le diagnostic positif des démences a fait l’objet de recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), dans le cadre de ses recommandations pratiques pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, la cause la plus fréquente de démence [7]. Le diagnostic positif du syndrome démentiel est une étape nécessaire avant d’entreprendre le diagnostic étiologique visant à identifier sa cause. La démarche diagnostique inclut aussi l’évaluation de la sévérité du syndrome démentiel et de son retentissement sur l’autonomie du patient et sur l’entourage, en particulier sur l’aidant principal. Mise au point troubles cognitifs et démences Définition du syndrome démentiel ADL ALD APA BPSD CDR Clic DSM-IV GIR HAS IADL MIS MMSE MNA NPI Opeps VIH activité de la vie quotidienne affection de longue durée allocation personnalisée d’autonomie Behavioral and Psychological Symptoms of Dementia Clinical Dementia Rating centre local d’information et de coordination Diagnostic and Statistical Manual of mental disorder, fourth edition groupe isoressources Haute autorité de santé activité instrumentale de la vie quotidienne Memory Impairment Screen Mini Mental Status Examination Mini Nutritionnal Assessment Neuro Psychiatry Inventory Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé virus de l’immunodéficience humaine tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Le syndrome démentiel est un groupement de symptômes et de signes, défini par « une atteinte acquise de plusieurs fonctions cognitives (incluant la mémoire), chronique ou progressive, survenant en l’absence de trouble de la vigilance et entraînant un retentissement dans la vie quotidienne » [8]. Une altération récente des fonctions cognitives et/ou associée à des troubles de la vigilance doit avant tout faire rechercher une confusion mentale. Le syndrome démentiel est lié à une atteinte organique du cerveau qui est généralement irréversible. Le diagnostic de démence repose uniquement sur les données cliniques et les critères définis par le guide DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorder, fourth edition) sont très utilisés (encadré 1) [8]. Dans la pratique, le point le plus difficile du diagnostic consiste à mettre en évidence les altérations des fonctions cognitives, et en particulier une altération du fonctionnement de la mémoire qui est obligatoire pour retenir le diagnostic. Il faut aussi pour parler de démence constater une perturbation d’une ou plusieurs fonctions cognitives autres que 1443 Glossaire Pariel-Madjlessi S, Opéron C, Péquignot R, Konrat C, Léonardelli S, Belmin J Encad ré 1 Critères de démence selon le DSM-IV Développement de déficits cognitifs multiples se manifestant par les 2 propositions : • Déficit au niveau de la mémoire (capacité altérée pour apprendre de nouvelles informations ou pour rappeler l’information précédente) • Une (ou plus) des perturbations cognitives suivantes : - aphasie (perturbation du langage) - apraxie (capacité altérée pour effectuer les activités motrices en dépit de la fonction motrice intacte) - agnosie (incapacité à reconnaître ou identifier ce qui est perçu alors que les fonctions sensorielles sont intactes) - troubles des fonctions exécutives (planification, organisation, séquençage, abstraction) Les déficits cognitifs des critères A1 et A2 provoquent chacun un déficit au niveau social, ou professionnel, et représentent un déclin significatif du précédent niveau de fonctionnement Les déficits surviennent en dehors de toute confusion mentale Les déficits ne sont pas dus à une maladie psychiatrique (dépression majeure, schizophrénie) la mémoire (apraxie, agnosie, aphasie, troubles des fonctions exécutives). Les examens d’imagerie cérébrale et les examens biologiques ne sont d’aucune aide pour faire le diagnostic de syndrome démentiel. En revanche, ils sont très utiles pour le diagnostic étiologique d’une démence. Les maladies qui peuvent induire un syndrome démentiel sont nombreuses (tableau I) et peuvent être regroupées en 3 grandes entités : • les démences dégénératives ; • les démences secondaires dont les démences vasculaires ; • les démences dégénératives avec composante cérébrovasculaire, dites démences mixtes [9]. Circonstances de découverte Symptômes cognitifs 1444 Les plaintes concernant les fonctions cognitives sont très fréquentes puisque plus de la moitié des sujets de plus de 50 ans se plaignent de leur mémoire [10]. Si la plainte mnésique est la plus fréquente, elle ne signifie pas obligatoirement déficit mnésique c’est-à-dire altération de la performance mnésique objectivable aux tests neuropsychologiques. Le médecin doit avant tout distinguer les plaintes mnésiques sans altération de la performance mnésique et celles associées à un déficit de la mémoire. Il est difficile au plan clinique de distinguer les plaintes mnésiques pouvant indiquer une démence. L’oubli d’événements récents et importants doit orienter fortement vers un déficit pathologique. Il en est de même pour les troubles de mémoire rapportés par l’entourage et minimisés ou niés par le patient. D’autres symptômes cognitifs peuvent conduire à révéler une démence : une désorientation dans le temps et/ou dans l’espace, des difficultés attentionnelles, des difficultés de langage (trouver ses mots, comprendre une phrase complexe) ou une anosognosie vis-à-vis de symptômes ou de troubles manifestes [11]. Perte d’autonomie fonctionnelle La perte d’autonomie fonctionnelle, définie par la nécessité d’une aide pour effectuer les gestes de la vie quotidienne, est une circonstance fréquente de découverte d’une démence. Les perturbations des fonctions cognitives ont des conséquences fonctionnelles et peuvent entraîner une incapacité à réaliser des activités instrumentales de la vie quotidienne comme prendre des transports en commun sans aide, se servir du téléphone, faire des chèques, gérer son budget, etc. [12]. Symptômes psychiatriques et troubles du comportement Une démence peut aussi être révélée par la survenue de troubles psychiatriques [13]. Les démences sont parfois associées à des modifications de la personnalité qui sont remarquées par l’entourage. Parfois, celui-ci remarque une perte d’intérêt pour des activités qui passionnaient le patient. Dans d’autres cas, la démence peut se manifester par la survenue de symptômes dépressifs, voire par un état dépressif majeur. En particulier, une première dépression chez un sujet de 65 ans sans antécédent psychiatrique doit conduire à réaliser une évaluation des fonctions cognitives à la recherche d’une démence sousjacente. Dans d’autres cas, l’existence d’une démence peut être révélée par une indifférence voire une apathie, des hallucinations, un délire, ou encore des troubles du comportement comme une agitation motrice, une agressivité envers l’entourage, ou encore des troubles du sommeil ou une inversion du rythme veille-sommeil. Si la dépression était parfois considérée comme un diagnostic différentiel de la démence, elle constitue réellement une circonstance de découverte fréquente et les diagnostics de dépression et de démence peuvent être associés chez le même patient. Dépistage systématique Le dépistage est une circonstance de découverte de plus en plus fréquente des syndromes démentiels. Certains centres de gériatrie (hospitalisation, consultation d’évaluation) et parfois certains établissements d’hébergement réalisent une évaluation complète de leurs nouveaux patients. En particulier, l’évaluation gériatrique standardisée est recommandée comme support d’évaluation globale des patients âgés fragiles, et comprend la réalisation de tests simples d’évaluation tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Syndromes démentiels du sujet âgé : démarches diagnostiques Ta bl e au I Principales causes des démences du sujet âgé Maladies responsables de démences Caractéristiques principales Démences dégénératives Maladie d’Alzheimer Mise au point troubles cognitifs et démences Voir tableau III Démence à corps de Lewy Voir tableau III Démence frontotemporale Voir tableau III Démence associée à la maladie de Parkinson Troubles cognitifs survenant dans le cadre d’une maladie de Parkinson évoluant depuis plusieurs années Dégénérescence corticobasale Apraxie unilatérale, syndrome extrapyramidal Atrophie multisystématisée Signes cérébelleux, signes pyramidaux, hypotension orthostatique Paralysie supranucléaire progressive Paralysie de l’élévation du regard, syndrome extrapyramidal avec rigidité axiale Démences vasculaires Infarctus multiples Cardiopathie emboligène, antécédents d’accidents ischémiques cérébraux, imagerie cérébrale État lacunaire Aspect en IRM Infarctus en zones stratégiques Aspect en IRM Leucoencéphalopathie hypertensive HTA sévère, mal équilibrée, aspect de leucoaraïose en imagerie Hématome sous-dural Antécédents de trauma crâniens, médicaments anticoagulants Angiopathie amyloïde Hémorragies cérébrales ; signes en IRM séquence pondérée T2* Vascularite cérébrale Contexte clinique et biologique Démences infectieuses Neurosyphilis Sérologie sang et LCR Leuco-encéphalopathie à VIH Terrain exposé ; sérologie Maladies à prions Évolution rapide, myoclonies, aspect EEG, recherche de la protéine 14-3-3 dans le LCR Séquelles d’encéphalite Antécédents Causes métaboliques Déficit en vitamine B12 (Discuté) dosage vitamine B12 plasmatique Syndrome de Korsakoff Alcoolisme, fabulations, antécédent d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke Hypothyroïdie Signes cliniques, TSH Autres Tumeur cérébrale Céphalées, aspect en imagerie cérébrale Hydrocéphalie chronique à pression normale Troubles de la marche, incontinence urinaire, aspect en imagerie cérébrale Séquelle d’intoxication au CO Antécédents Séquelle d’anoxie cérébrale Antécédents IRM : imagerie par résonance magnétique ; HTA : hypertension artérielle ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; LCR : liquide céphalorachidien ; EEG : électroencéphalogramme ; TSH : Thyroid Stimulating Hormone. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Diagnostic positif des démences du sujet âgé en pratique En présence d’une ou plusieurs des circonstances de découverte mentionnées plus haut, le médecin doit s’interroger sur l’existence d’un syndrome démentiel et le rechercher. En plus de l’examen clinique complet, notamment au plan neurologique et cardiovasculaire, cette démarche implique une évaluation des fonctions cognitives et une évaluation de l’autonomie. Généralement cette première étape est conduite par le médecin traitant ou encore, dans le cadre du soin hospitalier, par un médecin non spécialisé dans l’évaluation des troubles cognitifs. À ce stade, il est important d’effectuer un 1445 cognitive [14]. Des anomalies de ces tests peuvent conduire à évaluer de façon plus approfondie les fonctions cognitives et à découvrir un syndrome démentiel. La réalisation d’un test systématique d’évaluation rapide des fonctions cognitives peut conduire à diagnostiquer des formes précoces des démences, en particulier pour la maladie d’Alzheimer et la démence à corps de Lewy dont le mode d’installation est très progressif. Toutefois, l’évaluation systématique conduit surtout à faire le diagnostic de formes installées de démence de niveau modéré ou parfois même sévère, notamment lorsque les symptômes liés aux troubles cognitifs n’étaient pas apparents ou avaient été négligés par l’entourage du patient et/ou par les médecins consultés. Pariel-Madjlessi S, Opéron C, Péquignot R, Konrat C, Léonardelli S, Belmin J test rapide des fonctions cognitives pour rechercher des signes objectifs de dysfonctionnement cognitif. Quels tests pour évaluer les fonctions cognitives en contexte non spécialisé ? Mini Mental Status Examination Le test le plus communément utilisé pour cela est le Mini Mental Status Examination (MMSE) qui comporte la cotation de 18 items et fournit un score compris entre 0 et 30 [15]. C’est celui conseillé dans les recommandations pratiques de la HAS pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer publiées en 2000 [7]. Un score < 24 est presque toujours le témoin d’une dysfonction cognitive pathologique et un score > 27 l’est rarement. Toutefois, les valeurs seuils pour interpréter ce test varient avec l’âge et le niveau d’éducation, ce qui rend son utilisation complexe pour des médecins non spécialisés dans l’évaluation cognitive. Par ailleurs, un score abaissé ne permet pas à lui seul de faire le diagnostic de démence. En effet, pour un score MMSE < 24, les sensibilité et spécificité pour le diagnostic de démence sont de 63 et 89 % respectivement [16]. De plus, son temps de passation (environ 15 min chez les sujets âgés) est considéré comme long pour des consultations de médecine générale. Tests rapides d’évaluation cognitive Plusieurs tests plus rapides et plus simples que le MMSE ont été proposés pour évaluer les fonctions cognitives en milieu non spécialisé (tableau II). Le test du cadran de l’horloge ou test de l’horloge consiste à demander au patient de dessiner sans modèle le cadran d’une montre, en représentant les chiffres, et de dessiner les aiguilles pour figurer une heure donnée par l’examinateur (par exemple 2 h 20). Il existe plusieurs versions de ce test avec différents systèmes de cotation, et certaines présentent au patient un cercle imprimé à compléter et d’autres non. Les anomalies peuvent concerner les nombres et leur placement, les aiguilles et leurs directions. Ce test est rapide (environ 2 min) et son interprétation ne dépend pas du niveau d’éducation. Un exemple de test anormal est présenté dans la figure 1. Les sensibilité et spécificité de ce test sont de 84 et 72 % respectivement [17]. D’autres tests ont été conçus pour dépister les troubles de mémoire en demandant au patient de mémoriser une liste de mots en facilitant leur rappel par l’indiçage : le test Memory Impairment Screen (MIS) mis au point par Bushke aux États-Unis [18] et le test des 5 mots mis au point en France par Dubois [19-21]. L’indiçage consiste à indiquer au patient les catégories sémantiques des mots à mémoriser Ta bl e au I I Principaux tests d’évaluation des fonctions cognitives utilisables en contexte non spécialisé Test [réf] Principe, remarques Durée (min) Se (%) Spé (%) MMSE [15] 18 items à coter ; score de 0 à 30 ; interprétation tenant compte du niveau d’éducation et de l’âge. 15 63 89 Test de l’horloge [17] Dessiner sans modèle le cadran d’une horloge avec les nombres bien placés, et les aiguilles pour figurer une heure spécifiée ; pour la cotation et l’interprétation, plusieurs versions existent. 2 84 72 Memory impairment screen [18] Apprentissage de 4 mots avec indiçage sur leur catégorie sémantique. Après une épreuve interférente, évaluation du rappel des mots sans indice, puis avec indice pour les mots non rappelés. Score de 0 à 8 ; anormal si < 4. 8-10* 80 97 Test des 5 mots [19] Apprentissage de 5 mots avec indiçage. Rappel des mots (sans indice puis avec indice si mot non rappelé) avant, puis après une épreuve interférente. Cotation de 0 à 10 = mots rappelés avant l’interférence + ceux rappelés après (qu’il y ait eu ou non besoin d’indices). Test anormal si < 10. 8-10* 80 90 MiniCog [22] Apprentissage de 3 mots. Test de l’horloge. 3 76 89 GPCog [23] a) Cinq épreuves variées pour le patient (cotation de 0 à 9) et b) Six questions posées à l’aidant familial (cotation de 0 à 6). Test anormal si a < 4 ou (a > 4 et b < 3). 10** 96 62 Codex [25] Apprentissage de 3 mots. Test de l’horloge avec cotation simplifiée (normal/anormal). Rappel des mots, coté normal si 3 mots rappelés ou anormal sinon. Arbre de décision et test d’orientation spatiale pour certains patients (voir figure 1). 3 92 85 1446 * incluant l’épreuve d’interférence ; ** si aidant familial disponible. Se : sensibilité ; Spé : spécificité. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Syndromes démentiels du sujet âgé : démarches diagnostiques Mise au point troubles cognitifs et démences Fi gure 1 Arbre décisionnel du test Codex, un test rapide pour le repérage des troubles cognitifs chez les sujets âgés tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Récemment, notre équipe a mis au point un test rapide pour la détection des démences du sujet âgé. Ce test baptisé Codex peut être réalisé en moins de 3 min et semble bien adapté à la pratique en médecine de ville [25]. Il s’agit d’un algorithme décisionnel (figure 1) construit à partir des sous-items les plus pertinents au plan statistique du test MMSE et du test de l’horloge avec une cotation très simplifiée (encadré 2). Codex évalué en consultation mémoire a montré une sensibilité et une spécificité de 92 et 85 % respectivement pour le diagnostic de démence et, de façon intéressante, ces résultats étaient meilleurs que ceux du MMSE, même en tenant compte du niveau d’éducation des patients. Comment évaluer la perte d’autonomie fonctionnelle en contexte non spécialisé ? Si la perte d’autonomie est classiquement une conséquence des démences, elle peut être utile à leur repérage. En effet, l’étude Paquid a montré que le besoin d’aide pour au moins une activité instrumentale de la vie quotidienne (IADL) parmi les 4 (utilisation 1447 (par exemple “animal” pour “éléphant”). Lors des épreuves de rappel des mots appris, on utilise l’indice pour les mots non rappelés spontanément par le patient. Le MIS évalue le rappel de 4 mots après une épreuve interférente et tient compte dans la réponse du nombre de recours aux indices pour rappeler les mots. Le test des 5 mots évalue le rappel de 5 mots avant et après une épreuve interférente, et sa cotation ne tient pas compte du recours aux indices. Ils sont réalisables en 10 min environ incluant l’épreuve interférente qui à elle seule dure 3 à 5 min. Un test très court, le MiniCog, a été mis au point aux États-Unis par Borson [22]. Il fait intervenir plusieurs types de tâches, en particulier l’apprentissage de mots et le test de l’horloge. Malgré sa brièveté (environ 3 min), ses sensibilité et spécificité sont comparables à celles de tests plus longs. Le test GPCog est un autre test très rapide qui a été mis au point par Brodaty en Australie [23] et traduit en français par Thomas [24]. Il comporte plusieurs tâches du même type pour le patient mais aussi des questions pour un membre de l’entourage du patient et il dure environ 10 min. Pariel-Madjlessi S, Opéron C, Péquignot R, Konrat C, Léonardelli S, Belmin J Encad ré 2 Description de Codex, un test rapide pour le repérage des troubles cognitifs chez les sujets âgés Limites Il faut que le sujet puisse comprendre les consignes et que ses capacités motrices et sensorielles soient suffisantes pour le réaliser. Consignes et cotation Codex comporte une 1re étape pour tous les sujets, et une 2e étape pour certains sujets en fonction du score obtenu à la 1re étape (voir figure 1). Première étape • On demande au sujet de répéter et de mémoriser 3 mots simples énoncés oralement par l’examinateur : clé, ballon, citron (ou en cas de retest : fleur, cigare, porte). • On donne au sujet une feuille de papier sur laquelle est imprimé un cercle de grande taille ; on lui demande de figurer les nombres des heures de façon à représenter un cadran de montre ; une fois cela fait, on lui demande de dessiner les aiguilles de façon à représenter 14h25. Cette épreuve est cotée comme normale si ces 4 conditions sont vérifiées : tous les chiffres sont représentés ; leur positionnement est correct ; on peut identifier une petite et une grande aiguille ; les aiguilles indiquent l’heure demandée (à quelques degrés près). Elle est considérée comme anormale si une ou plusieurs conditions ne sont pas vérifiées. • On demande au sujet de rappeler les 3 mots mémorisés. Cette épreuve est cotée comme normale si les 3 mots sont rappelés. Elle est anormale si un ou plusieurs mots ne sont pas rappelés. Seconde étape On pose au sujet les 5 questions suivante : quel est le nom de l’hôpital où nous nous trouvons (ou bien dans quelle rue se situe le cabinet médical où nous nous trouvons) ? Dans quelle ville se trouve-t-il ? Dans quel département ? Dans quelle région ? À quel étage sommes nous ? Chaque question est cotée 1 point si la réponse et correcte et 0 sinon. Le score est la somme des 5 cotations. Interprétation Voir l’arbre décisionnel de Codex (figure 1). 1448 du téléphone, utilisation des transports, prise des médicaments, gestion des finances) avait une sensibilité et une spécificité de 94 et 71 % respectivement pour le diagnostic de démence [3]. Le besoin d’aide pour au moins 2 de ces mêmes IADL avait une sensibilité et spécificité de 86 et 88 % respectivement pour ce même diagnostic. Toutefois, l’utilisation de cet outil dans le but de détecter les démences connaît probablement quelques limites chez les sujets très âgés, car les causes de pertes d’autonomie autres que la démence sont plus fréquentes. Diagnostic des démences en contexte de soin spécialisé : les “consultations mémoire” Les consultations mémoire réunissent dans une même unité de lieu et de temps des médecins spécialisés dans le diagnostic et la prise en charge de troubles cognitifs – en général gériatres, neurologues et/ou psychiatres – et des neuropsychologues. Ces derniers sont capables d’évaluer de façon détaillée des fonctions cognitives au moyen de tests neuropsychologiques. Parmi les tests de la mémoire, celui de Grober et Buschke est très utilisé [26]. Il consiste à faire apprendre au sujet une liste de mots avec un facteur d’indiçage en s’assurant que les indices ont bien été captés et compris par le patient. L’évaluation du rappel différé est faite en demandant au patient de dire les mots appris après une autre épreuve visant à réaliser une interférence. On étudie dans un premier temps le nombre de mots restitués. Si certains mots ne sont pas restitués, on aide le rappel en indiquant au patient l’indice correspondant aux mots non restitués. Dans les troubles de mémoire liés à une démence, le rappel différé est altéré et n’est pas amélioré par l’indiçage, et on observe fréquemment des réponses de mots qui n’étaient pas présents dans la liste (intrusions). Dans la mesure où le diagnostic de démence repose aussi sur l’existence de troubles d’une ou plusieurs fonctions cognitives autres que la mémoire, les neuropsychologues effectuent souvent des batteries de tests réalisant une évaluation complète. Les batteries de tests varient en fonction des équipes, mais leur principe commun est d’évaluer le langage, les praxies, l’attention, les fonctions abstraites. L’interprétation de ces résultats est complexe et doit tenir compte du niveau d’éducation du patient et de son degré d’attention. La confrontation des données médicales et des données neuropsychologiques est une étape essentielle du diagnostic de démence. Quand faire appel aux consultations mémoire pour le diagnostic de troubles cognitifs ? Devant l’existence de symptômes ou troubles cognitifs, le recours à un centre spécialisé pour rechercher l’existence d’une démence dépend de plusieurs facteurs y compris l’expérience de médecin non spécialisé. Par exemple, il est possible de poser le diagnostic de démence dans des formes déjà avancées sans recourir à un centre spécialisé, et chez les patients ayant un score MMSE < 18, il est peu probable que l’évaluation par un neuropsychologue soit indispensable pour poser le diagnostic de démence. Inversement un score MMSE > 27 rend peu probable le diagnostic de démence. Toutefois dans cette dernière situation en cas de symptômes persistants et gênants, une évaluation spécialisée est souhaitable dans le but de détecter une démence débutante ou un déclin cognitif léger. Enfin, l’intérêt de ces consultations spécialisées ne se limite pas au seul diagnostic de démence et bien sûr contribue tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Syndromes démentiels du sujet âgé : démarches diagnostiques Démarches diagnostiques Affirmer le diagnostic de démence et diagnostic différentiel Après cette démarche d’évaluation clinique et neuropsychologique, il faut analyser l’ensemble des données obtenues, et voir si le patient remplit les critères diagnostiques de démence selon le DSM-IV [8] (encadré 1). Le premier diagnostic différentiel à discuter est la confusion mentale. Le caractère brutal et récent de l’installation des troubles, l’existence de troubles de la vigilance, d’un onirisme ou d’un contexte médical étiologique orientent vers le diagnostic de confusion mentale. D’autres diagnostics différentiels de la démence doivent être ensuite considérés. On distingue en premier les situations où le patient a des plaintes cognitives sans altération objective des performances cognitives malgré un bilan soigneux. Le plus souvent, les symptômes s’expliquent par des troubles attentionnels et il faut rechercher l’existence de troubles anxieux et/ou dépressifs, d’un syndrome d’apnée du sommeil ou encore la prise de médicaments sédatifs et/ou anticholinergiques. D’autres patients présentent un dysfonctionnement léger de la mémoire objectivé par le bilan neuropsychologique, mais sans remplir les critères de démence. C’est notamment le cas des troubles de mémoire isolés liés à l’âge encore appelés déclin cognitif léger ou mild cognitive impairment [27]. Il faut aussi rechercher chez ces patients des maladies ou la prise de médicaments délétères pour les fonctions cognitives. Il est important de suivre ces patients de façon rapprochée car l’évolution vers un syndrome démentiel avéré est fréquente. Parfois, malgré une démarche complète, il peut persister des doutes diagnostiques quant à l’existence ou non d’une démence. Il est important dans ces cas de proposer au patient et à son entourage un nouveau bilan après 3 à 6 mois, ce qui peut permettre de poser un diagnostic plus net si les troubles se sont amplifiés. Diagnostic étiologique des démences Lorsque le diagnostic de démence est posé, il faut en rechercher l’étiologie. De nombreuses maladies peuvent être responsables de syndrome démentiel (tableau I) [28]. L’enquête étiologique repose sur le mode d’installation des troubles et sur l’évolution depuis le début des signes, sur les données de l’examen clinique, sur le profil des troubles neuropsychologiques, et sur les examens d’imagerie cérébrale. On classe les démences en 2 catégories : les démences dégénératives au sein desquelles la maladie d’Alzheimer est la maladie la plus fréquente, et les démences secondaires (non dégénératives) tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 avec la démence vasculaire au premier plan. Les démences neurodégénératives sont les plus courantes chez les sujets âgés et correspondent à environ 70-80 % des cas. Les démences vasculaires et les démences mixtes représentent environ 20-25 % des cas. Les démences secondaires non vasculaires sont peu fréquentes chez les sujets âgés et représentent moins de 5 % des cas de démence. Du point de vue clinique, il est utile de distinguer les démences qui peuvent relever d’un traitement spécifique. Quelques auteurs ont autrefois insisté sur certaines étiologies de démences réversibles. Une récente méta-analyse sur 39 études publiées après 1987 groupant plus de 7 000 patients a montré que les démences potentiellement réversibles représenteraient 9 % des cas de démences, mais que seulement 0,3 % sont réellement réversibles [29]. En pratique, le diagnostic étiologique des démences passe par une démarche systématique : étude du mode d’installation des troubles et de leur évolution, recherche des signes associés (syndrome extrapyramidal, hallucinations, troubles du comportement) (tableaux I et III) [28]. Certains examens complémentaires sont utiles au diagnostic étiologique des démences (tableau I). La réalisation d’un examen d’imagerie cérébrale est nécessaire pour le diagnostic étiologique du syndrome démentiel, en particulier pour reconnaître les lésions cérébrovasculaires, mais aussi les hydrocéphalies à pression normale et les processus expansifs intracrâniens. L’IRM est l’examen le plus adapté, notamment pour reconnaître les atteintes cérébrovasculaires de type lacunaire et analyser les anomalies de la substance, mais la réalisation d’un scanner de première intention est logique lorsque l’accès à l’IRM est difficile. Les examens isotopiques cérébraux doivent être réservés à certaines situations cliniques de diagnostic difficile. Un bilan biologique simple est utile : dosage de la TSH, ionogramme sanguin, calcémie et créatinine et pour certains, dosage de la vitamine B12. Ce bilan peut être complété par d’autres examens biologiques en fonction du contexte clinique (sérologie de la syphilis, sérologie VIH : virus de l’immunodéficience humaine). L’électroencéphalogramme doit être pratiqué dans les syndromes démentiels d’évolution rapide, ceux associés à des myoclonies, ou en cas de suspicion de crises épileptiques associées. L’utilisation d’outils diagnostiques facilite l’analyse clinique des divers éléments du diagnostic étiologique des démences, et aide à poser le diagnostic (critères de maladie d’Alzheimer du DSM-IV, score ischémique de Hachinski, critères de McKeith, critères de Lund et Manchester, score de dysfonctionnement frontal) [30]. Il faut se rappeler que malgré une démarche clinique rigoureuse, la notion de certitude diagnostique n’est jamais obtenue avant l’étude neuropathologique du cerveau. Dans des centres experts, le diagnostic posé par les cliniciens s’avère infirmé par l’étude neuropathologique post mortem dans 15 à 20 % des cas [31]. En particulier le diagnostic clinique des 1449 au diagnostic étiologique de la démence et permet de formuler les orientations thérapeutiques et d’organiser la prise en charge des patients. Mise au point troubles cognitifs et démences Pariel-Madjlessi S, Opéron C, Péquignot R, Konrat C, Léonardelli S, Belmin J Ta bl e au I II Principales caractéristiques cliniques et paracliniques des 4 maladies les plus fréquentes à l’origine des syndromes démentiels chez les sujets âgés Maladie d’Alzheimer Démence à corps de Lewy Démence frontotemporale Démences vasculaires Mode de début Troubles cognitifs insidieux Troubles cognitifs insidieux Troubles psychiatriques Troubles du comportement Début brutal, par une confusion ou un déficit neurologique focal ou un AVC documenté Évolution Progressive Progressive Progressive Aggravation en marches d’escalier Signes extrapyramidaux, hallucinations visuelles, signes fluctuants, hypersensibilité aux neuroleptiques Signes frontaux Terrain cardiovasculaire Antécédents cérébrovasculaires Déficit neurologique focal Signes associés Profil neuropsychologique (formes débutantes) Altération marquée de la mémoire Altération des fonctions exécutives ; troubles attentionnels Altération des fonctions exécutives ; troubles attentionnels Variable Aspect en IRM Pas d’anomalie ou atrophie de l’hippocampe Pas d’anomalie Pas d’anomalie ou atrophie localisée frontale ou temporale uni ou bilatérale Lésions cérébrovasculaires ischémiques et/ou hémorragiques Imagerie isotopique Pas d’anomalie ou diminution symétrique de perfusion/métabolisme au niveau hippocampique Diminution bilatérale de fixation des récepteurs transporteurs de la dopamine (imagerie DatScan®) Diminution de perfusion/ métabolisme au niveau frontal et/ou temporal (symétrique ou asymétrique) Diminution de perfusion/ métabolisme dans les zones ischémiques et/ou hémorragiques AVC : accident vasculaire cérébral ; IRM : imagerie par résonance magnétique. Sources : • Medjahed S, Belmin J. Examen clinique et évaluation multidimensionnelle du sujet âgé. In: Belmin J et al., editors. Gérontologie pour le praticien. Paris : Masson ; 2003. p. 21-6. • Derouesné et al. Le Mini-Mental State Examination (MMSE) : un outil pratique pour l’évaluation de l’état cognitive par le clinicien. Presse Med. 1999; 28: 1141-8. démences mixtes est extrêmement difficile. Parfois, plusieurs diagnostics chez le même patient peuvent être retenus successivement au cours de leur évolution notamment avec l’apparition de nouveaux signes. Retentissement de la démence et complications 1450 Une première approche de la sévérité de la démence est basée sur l’importance des troubles cognitifs. Par exemple, le score au test MMSE peut fournir une indication de la sévérité de la démence. La démence retentit aussi sur l’autonomie et le comportement. L’intégration de ces dimensions au retentissement cognitif permet de mieux évaluer la sévérité globale de la démence. Certaines échelles ont été développées pour évaluer la sévérité des démences comme l’échelle de détérioration globale (global deterioration scale) de Reisberg [32] ou encore l’échelle d’évaluation clinique de la démence ou CDR (Clinical Dementia Rating) [33]. L’évaluation de la perte d’autonomie est une étape indispensable pour évaluer le retentissement. Les outils validés pour évaluer les activités de la vie quotidienne (ADL) et les IADL sont les plus utilisés. En France, il est important d’évaluer le besoin d’aide par la grille Aggir, et ainsi déterminer le groupe GIR (isoressources) du patient (GIR : dépendance la plus forte, GIR 6 : autonomie complète), en sachant qu’une prestation particulière, l’APA, peut être accordée en cas de groupe GIR 1, 2, 3 ou 4. Les troubles du comportement sont fréquents, et la plupart des patients atteints de démence sont concernés à un moment ou un autre de leur maladie [34, 35]. Les troubles du comportement sont très fréquents dans les démences frontotemporales, notamment au stade débutant et aussi dans certaines formes de démences vasculaires [36], mais ils peuvent survenir dans toutes les formes de démences. Ces troubles sont regroupés sous le terme de symptômes psychologiques et comportementaux de la démence ou BPSD pour Behavioral and Psychological Symptoms of Dementia [37]. Ces troubles du comportement sont particulièrement évalués par des outils tels que le Neuro Psychiatry Inventory (NPI) [38], qui évalue la fréquence, la gravité et le retentissement sur l’entourage de 12 troubles du comportement différents. Les troubles du comportement sont souvent en relation avec des difficultés d’adaptation à l’environnement, et dépendent étroitement de l’entourage proche [39]. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Syndromes démentiels du sujet âgé : démarches diagnostiques L’épilepsie est une complication relativement méconnue des démences. Elle est beaucoup plus fréquente chez les sujets atteints de démence que chez les sujets du même âge non déments [40]. Par exemple, dans l’étude de cohorte de Rochester, la maladie d’Alzheimer mais aussi les autres démences augmentent d’un facteur 6 à 10 le risque de développer une épilepsie, qu’il s’agisse de crises généralisées ou de crises partielles [41]. La fréquence de l’épilepsie dans les formes de démence augmente avec la sévérité de la maladie, mais des cas sont décrits dans les démences débutantes. Le diagnostic de l’épilepsie est plus difficile chez les patients atteints de démence, notamment lorsque les patients présentent une incapacité à décrire leurs symptômes [42]. Le rôle de l’entourage est capital, notamment pour identifier les crises partielles simples ou complexes. Il faut penser à l’épilepsie devant des épisodes de confusion mentale récurrents. Cela est d’autant plus complexe que l’identification d’une confusion mentale survenant chez un sujet dément est souvent difficile. Une forme particulière est un état de mal épileptique de crises partielles, ce qui peut entraîner à des degrés variables une confusion mentale, des troubles de la vigilance, des troubles du comportement [43]. Dans toutes ces situations, la réalisation d’un électroencéphalogramme peut aider au diagnostic. La dénutrition protéino-énergétique est une complication fréquente de la maladie d’Alzheimer et aussi des autres démences, sans que l’on en connaisse exactement les mécanismes [44]. C’est dans le cadre de la maladie d’Alzheimer que la dénutrition a été le mieux étudiée. Une perte de poids peut même être observée avant l’apparition de la maladie d’Alzheimer. L’installation d’une dénutrition aggrave le pronostic de la maladie d’Alzheimer et expose le patient aux complications de la dénutrition. Un récent consensus d’experts (J Nutr Health Aging) a proposé une démarche simple vis-à-vis de ce risque : évaluer l’état nutritionnel du patient au diagnostic par le test Mini Nutritionnal Assessment (MNA) [45], et suivre régulièrement le poids du patient. Une perte de poids de 2 kg ou plus par rapport au poids de référence doit faire réaliser une évaluation précise de l’état nutritionnel. Les chutes et les troubles de la marche sont fréquents chez les patients atteints de démence, et notamment dans les formes évoluées. En particulier, les démences à corps de Lewy et certaines démences vasculaires sont plus souvent associées à des chutes et à des troubles de la marche. Les mécanismes sont complexes : atteinte du contrôle moteur, troubles attentionnels, modification du système nerveux autonome. Les anomalies de la substance blanche semblent plus fréquentes et plus marquées chez les sujets atteints de démence et victimes de chutes. La souffrance des aidants naturels est très fréquente, souvent en rapport avec les modifications de personnalité, la perte d’autonomie, et les troubles du comportement du parent atteint de démence [46]. Les aidants familiaux répondent le plus souvent aux besoins d’aide et de soins des patients. Ils sont une aide majeure en cas de perte d’autonomie du patient. Ils permettent de préserver la qualité de vie du patient et sa sécurité, tout en retardant son entrée en institution. Les aidants familiaux sont de véritables partenaires du soin médical. On les considère comme la première ressource d’aide pour les personnes âgées démentes et dépendantes, par rapport à l’aide professionnelle. Il est reconnu que ces aidants de patients déments sont soumis à un stress chronique, et on observe chez eux de nombreuses conséquences du stress chronique : réponse altérée des anticorps à la vaccination [47], cicatrisation cutanée moins rapide [48], dépression. Des outils spécifiques ont été élaborés pour aider les médecins à identifier la souffrance des aidants et pour l’étudier de façon plus précise. En particulier, l’inventaire du fardeau ou encore appelé échelle de Zarit est l’outil le plus utilisé. Il est donc nécessaire pour une prise en charge moderne de détecter la souffrance des aidants pour tenter de la réduire, et ainsi éviter des complications pour le parent âgé et dément, mais aussi pour l’aidant lui-même [49]. Mise au point troubles cognitifs et démences Conclusion L’approche clinique des troubles de la mémoire du sujet âgé doit répondre aujourd’hui à une stratégie médicale rigoureuse permettant d’analyser de façon fine les troubles en cause et de retrouver leurs origines. Les démences sont des maladies fréquentes et très invalidantes chez les sujets âgés, et leur diagnostic doit être porté sur des données précises et l’enquête étiologique. Le dépistage est maintenant facilité par l’émergence de tests simples, sensibles et spécifiques. L’étape diagnostique nécessaire permet de mieux organiser la prise en charge, de mettre en œuvre les traitements spécifiques qui existent pour plusieurs maladies responsables de démence, et d’accompagner le patient âgé et sa famille dans cette épreuve. Conflits d’intérêts : aucun Références Letenneur L, Dequae L, Jacqmin H, Nuissier J, Descamps A, Barberger-Gateau P et al. Prévalence de la démence en Gironde. Rev Epidemiol Sante Publique. 1993; 41: 139-45. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 2 Dartigues JF, Gagnon M, Michel P, Letenneur L, Commenges D, Barberger-Gateau P et al. Le programme de recherche PAQUID sur l’épidémiologie de la démence. Méthodes et résultats 3 initiaux. Rev Neurol (Paris). 1991; 147: 225-30. Dartigues JF. Groupe d’études PAQUID. PAQUID : bilan 1993-1996. 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La tomodensitométrie à rayons X est l’examen de première intention. Elle élimine les causes de démences chirurgicales. L’IRM (imagerie par résonance magnétique) est préférée dans le bilan des démences. Dans les démences neurodégénératives, elle montre une atrophie dont la topographie oriente vers l’étiologie de la démence : une atrophie temporale médiale prédominante dans la maladie d’Alzheimer ; une atrophie frontale et temporale antérieure marquée et une atrophie temporale médiale moindre que celle décrite dans la maladie d’Alzheimer dans la démence frontotemporale ; des infarctus, des lacunes, des anomalies de signal de la substance blanche et parfois des microsaignements dans les démences vasculaires. La tomographie à émission de simples photons (TEMP) et la tomographie à émission positrons (TEP) sont utilisées dans les formes cliniquement atypiques. L’étude du transporteur de la dopamine (DATscan®) est utilisée pour distinguer la démence à corps de Lewy de la maladie d’Alzheimer. De nombreux efforts sont déployés pour trouver des biomarqueurs d’imagerie dans les démences, incluant la volumétrie cérébrale, l’imagerie de diffusion, la spectroscopie, l’imagerie des plaques séniles en IRM à très haut champ et les marqueurs des plaques séniles en TEP. Imaging is a part of the work-up for all types of dementia. X-ray computed tomography (CT) is a first-line examination to rule out causes of surgical, and thus reversible, dementia (for example, subdural hematoma or normal pressure hydrocephalus). MRI (magnetic resonance imaging) is preferred for work-ups of dementia. In the neurodegenerative dementias, the topography of the atrophy provides information about the specific type: atrophy of the medial temporal lobe is predominant in Alzheimer disease, while atrophy of the frontal and anterior temporal lobes is seen in frontotemporal dementia, with less medial temporal atrophy than in Alzheimer disease for frontotemporal dementia; vascular dementia is marked by infarction, lacuna, and signal abnormalities in the white matter and sometimes microbleeding. Single photon emission computed tomography (SPECT) and positron emission tomography (PET) are used in clinically atypical forms. Study of the dopamine transporter (DATscan®) is used to distinguish Lewy body dementia from Alzheimer disease. Numerous studies are underway to identifying specific imaging markers for different types of dementia, including cerebral volumetric measurements, diffusion imaging, spectroscopy, very-high-field MRI scans of senile plaques, and PET markers of senile plaques. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.029 1453 Disponible sur internet : le 03 juillet 2007 Stéphane Lehéricy, Inserm U610, Service de neuroradiologie et CENIR, Centre hospitalo-universitaire Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris. Tél. : 01 42 16 00 00 Fax : 01 42 17 60 06 [email protected] Lehéricy S, Delmaire C, Galanaud D, Dormont D L a tomodensitométrie à rayons X (TDM) et l’IRM conventionnelle sont les techniques couramment utilisées dans l’exploration d’une démence. Les techniques utilisant des traceurs radioactifs sont réservées aux formes cliniquement atypiques. Différentes techniques d’imagerie Les recommandations de l’Anaes (maintenant remplacée par la Haute autorité de santé : HAS) sont les suivantes : « Une imagerie cérébrale systématique est recommandée pour toute démence d’installation récente. Le but de cet examen est de ne pas méconnaître l’existence d’une autre cause de démence (processus expansif intracrânien, hydrocéphalie à pression normale, lésions d’origine vasculaire, etc.). Il n’est pas recommandé d’effectuer une injection de produit de contraste en l’absence d’élément pouvant le justifier […]. Cet examen sera au mieux une imagerie par résonance magnétique nucléaire, à défaut une tomodensitométrie cérébrale, en fonction de l’accessibilité à ces techniques. » Tomodensitométrie à rayons X La TDM reste l’examen de première intention. Elle est utile pour chercher les causes de démences chirurgicales, des lésions vasculaires ou une atrophie. La TDM permet d’éliminer la plupart des causes de démences chirurgicales : les Glossaire Cadasil Cho Cr DFT DVIS FDG HAS IRM MCI mI MID MMS MSA NAA PIB PSP SRM TDM TEMP 1454 TEP Cerebral autosomal dominant arteriopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy choline créatine démence frontotemporale démence vasculaire ischémique sous-corticale 18 F-2-fluoro-2-déoxy-D-glucose Haute autorité de santé imagerie par résonance magnétique Mild Cognitive Impairment myo-inositol Multi-Infarct Dementia Mini-Mental State atrophie multisystème N-acétylaspartate traceur marqué au 11C paralysie supranucléaire progressive spectroscopie par résonance magnétique tomodensitométrie tomographie à émission de simples photons tomographie à émission positrons hématomes sous-duraux (d’autant plus qu’ils sont bilatéraux), certaines tumeurs (comme le classique méningiome fronto-orbitaire), l’hydrocéphalie à pression normale. L’examen TDM sans injection est en règle générale suffisant pour éliminer la plupart des causes de démences chirurgicales. Il est le plus souvent réalisé en coupes axiales dans le plan orbitoméatal qui passe par l’angle externe de l’orbite et le conduit auditif externe. Les meilleurs résultats pour l’exploration d’une maladie d’Alzheimer sont obtenus dans le plan axial parallèle au grand axe des hippocampes. Les acquisitions hélicoïdales des appareils récents permettent de reconstruire les images dans le plan coronal perpendiculaire à l’axe des lobes temporaux (figure 1). Dans la maladie d’Alzheimer, la TDM montre une atrophie cérébrale qui est surtout visible au niveau de la corne antérieure du ventricule latéral au stade précoce de la maladie (figure 2). Dans les démences vasculaires, le scanner montre des infarctus, des lacunes et/ou des hypodensités importantes de la substance blanche. Imagerie par résonance magnétique L’HAS précise également que l’IRM sera préférée à la TDM quand cela est possible. L’IRM permet une analyse dans tous les plans de l’espace et offre un excellent contraste entre substance grise et substance blanche. C’est un meilleur outil d’analyse de l’atrophie temporale que la TDM. L’IRM va donc permettre de rechercher des signes positifs de démence dégénérative, une meilleure détection des anomalies vasculaires et l’utilisation de plusieurs types de séquences comme la spectroscopie ou la diffusion. Actuellement, l’IRM est le plus souvent demandée lorsque le diagnostic reste incertain ou avant l’inclusion dans un essai thérapeutique. L’examen IRM comprend des images anatomiques pondérées en T1, des images coronales ou axiales pondérées en Flair et des images axiales pondérées en écho de gradient T2 (T2*) (encadré 1). Les images anatomiques permettent de détecter une atrophie temporale médiale (hippocampe, amygdale, région parahippocampique). Elles sont au mieux réalisées à l’aide de coupes 3D pondérées en T1 dans le plan coronal perpendiculaire à l’axe des lobes temporaux. Des images en haute résolution T2 peuvent également être utilisées. Les images pondérées en Flair permettent d’évaluer la présence d’une atteinte vasculaire Les images pondérées en T2* sont réalisées à la recherche d’éventuels microsaignements dans le cadre d’une démence vasculaire. Des images axiales pondérées en diffusion peuvent être réalisées pour préciser le caractère récent ou ancien d’anomalies vasculaires. Tomographie à émission de simples photons La tomographie à émission monophotonique (TEMP ou SPECT en anglais) de perfusion est utilisée dans les formes cliniquement atypiques. Dans la maladie d’Alzheimer, elle montre une tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Neuro-imagerie des démences Mise au point troubles cognitifs et démences F ig u r e 1 Plans de coupes du lobe temporal A) Coupe parasagittale passant par l’hippocampe (flèche). B) Coupe axiale passant par le grand axe de l’hippocampe (plan de coupe 1 sur l’image A). Les régions hippocampiques sont indiquées par les flèches. C) Coupe coronale oblique perpendiculaire au grand axe de l’hippocampe passant par le corps de l’hippocampe (plan de coupe 2 sur l’image A). L’hippocampe est indiqué par la flèche. F ig u r e 2 Maladie d’Alzheimer tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 1455 Coupes axiales TDM dans le plan parallèle au grand axe de l’hippocampe chez un sujet sain (A) et un patient atteint de maladie d’Alzheimer (B). Il existe une atrophie des reliefs hippocampiques (tête de flèche) et amygdaliens (étoile) et un élargissement de la corne temporale du ventricule latéral (flèche). Lehéricy S, Delmaire C, Galanaud D, Dormont D Encad ré 1 Protocole IRM pour une démence dégénérative • Coupes coronales en haute résolution T1 ou T2, perpendiculaires au grand axe des lobes temporaux afin de chercher l’atrophie temporale médiale • Coupes coronales ou axiales pondérées en T2 ou Flair pour rechercher des lésions vasculaires • Coupes axiales pondérées en écho de gradient T2 (T2*), utiles si l’on souhaite éliminer la présence de microsaignements parfois observés dans le cadre des démences vasculaires • Coupes en diffusion et acquisition spectroscopique pouvant compléter l’examen hypoperfusion temporopariétale [1]. Ces anomalies s’étendent avec l’évolution de la maladie. La TEMP est donc un marqueur topographique et la localisation des anomalies de perfusion contribue à distinguer les démences dégénératives. L’étude du transporteur de la dopamine avec le [123I]-FP-CIT (DATscan®) est aussi utile pour distinguer la démence à corps de Lewy de la maladie d’Alzheimer [2, 3] (figure 3). Tomographie à émission positrons La tomographie à émission de positrons (TEP) au 18 F-2-fluoro-2-déoxy-D-glucose (FDG) permet une mesure de la consommation régionale de glucose. La consommation de glucose est un reflet du métabolisme neuronal. Comme la TEMP, la TEP est utilisée dans les formes cliniquement atypiques [1, 4]. Dans la maladie d’Alzheimer, une réduction du métabolisme est détectée tôt. Elle touche les aires associatives néocorticales (cortex cingulaire postérieur, cortex temporo- pariétal et frontal multimodal), alors que les régions visuelles et sensorimotrices, les ganglions de la base et le cervelet sont relativement préservés [5]. Les anomalies sont décelables chez les patients à haut risque génétique et encore asymptomatiques [6]. La TEP au FDG est un examen facile à réaliser et bien toléré chez les patients. Imagerie des principaux types de démences Démences neurodégénératives Maladie d’Alzheimer La maladie d’Alzheimer est la cause de démence dégénérative la plus fréquente. Au stade précoce de la maladie d’Alzheimer, l’imagerie va rechercher une atrophie localisée aux régions temporales médiales [7] (figure 4). À ce stade, l’atrophie temporale médiale est difficile à mettre en évidence visuellement et l’examen peut paraître normal. Un examen en apparence normal ne permet donc pas d’éliminer le diagnostic de maladie d’Alzheimer. L’expérience de l’examinateur est alors un facteur important. En cas de doute, il est possible de répéter l’examen. Une atrophie temporale médiale d’évolution rapide sur 2 examens successifs est très évocatrice de maladie d’Alzheimer [7-9] (figure 5). Au stade avancé de la maladie, l’imagerie standard qualitative (TDM ou IRM) montre une atrophie cérébrale globale ou à prédominance temporale et parfois des anomalies de signal non spécifiques de la substance blanche sus-tentorielle (hypodensités TDM ou hypersignaux sur les séquences IRM pondérées en T2). Démence à corps de Lewy La démence à corps de Lewy constituerait la cause de démences neurodégénératives la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer, avec une fréquence comprise entre 15 à 25 % F ig u r e 3 Démence à corps de Lewy 1456 Chez le patient atteint de démence à corps de Lewy (B) il existe une baisse du marquage TEMP au [123I]-FP-CIT comparativement à un patient atteint de maladie d’Alzheimer (A) (clichés Dr Marie-Odile Habert, Service de médecine nucléaire, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris). tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Neuro-imagerie des démences Mise au point troubles cognitifs et démences F ig u r e 4 Maladie d’Alzheimer Coupes coronales pondérées en T1 perpendiculaires au grand axe du lobe temporal. A) Hippocampe normal (flèches). B) Atrophie hippocampique débutante chez un patient Alzheimer (stade précoce) et C) atrophie plus marquée (forme modérée). F ig u r e 5 Maladie d’Alzheimer tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 1457 Coupes coronales pondérées en T1 perpendiculaires au grand axe du lobe temporal chez un patient atteint de maladie d’Alzheimer. Les images A à D sont obtenues tous les ans chez le même patient. Il existe une atrophie hippocampique débutante (A) (flèches) qui s’accentue au cours du temps (B-D). Le volume de l’hippocampe diminue d’un examen à l’autre et la corne temporale du ventricule latéral s’élargit. L’atrophie hippocampique s’accompagne d’un élargissement des ventricules et des sillons corticaux sur les examens plus tardifs. Lehéricy S, Delmaire C, Galanaud D, Dormont D [3]. L’atrophie est trouvée dans les régions limbiques, le néocortex et les structures sous-corticales avec une relative préservation des structures temporales médiales par rapport à la maladie d’Alzheimer [10]. Dans la démence à corps de Lewy, il existe une atrophie hippocampique, mais celle-ci reste inférieure à celle observée dans la maladie d’Alzheimer [11]. L’atrophie hippocampique n’est pas discriminante entre les 2 pathologies, mais son absence va à l’encontre du diagnostic de maladie d’Alzheimer. Le DATscan® est utile pour distinguer la démence à corps de Lewy de la maladie d’Alzheimer [2, 3]. Il montre une baisse bilatérale du marquage du transporteur de la dopamine dans le striatum de ces patients (figure 3). Démence frontotemporale La démence frontotemporale (DFT) constituerait la troisième cause de démence neurodégénérative [12]. L’histologie trouve 2 causes principales : le plus souvent des signes de dégénérescence non spécifique, et moins fréquemment une maladie de Pick [13]. Dans la DFT, les lésions prédominent dans les régions antérieures du lobe frontal et du lobe temporal, épargnant relativement les régions temporales médiales (figure 6). Il existe une atrophie bilatérale des hippocampes et du cortex entorhinal qui prédomine sur la partie antérieure. Un hypersignal Flair des régions antérieures est fréquent. Comparativement à la maladie d’Alzheimer, la DFT se caractérise par une atrophie frontale et temporale antérieure plus marquée et une atrophie temporale médiale moins sévère. L’imagerie TEMP montre une hypoperfusion frontale et temporale antérieure qui peut être présente alors que l’atrophie est peu marquée. Démences avec syndromes parkinsoniens La démence dans la maladie de parkinson survient tardivement au cours du suivi évolutif chez environ 40 % des patients. Dans la maladie de Parkinson avec démence, 3 groupes de lésions histologiques sont retrouvés : sous-corticales (monoaminergiques et cholinergiques), de type Alzheimer, et de type corps de Lewy [14]. Les lésions prédominantes seraient plutôt proches de celles de la démence à corps de Lewy. En IRM, l’aspect se rapprocherait de celui observé dans la démence à corps de Lewy [15]. Les syndromes parkinsoniens atypiques regroupent la paralysie supranucléaire progressive (PSP) et les atrophies multisystèmes (MSA) [14, 16]. Comme la démence n’est pas considérée comme un critère diagnostique des MSA [17], celles-ci ne seront pas discutées ici. Dans la PSP, l’atrophie prédomine au niveau du mésencéphale avec un aspect caractéristique sur les vues sagittales [18] (figure 7). Une atrophie corticale est aussi présente [19]. Démences vasculaires Les démences vasculaires représentent la seconde cause de démence aux États-Unis et en Europe, après la maladie d’Alzheimer, soit environ 10-30 % des cas [20]. Les démences vasculaires sont maintenant considérées comme un ensemble hétérogène incluant des lésions cérébrovasculaires variées : ischémique, hypoperfusive et hémorragique. Démence multi-infarctus La démence multi-infarctus (Multi-Infarct Dementia [MID]) reflète la conception classique de la démence vasculaire typiquement caractérisée par la présence d’infarctus corticaux et sous-corticaux multiples de grande taille dans des territoires artériels ou de jonction [21] (figure 8). Ce n’est pas la forme la plus fréquente [20]. Démence par infarctus stratégiques F ig u r e 6 Démence frontotemporale 1458 A) Coupe axiale pondérée en T1 montrant l’atrophie antérieure marquée chez un patient atteint de démence frontotemporale. B) Reconstruction tridimensionnelle de la surface du cerveau montrant l’élargissement très net des sillons frontaux et temporaux antérieurs du même patient. C) Hypoperfusion bilatérale et symétrique de l’ensemble du cortex frontal et des pôles temporaux en TEMP au 99mTc-ECD (clichés Dr Marie-Odile Habert, Service de médecine nucléaire, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris). La démence par infarctus stratégiques est caractérisée par la présence de lésions ischémiques focales de petite taille situées dans des régions spécifiques du cerveau dont le rôle est critique pour les fonctions cognitives supérieures [22]. Les régions corticales concernées sont le lobe temporal médial, les gyri angulaire et cingulaire. Les régions sous-corticales incluent certains territoires du thalamus, la base de l’encéphale, le noyau caudé, le globus pallidus, le genou et le bras antérieur de la capsule interne. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Neuro-imagerie des démences Mise au point troubles cognitifs et démences F ig u r e 7 Paralysie supranucléaire progressive Coupes sagittale (A) et axiale (B) montrant les reliefs du mésencéphale d’un sujet sain. Coupes sagittale (C) et axiale (D) montrant les reliefs du mésencéphale d’un patient atteint de paralysie supranucléaire progressive. Chez le patient, il existe un amincissement caractéristique du mésencéphale sur la vue sagittale qui présente un aspect concave vers le haut de sa partie supérieure (ligne discontinue en C) et un élargissement de la citerne interpédonculaire (flèche en D). tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 lacune dont la répétition aboutit à l’état lacunaire, et l’hypoperfusion chronique par sténose des petites artères responsable d’infarctus incomplets de la substance blanche profonde. La DVIS comporte des lacunes et des lésions focales ou diffuses de la substance blanche [23]. Les lésions de la substance blan- 1459 Démence vasculaire ischémique sous-corticale Dans la démence vasculaire ischémique sous-corticale (DVIS) (ou Subcortical Ischaemic Vascular Dementia [SIVD]), deux types de lésions sont rencontrés : l’occlusion d’une petite artère par athérosclérose conduisant à la formation d’une Lehéricy S, Delmaire C, Galanaud D, Dormont D F ig u r e 8 Démence par infarctus multiples Coupes axiales pondérées en T1 (image de gauche), Flair (images du milieu et de droite) montrant la présence d’infarctus corticaux multiples. 1460 che sont visibles sous forme d’hypodensités (TDM) ou d’hypersignaux T2 et Flair (IRM) bilatéraux et symétriques de la substance blanche périventriculaire ou sous-corticale (figure 9). Les lésions de la substance blanche sont volontiers décrites sous le terme radiologique de “leucoaraïose” (leuco = blanc et araïose = raréfaction), terme proposé par Hachinski [24]. Il s’agit d’un terme non spécifique qui décrit les anomalies focales ou diffuses de la substance blanche. La leucoaraïose ne traduit pas une lésion histopathologique définie. Elle regroupe des lésions histologiques multiples, comme les lacunes, les lésions ischémiques incomplètes, la gliose. Selon les critères internationaux dans la DVIS [23], la TDM doit montrer des lésions extensives de la substance blanche périventriculaire et profonde, visibles sous la forme d’hypodensités focales ou diffuses à contours mal définis étendues au centre ovale et au moins une lacune sous-corticale. L’IRM doit montrer : • des hyperintensités de la substance blanche périventriculaire et profonde, en couronne autour des ventricules (>10 mm) ou en halo irrégulier (>10 mm avec des bords larges et irréguliers et étendues dans la substance blanche profonde) et des hyperintensités confluentes (>25 mm, irrégulières) ou des anomalies diffuses sans lésions focales et une ou des lacunes sous-corticales ; • ou des lacunes multiples (> 5 mm) des noyaux gris et au moins des lésions modérées de la substance blanche ; • l’absence d’autre cause (hémorragie, véritables infarctus, lésions inflammatoires, etc.). F ig u r e 9 Démence vasculaire ischémique sous-corticale Coupe axiale pondérée en Flair montrant la présence d’hypersignaux diffus de la substance blanche sus-tentorielle. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Neuro-imagerie des démences Certaines démences vasculaires, comme le Cadasil (Cerebral autosomal dominant Arteriopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy), l’angiopathie amyloïde ou la sidérose superficielle présentent des hématomes intracérébraux multiples [23]. En IRM, les lésions hémorragiques chroniques sont caractérisées par la présence de dépôts d’hémosidérine très hypointense sur les séquences pondérées en écho de gradient T2. Démence mixte vasculaire et Alzheimer La distinction clinique entre maladie d’Alzheimer avec lésions cérébrovasculaires associées et démence vasculaire peut être difficile [23]. De nombreux facteurs de risque vasculaires sont communs et le mode de début des troubles des 2 types de démences n’est parfois pas typique. Plus de 60 % des patients avec maladie d’Alzheimer présentent des lésions de la substance blanche sous-corticale ou profonde [25]. Ces lésions sont cependant moins marquées que dans les démences vasculaires. L’atrophie temporale médiale qui est une des caractéristiques de la maladie d’Alzheimer a été décrite dans les démences vasculaires [26]. En règle générale, elle est moins marquée que dans la maladie d’Alzheimer. La progression de l’atrophie au cours du temps est également plus marquée dans la démence vasculaire que chez les sujets âgés normaux [20]. Voies de recherche De nombreux efforts sont déployés pour trouver des biomarqueurs d’imagerie dans les démences. Ces biomarqueurs serviraient à prédire l’évolution vers la démence au stade prédémentiel ou chez les sujets à risque, évaluer l’efficacité de thérapeutiques potentielles et comprendre la physiopathologie de cette maladie (localisation et progression des lésions cérébrales, corrélations clinico-anatomiques et fonctionnelles). Plusieurs pistes sont explorées [8, 9, 27-29]. Volumétrie IRM Certains centres spécialisés ont recours à des techniques de quantification de l’atrophie, notamment temporale médiale [27, 28]. Les mesures volumétriques permettent de quantifier l’atrophie temporale médiale, qui est une caractéristique précoce de la maladie d’Alzheimer. Les mesures de volume ont permis de montrer que l’hippocampe était réduit d’environ 40 % dans les formes modérées de la maladie d’Alzheimer, 25 % dans les formes légères (MMS = Mini-Mental State > 20) et 10-15 % dans le MCI (Mild Cognitive Impairment) [30, 31]. Le taux annuel d’atrophie a été évalué entre 2 et 6 % chez les patients Alzheimer pour moins de 1 % chez les sujets sains âgés [31, 32]. La sensibilité des mesures est en général > 90 % pour distinguer patients et sujets âgés sains et baisse à 70-80 % dans le MCI. La spécificité par rapport aux autres démences dégénératives est nettement plus faible. Ces techniques ne tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 sont pas encore répandues car elles sont longues et pas encore automatisées. L’atrophie hippocampique est spécifiquement corrélée avec les scores des épreuves de mémoire. Spectroscopie par résonance magnétique La spectroscopie par résonance magnétique (SRM) procure des informations sur le métabolisme cérébral. Les deux principaux métabolites utiles dans la maladie d’Alzheimer sont le Nacétylaspartate (NAA) et le myo-inositol (mI). Le NAA est considéré comme un marqueur des neurones. Il baisse en cas de mort ou de souffrance neuronale. Le mI est présent dans les cellules gliales. Il est considéré comme un marqueur du stress osmotique et de la gliose. La SRM peut être réalisée dans le cadre d’un examen IRM conventionnel. Elle vient en complément de l’imagerie morphologique et apporte des renseignements sur le métabolisme cérébral. Dans la maladie d’Alzheimer, il existe une diminution du NAA et une augmentation du mI [9, 33]. Le rapport NAA/mI diminue en particulier dans les régions temporales médiales (figure 10). La baisse du NAA s’accroît avec l’évolution de la maladie. Les modifications sont précoces. Elles seraient corrélées à la baisse des fonctions cognitives. Les patterns d’altérations métaboliques de la maladie d’Alzheimer pourraient différer de celui des démences vasculaires (rapport myoinositol/créatine (mI/Cr) supérieur dans la maladie d’Alzheimer) [34] mais cela n’est pas constant. Dans la PSP, une baisse du rapport NAA/Cr ou NAA/Cho (choline) a été rapportée dans le noyau lenticulaire [35]. Imagerie de diffusion L’imagerie de diffusion est sensible aux mouvements thermiques aléatoires des molécules d’eau dans les tissus [36]. Une augmentation de la diffusivité pourrait traduire des modifications de l’organisation ultrastructurelle du cerveau ou bien être secondaire à l’atrophie neuronale. La diffusion de l’eau peut aussi présenter un certain degré d’orientation, variable selon les tissus et surtout présente dans la substance blanche. Cette propriété est appelée anisotropie. Une baisse de l’anisotropie refléterait une altération des faisceaux de fibres de substance blanche qui connectent des régions du cerveau touchées par la maladie. Dans la maladie d’Alzheimer et chez les patients MCI, la diffusivité est augmentée dans le lobe temporal et la substance blanche des régions postérieures du cerveau [37, 38]. L’anisotropie est en revanche diminuée dans plusieurs régions cérébrales comme le corps calleux, le cingulum, le faisceau longitudinal supérieur ou le faisceau perforant [39]. Une diffusivité élevée dans l’hippocampe chez un patient MCI est associée à un risque de conversion plus élevé vers la maladie d’Alzheimer [37] Ces mesures pourraient donc avoir un intérêt diagnostique dans la maladie d’Alzheimer. 1461 Démences hémorragiques Mise au point troubles cognitifs et démences Lehéricy S, Delmaire C, Galanaud D, Dormont D Fi gure 1 0 Spectroscopie et maladie d’Alzheimer Spectres obtenus à l’aide d’une acquisition monovoxel à temps d’écho court dans l’hippocampe d’un sujet témoin âgé et d’un patient atteint de maladie d’Alzheimer. Chez le patient avec maladie d’Alzheimer, il existe une baisse des rapports NAA/Cr et une NAA/mI par rapport au sujet sain âgé. Microscopie IRM L’IRM à très haut champ (> 7 T) permet d’obtenir des images dont la résolution spatiale est suffisante pour voir les plaques séniles. On parle alors de microscopie IRM. Chez l’animal, les plaques apparaissent comme des taches sombres arrondies sur les séquences pondérées en T2, probablement parce qu’elles contiennent des métaux comme le fer [40]. Ces méthodes ne sont pas encore applicables à l’homme car les temps d’acquisition des images sont à l’heure actuelle trop longs, bien que les temps d’acquisition des études récentes s’approchent des limites raisonnables chez l’homme. Elles restent en outre limitées à la disponibilité de ce type d’appareils IRM car peu d’exemplaires sont installés dans le monde. Tomographie à émission de positrons L’élaboration récente de nouveaux traceurs radioactifs spécifiques de la protéine amyloïde (dont le PIB, un dérivé de la thioflavine) permet maintenant d’obtenir des informations quantitatives sur la présence des dépôts amyloïdes dans le cerveau. Le PIB est un traceur marqué au 11C élaboré par l’université de Pittsburgh, également connu sous le nom de Pittsburgh Compound-B. Ce traceur marque les plaques chez la souris transgénique et plus récemment chez l’homme [41]. Plusieurs cas de patients remplissant les critères de maladie d’Alzheimer mais sans marquage PIB et inversement de sujets sains présentant un marquage au PIB ont été rapportés sans qu’on en connaisse à l’heure actuelle la raison [42, 43]. La progression de l’atrophie corticale globale annuelle est corrélée au taux de fixation du PIB. Il n’y a pas de corrélation franche entre l’évolution du score au MMS et la fixation du PIB en TEP. La technique est donc en cours d’évaluation et son intérêt diagnostique est élevé [29]. Conflits d’intérêts : aucun Références 1 2 3 4 1462 5 Jagust W. Molecular neuroimaging in Alzheimer’s disease. NeuroRx. 2004; 1: 206-12. Walker Z, Costa DC, Ince P, McKeith IG, Katona CL. In-vivo demonstration of dopaminergic degeneration in dementia with Lewy bodies. Lancet. 1999; 354: 646-7. Geser F, Wenning GK, Poewe W, McKeith I. How to diagnose dementia with Lewy bodies: state of the art. Mov Disord. 2005; 20(Suppl 12): S11-20. Coleman RE. Positron emission tomography diagnosis of Alzheimer’s disease. Neuroimaging Clin N Am. 2005; 15: 837-46. Herholz K, Salmon E, Perani D, Baron JC, Holthoff V, Frolich L et al. Discrimination bet- ween Alzheimer dementia and controls by automated analysis of multicenter FDG PET. Neuroimage. 2002; 17: 302-16. 6 Small GW, Ercoli LM, Silverman DH, Huang SC, Komo S, Bookheimer SY et al. 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Une modification des critères de Petersen s’est avérée nécessaire car ce cadre est rapidement apparu hétérogène : hétérogénéité des facteurs étiologiques (type de lésions dégénératives, facteurs vasculaires, pathologies psychiatriques, maladies associées non neurologiques), hétérogénéité dans sa présentation clinique, hétérogénéité du profil évolutif (déclin, stabilité cognitive, retour à la normale). Les nouveaux critères cliniques de MCI pourraient désormais être les suivants : 1) plainte cognitive émanant du patient et/ou de l’entourage, 2) sujet et/ou informant signalant un déclin des performances cognitives et/ou fonctionnelles par rapport aux capacités antérieures, 3) troubles cognitif objectivé par l’évaluation clinique : altération de la mémoire et/ou d’une autre sphère cognitive, 4) altération cognitive n’ayant pas de retentissement sur la vie quotidienne. Le sujet peut signaler des difficultés concernant les activités complexes de la vie quotidienne, 5) absence de démence. Ces nouveaux critères, essentiellement cliniques, pourraient être plus adaptés à la recherche clinique comme à la pratique médicale courante. Les marqueurs biologiques et radiologiques appuieront très certainement dans l’avenir la démarche diagnostique de façon plus systématique, afin de mieux repérer en particulier le sous-type étiopathogénique correspondant aux maladies d’Alzheimer. 1464 The concept of mild cognitive impairment (MCI) was proposed by Petersen et al. (1997, 1999) as a nosologic entity referring to elderly persons with mild cognitive deficit and without dementia. MCI is widely used in studies as an intermediate stage between cognitive normalcy and dementia. MCI now appears, however, to be a heterogeneous clinical entity. The many sources of heterogeneity that have been pointed out include: heterogeneity in etiological factors (various types of degenerative lesions, vascular risk factors, psychiatric features, concomitant non-neurological diseases), in clinical symptoms, and in clinical course (with decline, stable, or reversible cognitive impairment). New clinical criteria have thus been proposed for use in research and in clinical practice: 1) cognitive complaint from the patient, family, or both, 2) report by the subject or reporter of a decline in cognitive or functional performance, relative to previous abilities, 3) cognitive disorders evidenced by clinical evaluation: impairment in memory or another cognitive domain, 4) cognitive impairment without any repercussions on daily life, even if the subject reports difficulties concerning complex daily activities, and 5) no dementia. Those new criteria, essentially clinical, may be better adapted to both clinical research and daily clinical practice. Biological and radiological markers will provide greater and more systematic support for diagnosis in the near future, particularly for early detection of Alzheimer’s disease. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.019 Mild Cognitive Impairment Historique du concept De nombreuses tentatives nosologiques visant à caractériser cette frontière entre vieillissement normal et pathologique ont marqué ces dernières années [1]. Kral élaborait le concept d’oubli bénin lié à l’âge dès 1962 [2] ; depuis d’autres cadres ont été créés pour couvrir cet espace du vieillissement cognitif normal ou pathologique. Malgré les controverses actuelles, le cadre de Mild Cognitive Impairment (MCI) de Petersen et al. [3] (1997) est la référence. Le MCI définit un groupe de sujets à haut risque d’évolution démentielle [4]. De façon explicite ou implicite, le MCI s’inscrivait dans un continuum allant de la normalité vers la maladie d’Alzheimer. Il était considéré dans la plupart des travaux comme une maladie d’Alzheimer prédémentielle. Néanmoins, ce cadre est rapidement apparu à la fois hétérogène et instable sur le plan évolutif [5]. Si la majorité des sujets répondant aux “critères MCI” évoluent vers une démence de type Alzheimer, d’autres modalités démentielles sont possibles : démence vasculaire, démences mixtes, démence à corps de Lewy, etc. Le MCI tel qu’il est défini par Petersen peut aussi représenter un état cognitif stable ou réversible [5]. Les données cliniques peuvent être insuffisantes pour caractériser les différents sous-types de MCI et en particulier celui correspondant à une maladie d’Alzheimer prédémentielle. Ainsi, la démarche diagnostique précoce peut être renforcée par les données neuropsychologiques ou les investigations paracliniques, en particulier l’imagerie cérébrale. Les critères de MCI, tels qu’ils ont été initialement définis par Petersen et al. en 1997 [3], associent : • une plainte de mémoire ; • un trouble objectif de mémoire ; • l’absence d’autre trouble cognitif ou de retentissement sur la vie quotidienne ; • un fonctionnement cognitif général normal ; • une absence de démence. Dès 1997, l’accent a été mis sur la présence obligatoire d’une plainte mnésique et d’un trouble de mémoire [3]. En 1999, ces critères ont été précisés. La définition du MCI était uniquement tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Nouveaux critères de MCI De nombreuses études ont permis de souligner les limites du concept de MCI. Ces critères ont en effet été appliqués dans le cadre d’études épidémiologiques ou dans celui de consultations mémoire. La plupart des études permettent essentiellement de souligner la grande variabilité de la prévalence (nombre de cas observés) des troubles cognitifs modérés en fonction du type de population évaluée. Elles permettent également de retenir l’hétérogénéité évolutive du MCI, qui peut être réversible, stable ou évoluer vers une démence. La démence est alors le plus souvent de type Alzheimer. Enfin, elles permettent d’observer une hétérogénéité des facteurs associés. Les facteurs vasculaires cérébraux ou les pathologies psychiatriques sont particulièrement fréquemment observés. Il est pourtant primordial de pouvoir, avant tout, repérer les patients à haut risque d’évolution démentielle [8]. Différentes réunions de consensus ont permis de proposer une modification des critères initiaux de Petersen [9, 10]. Ainsi, le MCI pourrait désormais correspondre à : 1465 L a problématique du repérage d’un vieillissement cognitif pathologique et de son stade évolutif ultime, la démence, relève désormais d’un problème de santé publique. Un diagnostic précoce de démence s’impose désormais. Toutefois, la frontière entre vieillissement cognitif normal et pathologique est particulièrement difficile à préciser en pratique médicale courante. Des troubles cognitifs modérés sont fréquents au cours du vieillissement “normal”. Néanmoins, savoir reconnaître un sujet présentant des troubles cognitifs modérés, c’est repérer des sujets à risque de développer une démence. La caractérisation des troubles cognitifs aux stades précoces, prédémentiels, devient donc une nécessité. fondée sur la clinique [6]. L’absence d’altération du fonctionnement cognitif dans un autre domaine que celui de la mémoire était aussi exigée [6]. La nature des tests à utiliser n’était pas précisée. Les performances de sujets présentant un MCI se situaient en moyenne à 1,5 déviation standard en dessous de la norme. Ces valeurs concernaient le groupe de sujets pris dans son ensemble. Ainsi, aucune limite précise n’était à appliquer, de manière stricte, à titre individuel. Le concept de MCI permettait ainsi de définir un groupe de patients à fort risque de développer une démence et en particulier une démence de type Alzheimer. Néanmoins, cette définition est rapidement apparue tautologique. La restriction du concept au trouble mnésique, l’utilisation pour le définir de tests habituellement utilisés pour le diagnostic précoce de maladie d’Alzheimer, conduit à repérer des populations à haut risque d’évolution vers la maladie d’Alzheimer. La diversité des situations rencontrées en clinique quotidienne a conduit à proposer un élargissement du concept. Petersen a repris le démembrement du MCI [7]. La classification syndromique, basée sur l’évaluation clinique, est désormais associée à des catégories évolutives. Le profil clinique permet de distinguer 3 sous-types de MCI : • le MCI amnésique qui évoluerait préférentiellement vers la maladie d’Alzheimer ; • le MCI caractérisé par l’altération légère de domaines cognitifs multiples qui peut évoluer vers la maladie d’Alzheimer mais aussi vers une démence vasculaire ou encore représenter une modalité de vieillissement cognitif qualifié de normal ; • le MCI correspondant à l’altération isolée d’un domaine cognitif autre que la mémoire, dont l’évolution pourrait de faire vers une démence non Alzheimer. Mise au point troubles cognitifs et démences Touchon J, Portet F • une plainte cognitive émanant du patient et/ou de l’entourage ; • un déclin des performances cognitives et/ou fonctionnelles par rapport aux capacités antérieures, signalé par le sujet et/ou l’informant ; • des troubles cognitifs objectivés par l’évaluation clinique : altération de la mémoire et/ou d’une autre sphère cognitive ; • une altération cognitive n’ayant pas de retentissement sur la vie quotidienne. Le sujet peut signaler des difficultés concernant les activités complexes de la vie quotidienne ; • une absence de démence. Un diagnostic de MCI désormais essentiellement fondé sur l’“impression clinique” 1466 Les nouveaux critères de MCI mettent l’accent sur l’importance de l’évaluation clinique. Le diagnostic repose sur l’analyse de la cognition, du comportement et du fonctionnement global. Il associe entretien avec le patient et l’entourage et évaluation neuropsychologique. Il n’est plus centré sur la sphère mnésique. L’interrogatoire du patient et de son entourage constitue une étape importante. Il permet en particulier de caractériser la plainte. La plainte cognitive tient en effet, à elle seule, une place importante, tant sur quantitativement que qualitativement. Cet entretien permet également de repérer la notion de déclin du fonctionnement cognitif. Les différents aspects du fonctionnement cognitif sont ensuite évalués : fonctionnement cognitif global (exemple : MiniMental State de Folstein), l’orientation dans le temps et dans l’espace, la mémoire à long terme (en particulier la mémoire épisodique surtout, avec des tests de rappel de mots comme l’épreuve des 5 mots ou de Grober et Buschke) et à court terme (empans direct et indirect), langage (épreuves de fluence verbale), praxies (visuoconstructives et visuospatiales), gnosies, fonctionnement exécutif (raisonnement, jugement, calcul, etc.), capacités attentionnelles. Cette approche d’abord purement clinique sera ensuite complétée par la passation de tests dont la complexité dépend du type de consultation (médecine générale, consultation spécialisée libérale, consultation mémoire de proximité, centre mémoire de ressource et de recherche). Les troubles cognitifs peuvent par ailleurs avoir un retentissement discret sur les activités complexes de la vie quotidienne. Ce retentissement doit rester modéré et ne pas altérer l’autonomie en vie quotidienne ou le fonctionnement global. Il n’existe pas actuellement d’outils adéquats pour l’évaluer. Cette absence d’outils d’évaluation est encore plus marquée dans 2 types de circonstances : pour les personnes vivant en institution, pour lesquelles le fonctionnement très routinier et plus encadré masque bien souvent les difficultés, et pour les sujets très âgés ou présentant des polypathologies, pour lesquels le handicap est alors plus lié à des facteurs non cognitifs. Le grand âge, les facteurs vasculaires, les polypathologies et la polymédicamentation peuvent donc limiter l’évaluation cognitive et fonctionnelle et ainsi rendre l’interprétation des résultats difficile. Ils ne doivent pas conduire à minimiser la plainte ou les troubles cognitifs objectivés. Toute anomalie impose la prudence et la mise en place d’un suivi, d’un bilan complémentaire ou d’un avis spécialisé. C’est bien souvent le profil évolutif qui est l’une des clés du diagnostic. Les nouveaux critères permettent ainsi de détecter une altération cognitive discrète le plus précocement possible. Ils mettent désormais l’accent sur l’importance de la plainte et du déclin du fonctionnement cognitif. Ils paraissent mieux adaptés pour individualiser, en pratique médicale courante, un groupe à risque de développer une démence. Il est en effet primordial de repérer le “syndrome MCI”. C’est à ce niveau diagnostique que le médecin praticien doit intervenir. Une réflexion en 2 étapes peut ensuite être menée. Elle est plutôt l’apanage des centres spécialisés : • de quel sous-type syndromique de MCI s’agit-il ? • le sous-type étiopathogénique sous-jacent est-il identifiable ? Le sous-type syndromique peut être reconnu dès l’évaluation initiale. Une évaluation neuropsychologique plus complète peut s’avérer nécessaire afin de mieux préciser les domaines cognitifs atteints. Il est important de noter que, comme lors de la description princeps du concept, aucun test n’est imposé ; de même, la notion de “valeur seuil” est définitivement écartée. Cette décision est d’autant plus valide que peu de normes sont à notre disposition en ce qui concerne les sujets très âgés. Le MCI peut être classé “MCI amnésique”, caractérisé par l’atteinte prédominante de la sphère mnésique ou “MCI non amnésique”, caractérisé par l’atteinte discrète de domaines cognitifs multiples (multiple-domain-MCI) ou correspondre à l’atteinte prédominante d’une sphère cognitive non mnésique (single-domain-MCI). Des critères diagnostiques plus spécifiques permettant de repérer le MCI amnésique prémaladie d’Alzheimer ont récemment été proposés par Dubois et Albert [11] ; ces critères pourraient faire l’objet d’une publication internationale consensuelle. Ils précisent les caractéristiques d’une maladie d’Alzheimer prédémentielle : • critères MCI ; • mise en évidence de troubles mnésiques objectifs en s’appuyant sur un test de mémoire permettant de mettre en évidence la spécificité du syndrome amnésique de la maladie d’Alzheimer, à savoir le syndrome amnésique hippocampique caractérisé par un rappel libre effondré, bénéficiant peu ou pas de l’indice ; • persistance de troubles mnésiques lors d’évaluations successives ; • absence de démence ; • exclusion d’autres facteurs pouvant entraîner un MCI. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Mild Cognitive Impairment Quelle place pour les investigations paracliniques ? Les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle (tomoscintigraphie) et morphologique (tomodensitométrie ou imagerie par résonance magnétique) comme les marqueurs biologiques (sang ou liquide céphalorachidien) pourraient permettre, à l’avenir, de préciser les différents facteurs étiopathogéniques. C’est pour le MCI “prémaladie d’Alzheimer” qu’ils sont actuellement le plus opérants (cf. supra) [12]. Des régions différentes pourraient être prises pour cible selon le type d’imagerie réalisé. L’IRM cérébrale permet d’effectuer des analyses volumétriques. Ce sont essentiellement les régions entorhinale et hippocampo-amygdalienne qui sont les plus intéressantes à mesurer. L’IRM permet par ailleurs de quantifier et de localiser les lésions vasculaires associées. En imagerie fonctionnelle, c’est au niveau des régions corticales temporopariétales et cingulaire postérieure qu’apparaissent les anomalies les plus précoces [13]. Cette dissociation entre l’impact morphologique et métabolique des lésions pourrait être expliquée par l’existence de mécanismes compensatoires particulièrement actifs au niveau hippocampique ; ils permettraient de compenser la perte neuronale et de maintenir un métabolisme relatif dans cette région. Les modifications précoces observées au niveau du cortex associatif postérieur seraient alors liées à un mécanisme de désafférentation [14]. Il est certain que ces examens radiologiques sont encore difficiles à interpréter à titre individuel. Des anomalies précoces peuvent toutefois orienter le pronostic. Elles sont en faveur d’un risque plus marqué de conversion vers la démence. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Les avancées diagnostiques en matière de biomarqueurs concernent principalement le LCR. Trois marqueurs des “lésions Alzheimer” (la protéine tau totale, la protéine tau hyperphosphorylée et la protéine amyloïde b42) permettent avec une bonne sensibilité de distinguer les patients porteurs d’une maladie d’Alzheimer incipiens ou symptomatique à un stade de début des patients présentant un vieillissement normal, une dépression ou une maladie de Parkinson [15]. La réalisation d’une ponction lombaire dans le cadre de sujets présentant un MCI reste discutée, mais pourrait devenir une technique courante si les autres marqueurs biologiques, en particulier plasmatiques, n’apportent pas une meilleure sensibilité et spécificité diagnostique. Conclusion Quelle que soit la définition utilisée, l’application du concept de MCI conduit avant tout à individualiser un groupe à risque de développer un syndrome démentiel. Tenter de mieux préciser, au sein d’une cohorte de patients MCI, les sujets présentant une maladie d’Alzheimer prédémentielle, relève d’une démarche diagnostique commune : celle du diagnostic précoce de l’un des sous-types étiopathogéniques de MCI. Ces démarches ne sont pas exclusives. Il est en effet actuellement particulièrement important de repérer le plus précocement possible les sujets présentant une maladie d’Alzheimer. Les outils diagnostiques proposés (cliniques, paracliniques) ne font pas encore l’objet d’un consensus. En pratique quotidienne, il semble actuellement important de s’appuyer sur les tests et les outils à notre disposition, pour lesquels nous possédons une expertise clinique. S’intéresser à ces patients, en particulier porteurs de lésions dégénératives de maladie d’Alzheimer ou de facteurs de risque vasculaires, c’est pouvoir éventuellement développer des stratégies préventives ou des stratégies d’intervention précoce. Cet enjeu de santé publique explique l’engouement généré par ce concept et son application étendue, dans le champ épidémiologique, clinique, paraclinique et thérapeutique. Des grandes études de prévention, primaire ou secondaire, basées sur des thérapeutiques médicamenteuses mais aussi non médicamenteuses, sont très certainement l’avenir en matière de troubles cognitifs. Les résultats des études de cohortes actuellement en cours permettront sûrement d’orienter les choix méthodologiques. Conflits d’intérêts : aucun 1467 L’approche étiopathogénique fait suite à cette étape syndromique. Une classification simple, correspondant aux soustypes habituellement rencontrés en consultation, pourrait être proposée : maladie neurodégénérative (MCI prémaladie d’Alzheimer, démence à corps de Lewy ou plus rarement démence frontotemporale, atrophie focale), troubles cognitifs en relation avec des lésions vasculaires (MCI prédémence vasculaire, démence mixte), troubles dysphoriques ou dysthymiques (syndrome anxieux ou dépressif). Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer prédémentielle, Dubois et al. (données non publiées) proposent de s’appuyer de plus sur les données paracliniques radiologiques (mesures sur volume hippocampique en imagerie par résonance magnétique ; une nouvelle technique de segmentation automatique est proposée) et biologiques (recherche des marqueurs spécifiques de maladie d’Alzheimer : protéine bêta-amyloïde [forme longue A bêta42] et protéine tau [totale et hyperphosphorylée]) [12]. Mise au point troubles cognitifs et démences Touchon J, Portet F Références 1 2 3 4 1468 5 Ritchie K, Touchon J. Mild cognitive impairment: conceptual basis and current nosological status. Lancet. 2000; 355: 225-8. Kral VA. Senescent forgetfulness : benign and malignant. Can Med Assoc J. 1962; 86: 257-60. Petersen RC, Smith GE, Waring SC, Ivnik RJ, Kokmen E, Tangelos EG. Aging, memory, and mild cognitive impairment. Int Psychogeriatr. 1997; 9: 65-9. Petersen RC, Doody R, Kurz A, Mohs RC, Morris JC, Rabins PV et al. Current concepts in mild cognitive impairment. Arch Neurol. 2001; 58: 1985-92. Ritchie K, Artero S, Touchon J. Classification criteria for mild cognitive impairment : a population-based validation study. Neurology. 2001; 56: 37-42. 6 7 8 9 10 Petersen RC, Smith GE, Waring SC, Ivnik RJ, Tangalos EG, Kokmen E. Mild cognitive impairment : clinical characterization and outcome. Arch Neurol. 1999; 56: 303-8. Petersen RC. Mild cognitive impairment as a diagnostic entity. J Intern Med. 2004; 256: 183-94. Gauthier S, Touchon J. Mild cognitive impairment is not a clinical entity and should not be treated. Arch Neurol. 2005; 62: 1164-6. Winblad B, Palmer K, Kivipelto M, Jelic V, Fratiglioni L, Wahlund LO et al. Mild cognitive impairment–beyond controversies, towards a consensus : report of the International Working Group on Mild Cognitive Impairment. J Intern Med. 2004; 256: 240-6. Petersen RC, Morris JC. Mild cognitive impairment as a clinical entity and treatment target. Arch Neurol. 2005; 62: 1160-3. 11 12 13 14 15 Dubois B, Albert ML. Amnestic MCI or prodromal Alzheimer’s disease? Lancet Neurol. 2004; 3: 246-8. Touchon J, Portet F. Mild cognitive impairment : imaging data. Rev Neurol. 2002; 158: S21-9. Meguro K, LeMestric C, Landeau B, Desgranges B, Eustache F, Baron JC. Relations between hypometabolism in the posterior association neocortex and hippocampal atrophy in Alzheimer’s disease : a PET/MRI correlative study. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2001; 71: 315-21. Chetelat G, Desgranges B, de la Sayette V, Viader F, Berkouk K, Landeau B et al. Dissociating atrophy and hypometabolism impact on episodic memory in mild cognitive impairment. Brain. 2003; 126: 1955-67. Blennow K. CSF biomarkers for mild cognitive impairment. J Intern Med. 2004; 256: 224-34. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 en ligne sur / on line on troubles cognitifs et démences www.masson.fr/revues/pm Dossier thématique Mise au point Presse Med. 2007; 36: 1469–76 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. Démences vasculaires et démences mixtes Dina Zekry1,2, Charles Duyckaerts1, Jean-Jacques Hauw1 1. Laboratoire de neuropathologie Raymond Escourolle, Hôpital de la Salpêtrière, Paris (75) 2. Département de réhabilitation et gériatrie, Hôpital de Trois-Chêne, 3 Chemin du Pont-Bochet, 1226, Thônex, Suisse Correspondance : Dina Zekry, Département de réhabilitation et gériatrie, Hôpital de Trois-Chêne, 26 Chemin du Pont-Bochet, 1226, Thônex, Suisse. [email protected] ■ Key points ■ Points essentiels Vascular dementia and mixed dementia Le diagnostic des démences vasculaires, clinique comme neuropathologique, présente des difficultés, surtout chez les personnes âgées. Les problèmes sont nombreux et sont dus à une physiopathologie mal connue, à des critères cliniques discutables et à l’absence de critères formels anatomopathologiques. La plupart des études épidémiologiques ont défini les démences mixtes comme la coexistence de la maladie d’Alzheimer et de la démence vasculaire. Les études neuropathologiques ont montré que les lésions dégénératives de type Alzheimer et les lésions vasculaires sont fréquemment associées, particulièrement chez les personnes âgées. Ces études ont validé le concept des démences mixtes et ont montré qu’elles sont fréquentes et méconnues chez les personnes très âgées. Le diagnostic des démences vasculaires et mixtes demeure un défi clinique et ne pourra être amélioré qu’au prix de nouvelles études portant sur les corrélations clinicopathologiques et l’imagerie fonctionnelle. Une meilleure connaissance des facteurs de risque a permis d’entrevoir des possibilités thérapeutiques préventives importantes, spécialement le traitement de l’hypertension artérielle. The concept of vascular dementia has evolved over the past century to include multiple underlying pathophysiological mechanisms. Neuroimaging techniques offer new and better ways to identify the presence of cerebrovascular pathology, although they do not improve our ability to link these changes to the onset of clinical cognitive impairment. Clinical criteria for vascular dementia have also evolved but they remain imperfect. Most epidemiological studies define mixed dementia as the coexistence of Alzheimer’s disease and vascular dementia. Clinicopathologic correlations show a clear association between the concomitant presence of vascular and Alzheimer lesions and the severity of cognitive impairment in mixed dementia and provide strong support for the validity of the mixed dementia concept. Mixed dementia is a very frequent disease that remains underdiagnosed, especially in the elderly. The diagnosis of vascular and mixed dementia remains a clinical challenge and cannot be improved without further studies of clinicopathological correlations and functional neuroimaging. Preventive therapeutic interventions include control of vascular risk factors and especially treatment of hypertension. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.020 1469 Disponible sur internet : le 05 juin 2007 Zekry D, Duyckaerts C, Hauw JJ Démences vasculaires Après la maladie d’Alzheimer, le groupe des démences vasculaires représenterait la plus fréquente des causes de démence [1, 2]. Le terme de démence vasculaire fait référence à un état clinique de détérioration intellectuelle imputable à des lésions cérébrales d’origine vasculaire (lacunes, infarctus et hémorragies). Si cette définition est claire conceptuellement, il est souvent difficile, en pratique, d’établir une relation causale entre telle ou telle lésion d’origine vasculaire et la survenue d’une démence. Le diagnostic de démence vasculaire, clinique comme neuropathologique, présente des difficultés, surtout chez les personnes âgées. Les problèmes sont nombreux et sont dus à une physiopathologie mal connue, à des critères cliniques discutables et à l’absence de critères formels anatomopathologiques. Ce diagnostic n’est pourtant pas académique. Son importance épidémiologique, préventive et thérapeutique est loin d’être négligeable. Actuellement, les progrès de la recherche ont permis de mieux préciser les mécanismes physiopathologiques sous-jacents à la diminution des capacités cognitives et la démarche diagnostique se précise. Les performances des nombreuses échelles cliniques disponibles sont maintenant mieux appréciées. Une meilleure connaissance des facteurs de risque a permis d’entrevoir des possibilités thérapeutiques préventives importantes. Néanmoins, de nombreuses difficultés persistent. Concept La démence par infarctus multiples a été décrite par DurandFardel dès 1854 et oubliée pendant plusieurs dizaines d’années. Le concept de démence associée à un athérome des artères cérébrales a été repris à la fin du XIXe siècle par Glossaire AA ADDTC ADL AVC Cadasil DSM-IV HIS HTA IAch ICD-10 1470 IRM MMSE Optima angiopathie amyloïde Alzheimer’s Disease Diagnostic and Treatment Centers activités de la vie quotidienne accident vasculaire cérébral Cerebral autosomal dominant angiopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy Diagnostic and Statistical Mental Disorders, 4th Ed score d’ischémie d’Hachinski hypertension artérielle inhibiteurs de l’acétylcholinestérase International Classification of Diseases, 10th Ed imagerie par résonance magnétique Mini Mental State Examination Oxford project to investigate memory and ageing Klippel, Binswanger et Alzheimer. Pendant longtemps, le mécanisme retenu a été celui d’une ischémie chronique due à une artériosclérose des vaisseaux cérébraux. À la fin des années 1960, les travaux de Tomlinson et al. donnaient une importance plus grande aux infarctus entraînant une perte de tissu cérébral [3]. Selon eux, la démence apparaissait à partir d’un certain seuil de volume cérébral lésé. Pour Hachinski, c’est surtout le nombre de lésions qui est important. En 1974, il propose le terme de “démence par infarctus multiples” pour décrire une démence résultant de multiples accidents vasculaires cérébraux d’origine thromboembolique [4]. Des études plus récentes ont pu montrer que la survenue d’une démence, en présence d’une pathologie vasculaire cérébrale, est complexe et d’origine multifactorielle. Elle est liée au nombre, à la taille et à la localisation des infarctus, mais peut aussi survenir à la suite d’une pathologie microvasculaire ou d’une hypoxie cérébrale [5]. Le terme plus général de “démence vasculaire” est actuellement préféré, permettant d’inclure de nombreux mécanismes physiopathologiques tels que la démence par infarctus multiples, l’exceptionnelle démence par infarctus unique, les états lacunaires, la maladie de Binswanger, l’hypoperfusion cérébrale et l’hémorragie cérébrale. Physiopathologie Les causes des démences vasculaires sont schématiquement celles des accidents vasculaires cérébraux (AVC). L’athérosclérose constitue la cause dominante. Par conséquence, le terrain de prédilection de la démence vasculaire est la personne âgée, athéromateuse et ayant des facteurs de risque tels que le diabète, les dyslipidémies, le tabagisme, les cardiopathies emboligènes et l’hypertension artérielle (HTA) [6]. Les difficultés rencontrées pour définir les démences vasculaires tiennent au fait que nous connaissons mal les facteurs qui, chez un patient ayant des lésions cérébrales d’origine vasculaire, conduisent au déclin cognitif. Les facteurs vasculaires qui interviennent le plus clairement dans la genèse des troubles cognitifs sont au nombre de 3 : la topographie et le volume des infarctus cérébraux ; l’atteinte de la substance blanche et l’angiopathie amyloïde. Topographie et volume des infarctus cérébraux Plusieurs études ont tenté de préciser, par l’examen neuropathologique ou l’imagerie cérébrale, les caractéristiques volumétriques ou topographiques des infarctus cérébraux associés à une démence. Du point de vue neuropathologique, les facteurs qui expliquent la survenue d’une démence à la suite d’un AVC sont nombreux. On peut citer la bilatéralité ou le caractère diffus des lésions, le volume important des lésions, la topographie du tissu détruit. Il peut ainsi s’agir de l’atteinte très focale des systèmes qui règlent la mémoire, l’attention, le raisonnement tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démences vasculaires et démences mixtes Anomalies de la substance blanche (leucoaraïose) La neuropathologie des anomalies de la substance blanche cérébrale révélées par l’IRM ou imagerie par résonance magnétique (hypersignaux dans les séquences pondérées en T2) chez de nombreux patients ayant des facteurs de risque vasculaire (et aussi chez d’autres qui en sont dépourvus) n’est pas encore parfaitement connue. On s’accorde à distinguer 2 groupes d’anomalies : celles qui sont habituellement physiologiques, surtout chez les personnes âgées (notamment les signaux immédiatement périventriculaires) et celles qui, en règle générale, ne le sont pas (c’est le cas des “signaux brillants non identifiés” situés au cœur de la substance blanche). Des lacunes, un état criblé surtout, des zones de raréfaction focale de la substance blanche ont été trouvés dans les régions anormales [8]. Ces lésions de la substance blanche ont été incriminées pendant longtemps dans le mécanisme des déficits cognitifs. Il est vrai que certains cas de sclérose en plaques, où elles sont très largement prédominantes, se manifestent cliniquement par une démence, en particulier lorsque le corps calleux est atteint. Les lésions diffuses de la substance blanche, observées dans les leucoencéphalopathies peuvent provoquer une démence, notamment dans la maladie de Binswanger associée à l’HTA. C’est aussi un des symptômes du Cadasil (Cerebral autosomal dominant angiopathy with subcortical infarcts and leukoencephalopathy) où le déficit cognitif a été considéré comme purement d’origine sous-corticale [9]. Deux études récentes ont étudié le rôle des lésions ischémiques microscopiques corticales et sous-corticales chez des personnes âgées. La première a montré que la démyélinisation périventriculaire expliquait 10 % de la variance du fonctionnement cognitif, la démyélinisation diffuse 4,6 % et les microinfarcts corticaux 36 % [10]. La deuxième a trouvé que les lacunes thalamiques et des noyaux gris centraux avaient un impact significatif sur la cognition. Au contraire, les lacunes de la substance blanche dans les régions frontales, temporales et pariétales ne semblaient pas avoir d’effet important tant qu’elles tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 étaient en nombre relativement faible [11]. Pourtant, il faut signaler qu’il est rare qu’un trouble mnésique soit absolument pur, qu’une démence soit seulement corticale ou souscorticale. De nombreuses structures, souvent associées, sont ainsi impliquées dans les processus divers menant à la démence. Il est bien plus fréquent que l’on ne puisse dissocier, ni même privilégier, l’un ou l’autre de ces mécanismes. Angiopathie amyloïde et rôle des vaisseaux (“angiopathie congophile”) L’angiopathie amyloïde Ab (AA) [12, 13] est caractérisée par des dépôts de peptide Ab sous forme amyloïde dans la paroi des vaisseaux de la microcirculation du cortex et des leptoméninges. Elle entraîne de petites hémorragies cortico-sous-corticales et surtout des hémorragies lobaires, parfois d’âges différents, volontiers associées à de petits infarctus corticaux. L’AA est observée dans des circonstances variées : dans de rares familles, où la maladie se transmet selon un mode autosomal dominant, elle apparaît parfois isolée. Plus souvent, l’AA est associée à des plaques séniles et à des dégénérescences neurofibrillaires chez des personnes âgées. L’AA est l’une des lésions souvent commune à la maladie d’Alzheimer et aux démences vasculaires. Cette altération de la paroi vasculaire a été récemment impliquée dans la fréquence des facteurs de risque vasculaire trouvés chez des patients déments étiquetés maladie d’Alzheimer. Les rapports entre l’AA et la sévérité du déficit cognitif sont en grande partie inconnus. Les conséquences des dépôts de peptide Ab dans la paroi des vaisseaux cérébraux susceptibles, de provoquer des variations dans leurs dimensions et de retentir sur l’hémodynamique, restent aussi controversées. Une étude semi-quantitative et morphométrique s’est intéressée à la densité des dépôts d’Ab (et par conséquent la sévérité de l’AA) dans la paroi des vaisseaux (artères et capillaires) de la microcirculation du cortex cérébral et des leptoméninges [14]. L’AA cérébrale paraît entraîner tout d’abord l’épaississement de la paroi et la réduction de la lumière vasculaire puis, aux stades avancés de la maladie, l’amincissement de la paroi et l’élargissement de la lumière vasculaire. On ne connaît pas la succession d’événements qui déclenchent le dépôt du peptide Ab dans le système microvasculaire. Les résultats obtenus sont compatibles avec l’hypothèse selon laquelle le peptide Ab est produit par les cellules musculaires de la média vasculaire. Celles-ci ayant disparu aux stades avancés de la maladie, sans que le dépôt d’Ab se poursuive, l’épaisseur de la média musculaire se réduit. En effet, dans l’hypothèse selon laquelle le peptide Ab est produit par les cellules endothéliales, ou celle qui voudrait que le peptide Ab soit apporté aux vaisseaux cérébraux par le sang ou provienne du tissu cérébral, on s’attendrait, au contraire, à une augmentation de la densité des dépôts d’Ab dans la paroi des vaisseaux au cours de l’évolution de la maladie. Ces hypothèses paraissent moins compatibles avec les résultats ci dessus. Ceux-ci ont, en outre, suggéré que l’AA cérébrale contribuait, à elle 1471 (circuits limbique ou amygdalothalamofrontal, afférences frontales d’origine sous-corticale), la lésion directe du lobe frontal qui contrôle la programmation et la surveillance des activités mentales, et/ou la lésion des aires associatives. Des lésions de faible volume situées dans des sites stratégiques sont donc susceptibles de créer un affaiblissement intellectuel ou d’y contribuer. Dresser une liste exhaustive de ces sites stratégiques est difficile. Une piste possible est l’analyse des régions lésées au cours des autres démences, en particulier la maladie d’Alzheimer. À ce titre, les lésions du cortex entorhinal, du système limbique et des aires associatives sont des candidats pour figurer dans cette liste [7]. Une autre piste est de chercher les territoires dont le dysfonctionnement conduit aux symptômes démentiels. Cette démarche donne des résultats voisins de ceux précédemment obtenus. Mise au point troubles cognitifs et démences Zekry D, Duyckaerts C, Hauw JJ seule, à la sévérité du déficit cognitif chez les personnes âgées. La sévérité de l’angiopathie amyloïde expliquait en effet 10 % de la variabilité du déficit cognitif mesuré par le MMSE (Mini Mental State Examination). Les dépôts de peptide Ab dans la paroi des vaisseaux de la microcirculation cérébrale semblent donc intervenir, au même titre que les lésions de type Alzheimer et les lésions ischémiques de grande taille, dans le mécanisme de la démence. Les effets de ces différentes lésions sont cumulatifs. Particularités cliniques La triade classique est la suivante : • présence de facteurs de risque vasculaires (âge, HTA, signes d’athérome, insuffisance cardiaque) ; • antécédents d’AVC avec présence de symptômes et de signes focaux ; • évolution de la détérioration intellectuelle par à coups (“paliers”) avec des périodes de stabilisation, voire d’amélioration (s’opposant à l’évolution lentement progressive de la maladie d’Alzheimer). Chacun de ces éléments peut manquer dans environ 15 % des cas, de sorte qu’une authentique démence vasculaire pourrait, exceptionnellement pour les auteurs classiques, évoluer progressivement et sans signes focaux, simulant alors une démence dégénérative. Il est d’autre part important de distinguer les démences vasculaires survenant chez des personnes jeunes ou d’âge moyen (“présénile”), qui répondent plus souvent à ces critères classiques, des démences survenant chez des personnes âgées, dont le mécanisme n’est souvent pas identique (fréquence plus grande des microangiopathies et des pertes neuronales hippocampiques ; association aux lésions de la maladie d’Alzheimer) et dont les symptômes et les signes se rapprochent plus de ceux de la maladie d’Alzheimer. D’autres traits sémiologiques, comme une dépression ou une grande labilité émotionnelle, sont signalés plus fréquemment dans les démences vasculaires que dans la maladie d’Alzheimer. Les signes associés qui aident au mieux à éliminer une maladie d’Alzheimer sont les troubles urinaires (50 % des cas) et les troubles de la marche (27 % des cas), beaucoup plus précoces dans les démences vasculaires ; et aussi la dysphagie, les signes pyramidaux, la dysarthrie et, d’une manière générale, toutes les altérations mécaniques de la parole (timbre, mélodie, articulation, vitesse) très fréquentes dans les démences vasculaires, tandis que les altérations linguistiques prédominent dans la maladie d’Alzheimer. Critères cliniques 1472 Il existe au moins 8 groupes différents de critères diagnostiques dont la validation neuropathologique est souvent très incomplète. Le score d’ischémie d’Hachinski (HIS) a été et reste le plus utilisé pour établir le diagnostic clinique des démences vasculaires [15]. De multiples publications en ont évalué la validité. Une revue de la littérature analysant les résultats de 5 études clinicopathologiques portant sur le HIS (174 cas au total) a conclu que sa sensibilité n’était que de 42 % alors que sa spécificité était de 84 % dans la détection de la démence vasculaire par rapport à la maladie d’Alzheimer [16]. Une série de 113 cas de démences autopsiés a donné des résultats similaires : sensibilité 43 % et spécificité 88 % [17]. Ces données de la littérature montrent donc que la sensibilité du HIS est insuffisante pour justifier son utilisation comme test de détection de la démence vasculaire, bien qu’il puisse permettre d’exclure raisonnablement les autres causes de démence. Mais il reste encore des controverses. Une métaanalyse a montré que le HIS est très sensible et qu’il est performant dans la distinction entre la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire [18, 19]. Depuis sa première description, le HIS a fait l’objet d’un certain nombre de critiques et de modifications. Rosen a mis en doute l’utilité diagnostique des plaintes somatiques et de la labilité émotionnelle. Pour lui, les facteurs primordiaux sont le début brutal, la détérioration par paliers, l’anamnèse d’AVC et la présence de signes cliniques et de symptômes évoquant une pathologie neurologique focale alors que l’HTA est plutôt considérée comme un facteur secondaire [20]. Loeb et Gandolfo proposent une échelle plus courte comprenant 4 des items originaux du HIS : le début brutal, la symptomatologie neurologique, les signes neurologiques focaux et l’anamnèse d’AVC, mais ils y ajoutent les résultats de la tomodensitométrie cérébrale [21]. Ce type d’approche diagnostique est fondé sur la présence à la fois d’une démence et d’une affection vasculaire cérébrale ; toutefois, dans ces critères, il n’est pas nécessaire de démontrer un lien entre les 2 pour poser le diagnostic de démence vasculaire. Les critères de l’ICD-10 (International Classification of Diseases, 10th Ed) [22] et du DSM-IV (Diagnostic and Statistical Mental Disorders, 4th Ed) [23] se distinguent par le fait que les troubles cognitifs mis en évidence doivent pouvoir être raisonnablement rapportés étiologiquement à la maladie vasculaire cérébrale. Toutefois la nature de ce lien “raisonnable” n’est pas précisée. En l’absence de validation neuropathologique, il est difficile de préciser les performances de ces derniers critères. Une étude clinique a pu cependant montrer que seuls 25 % des patients ayant les critères de démence et des lésions vasculaires cérébrales à la tomodensitométrie cérébrale remplissaient effectivement les critères de l’ICD-10 de démence vasculaire. Ceci suggère que la sensibilité de ces critères est faible. Deux groupes de critères sont actuellement très utilisés : l’ADDTC (Alzheimer’s Disease Diagnostic and Treatment Centers) et le NINDS-AIREN [24, 25]. Ces critères distinguent les démences vasculaires possibles et probables. La catégorie probable, contrairement à la catégorie possible, requiert la présence d’un lien temporel entre l’apparition des troubles cognitifs et l’affection vasculaire cérébrale mise en évidence à tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démences vasculaires et démences mixtes Démences mixtes Les études neuropathologiques ont montré que les lésions dégénératives (de type Alzheimer) et les lésions vasculaires sont fréquemment associées, particulièrement chez les personnes âgées. Bien que la maladie d’Alzheimer et les démences vasculaires soient reconnues comme des entités distinctes, il existe peu de données sur leur interaction dans le développement de la démence. L’atteinte vasculaire est-elle indépendante de la maladie d’Alzheimer ? Dans quelle mesure les lésions vasculaires et dégénératives contribuent-elles au développement de la démence ? S’agit-il d’une simple addition ou d’une véritable tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 synergie ? La connaissance du rôle respectif des 2 types de maladie est importante pour mettre sur pied les stratégies thérapeutiques, en particulier préventives. Jusqu’ici, les études pharmacologiques ont concerné principalement les maladies pures (de type Alzheimer ou vasculaire) et ont le plus souvent exclu les cas mixtes, pourtant très fréquents. Concept Delay et Brion (1962) ont donné pour la première fois toute son importance à l’association des 2 types de lésions (vasculaire et dégénérative), à l’origine de la “démence sénile mixte” [28]. Depuis lors, cette entité a fait l’objet de conceptions très diverses, liées non seulement aux modalités du diagnostic étiologique, et notamment à son caractère seulement clinique, clinicoradiologique ou clinicopathologique, mais aussi à des questions de conception. Le NINDS-AIREN plaide cependant contre l’utilisation du terme de démence mixte en faveur de celui de “maladie d’Alzheimer avec maladie cérébrovasculaire” [25]. La plupart des études épidémiologiques ont défini la démence mixte comme la coexistence de la maladie d’Alzheimer et de la démence vasculaire. Plusieurs auteurs ont mis en question la validité du concept de démence mixte, mais des études récentes soutiennent l’hypothèse selon laquelle les lésions ischémiques sont des modulateurs importants de la qualité de la fonction cognitive, même au cours de la maladie d’Alzheimer. La Nun Study a montré que parmi 61 cas de maladie d’Alzheimer diagnostiqués sur des critères neuropathologiques, la détérioration cognitive était plus importante lorsqu’il existait des infarctus cérébraux qu’en leur absence [29]. Grâce au projet Optima (Oxford Project to Investigate Memory and Ageing), Esiri et al. ont trouvé que l’existence d’une maladie cérébrovasculaire associée diminuait significativement les performances cognitives des patients atteints de maladie d’Alzheimer, au moins aux stades les plus précoces [30]. Notre groupe, dans une étude prospective clinicopathologique, a montré que les patients ayant une maladie d’Alzheimer et des lésions vasculaires avaient moins de plaques neuritiques et de dégénérescences neurofibrillaires que les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer pure, à niveau égal de sévérité de la démence. Corrélativement, le volume des infarctus cérébraux était plus faible dans le groupe des démences mixtes que dans celui des démences vasculaires. Ces données permettent de valider le concept de démence mixte et démontrent que les processus pathologiques impliqués dans la maladie d’Alzheimer et dans la démence par infarctus multiples sont au moins cumulatifs, sinon synergiques [31]. Difficulté du diagnostic clinique de démence mixte Le diagnostic de démence mixte demeure difficile à affirmer du vivant du patient : les critères cliniques de la maladie d’Alzheimer tendent à éliminer les malades comportant des fac- 1473 l’examen clinique ou à l’imagerie cérébrale. Une étude neuropathologique rétrospective a démontré la faible sensibilité des critères ADDTC (63 %) et NINDS-AIREN (58 %) pour la démence vasculaire possible [17]. Des données plus récentes du même groupe ont confirmé que les critères cliniques pour la démence vasculaire n’ont pas la même signification. Les critères de l’ADDTC pour la démence vasculaire possible étaient les plus sensibles pour sa détection. En revanche, les critères du DSMIV pour la démence vasculaire et ceux du NINDS-AIREN pour la démence vasculaire possible pourraient être plus performants une fois les démences mixtes exclues [26]. Ces critères et scores cliniques ont des limites. Notamment, ils sont moins bien adaptés aux personnes âgées qu’ils ne le sont aux patients plus jeunes, car ils prennent fortement en compte les facteurs de risque d’athérosclérose et d’HTA alors qu’une partie non négligeable des AVC survenant après 75 ans est liée à l’amyloïdose vasculaire cérébrale [27]. D’autre part, les critères diagnostiques et scores cliniques dont nous disposons ont été créés à partir de groupes contrastés, comparant des patients très atteints à des cas de contrôle parfaitement normaux. Assez grossiers, souvent plus spécifiques que sensibles, ils ont été conçus principalement pour sélectionner une population permettant l’évaluation d’un médicament. Ils sont de moindre valeur pour le diagnostic de populations non sélectionnées (“non contrastées”) de malades. Enfin, ces critères diagnostiques et scores cliniques s’adressent surtout à certains types de démence vasculaire (démence par infarctus multiples), les autres démences vasculaires (notamment les maladies de Binswanger et certains états lacunaires) n’étant pas prises en compte. Enfin, l’ensemble de ces critères introduit des facteurs de risque dans les arguments permettant de distinguer, au sein des démences, celles qui relèvent d’une pathologie dégénérative, notamment de la maladie d’Alzheimer, et celles qui relèvent d’un mécanisme vasculaire. Ces critères opératoires, et donc importants pour sélectionner des groupes de patients soumis à des essais thérapeutiques, ne peuvent être utilisés sans précaution compte tenu du risque de raisonnement circulaire. Mise au point troubles cognitifs et démences Zekry D, Duyckaerts C, Hauw JJ teurs de risque vasculaires ou atteints d’affections vasculaires cérébrales. Inversement, les critères cliniques de démence vasculaire conduisent à éliminer les patients chez lesquels l’évolution est progressive. C’est, selon toute probabilité, les raisons pour lesquelles les études épidémiologiques réalisées en communauté rapportent une prévalence de cas de démence mixte inférieure à celle suggérée par les études neuropathologiques. Aucune place n’est donc faite aux démences mixtes, dont le diagnostic devrait être évoqué dans 2 circonstances : • lorsqu’un malade, chez lequel le diagnostic de maladie d’Alzheimer a été fait, a un AVC qui aggrave son état intellectuel ; • lors de l’aggravation progressive de la démence survenue après un AVC. Particularités cliniques Très peu d’études ont analysé les particularités cliniques des démences mixtes. Corey-Bloom et al. ont montré que les patients atteints d’une démence mixte avaient une dysthymie, une dépression, des signes focaux moteurs ou sensoriels et une instabilité de la marche beaucoup plus importants que ceux de la maladie d’Alzheimer, mais aucune de ces particularités ne permettait de prédire la rapidité de progression de la démence [32]. Rockwood et al., dans une cohorte prospective de 1 008 patients, ont comparé les caractéristiques cliniques de patients atteints d’une démence mixte à ceux atteints d’une maladie d’Alzheimer ou d’une démence vasculaire. Des signes focaux étaient présents dans respectivement 20, 4 et 38 % des cas. Dans cette étude, la démence mixte était le diagnostic le moins stable entre l’impression initiale clinique et le diagnostic final (après avoir pris en compte les données de la neuro-imagerie et du bilan neuropsychologique). La présence de lésions ischémiques constatées sur l’imagerie cérébrale a conduit à un changement de diagnostic de la part du clinicien (de la maladie d’Alzheimer à la démence mixte) dans 20 % des cas. Cela confirme que la neuro-imagerie est un outil diagnostique clef dans un bilan étiologique des démences [33]. Par ailleurs, Bowler a montré que les caractéristiques neuropsychologiques des démences mixtes sont plus proches de celles de la démence vasculaire que celles de la maladie d’Alzheimer, ce qui souligne le rôle de la composante ischémique dans les démences mixtes [34]. Critères cliniques 1474 Dans l’étude publiée par Gold et al., les auteurs ont comparé les diagnostics cliniques au diagnostic neuropathologique, qui a été considéré comme l’étalon d’or, chez 113 patients âgés déments [17]. Les patients ont été classifiés comme démence mixte s’ils répondaient à la fois aux critères de la maladie d’Alzheimer et à ceux de la démence vasculaire après l’examen neuropathologique. La classification de ces patients s’est révélée différente selon les divers critères cliniques étudiés. Les cas chez lesquels le diagnostic de démence mixte avait été fait pouvaient être rétrospectivement classés comme démence vasculaire dans 54 % des cas lorsque l’on utilisait les critères de l’ADDTC, dans 29 % des cas en employant le NINDS-AIREN et dans 18 % des cas selon le HIS. Ce dernier a permis l’exclusion de la plupart des cas de démence mixte, mais a échoué dans l’identification des cas de démence vasculaire. Les critères de l’ADDTC et du NINDS-AIREN étaient plus sensibles pour la détection de démence vasculaire, mais moins efficaces pour différencier la démence vasculaire des démences mixtes. Les cas de démence mixte étaient mieux reconnus par les critères du NINDS-AIREN que par ceux de l’ADDTC. Les auteurs ont rapporté que les démences mixtes ont un impact significatif sur l’exactitude des critères cliniques. Des données récentes du même groupe ont confirmé que les critères cliniques pour la démence vasculaire se comportent très différemment pour la détection des démences mixtes [26]. En outre, les critères restrictifs comme ceux de l’ICD-10 ou la catégorie “probable” des critères de l’ADDTC et du NINDS-AIREN n’ont pas montré une corrélation significative avec le diagnostic neuropathologique. Dans une méta-analyse, Moroney et al. ont, d’autre part, montré que le HIS différencie bien la maladie d’Alzheimer de la démence vasculaire, mais que le diagnostic clinique des démences mixtes reste difficile [18]. Dans notre cohorte, la précision du diagnostic clinique de la maladie d’Alzheimer et de la démence vasculaire a été perdue lorsque les cas de démence mixte ont été inclus dans l’analyse [35]. Cette sous-estimation clinique de la fréquence des démences mixtes doit être considérée pour interpréter les données épidémiologiques, comme le souligne M. Breteler : « Ce qui est considéré comme maladie d’Alzheimer sur la foi de critères cliniques peut, en réalité, être un mélange de démences de causes variées relevant d’une pathologie cérébrovasculaire, d’une pathologie dégénérative ou des deux » [36]. Traitement des démences vasculaires et mixtes Préventif Le traitement préventif est fondé sur la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire. L’étude Syst-Eur a démontré la réduction du risque de démence aussi bien vasculaire qu’Alzheimer chez des patients hypertendus traités principalement par des inhibiteurs calciques [37]. Dans l’étude Progress, les auteurs ont montré la réduction du risque de démence chez des patients traités par des inhibiteurs de l’enzyme de conversion associés ou non à un diurétique ayant des AVC récurrents [38]. De plus, le contrôle de l’HTA était lié à une réduction dans la progression des hyperdensités dans la substance blanche visualisée à l’IRM. L’étude Scope a montré la réduction du risque de démence chez des patients ayant déjà tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démences vasculaires et démences mixtes un déclin cognitif léger traités par des antagonistes du récepteur de l’angiotensine [39]. Le contrôle strict de l’HTA est maintenant incontournable. Concernant les hypolipémiants, les 2 essais thérapeutiques publiés ne confirment pas l’effet préventif des statines sur le risque de déclin cognitif suggéré initialement par les études épidémiologiques [40]. “Curatif” Une fois la démence vasculaire constatée, les traitements proposés visent à améliorer la perfusion cérébrale et à limiter les symptômes. Plusieurs molécules ont été testées dans ce but : l’aspirine, la nicergoline, la nimodipine, la pentoxifylline et la propentofylline. Les bénéfices constatés par rapport aux patients traités par placebo sont faibles, souvent les études ne sont pas randomisées et portent sur de petits effectifs. Le déficit en neurotransmetteurs observés dans la maladie d’Alzheimer a été aussi objectivé chez les patients atteints d’une démence vasculaire. Par analogie, les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (IAch) ont été aussi étudiés chez des patients atteints d’une démence vasculaire pure ou d’une démence mixte. Les résultats d’un essai clinique multicentrique avec la galantamine (Remynil®), chez les patients atteints d’une démence vasculaire et d’une démence mixte ont montré un effet positif non seulement sur la cognition mais également sur les activités de la vie quotidienne (ADL) [41]. Les études avec le donépézil (Aricept®) ont montré les mêmes résultats positifs sur la cognition et les ADL sur une cohorte de démence vasculaire pure, les patients avec un diagnostic de démence mixte ayant été exclus de l’étude [42]. Une étude comportant un petit nombre de patients atteints d’une démence vasculaire pure a montré une amélioration du comportement chez les patients traités par la rivastigmine (Exelon®) comparée à l’aspirine seule [43]. Concernant les antagonistes des récepteurs du glutamate, la mémantine (Ebixa®), chez des patients atteints d’une démence vasculaire pure, les résultats sont moins encourageants que pour la classe thérapeutique précédente [44]. En conclusion, pour les IAch le bénéfice chez les patients atteints de démence vasculaire ou démence mixte concernant les fonctions cognitives est superposable à celui observé chez ceux souffrant d’une maladie d’Alzheimer pure. D’autres essais cliniques multicentriques sont en cours et sont nécessaires pour confirmer ces résultats. Mise au point troubles cognitifs et démences Conclusion Le concept de démence vasculaire a beaucoup évolué au cours des dernières décennies et la démarche diagnostique s’est modifiée en conséquence. Les critères cliniques récents tiennent compte des facteurs chronologiques et des apports de la neuro-imagerie mais restent malheureusement imparfaits. L’imagerie cérébrale est utile pour détecter les AVC qui ne se seraient pas exprimés par des signes neurologiques focaux mais ne peut être interprétée qu’en fonction du contexte clinique. En l’absence de critères et d’échelles fiables, le clinicien reste très démuni vis-à-vis du diagnostic de démence vasculaire qu’il doit évoquer devant la présence de signes d’athérosclérose et de signes neurologiques focaux. Les démences mixtes existent, elles sont fréquentes et méconnues chez les personnes très âgées. Le diagnostic des démences vasculaires et des démences mixtes demeure un défi clinique et ne pourra être amélioré qu’au prix de nouvelles études portant sur les corrélations clinicopathologiques et l’imagerie fonctionnelle. Si l’efficacité des traitements “curatifs” reste à démontrer, une meilleure connaissance des facteurs de risque permet néanmoins d’entrevoir un potentiel thérapeutique préventif important, spécialement le traitement de l’HTA. Le diagnostic, au stade initial des démences vasculaires et des démences mixtes, permettra au patient de bénéficier de futures thérapeutiques spécifiques précoces. Conflits d’intérêts : aucun Références 2 3 Rocca WA, Hofman A, Brayne C, Breteler MM, Clarke M, Copeland JR et al. The prevalence of vascular dementia in Europe: facts and fragments from 19801990 studies. Ann Neurol. 1991; 30: 817-24. Mas J-L, Bogousslavsky J, Bousser MG. Démences vasculaires. In: Bogousslavsky J, Bousser MG, Mas J-L, editors. Accidents vasculaires cérébraux. Moulins-lès-Metz: Doin. 1993. p. 602-20. Tomlinson BE, Blessed G, Roth M. Observations on the brains of demented old people. 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Elles se manifestent par des troubles comportementaux et du langage. L’atteinte lésionnelle observée dans les démences frontotemporales touche les lobes frontaux et temporaux de façon bilatérale. Un tiers des patients ont un diagnostic psychiatrique en début de maladie. La composante génétique est importante : 30-50 % des patients ont des antécédents familiaux de la maladie. Il n’y a pas d’atteinte cholinergique associée à la démence frontotemporale. Les traitements anticholinestérasiques ne sont donc pas indiqués dans cette maladie. Frontotemporal dementia usually begins before the age of 65 years. It is manifested by behavioral and language disorders. The lesions observed in frontotemporal dementia affect the frontal and temporal lobes bilaterally. One third of patients have a psychiatric diagnosis at the onset of disease. The genetic component is important: 30-50% of patients have a family history of this disease. Cholinergic effects are not associated with frontotemporal dementia and therefore anticholinesterase treatment is not indicated. D urant les 20 dernières années, les neurologues et psychiatres ont pris conscience que la proportion des démences dites “non Alzheimer” était non négligeable parmi les démences neurodégénératives. Les démences frontotemporales pourraient représenter de 10 à 20 % des cas de démences “non Alzheimer”. Même si la description neuro-anatomique d’une forme particulière de démence frontotemporale par Arnold Pick fut contemporaine de celle de la maladie d’Alzheimer par Aloïs tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.023 Alzheimer (début du XXe siècle), les premiers cas de patients atteints de démence frontotemporale n’ont été vraiment répertoriés que depuis 1987 par l’équipe de Gustafson à Lund en Suède [1], et en 1988 par l’équipe de Neary à Manchester en Grande-Bretagne [2]. En 1987, Brun décrivit la démence frontotemporale comme une démence présénile, d’évolution progressive, prédominant au niveau des lobes frontaux, mais aussi des aires corticales antérieures des lobes temporaux [3]. Cependant 1477 Disponible sur internet : le 06 juin 2007 Le Ber I, Dubois B il faut attendre 1994, pour que la nosologie clinique et pathologique soit clarifiée et le terme de “démence frontotemporale” adopté comme terme définitif lors d’une conférence de consensus réunissant les équipes de Lund et de Manchester [4]. Les critères diagnostiques établis lors de cette conférence ont été révisés en 1998 [5] puis en 2001 [6]. Récemment, le concept de “complexe de Pick” a été proposé, regroupant les différentes formes des démences frontotemporales, ainsi que des affections proches telles que la dégénérescence corticobasale et la paralysie supranucléaire progressive. Il est important de faire le diagnostic de démence frontotemporale car cela conditionne l’information donnée au patient et à la famille, la prise en charge du patient et évite la prescription de traitements inappropriés, voire potentiellement aggravants. Épidémiologie La démence frontotemporale survient le plus souvent avant l’âge de 65 ans [5]. Cependant, les études clinicopathologiques récentes montrent que près de 20 % des patients débutent la maladie après l’âge de 65 ans [7-10]. Sa prévalence est variable selon l’âge. Elle varie de 3,6 pour 100 000 dans la classe d’âge 50-59 ans, à 9,4 pour 100 000 entre 60-69 ans [8]. Le sex ratio est égal à 1. Des antécédents familiaux de démence frontotemporale sont notés chez 33 à 56 % des patients [11, 12]. En dehors des causes génétiques et de rares causes toxiques (complexe démence-SLA [sclérose latérale amyotrophique]-Parkinson de l’île de Guam), les facteurs étiopathogéniques restent mal connus. Diagnostic clinique Les éléments du diagnostic clinique de la démence frontotemporale sont présentés dans l’encadré 1. Glossaire aide personnalisée à l’autonomie autorisation temporaire d’utilisation Free and cued recall test démence frontotemporale liée au chromosome 17 FTDU-17 démence frontotemporale liée au chromosome 17 avec inclusions ubiquitine-positives IRSS inhibiteur de la recapture de la sérotonine MAPT Microtubule Associated Protein Tau MDRS Mattis dementia rating scale MMSE Mini Mental State Examination NIFID inclusion neurofilamentaire SLA sclérose latérale amyotrophique Tau Tubulin associated unit TEMP tomographie par émission de simple photon VCP Valosin-Containing Protein 1478 APA ATU FRCT FTD-17 Il s’agit d’une démence débutant par des troubles comportementaux et du langage. Les conduites sociales et le contrôle émotionnel sont altérés. La mémoire et les fonctions instrumentales sont relativement préservées, à l’inverse de la maladie d’Alzheimer. Le début est le plus souvent insidieux. La conférence de consensus de Lund et Manchester a retenu pour définir l’entité démence frontotemporale les signes cliniques suivants [4] : • des troubles du comportement, inauguraux, avec 2 pôles cliniques opposés : - un pôle inerte comprenant comme signes cliniques une apathie, une perte des initiatives, une absence de projets, une aspontanéité, une amimie, une indifférence aux autres et un repli social, - un pôle désinhibé comprenant un relâchement du sens moral pouvant conduire à des délits (vols, etc.), une jovialité inappropriée, une familiarité excessive, une négligence corporelle et une incurie, une rigidité mentale, une hyperoralité (avec boulimie, lubies alimentaires, exploration orale des objets), un comportement d’imitation, des stéréotypies et persévérations (collectionnisme, rites et manies, etc.) ; • des symptômes affectifs à type de dépression, d’émoussement affectif, d’anxiété, d’hypochondrie, de plaintes somatiques bizarres, d’idées fixes, etc. Ces signes font souvent évoquer à tort une pathologie psychiatrique, d’autant plus qu’ils peuvent être inauguraux de la symptomatologie ; • des troubles du langage avec une réduction progressive du langage conduisant au mutisme, des stéréotypies verbales, une écholalie, etc. La mémoire est relativement bien préservée, notamment au début de la maladie. Les praxies sont conservées et il n’y a pas, ou de façon modérée, de désorientation spatiale, contrairement à la maladie d’Alzheimer. En revanche, l’orientation temporelle peut être perturbée. Signes physiques Les signes physiques sont peu nombreux : réapparition précoce des réflexes primaires (grasping, réflexe palmomentonnier), comportements pathologiques de préhension, d’imitation, d’utilisation. Un comportement d’urination ou une incontinence peuvent être présents. Formes cliniques de la maladie La conférence de consensus individualise 3 formes cliniques de démence frontotemporale bien différenciées au début du fait d’une dégénérescence topographiquement focalisée [5]. La forme frontale (ou comportementale) est dominée par les troubles comportementaux, alors que les troubles du langage prédominent dans les 2 autres formes (aphasie progressive non fluente, démence sémantique). À terme, ces 3 formes évoluent vers une atteinte plus diffuse. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démences frontotemporales Encad ré 1 Critères diagnostiques de démence frontotemporale Investigations • Neuropsychologie : diminution significative des performances aux tests frontaux en l’absence d’amnésie, d’aphasie ou de désordre de perception sévères • Électroencéphalographie : normal avec un EEG conventionnel malgré la présence clinique évidente d’une démence • Imagerie cérébrale (morphologique et/ou fonctionnelle) : anomalies prédominant en frontal et/ou temporal antérieur Principaux arguments diagnostiques Arguments supplémentaires Apparition insidieuse et progression graduelle Apparition avant l’âge de 65 ans ; histoire familiale de trouble similaire chez un apparenté du premier degré Déclin précoce des conduites sociales Diminution précoce de la régulation des conduites sociales Émoussement émotionnel précoce Perte précoce de la perspicacité Arguments diagnostiques supplémentaires Troubles du comportement • Négligence physique et vestimentaire • Rigidité mentale • Distractivité • Hyperoralité et modifications des comportements alimentaires • Persévération et comportement stéréotypé • Comportement d’utilisation Discours et langage Altération du discours aspontanéité réduction du langage Stéréotypie verbale Écholalie Persévérations Mutisme • • • • • Signes physiques • Réflexes primaires • Incontinence • Akinésie, rigidité, et tremblement • Pression artérielle basse et labile Variant frontal ou comportemental La forme frontale ou comportementale est la plus fréquente. Elle débute par des troubles comportementaux. L’atteinte prédomine au niveau le cortex orbitoventral au début, puis s’étend aux régions dorsolatérales et aux régions antérieures des lobes temporaux. Aphasie progressive non fluente L’aphasie progressive non fluente se manifeste par une aphasie de production. Le discours est réduit, avec un manque du tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Paralysie bulbaire, faiblesse musculaire, fasciculations (maladie du motoneurone associée présente chez une minorité de patients) Arguments diagnostiques d’exclusion Historique et clinique • Apparition brutale des premiers symptômes • Traumatisme crânien associé à l’apparition des symptômes • Amnésie précoce et sévère • Désorientation spatiale • Discours de type logoclonique avec fuite des idées • Myoclonie • Faiblesse corticospinale • Ataxie cérébelleuse • Chorée-athétose Investigations • Imagerie cérébrale : anomalie morphologique ou fonctionnelle prédominant en postérocentral ; lésions multifocales au scanner ou à l’IRM • Tests de laboratoire indiquant une participation cérébrale dans un trouble métabolique ou inflammatoire comme la sclérose multiple, la syphilis, le sida et l’encéphalite herpétique Arguments diagnostiques d’exclusion relatifs Histoire typique d’alcoolisme chronique Hypertension chronique Antécédent de pathologie vasculaire (e. g. angor, claudication) mot et des paraphasies phonémiques. La programmation syntaxique est perturbée et il existe des erreurs grammaticales. Dans cette forme, les lésions prédominent au niveau de l’hémisphère gauche dans les régions operculaires, de Broca et insulaire profonde. Démence sémantique La démence sémantique débute par un trouble sémantique se manifestant par la perte de la signification des mots, des images et des objets. Le discours est fluent, souvent même 1479 Arguments cliniques diagnostiques de la démence frontotemporale : les modifications du caractère et les perturbations des conduites sociales sont les signes prédominants dès le début de la symptomatologie et tout au long de la maladie. Les fonctions instrumentales de perception, des capacités spatiales, des praxies, et de la mémoire sont intactes ou relativement bien préservées. Mise au point troubles cognitifs et démences Le Ber I, Dubois B logorrhéique, peu informatif et ponctué de paraphasies sémantiques. L’atteinte prédomine dans les régions temporales antérieures, latérales et inférieures. Formes cliniques particulières Association démence frontotemporale et syndrome parkinsonien Examens paracliniques Un syndrome parkinsonien d’apparition tardive est observé dans 20 à 30 % des cas. Il apparaît souvent après 3 ou 4 ans d’évolution de la maladie. Il s’agit le plus souvent d’un syndrome akinéto-hypertonique. Un tremblement de repos est plus rarement associé. L’association d’un syndrome parkinsonien à la démence frontotemporale a été initialement rapportée dans les familles ayant une mutation du gène de la protéine Tau (chromosome 17). Cette association semble n’être en fait pas spécifique de cette forme particulière et est aussi fréquente dans les autres formes de démence frontotemporale. Evaluation neuropsychologique Association démence frontotemporale et sclérose latérale amyotrophique La SLA est due à une dégénérescence progressive des motoneurones de la moelle épinière, du bulbe et du cortex cérébral. Elle est caractérisée cliniquement par l’association de signes et de symptômes témoignant d’une atteinte du motoneurone périphérique (atteinte spinale : paralysies, fasciculations, hypotonie et abolition des réflexes) et du motoneurone central (atteinte bulbaire, hypertonie, exagération des réflexes). Quel que soit le mode de début (bulbaire ou spinal), la maladie se propage peu à peu aux autres territoires. Elle conduit de façon lente et inexorable vers le décès en 5 ans en moyenne. Le décès survient classiquement par atteinte des muscles respiratoires. La coexistence entre une atteinte du motoneurone et un syndrome démentiel a été signalée depuis longtemps dans la littérature. On estime que 15 % des patients atteints de démence frontotemporale ont aussi une atteinte de la corne antérieure. La démence survient dans la majorité des cas avant les premiers signes cliniques de SLA, qui apparaissent environ 1 à 2 ans après le début du syndrome démentiel [13]. La maladie associe alors les symptômes classiques de chacune des 2 maladies. L’association d’une SLA à la démence frontotemporale modifie considérablement le pronostic vital du patient. En effet, si la démence frontotemporale a une durée moyenne de 7 ans, l’association démence frontotemporale et SLA chez un même patient est rapidement progressive et mortelle, dans la majorité des cas par pneumopathie, 2 à 3 ans seulement après l’apparition des premiers symptômes de SLA. L’observation de familles avec des patients atteints de démence frontotemporale « pure », de SLA « pure » et de l’association démence frontotemporale 1480 et SLA au sein d’une même famille permet de faire l’hypothèse que la démence frontotemporale et la SLA partagent, au moins partiellement, un même mécanisme pathogénique. Aucun gène n’est connu dans les formes familiales de démence frontotemporale-SLA. L’évaluation neuropsychologique peut être normale ou discrètement perturbée au début de la maladie. Cependant le syndrome frontal cognitif devient de plus en plus apparent au cours de l’évolution de la maladie et l’examen neuropsychologique peut alors être une aide importante au diagnostic. Le Mini Mental Test (MMSE) de Folstein est normal ou peu perturbé, du moins au début de la symptomatologie. L’échelle de démence MDRS (Mattis dementia rating scale) est souvent plus altérée que le MMSE (Mini Mental State Examination), de même que les tests évaluant les fonctions frontales (batterie rapide d’efficience frontale), l’élaboration, le maintien et le changement de règles (épreuve de classement de cartes de Wisconsin), la flexibilité mentale (Trail Making Test) et la sensibilité aux interférences (test de Stroop). Les troubles mnésiques atteignent essentiellement les processus de récupération (perturbation du rappel libre) alors que le patient bénéficie de l’indiçage lors du rappel différé (peu de perturbation du stockage) (FRCT, Free and cued recall test). Les troubles du langage sont précoces, voire inauguraux. Ils consistent le plus souvent en une diminution des productions verbales et des fluences, avec des paraphasies sémantiques ou phonémiques, une écholalie. Imagerie cérébrale La tomodensitométrie cérébrale et l’imagerie par résonance magnétique peuvent être normales au début de la maladie. Avec l’évolution apparaît une atrophie du lobe frontal bilatérale prédominant dans les régions frontales médianes et orbitaires, parfois asymétrique, et de la partie antérieure des lobes temporaux. Un élargissement des cornes frontales des ventricules latéraux est associé (figure 1). La tomographie par émission de simple photon (TEMP) est un outil diagnostique important de par sa sensibilité et sa spécificité. Elle montre une hypoperfusion des lobes frontaux et de la partie antérieure des lobes temporaux (figure 2), et ceci de façon souvent précoce, parfois avant même que l’atrophie ne soit visible par les techniques d’imagerie habituelles [14]. Dans l’aphasie progressive non fluente, les anomalies anatomiques et de perfusion prédominent au niveau de l’hémisphère gauche dans la région frontale latérale et inférieure (opercule rolandique, pied de F3, région insulaire). Dans la démence sémantique, elles prédominent dans les régions antérolatérales et inférieures des lobes temporaux. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démences frontotemporales Mise au point troubles cognitifs et démences F ig u r e 1 TDM cérébrale chez un patient atteint de démence frontotemporale Atrophie prédominant dans les régions frontales et temporales avec respect des régions postérieures. F ig u r e 2 L’électroencéphalogramme est normal, ce qui constitue un critère de diagnostic positif de la démence frontotemporale, de même que le bilan biologique. Difficultés diagnostiques Troubles psychiatriques Certains symptômes peuvent être communs avec les maladies psychiatriques : inertie, apathie, plaintes hypocondriaques, comportements obsessionnels, etc. Le diagnostic différentiel est donc parfois difficile avec certaines maladies psychiatriques, notamment la dépression, et certains patients sont suivis plusieurs années en psychiatrie avant que le diagnostic de démence frontotemporale ne soit établi. Maladie d’Alzheimer Excepté pour les rares formes frontales de maladie d’Alzheimer, le diagnostic différentiel avec cette affection ne pose habituellement pas de problème. Les démences frontotemporales débutent plus précocement par des troubles comportementaux, alors tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 TEMP chez un patient atteint de démence frontotemporale Hypoperfusion corticale sévère, très marquée au niveau du cortex frontal (A : sections sagittales ; B : sections axiales). que les troubles mnésiques sont au premier plan dans la maladie d’Alzheimer. Le profil neuropsychologique est différent : profil dysexécutif dans la démence frontotemporale, syndrome amnésique hippocampique dans la maladie d’Alzheimer. La topographie des lésions, qui prédominent dans les régions frontales et temporales, est très différente de celle observée dans la maladie d’Alzheimer où l’atrophie prédomine dans les régions hippocampiques et pariétotemporales. La TEMP peut ainsi apporter une aide au diagnostic différentiel entre ces 2 maladies. Enfin, l’évolution de la maladie est plus rapide dans la démence frontotemporale, où le délai moyen est de 7 ans, que dans la maladie d’Alzheimer (10 ans). Formes génétiques La composante génétique est importante dans cette maladie : 30 à 50 % des patients atteints de démence frontotemporale ont des antécédents familiaux de la maladie. Dans la majorité 1481 Autres investigations Le Ber I, Dubois B des cas la transmission est autosomique dominante avec une pénétrance élevée. Dans les années 1990, un locus a été identifié sur le chromosome 17 (17q21-22) dans plusieurs grandes familles atteintes de démence frontotemporale autosomique dominante (FTD-17) [15, 16]. Des mutations du gène MAPT codant pour la protéine Tau et localisé dans cette région ont été identifiées en 1998 dans quelques-unes de ces familles [17]. Cependant aucune mutation de ce gène n’a été retrouvée dans d’autres familles FTD-17 qui avaient par ailleurs des caractéristiques neuropathologiques particulières : présence d’inclusions neuronales Tau-négative et ubiquitine-positive (FTDU-17). Récemment 2 équipes viennent d’identifier le gène responsable dans ces familles. Il s’agit du gène PGRN, localisé dans la région 17q21 à proximité du gène MAPT et qui code pour la progranuline. On sait donc maintenant que 2 gènes localisés dans la même région sur le chromosome 17 sont responsables des “FTD-17” : MAPT et PGRN. Ce sont les 2 principaux gènes actuellement connus dans les formes familiales de démence frontotemporale. Ils ne rendent compte cependant que de 20-30 % environ des formes familiales autosomiques dominantes. Gène MAPT (Microtubule Associated Protein Tau) 1482 Le gène MAPT est le premier gène identifié dans les démences frontotemporales [17-19]. Ce gène code pour la protéine Tau (tubulin associated unit) qui possède 4 domaines de liaison au microtubule et est fortement exprimée dans le cerveau humain adulte. Dans le cerveau humain adulte, 6 isoformes sont présentes résultant de l’épissage alternatif des exons 2, 3 et 10. Dans les neurones, elle est majoritairement retrouvée dans les axones où elle joue un rôle important dans l’assemblage et la stabilisation des microtubules. La protéine Tau est un composant majeur des dégénérescences neurofibrillaires observées dans la maladie d’Alzheimer. Plus de 40 mutations de ce gène ont été identifiées dans plus d’une centaine de familles dans le monde [20]. La plupart des mutations sont localisées dans les exons 9 à 13 codant pour les domaines de liaison aux microtubules. Les mutations de ce gène sont associées à une grande hétérogénéité phénotypique et neuropathologique. Elles peuvent être variablement associées à un phénotype de démence frontotemporale classique, de dégénérescence pallidopontonigrique (N279K), de paralysie supranucléaire progressive (R5L, N279K, S305S, DN296, E10+16) ou de dégénérescence corticobasale (N296N, P301S), et à des caractéristiques neuropathologiques variables : taupathie, maladie de Pick (K257T, S320F, Q336R, K369I, G389R) ou gliose sous-corticale progressive (E10+16). La fréquence des mutations du gène MAPT dans les formes familiales de démence frontotemporale varie beaucoup (10 à 50 %) selon les études, les critères établis et les populations [11, 21, 22]. En France, la fréquence des mutations de ce gène est approximativement de 3 % chez les patients atteints de démence frontotemporale et proche de 10 % dans les formes familiales de la maladie. Gène PGRN Des mutations du gène PGRN ont été identifiées très récemment dans plusieurs familles atteintes de démence frontotemporale d’origine belge, hollandaise et nord-américaine [23, 24]. Ce gène code pour la progranuline, une protéine ubiquitaire précurseur des granulines/épithélines. C’est un facteur de croissance qui a des fonctions multiples et intervient dans les mécanismes de cicatrisation, immunitaires et dans la tumorigenèse. La fonction de la progranuline au niveau cérébrale n’est pas connue. Dans les familles avec mutation, l’âge de début est très variable, et des âges extrêmes de 45 à 86 ans ont été rapportés. Le phénotype est également variable et peut être celui d’une démence frontotemporale classique, associée ou non à un syndrome parkinsonien, ou d’une dégénérescence corticobasale [25]. Un mode de début marqué par la prédominance de troubles du langage (aphasie primaire progressive) n’est pas rare [26, 27]. La fréquence des mutations de ce gène est proche de 5 % dans les démences frontotemporales et atteint 15 % dans les formes familiales de la maladie. Du point de vue neuropathologique, ces mutations sont caractérisées par la présence d’inclusions neuronales cytoplasmiques et nucléaires marquées par les anticorps anti-ubiquitine et Tau-négative. Les inclusions nucléaires ont parfois une forme ovalaire très évocatrice (“cat-eye”). Deux autres gènes connus : VCP et CHMP2B Des mutations du gène VCP (Valosin-Containing Protein), localisé sur le chromosome 9, ont été identifiées en 2004 [28]. Elles sont responsables d’un phénotype complexe associant une démence frontotemporale, une myopathie à inclusions et une maladie de Paget des os [28]. Le phénotype peut cependant être incomplet chez un patient ou variable au sein d’une famille. L’implication de ce gène semble cependant relativement rare. À ce jour, une quinzaine de familles seulement ont été rapportées dans le monde. Des mutations du gène CHMP2B localisé sur le chromosome 3 ont été identifiées dans 3 familles de démence frontotemporale ou de SLA [29]. Les mutations de ce gène semblent encore plus rares que celles du gène VCP. Les autres gènes responsables de formes familiales de démence frontotemporale restent à identifier. Caractéristiques neuropathologiques Le diagnostic de certitude repose sur l’examen neuropathologique. Macroscopiquement, on observe une atrophie des lobes frontaux et temporaux, ainsi qu’une dilatation ventriculaire. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démences frontotemporales Microscopiquement, une perte neuronale, une spongiose diffuse des couches superficielles du cortex et une gliose sont présentes. Les démences frontotemporales sont hétérogènes sur le plan neuropathologique. Les techniques immunohistochimiques récentes ont grandement facilité le diagnostic des différents sous-types. On distingue, en fonction de ces différentes caractéristiques : • les tauopaties, caractérisées par l’accumulation de protéine Tau dans les neurones sous formes d’inclusions neuronales Tau-positives (dont les formes avec mutations du gène MAPT) ou de corps de Pick (maladie de Pick) ; • les inclusions ubiquitine-positives, Tau-négatives : elles constituent le marqueur histopathologique de certaines formes de démence frontotemporale “pures” comme les FTDU17 (mutations PGRN) et des démences frontotemporales-SLA ; • la gliose sous-corticale progressive ; • les démences avec inclusions neurofilamentaires (NIFID) ; • la démence sans signe histologique spécifique. Les 2 premiers sous-types sont les plus fréquents. Approches thérapeutiques Il n’y a actuellement aucun traitement spécifique de cette affection. Les approches thérapeutiques actuelles visent à restaurer les déficits en neurotransmetteurs observés chez les patients atteints de démence frontotemporale. Le système cholinergique n’est pas atteint, expliquant l’absence d’efficacité et d’indication des anticholinestérasiques dans cette maladie. Ils peuvent même être délétères et aggraver les troubles comportementaux de la démence frontotemporale. Sérotoninergiques Une diminution des récepteurs sérotoninergiques a été montrée dans les cortex frontaux et temporaux des patients atteints de démence frontotemporale, ainsi qu’une diminution de la sérotonine dans le liquide céphalorachidien. Reposant sur ces observations, plusieurs études ont évalué les traitements sérotoninergiques dans cette maladie et montré leur efficacité sur les troubles comportementaux et du contrôle émotionnel. Les sérotoninergiques sont actuellement prescrits en traitement de première intention dans la démence frontotemporale. Les inhi- biteurs de la recapture de la sérotonine (IRSS) comme la sertraline, la fluoxétine ou la paroxétine ont montré leur efficacité sur la désinhibition, l’hyperoralité et les comportements compulsifs [30]. La trazodone (Trazolan®, 200-300 mg/j) est un sérotoninergique atypique, antagoniste post-synaptique 5-HTa2c et agoniste 5-HT1a, qui peut être prescrit sous forme d’ATU (autorisation temporaire d’utilisation). Cette molécule permet de réduire notablement les troubles comportementaux, en particulier l’irritabilité, l’agitation motrice, les troubles du comportement alimentaire, la désinhibition, les thématiques délirantes et la dépression [31]. Mise au point troubles cognitifs et démences Autres possibilités thérapeutiques La prescription de neuroleptiques atypiques à faible dose (rispéridone, olanzapine) ou d’antiépileptiques (valproate de sodium ou carbamazépine) peut être nécessaire en seconde intention. Prise en charge globale Un soutient psychologique doit être apporté aux patients et à leur famille. Les services sociaux peuvent informer sur les aides sociales et financières (APA : aide personnalisée à l’autonomie, aides à domiciles, etc.) et les structures d’accueil temporaires ou définitives. Des mesures de sauvegarde de justice (tutelle, curatelle) doivent être adoptées dès que nécessaires. Enfin les associations de malades (France Alzheimer) peuvent représenter une aide utile pour informer et aider les familles dans leurs démarches. Conclusion Les démences frontotemporales constituent des pathologies hétérogènes dont les bases physiopathologiques demeurent mal connues pour le moment. Cependant, les progrès récents concernant la génétique et les techniques d’imagerie devraient permettre des avancées importantes dans ce domaine et laissent espérer la mise au point dans les années à venir de thérapeutiques spécifiques. Conflits d’intérêts : aucun Références 2 Gustafson L. 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[email protected] ■ Key points ■ Points essentiels Lewy body dementia and Parkinson disease dementia La démence à corps de Lewy et la démence associée à la maladie de Parkinson représentent deux causes fréquentes de démences dégénératives : 20 % des démences chez les patients de plus de 65 ans pour la première et près de 80 % des patients atteints de maladie de Parkinson évoluée pour la seconde. La démence à corps de Lewy a une sémiologie caractérisée par des fluctuations des performances cognitives, une atteinte cognitive sous-cortico-frontale et visuospatiale, des hallucinations visuelles et une symptomatologie parkinsonienne. La démence associée à la maladie de Parkinson a 2 formes sémiologiques : une forme “sous-corticale”, caractérisée par un syndrome frontal où prédominent apathie, apragmatisme ; une forme “corticale”, avec des symptômes proches de ceux de la démence à corps de Lewy. La parfaite gestion des facteurs iatrogéniques potentiels est importante, avec des psychotropes au strict minimum indispensable, une monothérapie par L-dopa à la posologie minimale acceptable pour corriger la symptomatologie motrice parkinsonienne. Les inhibiteurs d’acétylcholinestérase présentent un intérêt dans ces 2 démences (AMM pour la rivastigmine dans la démence associée à la maladie de Parkinson) et de la clozapine pour contrôler les hallucinations. Lewy body dementia and Parkinson disease dementia are frequent causes of degenerative dementia: 20% of the dementias in patients older than 65 years are caused by the former and nearly 80% of patients with advanced Parkinson disease develop the latter. Symptoms of Lewy body dementia include fluctuations of cognitive performance, frontal and visuospatial impairment, visual hallucinations, and parkinsonism. Parkinson disease dementia could be differenciated in two subtypes: a “subcortical” subtype, characterized by frontal impairment with apathy and dullness and a “cortical” subtype with symptoms similar to those of Lewy body dementia. Mastery of potential iatrogenic factors is important: psychotropic drugs must be prescribed at the strict minimum, and L-dopa monotherapy at the minimal dose acceptable for correcting Parkinsonian motor symptoms should be the rule. Acetylcholinesterase inhibitors may be useful in both these types of dementia: rivastigmine is approved for treating Parkinson disease dementia and clozapine for reducing hallucinations. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.025 1485 Disponible sur internet : le 14 juin 2007 Meyniel C, Damier P M oins connues que la maladie d’Alzheimer, la démence à corps de Lewy et la démence associée à la maladie de Parkinson sont pourtant 2 causes fréquentes d’altération cognitive neurodégénérative. Le spectre sémiologique de ces affections est large et leurs limites nosologiques encore discutées, mais des avancées thérapeutiques récentes permettent de dégager quelques stratégies de prise en charge pragmatiques. Parmi les démences dégénératives, ce sont probablement celles pour lesquelles une stratégie thérapeutique bien dirigée conduit à des résultats souvent probants et parfois même spectaculaires. Démence à corps de Lewy : un spectre clinique mieux identifiable, des traitements utiles Deuxième cause de démence chez le sujet de plus de 65 ans La démence à corps de Lewy est en fréquence la deuxième cause des démences chez les patients âgés de plus de 65 ans. Elle est à l’origine d’environ 20 % des démences dans cette classe d’âge. La dénomination “démence à corps de Lewy” aujourd’hui admise impose quelques explications nosologiques préliminaires [1]. Basée sur un terme neuropathologique, elle a une connotation pathogénique trop forte que la clinique seule ne peut affirmer. Du point de vue clinique, il faut en fait entendre sous le terme “démence à corps de Lewy” un tableau sémiologique particulier auquel est associée avec une probabilité élevée une dégénérescence cérébrale caractérisée par la présence d’inclusions neuronales et extraneuronales particulières, les corps de Lewy [2]1. Un spectre d’aspects cliniques large mais différenciable de celui de la maladie d’Alzheimer L’aspect clinique le plus connu de la démence à corps de Lewy est, comme son nom l’indique, une démence. Les troubles cognitifs débutent comme cela est classique dans les maladies neuro- Glossaire BREF COMT CT-scan IMAO IRM batterie rapide d’évaluation des fonctions frontales catéchol-O-méthyl transférase Computerized Tomography scan inhibiteur de la monoamine-oxydase imagerie par résonance magnétique 1486 1. À noter que la problématique est identique dans la maladie d’Alzheimer : à partir d’une présentation clinique particulière, le diagnostic est supposé par le clinicien et il dénomme une entité nosologique reposant sur une neuropathologie dont la preuve n’est que rarement obtenue ; le développement de biomarqueurs pourrait dans les années à venir aider à un cadrage nosologique plus précis. dégénératives souvent de façon insidieuse. Contrairement à la maladie d’Alzheimer, les troubles mnésiques ne sont généralement pas au premier plan au stade précoce [3]. La présentation est plutôt celle d’épisodes confusionnels récurrents, volontiers favorisés par des facteurs iatrogènes ou une affection médicale intercurrente, dans un contexte d’altération progressive des fonctions cognitives (troubles attentionnels, perte du sens critique, apragmatisme). Parfois, la symptomatologie initiale est celle d’une maladie de Parkinson, mais qui rapidement (par définition en moins d’un an) se complique d’une altération cognitive telle qu’observée dans la présentation classique de la démence à corps de Lewy [1]. Plus rarement, la maladie se révèle par des troubles du sommeil ou des troubles végétatifs. Avec l’évolution les troubles cognitifs se précisent. Les troubles mnésiques deviennent plus nets. Ils portent essentiellement sur la mémoire épisodique. Le test des 5 mots peut être utilisé pour évaluer les capacités mnésiques (encadré 1). Par rapport aux troubles mnésiques de la maladie d’Alzheimer, les performances sont souvent améliorées par l’indiçage (le fait d’indiquer la catégorie à laquelle appartient l’item à retrouver aide le patient ; par exemple : « quel nom de fruit vous ai-je demandé de mémoriser ? ») et les intrusions (le sujet donne de façon erronée un nom de la même catégorie : “orange” alors que l’item fruit à retenir était “abricot”) sont moins nombreuses. Des troubles visuospatiaux sont fréquemment pré- Encad ré 1 Une évaluation rapide et instructive des capacités mnésiques : le test des 5 mots Une liste de 5 mots est donnée à apprendre au patient. Chaque mot appartient à une catégorie particulière (animal, fruit, instrument de musique, etc.) et ne doit pas être un mot “évident” de la catégorie (“myosotis” pour une fleur plutôt que “rose”). Il faut s’assurer que la liste est correctement apprise (en vérifiant que le patient est capable de les répéter). À quelques minutes de distance de l’apprentissage (une autre tâche cognitive est faite dans l’intervalle), le patient doit restituer les 5 mots. Pour le ou les mots qu’il ne retrouve pas spontanément, lui sont fournis des indices : « quelle était la fleur ? », « quel était le fruit ? », etc. Puis pour le (ou les) mot(s) encore non retrouvé(s), est proposé de le (les) reconnaître au sein d’une liste de 5 mots de la catégorie du mot recherché : « parmi les 5 fleurs suivantes […] quelle était celle que je vous avais demandé de mémoriser ? ». Si le patient a des difficultés d’encodage (ce qui est typiquement observé dans la maladie d’Alzheimer), indiçage et reconnaissance ne sont que peu d’aide ; il y a même souvent des “intrusions” c’est-à-dire l’énoncé de mots de la catégorie autre que celui qui était à apprendre (par exemple, “tulipe” alors que le mot demandé était “myosotis”). Au contraire, si le patient n’a pas de problème d’encodage mais des problèmes de rappel mnésique, indiçage ou reconnaissance l’aident à retrouver les mots appris. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson Des explorations complémentaires dont la contribution reste à démontrer L’électroencéphalogramme est très souvent altéré, mais avec des modifications sans grande spécificité (tracé ralenti, tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 vagues d’ondes lentes). L’imagerie cérébrale morphologique (CT-Scan : Computerized Tomography scan, IRM : imagerie par résonance magnétique) met en évidence une atrophie cortico-sous-corticale plus ou moins marquée, sans spécificité et a pour principal intérêt l’élimination de certains diagnostics différentiels d’une altération cognitive. L’imagerie fonctionnelle, en particulier la scintigraphie cérébrale, semble intéressante : les mesures de débit sanguin cérébral montrent une réduction d’activité au niveau frontal et pariétooccipital [7] ; les marqueurs du système dopaminergique (DATscan®) peuvent révéler la dénervation dopaminergique [8]. La sensibilité de ces examens par rapport aux données cliniques reste cependant à démontrer. Une évolution péjorative classiquement plus rapide que dans la maladie d’Alzheimer L’absence d’études épidémiologiques large avec authentification neuropathologique du diagnostic ne permet pas d’avoir de données très précises sur ce sujet. L’évolution se fait vers une accentuation des troubles cognitifs avec un progressif retrait de toute vie communicative et une accentuation de la symptomatologie parkinsonienne. Par les chutes, les troubles de déglutition et la plus rapide exposition aux complications de l’immobilité que cette composante entraîne, le pronostic vital serait moins bon que dans la maladie d’Alzheimer. Les traitements actuellement disponibles sont peut-être en train de modifier cette vision classique. Des options thérapeutiques utiles Même si, faute d’études conduites sur un très grand nombre de patients, le niveau de preuve des essais thérapeutiques dans cette maladie reste moyen, plusieurs traitements ont démontré une certaine efficacité et se révèlent en pratique clinique souvent très utiles. Une fois le diagnostic évoqué, un “ménage thérapeutique” est le premier acte à entreprendre. Les patients atteints de démence à corps de Lewy sont comme vu précédemment extrêmement sensibles aux facteurs iatrogènes. Les traitements psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs) sont souvent utilisés face à des troubles cognitivocomportementaux débutants. Leur pertinence est à évaluer soigneusement et le traitement à simplifier progressivement. Une vigilance particulière est à apporter aux médicaments ayant des propriétés anticholinergiques (antidépresseurs tricycliques, certains sédatifs, mais aussi des médicaments à visée urinaire). Les performances cognitives des patients y sont très sensibles. Le traitement dopaminergique parfois nécessaire pour corriger les symptômes parkinsoniens (cf. infra) doit se résumer aux doses minimales de L-dopa pour réduire les effets indésirables psychiques de ce traitement. 1487 sents. Le patient a du mal à gérer son environnement visuel, comme en témoignent ses difficultés à reproduire un dessin complexe, à positionner les heures sur un cadran d’horloge. Les fonctions instrumentales (langage, praxie) sont en revanche longtemps préservées. Un dysfonctionnement frontal est pratiquement toujours présent avec en particulier des troubles attentionnels, une réduction de la fluence verbale, un apragmatisme, une altération des capacités de jugement. Le caractère fluctuant des troubles cognitifs et des capacités attentionnelles est typique de cette affection avec un niveau de performance variable d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre. Des troubles de vigilance avec somnolence diurne sont souvent présents [4]. Des hallucinations sont fréquemment présentes. Elles peuvent être inaugurales, survenir de façon spontanée ou être favorisées par un facteur iatrogénique. Il s’agit essentiellement d’hallucinations visuelles, colorées à type de personnes ou d’animaux. Le patient n’y est pas le plus souvent totalement adhérent et peut les critiquer. Un syndrome parkinsonien est observé chez 25 à 50 % des patients. Le tableau moteur peut être assez proche de celui observé dans une maladie de Parkinson. Le tremblement de repos est néanmoins peu fréquent et la symptomatologie prédomine volontiers en axial : troubles de la marche, amimie, rigidité nucale. La symptomatologie motrice est partiellement réversible par le traitement dopaminergique [5]. Néanmoins, l’efficacité de ce traitement est surtout nette sur le syndrome parkinsonien périphérique (touchant les membres) qui est ici moins souvent au premier plan que dans la maladie de Parkinson et surtout le renforcement posologique se heurte à une mauvaise tolérance psychique (hallucinations, confusion). Le syndrome parkinsonien peut parfois être inaugural, ne se différenciant pas les premiers temps d’une maladie de Parkinson classique. Il est parfois révélé en cours d’évolution à l’occasion d’une prise de neuroleptique. Les patients sont en effet particulièrement sensibles à ce type de médicament et le tableau moteur peut être alors parfois sévère. Des troubles du comportement du sommeil paradoxal sont possibles et assez caractéristiques. Ils sont le fait de la moindre efficacité de la “paralysie physiologique” qui accompagne normalement cette phase de sommeil où se déroulent les rêves. Les patients ont donc tendance à “vivre” leurs rêves [6]. Le système neurovégétatif étant volontiers atteint par le processus pathogénique, des troubles tensionnels avec des hypotensions en particulier orthostatiques sont fréquents. Ils peuvent être à l’origine de syncopes. Des troubles sphinctériens sont parfois présents. Mise au point troubles cognitifs et démences Meyniel C, Damier P Ce “ménage” thérapeutique a souvent un effet favorable sur les hallucinations. Si malgré tout ces dernières persistent et ont des conséquences comportementales importantes, un traitement neuroleptique s’impose. L’hypersensibilité des patients atteints de démence à corps de Lewy aux neuroleptiques impose de les utiliser à des doses minimes et, sauf altération cognitive déjà sévère, à privilégier l’utilisation de la clozapine. Même si le risque d’agranulocytose rend son utilisation compliquée (nécessité d’une surveillance hématologique étroite), c’est le seul neuroleptique à être vraiment dépourvu d’effets indésirables moteurs parkinsoniens. Ce médicament est à utiliser à des doses plus faibles que celles classiquement requises en psychiatrie : 12,5 mg/j peuvent suffire, il est rare d’aller au-delà de 75 mg/j [9]. Les anticholinestérasiques ont montré leur intérêt dans le traitement des troubles cognitifs de la démence à corps de Lewy [10]. D’expérience l’effet est même souvent plus net que dans la maladie d’Alzheimer. Ces médicaments semblent en outre avoir des effets favorables sur les hallucinations. Outre les troubles digestifs qui peuvent perturber l’initiation de ces médicaments, le principal effet secondaire peut être la majoration du syndrome parkinsonien. La gestion du syndrome parkinsonien lorsqu’il est marqué et invalidant repose exclusivement sur la L-dopa. Les agonistes dopaminergiques, les IMAO-B (inhibiteurs de la monoamineoxydase B) et bien sûr les anticholinergiques ne sont pas tolérés sur le plan psychique par ces patients. La posologie de la L-dopa est à utiliser au minimum nécessaire pour le patient. Ce n’est pas une parfaite correction de la symptomatologie motrice qui est recherchée mais le meilleur compromis entre l’effet bénéfique moteur et les effets indésirables psychiques. Enfin, à côté des médicaments, une prise en charge régulière en kinésithérapie pour les troubles moteurs, un soutien psychologique et le maintien d’une stimulation cognitive sont souvent d’un apport intéressant, même si dans ce domaine les preuves d’efficacité, difficiles à obtenir, sont inexistantes. Démence associée à la maladie de Parkinson Fréquente mais sous-diagnostiquée 1488 La maladie de Parkinson est considérée avant tout comme une maladie motrice avec la classique triade akinésie, rigidité, tremblement. Le développement ces dernières années de traitements médicaux, voire chirurgicaux dans certains cas, efficaces sur ces symptômes a progressivement révélé la dimension cognitive de cette maladie. L’altération des fonctions supérieures s’avère en effet un problème évolutif fréquent mais encore sous-diagnostiqué. Par définition, le terme de démence associée à la maladie de Parkinson désigne toute altération cognitive survenant au-delà de la première année d’évolution clinique de maladie motrice (à savoir syndrome parkinsonien amélioré ou ayant été amélioré de façon claire par un traitement dopaminergique) [11]. La différenciation nosologique avec la forme “parkinsonienne” de démence à corps de Lewy (où par définition la détérioration cognitive précède ou s’installe dans l’année suivant les premiers troubles moteurs) apparaît donc un peu artificielle. Classiquement, un syndrome démentiel affecte 30 % des patients atteints de maladie de Parkinson. Des suivis de cohorte et la recherche systématique des troubles cognitifs ont en fait récemment montré que cette fréquence était largement sous-évaluée, avec après plus de 10 ans de suivi une fréquence de troubles cognitifs conséquents chez près de 80 % des patients [12]. Outre la durée évolutive, l’âge est un facteur de risque indépendant important de développement d’une démence. La prévalence de la démence est presque nulle chez les patients parkinsoniens âgés de moins de 50 ans alors qu’elle s’élève à 70 % chez les plus de 80 ans. Certaines formes de maladie comme les formes dites axiales (rigidité axiale, dysarthrie, troubles de la marche et de l’équilibre) seraient à plus haut risque d’altération cognitive. Ces formes sont volontiers rencontrées lors des débuts à âge tardif de la maladie [11]. Une sémiologie faite de deux formes cliniques De façon schématique, 2 grands aspects sémiologiques peuvent être distingués, une forme “sous-corticale” et une forme “corticale”, même si chez de nombreux patients existe une combinaison de ces 2 formes [13]. Bien que cette subdivision ne soit pas toujours reconnue dans la littérature, elle pourrait avoir un impact thérapeutique. La forme “sous-corticale” est la plus fréquemment observée, elle concerne environ 2/3 des patients avec démence. Dans cette forme prédomine un dysfonctionnement frontal d’où la présence au premier plan de troubles du comportement. Initialement, ils consistent en un repli progressif et un certain degré d’apathie avec réduction de la motivation, indifférence affective. Ils peuvent aussi se traduire par une moindre capacité à appréhender les tâches complexes, comme la gestion du traitement médicamenteux (probablement un bon indicateur dans cette maladie où ce traitement est souvent complexe et exigeant sur les horaires), la comptabilité personnelle, le bricolage, etc. Ces troubles peuvent évoluer jusqu’à un apragmatisme majeur. Cette symptomatologie est en fait généralement insidieuse et assez peu spécifique, d’où un fréquent retard diagnostique voire une absence de diagnostic. Elle est en effet difficile à apprécier chez un patient ralenti sur le plan moteur, qui en raison de difficultés de parole a tendance à moins s’exprimer. Elle peut aussi être faussement prise pour une symptomatologie dépressive dont souffrent souvent ces patients. Une évaluation cognitive est donc à faire face à ce type de troubles du comportement et même en fait de façon régulière (annuelle) au cours du suivi d’un patient atteint de tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson Une stratégie thérapeutique qui se précise La stratégie thérapeutique est assez similaire à celle de la démence à corps de Lewy. La principale différence vient de la présence systématique d’un traitement dopaminergique pour corriger les troubles moteurs. Devant l’apparition de troubles cognitifs, la première étape vise à la simplification pour réduire autant que faire se peut les facteurs iatrogéniques. Les traitements psychotropes (benzodiazépines, antidépresseurs), fréquemment reçus par les patients parkinsoniens sont à diminuer et si possible à stopper. Le traitement antiparkinsonien doit progressivement se simplifier pour tendre vers la L-dopa en monothérapie : arrêt des anticholinergiques bien sûr, puis dans l’ordre des IMAO-B, des agonistes dopaminergiques. La L-dopa est à utiliser à la dose minimale indispensable sur le plan moteur ; elle peut être optimisée par l’utilisation d’inhibiteurs de la COMT (catéchol-O-méthyl transférase) si des fluctuations d’efficacité sont présentes. De façon un peu surprenante, lorsque l’évolution s’est compliquée d’une détérioration cognitive, les patients ont en fait souvent besoin de doses de traitement dopaminergique moindre pour contrôler la symptomatologie motrice que celles antérieurement nécessaires. Plusieurs études ont suggéré l’intérêt des d’inhibiteurs de l’acétylcholinestérase dans la démence parkinsonienne. La démonstration de cette efficacité dans une étude contrôlée sur plus de 300 patients [16] a conduit à l’enregistrement récent de la rivsatigmine comme traitement de la démence parkinsonienne. Les principaux effets secondaires signalés sont les nausées et vomissements à la mise en route du traitome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 tement (intérêt d’une progression posologique lente) et plus rarement d’une majoration des symptômes parkinsoniens, en particulier du tremblement. Des études complémentaires ont montré que ces médicaments seraient plus particulièrement efficaces dans les formes où existent des hallucinations ou des troubles attentionnels, c’est-à-dire dans les formes “corticales” de la démence parkinsonienne [17]. Cette efficacité est souvent assez notable voire spectaculaire chez certains patients. L’effet de ces médicaments sur les formes “souscorticales” d’atteinte cognitive est par contre souvent moins net. En pratique, une fois la posologie maximale tolérée atteinte, il faut savoir, après une durée d’utilisation de l’ordre de 3 mois, arrêter ce type de traitement s’il n’a pas clairement apporté de bénéfice au patient. Comme dans la démence à corps de Lewy, la clozapine le plus souvent à faible dose (12,5 à 75 mg/j) a une place importante dans le traitement des hallucinations associées aux démences parkinsoniennes, si elles persistent une fois les actions thérapeutiques décrites ci-dessus appliquées [18]. Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson : une même maladie ? La description du tableau clinique et de leur problématique thérapeutique fait apparaître des similitudes entre ces 2 affections et les limites du spectre de l’une à l’autre sont parfois un peu artificielles. S’agit-il donc d’une même maladie ? La réponse à cette question est en fait directement liée à la définition appliquée au terme maladie. Si cette dernière est définie par un ensemble de symptômes dans un contexte temporel, il s’agit tel que présenté dans les chapitres précédents de maladies différentes. Avec les 2 formes de démence associée à la maladie de Parkinson, c’est même 3 affections qui peuvent être différenciées. Ces différences sont la traduction de distributions lésionnelles cérébrales différentes en termes de topographie (forme “sous-corticale” versus forme “corticale” de démence associée à la maladie de Parkinson) ou en termes de décours temporel (forme “corticale” de démence parkinsonienne et démence à corps de Lewy). Si la définition d’une maladie s’adresse au mécanisme pathogénique sousjacent, ces maladies s’avèrent en fait assez proches. Le stigmate neuropathologique qu’est le corps de Lewy leur est en effet commun [19]. Ce dernier dénote d’une dégénérescence neuronale associée à des anomalies du catabolisme protéique cellulaire, en particulier du système ubiquitine-protéasome. Des progrès importants ont été faits ces dernières années sur les différentes étapes impliquées dans ce type de processus dégénératif. Les affections dégénératives dans lesquels les corps de Lewy sont observés sont regroupées sous le terme de synucléopathies (il existe en effet des dépôts anormaux de synucléine dans le cerveau entre autres sous forme de corps 1489 maladie de Parkinson. Elle met alors en évidence un syndrome frontal marqué avec une réduction de la fluence verbale, une altération dans la gestion des concepts, des difficultés à découvrir une nouvelle règle logique, des troubles de la planification et du maintien ainsi que du changement de consignes. Ces altérations peuvent être mises en évidence par la batterie rapide d’évaluation des fonctions frontales (la BREF) [14]. Les troubles mnésiques sont aussi présents mais rarement au premier plan. Contrairement à la maladie d’Alzheimer, ils atteignent essentiellement le rappel, l’encodage restant longtemps préservé. En cas de doute diagnostique, un bilan neuropsychologique peut préciser et confirmer ces anomalies. La forme “corticale” est un peu moins fréquente. Le tableau cognitif est celui observé dans la démence à corps de Lewy. Il consiste comme vu dans le chapitre précédent en des troubles cognitifs fluctuants avec variation de vigilance et hallucinations visuelles [15]. L’examen des fonctions cognitives révèle un dysfonctionnement frontal mais aussi une atteinte des fonctions visuospatiales. Comme dans la démence à corps de Lewy, des facteurs iatrogènes ou des affections médicales intercurrentes peuvent avoir un rôle révélateur ou aggravant de ces troubles. Mise au point troubles cognitifs et démences Meyniel C, Damier P de Lewy) [20]. Dans ce groupe, se retrouvent à côté de ces 2 formes de démences, la maladie de Parkinson et une autre affection neurodégénérative motrice, l’atrophie multisystématisée. Reste la question de savoir pourquoi à un mécanisme pathogénique proche sont associées des distributions lésionnelles différentes. Des causes différentes ou l’existence de cofacteurs étiologiques pourraient en constituer l’explication. L’identification récente de la duplication du gène codant pour la synucléine comme facteur de risque de maladie de Parkinson et/ou de la triplication de ce même gène comme celui de démence à corps de Lewy [21] en est une illustration. Cette observation suggère un probable lien entre l’extension de la dégénérescence neuronale (restreinte à la substance noire dans la maladie de Parkinson, diffuse dans le cas de la démence à corps de Lewy) et la quantité de synucléine produite au niveau cellulaire. Conclusion Quelques règles simples, en particulier une parfaite gestion des facteurs iatrogènes potentiels, et des médicaments utiles comme les inhibiteurs d’acetylcholinestérase et la clozapine ont clairement changé le pronostic de ces causes fréquentes de détérioration cognitive dégénératives que sont démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson. Il est donc important de savoir les connaître et d’en poser le diagnostic. L’efficacité de ces différentes approches thérapeutiques reste néanmoins limitée à court ou au mieux à moyen terme car le processus dégénératif se poursuit. La compréhension des mécanismes pathogéniques de ces affections a cependant beaucoup progressé ces dernières années et laisse espérer le développement de traitements capables de contrôler le processus dégénératif. Conflits d’intérêts : aucun Références 1 2 3 4 5 6 1490 7 McKeith I, Mintzer J, Aarsland D, Burn D, Chiu H, Cohen-Mansfield J et al. 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Aspects cliniques de la maladie d’Alzheimer Maria Soto1, Emma Reynish1,2, Fati Nourhashémi1,2, Bruno Vellas1,2 1. Service de médecine interne et de gérontologie clinique, CHU Purpan-Casselardit, Toulouse (31) 2. Unité Inserm 558, Faculté de médecine, Toulouse (31) Correspondance : ■ Key points ■ Points essentiels Clinical aspects of Alzheimer disease La maladie d’Alzheimer n’est diagnostiquée en France que chez 50 % des patients atteints. Dans sa forme typique, elle est caractérisée au début par des troubles de la mémoire des faits récents, les oublis répétés inhabituels et des difficultés d’apprentissage d’informations nouvelles. Les démences sont responsables de plus de 50 % de la dépendance du sujet âgé. L’évolution de la maladie s’accompagne de complications non cognitives parmi lesquelles 3 fréquentes : les symptômes psychologiques et comportementaux, la perte de poids et les troubles de l’équilibre et de la marche. L’évolutivité et les complications potentielles de la maladie soulignent la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire du patient et de son entourage avec instauration d’un suivi médical régulier. Alzheimer disease is diagnosed in only half of the patients with this disease in France. In its typical form, it is characterized at the onset by short-term memory problems, repetitive and unusual oversights and forgetfulness, and difficulties in learning new information. Dementia is responsible for more than 50% of the need for care in the elderly. Disease progression is accompanied by noncognitive complications. The 3 most frequent are psychological and behavioral symptoms, weight loss, and impaired balance and walking. Its progressive nature and potential complications underline the need for multidisciplinary management for patients and their families, with regular medical follow-up. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.024 1491 Disponible sur internet : le 08 juin 2007 Fati Nourhashémi, Service de médecine interne et de gérontologie clinique, CHU Purpan-Casselardit, place Baylac, 31000 Toulouse. Tél. : 05 61 77 76 49 Fax : 05 61 77 25 93 [email protected] Soto M, Reynish E, Nourhashémi F, Vellas B L a maladie d’Alzheimer ne représente pas une maladie nouvelle, mais les changements récents de la pyramide des âges, en particulier dans les pays industrialisés, en fait une des premières préoccupations de santé des sociétés dites modernes. C’est une des raisons pour lesquelles elle a fait l’objet d’un programme national d’action gouvernemental, présenté en octobre 2001 et comportant 6 objectifs principaux : l’identification des symptômes et l’orientation du diagnostic, la structuration d’accès à un diagnostic de qualité, l’amélioration de la prise en charge, la préservation de la dignité des personnes, le soutien et l’aide aux malades et à leur famille et enfin le développement de la recherche. La prise en charge du patient atteint de maladie d’Alzheimer est complexe et évolutive dans le temps. La maladie ne se résume pas à un trouble de la mémoire, elle retentit sur l’état somatique et l’autonomie du patient, mais aussi sur l’état de santé de l’aidant informel. Il a fallu près d’un siècle entre la première description de la maladie d’Alzheimer et la mise sur le marché de médicaments spécifiques. La recherche a fait des avancées considérables ces 15 dernières années et a permis de mieux connaître les lésions physiopathologiques responsables de l’affection. L’objectif de cet article est, après un bref rappel physiopathologique, d’évoquer les modalités de diagnostic, les possibilités évolutives de la maladie et ses complications les plus fréquentes. Nous aborderons enfin les aspects thérapeutiques. Physiopathologie L’étude du processus pathologique de la maladie d’Alzheimer montre qu’elle relève de mécanismes complexes. L’affection est caractérisée par la présence de 2 lésions élémentaires principales dans le cerveau : les dégénérescences neurofibrillaires neuronales contenant une protéine Tau anormalement phosphorylée et les plaques amyloïdes extracellulaires comprenant des agrégats de peptide bêta amyloïde. Ces anomalies s’associent à une baisse de la densité synaptique et à une perte neuronale aboutissant à des déficits biochimiques divers, au premier rang desquels l’acétylcholine. La substance amyloïde résulte de l’agrégation d’un polypeptide de 39 à 43 acides aminés nommé Ab. Le peptide Ab est un produit catabolique normal dérivant d’une protéine de grande taille nommée Amyloïde Protein Precursor (APP). La conformation particulière de la protéine Ab lui confère son caractère insoluble qui explique en partie sa toxicité. Dans la maladie d’Alzheimer, ces plaques amyloïdes sont entourées par une couronne de neurites en dégénérescence neurofibrillaire [1, 2]. On retrouve en général une réaction inflammatoire au contact de ces plaques. L’activation des cellules microgliales, macrophages résidents du tissu cérébral, en est la principale expression [3]. La dégénérescence neurofibrillaire correspond à une accumulation intraneuronale de fibrilles formées de filaments très caractéristiques, appelés les “paires de filaments appariés en hélice”. Ces filaments pathologiques sont constitués par l’assemblage de protéines microtubulaires Tau. Une hyperphosphorylation de cette protéine l’empêche d’exercer son rôle de polymérisation et de stabilisation des microtubules du cytosquelette neuronal. Il s’ensuit une perturbation du réseau microtubullaire et donc du transport axonal [4]. La perte neuronale dans la maladie d’Alzheimer est surtout importante dans le cortex entorhinal. L’implication de la mort neuronale dans les troubles neurologiques reste discutée ; son mécanisme est incertain, mais certains auteurs impliquent l’apoptose. Circonstances et modalités de diagnostic Glossaire Activities of Daily Living Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (actuelle HAS) APP Amyloïde Protein Precursor DSM-IV Diagnostic and Statistical Manual of mental disorder, fourth edition IADL Instrumental Activities of Daily Living IChE inhibiteur de l’acétycholinestérase IRM imagerie par résonance magnétique MMS Mini Mental State Examination MNA Mini Nutritional Assessment NINCDS- National Institute of Neurologic and ADRDA Communicative Disorders and StrokeAlzheimer’s Disease and Related Disorders Association NPI inventaire neuropsychiatrique TSH thyréostimuline hypophysaire VIH virus de l’immunodéficience humaine 1492 ADL Anaes Les désordres cliniques observés sont très variables d’un sujet à l’autre. L’installation des troubles est en général insidieuse et mal repérable dans le temps. La phase de début est généralement marquée par des troubles mnésiques pouvant rester longtemps inaperçus de l’entourage, mis sur le compte du vieillissement normal ou dissimulés par les patients. La majorité des travaux montre en effet un délai non négligeable entre l’apparition des premiers symptômes et le moment du diagnostic, estimé en moyenne à 3 ans [5-7]. Les données épidémiologiques montrent que la maladie d’Alzheimer n’est diagnostiquée en France que chez 50 % des patients atteints [8]. Dans la forme typique, la maladie est caractérisée par des troubles de la mémoire des faits récents, les oublis répétés inhabituels et des difficultés d’apprentissage d’informations nouvelles. Les troubles de l’orientation temporelle précèdent habituellement ceux de l’orientation spatiale. Le déficit de tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Aspects cliniques de la maladie d’Alzheimer Évaluation de la mémoire Encad ré 1 Critères de définitions de la maladie d’Alzheimer selon le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994) A. Apparition de déficits cognitifs multiples, comme en témoignent à la fois : • une altération de la mémoire (altération de la capacité à apprendre des informations nouvelles ou à se rappeler les informations apprises antérieurement) ; • une ou plusieurs des perturbations cognitives suivantes : aphasie, apraxie, agnosie, perturbation des fonctions exécutives. B. Les déficits cognitifs de critères A1 et A2 sont tous les 2 à l’origine d’une altération significative du fonctionnement social ou professionnel et représentent un déclin significatif par rapport au niveau de fonctionnement antérieur. C. L’évolution est caractérisée par un début progressif et un déclin cognitif continu. D. Les déficits cognitifs des critères A1 et A2 ne sont pas dus : • à d’autres affections du système nerveux central qui peuvent entraîner des déficits progressifs de la mémoire et du fonctionnement cognitif (maladie cérébrovasculaire, maladie de Parkinson, hématome sous-dural, hydrocéphalie à pression normale, tumeur cérébrale) ; • à des affections générales pouvant entraîner une démence (par exemple hypothyroïdie, carence en vitamine B12 ou en folates, pellagre, hypercalcémie, neurosyphilis, infection par le VIH) ; • à des affections induites par une substance. Les déficits ne surviennent pas de façon exclusive au cours de l’évolution d’un delirium. L’évaluation de la mémoire est une étape indispensable au diagnostic. Les désordres mnésiques affectent en priorité la mémoire des faits récents ou la mémoire à court terme. La récupération des souvenirs anciens est longtemps préservée. La composante épisodique de la mémoire est plus spécifiquement touchée, avec des difficultés de fixation d’informations nouvelles liées à un contexte spatiotemporel précis. Cela se traduit par une capacité d’apprentissage de plus en plus réduite et une diminution des capacités de rappel des informations apprises antérieurement. Cette présentation clinique est l’expression de l’installation des lésions dans les formations hippocampiques et sous-hippocampiques et elle est connue sous le nom de syndrome amnésique de type hippocampique [12]. sentation d’indices (rappel indicé) et la reconnaissance d’un matériel encodé antérieurement. Dans l’évaluation clinique des démences, il est important de pouvoir distinguer les troubles liés aux différentes étapes de la mémorisation : encodage, consolidation, récupération. En effet, le déficit de la mémoire observé dans la maladie d’Alzheimer est principalement dû à un trouble de la consolidation de l’information. Mini-Mental State Examination Épreuve de Grober et Buschke Le Mini Mental State Examination (MMS), qui évalue l’efficience cognitive globale, permet d’apprécier le niveau de l’atteinte et de repérer les désordres cognitifs impliqués. Comme tous les tests cognitifs, il est influencé par le niveau socioculturel. Il s’agit d’un test facile et rapide à réaliser qui est coté sur un maximum de 30 points [13]. D’autres tests peuvent être utiles pour une première évaluation cognitive. La plupart des épreuves utilisées pour évaluer la mémoire épisodique repose sur le rappel libre, le rappel facilité par la pré- L’épreuve de Grober et Buschke permet d’analyser les performances en rappel libre et en rappel indicé en contrôlant la situation d’encodage [14]. Cette épreuve comprend 16 mots appartenant à 16 catégories sémantiques différentes. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Les troubles ne sont pas expliqués par une affection psychiatrique (dépression majeure, schizophrénie). VIH : virus de l’immunodéficience humaine Test des 5 mots Le test des 5 mots, élaboré selon le même principe que l’épreuve de Grober et Buschke, est de passation plus rapide et aisément réalisable en consultation ou au lit du malade. Il 1493 mémoire est souvent mésestimé par le patient en raison d’une anosognosie associée. L’interrogatoire de l’entourage pour évaluer le retentissement de ce déficit mnésique au quotidien est donc une étape cruciale du diagnostic. L’évolution de la maladie s’accompagne de l’atteinte d’autres domaines cognitifs : langage (aphasie), perception (agnosie) et habilité gestuelle (apraxie). L’aphasie, lorsqu’elle n’est pas apparente à l’entretien, peut être recherchée par les épreuves de dénomination d’objets ou d’images. Les troubles de la compréhension sont plus tardifs. L’agnosie est souvent définie comme un déficit de reconnaissance en l’absence de troubles perceptifs élémentaires. L’apraxie est définie comme un trouble de l’exécution des mouvements ne pouvant s’expliquer par une faiblesse musculaire, une atteinte sensorielle, un trouble de la coordination, des troubles attentionnels ou de compréhension [9]. C’est surtout l’apraxie idéatoire (utilisation des objets) qui est handicapante au quotidien. En revanche, l’apraxie constructive est d’installation plus précoce. Les critères diagnostiques de démence font référence au DSM-IV : Diagnostic and Statistical Manual of mental disorder, fourth edition (encadré 1) [10]. Ces critères ne présupposent pas de mécanisme causal. Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est basé sur d’autres critères développés par la NINCDS-ADRDA : National Institute of Neurologic and Communicative Disorders and Stroke-Alzheimer’s Disease and Related Disorders Association (encadré 2) [11]. Mise au point troubles cognitifs et démences Soto M, Reynish E, Nourhashémi F, Vellas B Encad ré 2 Critères NINCDS-ADRDA de la Maladie d’Alzheimer Diagnostic clinique de maladie d’Alzheimer probable • Démence établie par l’examen clinique (MMSE ou échelle de Blessed par exemple) • Déficit dans au moins 2 domaines de fonctions cognitives • Aggravation progressive de la mémoire et d’autres fonctions cognitives • Pas d’altération de la conscience • Début entre 40 et 90 ans, le plus souvent après 65 ans ; absence de cause systémique ou d’autres affections cérébrales pouvant être rendues responsables des troubles Éléments en faveur du diagnostic de maladie d’Alzheimer probable • Détérioration progressive de fonctions spécifiques : langage (aphasie), habilités motrices (apraxie), perception (agnosie), perturbation des activités quotidiennes et du comportement • Notion familiale de troubles similaires ; normalité des examens cliniques ; atrophie cérébrale au scanner ; absence d’anomalies à l’EEG ou à l’examen du LCR Autres aspects cliniques compatibles avec le diagnostic de maladie d’Alzheimer probable • Phase de stabilisation de la maladie • Association de symptômes de dépression, d’insomnie, d’accès d’agitation verbale ou comportementale, de troubles sexuels, d’incontinence, de perte de poids • Autres symptômes neurologiques chez certains patients : troubles de la marche, myoclonies • Crises comitiales tardives • Scanner cérébral normal Aspects rendant improbable le diagnostic de maladie d’Alzheimer • Début soudain • Signes neurologiques focaux : hémiplégie, déficit sensitif, diminution du champ visuel, déficit de la coordination • Crises comitiales et troubles de la marche survenant très tôt dans l’évolution de la maladie Diagnostic clinique de la maladie d’Alzheimer possible • Sur la base d’un syndrome démentiel et en l’absence d’autres troubles neurologiques, psychiatriques ou systémiques suffisants pour causer la démence lorsque le mode de début, la présentation et l’aspect évolutif sont atypiques • En présence d’une autre affection systémique ou neurologique, suffisante pour causer la démence mais considérée comme n’étant pas la cause de la démence • Lorsqu’un déficit cognitif isolé et sévère s’aggrave progressivement en l’absence d’autre cause identifiable Critères diagnostiques de maladie d’Alzheimer certaine • Critères de maladie d’Alzheimer probable et • Preuve histopathologique obtenue par biopsie ou autopsie MMSE : Mini Mental State Examination ; EEG : électroencéphalogramme ; LCR : liquide céphalorachidien 1494 Source : McKahnn et al., 1984. permet par conséquent de tester les capacités de mémorisation et de repérer la présence d’une amnésie de type hippocampique caractéristique de la maladie d’Alzheimer [15]. Le test des 5 mots comprend une première étape qui vérifie l’encodage initial avec une mesure de rappel libre et indicé (l’indice étant présenté lors de l’étape d’encodage) qui correspond au score d’apprentissage (maximum = 5), suivi d’une tâche interférente non verbale de 3 à 5 min. La dernière étape mesure le rappel différé libre et indicé (score de mémoire maximum à 5). Le score global (somme des 2 étapes) est normalement à 10. Dans la maladie d’Alzheimer on observe un effondrement des performances en rappel libre, un indiçage sémantique inefficace et une performance en rappel total affaiblie. On peut également constater des intrusions, autrement dit des réponses fournies qui n’appartiennent pas à la liste apprise. Test de l’horloge Le test de l’horloge évalue en moins de 5 min les capacités visuoperceptives et visuoconstructives ainsi que les fonctions exécutives et est peu influencé par le niveaux socioculturel [16]. L’atteinte des autres domaines cognitifs peut être recherchée par des outils spécifiques. L’examen clinique doit comporter en outre un examen général, notamment cardiovasculaire, neurologique et neurosensoriel. Diagnostic positif Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer a fait l’objet de recommandations par l’Anaes (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) en février 2000 [17]. L’interrogatoire est une étape importante du diagnostic. La présence d’un proche est une aide précieuse pour le diagnostic et permet d’établir l’histoire de l’évolution des troubles qui, dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, est en général d’installation insidieuse et d’évolution progressive. Outre l’évaluation cognitive, la répercussion des symptômes sur les activités de la vie quotidienne doit être recherchée. Certains outils évaluant l’autonomie fonctionnelle, tels que l’IADL (Instrumental Activities of Daily Living) et l’ADL (Activities of Daily Living) permettent de préciser objectivement cette répercussion [18, 19] (annexe). Le but des explorations complémentaires est de rechercher une éventuelle cause au déficit cognitif et d’évaluer l’existence de maladies concomitantes. Il est donc recommandé de réaliser un dosage de la TSH (thyréostimuline hypophysaire), une numération formule sanguine, un bilan hydroélectrolytique sanguin incluant la calcémie et la glycémie. En fonction du contexte, il est possible de compléter l’examen par un dosage de la vitamine B12 et des folates sériques ainsi que les sérologies de la syphilis et du VIH (virus de l’immunodéficience humaine). Dans les démences neurodégénératives, le bilan biologique est en général normal. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Aspects cliniques de la maladie d’Alzheimer Évolution et complications de la maladie d’Alzheimer La caractérisation précise des handicaps, l’évaluation cognitive et la recherche des complications, en particulier non cognitives dès l’étape du diagnostic et tout au long de l’évolution longitudinale de la maladie d’Alzheimer ont une importance significative pour le clinicien car elles permettent d’orienter la prise en charge. En effet, la maladie évolue et affecte progressivement les différents domaines cognitifs (langage, attention, calcul, orientation) ainsi que les fonctions plus complexes comme les fonctions exécutives qui permettent l’initiative, la planification et la réalisation de tâches successives et organisées. L’évolution de la maladie est également marquée par des troubles majeurs du jugement et du raisonnement à l’origine parfois des troubles du comportement. Une interaction du statut nutritionnel, des troubles de l’équilibre et de la marche et des troubles sphinctériens peuvent accélérer le processus de dépendance. Pour de nombreux sujets, la survenue de la dépendance pour les activités de la vie quotidienne est le début de la grande spirale de la fragilité à l’origine d’une plus grande utilisation des aides formelles et informelles et d’une grande fréquence des hospitalisations et des transferts en institution. Rappelons que la pathologie démentielle est une des premières causes de dépendance des sujets âgés [20]. L’histoire naturelle de la maladie d’Alzheimer est actuellement mieux connue. En France, la cohorte REAL.FR (Réseaux Alzheimer français), financée par le programme hospitalier de recherche clinique, apporte des informations très importantes sur l’évolution de la maladie et les filières de soin dans notre pays. Cette étude permet de suivre près de 700 patients à travers 16 centres hospitaliers universitaires [21]. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Symptômes psychocomportementaux L’humeur exprimée peut être perturbée, avec des symptômes dépressifs ou anxieux ou une labilité thymique excessive faisant fréquemment alterner des périodes d’apathie et des états d’agitation. L’association à des hallucinations ou des idées délirantes souvent mal systématisées n’est pas rare. Même si les progrès ont été faits dans le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, de nombreux patients sont encore vus à un stade tardif, quand les symptômes neuropsychologiques deviennent bruyants. Ces troubles sont observés chez la majorité des patients atteints de démence et en particulier dans la maladie d’Alzheimer. Si les raisons qui conduisent une famille à placer son parent en établissement sont diverses et individuelles (aggravation des troubles cognitifs, dépendance physique, réseau social et familial insuffisant) le “motif de placement” le plus fréquemment invoqué par l’entourage est l’épuisement consécutif aux troubles du comportement de leur parent [22, 23]. La prévalence des troubles est extrêmement variable selon les études. Cela est dû en partie à la multiplicité des outils d’évaluation. Par ailleurs, dans la majorité des travaux, l’enregistrement de ces troubles fait appel à l’aidant informel qui peut parfois sous ou surévaluer leur existence. Les symptômes psychologiques et comportementaux peuvent être la conséquence des troubles cognitifs comme les troubles du jugement et de la compréhension. Mais ces symptômes peuvent aussi apparaître dès les étapes débutantes de la maladie [24]. L’inventaire neuropsychiatrique (NPI) élaboré par l’équipe de Cummings a contribué à affiner la définition sémiologique de ces troubles [25]. Il permet de préciser le type des troubles mais aussi la fréquence, la sévérité et le retentissement émotionnel sur l’entourage. L’encadré 3 résume le champ des symptômes neuropsychiatriques le plus fréquemment rencontrés. L’analyse rationnelle et objective de ces symptômes est la première étape d’une prise en charge adéquate. Il faut d’abord viser à contrôler les facteurs favorisants comme d’éventuelles maladies intercurrentes, des causes iatrogènes ou le traitement des déficits sensoriels. Les approches non pharmacologiques doivent être toujours utilisées en première intention [26]. Ces symptômes peuvent être exacerbés par la détresse de l’entourage face à la maladie. Les programmes de formation et d’information sur la maladie qui visent à développer le savoir-faire et le savoir-être avec le patient ont auparavant démontré leur efficacité dans le contrôle des symptômes psychocomportementaux [27]. Cette information doit être répétée et modulée en fonction de l’évolution et du stade de la maladie. L’environnement peut aussi être une des raisons de l’apparition ou de l’aggravation des symptômes psychologiques et comportementaux. Il faut dans la mesure du possible 1495 L’IRM (imagerie par résonance magnétique) cérébrale est l’examen de choix pour le diagnostic étiologique des démences. Elle montre dans la maladie d’Alzheimer une atrophie des structures hippocampiques même à un stade débutant. Il est évident que la recommandation de sa pratique est en l’état actuel difficile à mettre en œuvre pour tous les patients. En cas d’impossibilité, un scanner cérébral doit être demandé. L’imagerie cérébrale permet d’éliminer les autres causes de démence. L’atrophie corticale n’a de valeur d’orientation diagnostique que si elle touche une région circonscrite du cortex cérébral ou si elle est évolutive sur des examens successifs. Les autres examens paracliniques (ponction lombaire, électroencéphalogramme, scintigraphie cérébrale, etc.) ne sont pas systématiques et ne sont réalisés que si le contexte clinique évoque d’autres pathologies que la maladie d’Alzheimer. Le développement des structures de diagnostic et des consultations spécialisées (centre mémoire de ressources et de recherche, centre mémoire de proximité) commencé dès 2002 dans le cadre du premier plan Alzheimer peut aider à la démarche diagnostique et thérapeutique. Mise au point troubles cognitifs et démences Soto M, Reynish E, Nourhashémi F, Vellas B Encad ré 3 L’inventaire neuropsychiatrique L’inventaire neuropsychiatrique (NPI) identifie 12 items. L’importance de chaque item est précisée selon sa fréquence (1 à 4) et sa gravité (1 à 3). 1. Idées délirantes 2. Hallucinations 3. Agitation et/ou agressivité 4. Dépression et/ou dysphorie 5. Anxiété 6. Exaltation de l’humeur et/ou euphorie 7. Apathie/indifférence 8. Désinhibition 9. Irritabilité/instabilité 10. Comportement moteur aberrant 11. Troubles du sommeil 12. Troubles de l’appétit Source : Cummings et al. The Neuropsychiatric Inventory: comprehensive assessment of psychopathology in dementia. Neurology. 1994; 44: 2308-14. 1496 essayer de respecter les rythmes de vie du patient, et de renforcer les indicateurs normaux du temps et de l’espace vers des stimulations appropriées. Les traitements psychotropes peuvent être utilisés en synergie avec les traitements non pharmacologiques quand la sévérité des symptômes est importante et menace l’équilibre du patient ou de son entourage. Il convient de souligner que les inhibiteurs des acétylcholinestérases ont auparavant montré leur efficacité sur certains des troubles comportementaux. Il en est de même pour la mémantine [28, 29]. De façon tout à fait surprenante, il n’y a que très peu d’études contrôlées dans ce domaine concernant les psychotropes. En cas de dépression concomitante, les antidépresseurs ont leur indication mais il faut privilégier les molécules ayant le moins d’effets indésirables possibles. C’est le cas des inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine qui provoquent moins d’effets indésirables que les antidépresseurs tricycliques et qui n’ont pas d’effet délétère significatif sur les fonctions cognitives. Les antipsychotiques n’ont qu’une place limitée. Ils sont actifs sur les signes psychotiques (délire, hallucination) et sur l’agitation et l’agressivité en cas de processus délirant sous-jacent. Ils sont en général mal tolérés avec de nombreux effets indésirables. En cas d’indication de prescription d’anxiolytiques, il faut privilégier les molécules à demi-vie courte et sans métabolites actifs. Les hypnotiques peuvent être prescrits en cas d’insomnie sur de courtes durées et après avoir tenté préalablement les mesures comportementales et d’hygiène de vie. Quel que soit le médicament utilisé, il faut réévaluer fréquemment la sémiologie comportementale et le rapport bénéfice/risque du médicament prescrit. La monothérapie doit être privilégiée. Il convient de démarrer avec de faibles doses, et d’augmenter lentement par paliers successifs afin d’obtenir la dose minimale efficace et la mieux tolérée. La durée du traitement doit être limitée et fonction du symptôme cible. Perte de poids L’amaigrissement peut être significatif. Environ 30 % des patients perdent du poids durant l’évolution de la maladie [30]. La pratique clinique montre que la perte de poids s’accompagne d’un ensemble de complications (altération du système immunitaire, atrophie musculaire, chute, fracture, dépendance) responsable d’une aggravation de l’état de santé et d’une augmentation du risque d’institutionnalisation et de mortalité [31, 32]. Les mécanismes physiopathologiques de la perte de poids sont complexes et ne sont que partiellement élucidés. L’amaigrissement peut être expliqué par une diminution des apports alimentaires du fait de l’apparition des incapacités, par des troubles du comportement comme le refus alimentaire ou encore être secondaire à des symptômes psychologiques comme la dépression. Dans certains cas, l’amaigrissement paraît inexpliqué par les mécanismes précédents. Diverses hypothèses ont été évoquées, comme la possibilité d’une élévation des dépenses énergétiques ou l’existence de perturbations biologiques mais aucune n’a fait réellement sa preuve [33]. La mesure régulière du poids doit donc être un des paramètres de suivi des patients atteints de maladie d’Alzheimer. Parmi les échelles évaluant le statut nutritionnel, le Mini Nutritional Assesment (MNA) est un outil comprenant 18 items de maniement simple et rapide qui permet de classer les sujets en 3 catégories selon leur statut nutritionnel : normal, à risque de dénutrition ou dénutri [34]. C’est aussi un outil qui peut guider la mise en place d’une intervention nutritionnelle ciblée. Dans tous les cas, l’amaigrissement est le témoin d’une insuffisance des apports caloriques qui doivent être réajustés de façon individuelle. Troubles de la mobilité et chutes La pathologie démentielle est un facteur de risque reconnu de chutes chez la personne âgée [35]. Les études montrent un risque de chute grave et un taux de fracture 3 fois plus élevé chez les patients souffrant de maladie d’Alzheimer par rapport à une population témoin de même âge [36, 37]. Les chutes sont souvent d’origines multifactorielles. Le maintien de l’équilibre est une fonction complexe qui nécessite la coordination et l’intégration des informations sensorielles et une réponse motrice adaptée. La maladie d’Alzheimer s’accompagne de modifications des fonctions motrices complexes et des réflexes. Il semble que les délais de réponse aux différentes modificatome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Aspects cliniques de la maladie d’Alzheimer Autres complications La maladie d’Alzheimer est une des causes d’épilepsie chez les sujets âgés. La prévalence de l’épilepsie dans cette population est mal connue [43] ; les convulsions sont en général de type tonicoclonique et peuvent apparaître à un stade quelconque de la maladie. Elles sont généralement bien contrôlées par le traitement médical. Les symptômes extrapyramidaux ne sont pas rares et se voient surtout dans les formes avancées de la maladie [44]. Les tremblements de repos sont moins fréquents que dans la maladie de Parkinson idiopathique ou dans les syndromes striés induits par les médicaments. La rigidité est en général bilatérale. L’apparition d’un syndrome extrapyramidal semble pour certains auteurs un facteur de mauvais pronostic. L’existence d’une pathologie cérébrale sous-jacente, en l’occurrence une maladie d’Alzheimer, est un facteur de risque de confusion chez l’âgé. Parmi les facteurs précipitants les plus fréquents, on trouve toutes les affections somatiques générales et les causes iatrogènes, avec une place toute particulière des molécules anticholinergiques. Les désordres confusionnels peuvent aussi révéler une pathologie démentielle jusqu’à alors non décelable cliniquement ou aggraver une démence préexistante. Thérapeutiques spécifiques de la maladie d’Alzheimer De façon schématique, le traitement de la maladie d’Alzheimer repose sur 2 types de stratégies : l’une, largement démontrée, met en œuvre les traitements symptomatiques dominés par les inhibiteurs de l’acétycholinestérase (IChE) et plus récemment par les antiglutamatergiques ; l’autre, beautome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 coup plus prometteuse, est étiopathogénique. Les possibilités thérapeutiques actuelles de la maladie d’Alzheimer sont avant tout symptomatiques. La prescription de ces traitements doit s’inscrire dans un plan de soins et d’aide cohérents. Une grande étude d’intervention est actuellement en cours en France. Elle permettra d’évaluer l’efficacité et l’impact d’un plan de soin standardisé sur la vitesse d’évolution de la maladie (étude Plasa). Près de 1 200 patients atteints de maladie d’Alzheimer participent à cette étude, financée par le programme hospitalier de recherche clinique. La prise en charge actuelle de la maladie d’Alzheimer est détaillée dans un autre article de ce dossier [45]. L’avenir concernant le traitement étiopathogénique est très prometteur. De nombreuses molécules sont à l’étude. Les stratégies visant à stopper la progression de la maladie concernent les 2 principales lésions neurologiques qui caractérisent le processus dégénératif de la maladie d’Alzheimer : les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires. Le clivage de la protéine précurseur de l’amyloïde et la production d’un peptide de 42 acides aminés (Ab) est une des hypothèses avancées pour expliquer l’apparition et l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Le vaccin expérimental contre la protéine Ab 42, testé dans un large essai multicentrique, avait pour but de créer une réaction intracérébrale contre les dépôts amyloïdes puisque cela s’était révélé efficace chez des souris. Malheureusement, l’essai a été interrompu en raison d’effets indésirables graves [46]. Cette voie n’est toutefois pas abandonnée et d’autres protocoles devraient être proposés prochainement. Parmi les nouvelles pistes thérapeutiques, les inhibiteurs des bêta et des gamma-sécrétases, censés réduire la formation des protéines Ab, semblent très intéressants [47]. C’est en effet la protéolyse de l’APP par la bêta et la gamma-sécrétase qui aboutit à la formation de la protéine Ab, composante majeure des plaques amyloïdes. Une autre stratégie thérapeutique serait d’augmenter le catabolisme et la clairance de cette protéine. Enfin, l’inhibition de l’agrégation de la protéine Ab est rendue possible par une nouvelle molécule de type glycosaminoglycane, actuellement évaluée par un essai multicentrique de phase III [48]. La deuxième spécificité des lésions anatomopathologiques dans la maladie d’Alzheimer est la présence de dégénérescences neurofibrillaires composées de protéines tau hyperphosphorylées. Cette hyperposphorylation est à l’origine d’un dysfonctionnement et d’une baisse de la viabilité cellulaire. Les études, avec les nouvelles molécules inhibant l’hyperphosphorylation de la protéine tau, sont encore au stade préclinique. D’autres travaux avec les facteurs de croissance neuronaux sont à leur début. Des arguments épidémiologiques, mais aussi fondamentaux, suggèrent que les antioxydants pourraient inhiber la production de radicaux libres et par conséquent diminuer les phénomènes de dégénérescence neuronale dans la maladie d’Alzheimer. Les résultats des différents 1497 tions posturales soient plus longs chez les patients souffrant de maladie d’Alzheimer. Les symptômes extrapyramidaux et l’apraxie contribuent aux troubles de l’équilibre [38]. Outre les facteurs classiques de chutes, de nombreux éléments contribuent à aggraver les troubles de la marche chez le patient : syndrome extrapyramidal, trouble du comportement, malnutrition et sarcopénie, causes iatrogènes. Les contentions physiques utilisées la plupart du temps pour limiter les troubles du comportement ou les chutes n’ont jamais montré leur efficacité dans ces indications. Au contraire, elles aggravent significativement le risque de chutes graves et cela même après la prise en compte des différents facteurs confondants [39]. La “peur de tomber”, phénomène survenant souvent après une chute chez le sujet âgé, est considérée comme un facteur favorisant de chutes ultérieures [40]. Il existe de nombreux outils pour évaluer les troubles de l’équilibre et de la marche en gériatrie. L’échelle de Tinetti est sans doute l’outil le plus utilisé [41]. Le test de la station unipodale (maintien d’au moins 5 s sur une jambe, sans aide), s’il est anormal, prédit un risque significativement plus élevé de chutes graves [42]. Mise au point troubles cognitifs et démences Soto M, Reynish E, Nourhashémi F, Vellas B essais ne sont, à l’heure actuelle, pas assez concluants pour recommander une attitude thérapeutique spécifique. En revanche, il existe de plus en plus d’arguments témoignant de l’intrication des facteurs de risque vasculaire et du diabète avec l’apparition et l’évolution de la maladie d’Alzheimer [49, 50]. Cela souligne l’intérêt du dépistage et de la prise en charge de ces facteurs dans la maladie d’Alzheimer. Conclusion La maladie d’Alzheimer a été longtemps considérée comme une exagération du vieillissement cérébral normal, un phénomène irrémédiable de fin de vie sur lequel aucune action n’était possible. L’hétérogénéité du tableau explique les difficultés de diagnostic qui est donc, de ce fait, parfois tardif. La variété et la fréquence des complications sont des facteurs qui augmentent le risque des hospitalisations et des placements en institution. L’évolutivité et les complications potentielles de la maladie soulignent la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire du patient et de son entourage avec instauration d’un suivi médical régulier. L’information, le soutien des aidants formels et informels sont aussi des aspects importants à prendre en compte et à privilégier. Conflits d’intérêts : aucun Annexe Outils d’évaluation des activités de la vie quotidienne Activités Indépendant Nécessité d’une aide ou dépendance totale Activités de base de la vie quotidienne (ADL) Soins corporels Habillement Aller aux toilettes Continence Transfert Alimentation Activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL) Utiliser le téléphone Faire les courses Préparer les repas Faire le ménage Nettoyer le linge Utiliser les transports Prendre des médicaments Gérer l’argent 1498 Sources : • Lawton MP, Brody EM. Assessment of older people : self-maintaining and instrumental activities of daily living. 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Le traitement médicamenteux spécifique comporte les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et la mémantine. Ils ont montré une efficacité modérée et supérieure au placebo sur l’état global du patient, sur les troubles cognitifs, la perte d’autonomie et les troubles du comportement, mais n’empêchent pas la maladie d’évoluer. Ces traitements restent sous-utilisés. L’efficacité des médicaments psychotropes (antidépresseurs, neuroleptiques, antipsychotiques) pour traiter les troubles du comportement est mal documentée. Les actions non médicamenteuses sont mal évaluées au plan scientifique. Elles consistent à lutter contre les conséquences de la maladie (perte d’autonomie, dénutrition) et à aider les aidants familiaux des patients. Parmi ces actions, les programmes d’éducation pour les aidants, d’ergothérapie au domicile, ou d’intervention au domicile d’infirmiers référents spécialement formés (case managers) sont les mieux évalués et les plus intéressants. 1500 Management of Alzheimer disease is based on drug and nondrug treatments. Specific drug treatment includes acetylcholinesterase inhibitors and memantine. They show moderate efficacy superior to that of placebo for global condition, cognitive disorders, need for care, and behavioral problems, but do not prevent further decline. These treatments remain underused. The efficacy of psychotropic drugs (antidepressants, neuroleptics, and antipsychotic agents) in treating behavioral problems is not well documented. Nondrug activities and interventions have not been sufficiently evaluated scientifically. These involve interventions against the consequences of the disease (loss of autonomy, malnutrition) and helping patients’ family caregivers. Among these activities, the best evaluated and most interesting are: educational programs for caregivers, occupational therapy at home, and interventions at home by nurses specially trained as case managers. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2007.04.028 Prise en charge de la maladie d’Alzheimer Glossaire ADAS-Cog APA Clic GIR HAS IACE MCI NICE NMDA NPI Alzheimer’s Disease Assessment Scale-Cognitive Allocation personnalisée d’autonomie Comité de liaison et de coordination groupe isoressources Haute autorité de santé inhibiteur de l’acétylcholinestérase Mild Cognitive Impairment National Institute for Health and Clinical Excellence N-méthyl-D-aspartate inventaire neuropsychiatrique tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Méthodes Une interrogation systématique de la base de données Medline par le site internet PubMed a été conduite à l’aide des requêtes suivantes avec les limites “Randomised controlled trial”, “Meta-analysis”: “Alzheimer AND donepezil”, “Alzheimer AND galantamine”, “Alzheimer AND rivastigmine”, “Alzheimer AND donepezil”, “Alzheimer AND depress*[Title]”, “Alzheimer AND antipsychotics”, “Alzheimer AND nonpharmacological”. La sélection des articles a été réalisée par l’analyse du titre et du résumé. Lorsqu’une ou plusieurs méta-analyses étaient répertoriées, seule l’analyse des essais randomisés postérieurs à la méta-analyse la plus récente a été réalisée. Par ailleurs, les données concernant l’utilisation des médicaments spécifiquement indiqués dans la maladie d’Alzheimer ont été obtenues par l’analyse des résumés des caractéristiques du produit, des fiches de transparence et des articles de type trouvés par une interrogation de Medline par les requêtes avec pour limites “Clinical guidelines: donepezil OR rivastigmine OR galantamine OR memantine”. Inhibiteurs de l’acétylcholinestérase La maladie d’Alzheimer est associée à un déficit en acétylcholine dans plusieurs régions cérébrales, et les médicaments inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (IACE) ont pour effet d’augmenter la concentration cérébrale de ce neuromédiateur en inhibant l’enzyme qui le dégrade dans les fentes synaptiques. La première molécule commercialisée de cette classe, la tacrine, a été le premier agent pharmacologique à montrer un effet supérieur à celui d’un placebo sur les fonctions cognitives dans la maladie d’Alzheimer, mais elle n’est plus utilisée aujourd’hui en raison d’effets indésirables hépatiques graves. D’autres molécules ayant un mécanisme d’action analogue et bien tolérées sur le plan hépatique ont été développées et commercialisées : le donépézil (Aricept®), la rivastigmine (Exelon®) et la galantamine (Reminyl®) [3]. Les formes pharmaceutiques, la posologie et les principaux effets indésirables de ces médicaments sont présentés dans le tableau II. Les essais cliniques qui ont évalué l’efficacité et la tolérance de ces médicaments ont récemment fait l’objet de plusieurs méta-analyses de la Cochrane Library [4]. Leurs conclusions sont résumées dans le tableau III. Brièvement, comparés à l’effet d’un placebo, ces médicaments permettent d’obtenir chez les patients traités un score cognitif significativement meilleur. Notamment, les études à 6 mois et un an montrent que la diminution des scores cognitifs par rapport à l’état initial est moindre avec un traitement qu’avec le placebo. De plus, 1501 L a maladie d’Alzheimer et les autres maladies responsables de démence représentent un problème considérable de santé publique. Ces maladies sont très fréquentes chez les personnes âgées et l’évolution de la démographie laisse attendre une très forte augmentation du nombre de cas. Les démences évoluent pendant plusieurs années et leurs conséquences sur l’autonomie et la qualité de vie des patients sont sévères. Ces maladies sont responsables d’hospitalisations répétées et d’entrées en institution, notamment lorsqu’elles sont évoluées. Elles ont aussi un retentissement important sur la santé et la qualité de vie de l’entourage des patients, en particulier lorsqu’il existe des troubles du comportement. Le coût de la maladie d’Alzheimer, la principale cause de démence, est considérable et a été estimé à 10 milliards d’euros chaque année en France [1]. Face à ce constat, la prise en charge des patients représente un défi pour les médecins et le système de santé. Au cours des 20 dernières années, les progrès de la recherche fondamentale, de la pharmacologie et de la recherche clinique ont permis de mieux comprendre la physiopathologie de ces maladies, en particulier celle de la maladie d’Alzheimer. Aujourd’hui 4 médicaments appartenant à 2 classes pharmacologiques sont commercialisés et indiqués dans la maladie d’Alzheimer, et plusieurs autres agents pharmacologiques avec des mécanismes d’action très différents ont montré des résultats prometteurs chez l’animal et font l’objet d’essais cliniques [2]. La prise en charge de la maladie d’Alzheimer ne se limite pas à l’utilisation de médicaments actifs sur la maladie, mais comprend aussi la gestion des troubles du comportement de la perte d’autonomie. Les principaux objectifs sont présentés dans le tableau I. L’aide aux aidants naturels des patients fait aussi partie des objectifs de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit de préserver l’autonomie et la qualité de vie des patients. Cette mise au point a pour but de répertorier les approches thérapeutiques ayant montré une efficacité dans la maladie d’Alzheimer. En ce concerne les approches médicamenteuses, la recherche concernant les médicaments déjà commercialisés a été plus approfondie du fait de l’objectif pratique de la mise au point. Mise au point troubles cognitifs et démences Belmin J, Péquignot R, Konrat C, Pariel-Madjlessi S Ta bl e au I Objectifs de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer Objectif Moyens Atténuer les symptômes cognitifs et retarder leur aggravation Inhibiteur de l’acétylcholinestérase, mémantine Préserver l’autonomie et retarder la perte d’autonomie Inhibiteur de l’acétylcholinestérase, mémantine En cas de perte d’autonomie, aide pour les gestes de la vie quotidienne Aide par l’entourage familial, aide professionnelle (service de soin infirmier à domicile, auxiliaire de vie) Aide financière par l’Allocation personnalisée d’autonomie Atténuer les troubles du comportement Environnement adapté ; inhibiteur de l’acétylcholinestérase, mémantine ; (médicaments psychotropes si insuffisant) Prévenir, reconnaître et traiter la perte de poids et la dénutrition Alimentation riche et équilibrée, surveillance du poids, en cas de dénutrition : supplémentation protéinocalorique Éviter les hospitalisations inutiles Case management (non disponible actuellement) Ralentir l’évolution de la maladie - (recherches en cours) Retarder l’entrée en institution Programmes de soutien et d’éducation pour les aidants (disponibles dans quelques centres seulement) Préserver la dignité du patient Respect du patient et des règles éthiques Soutenir l’entourage du patient Soutien psychologique, aides sociales, éducation thérapeutique Ta bl e au I I Caractéristiques des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et de la mémantine et leurs indications validées par l’AMM Formes Nb de prises/jour Donépézil Rivastigmine Galantamine Mémantine Cp 5 et 10 mg Gel : 1,5, 3, 4,5 et 6 mg Solution buvable 2 mg/mL Cp : 4, 8 et 12 mg Gel LP : 8, 16, 24 mg Solution buvable 4 mg/mL Cp 10 mg Solution buvable 10 mg/mL 1 2 2 (1 pour la forme LP) 2 Dose initiale (mg) 5 3 8 5 Dose d’entretien (mg) 10 12 16 (24 si non répondeur) 20 Nb des paliers 1 3 1 (2) 3 Durée pour atteindre la dose d’entretien (semaines) 4 6 4 (8) 4 MA : formes légères à modérément sévères MA : formes légères à modérément sévères MA : formes légères à modérément sévères MA : formes modérées à sévères Indications Démence légère à modérément sévère associée à la maladie de Parkinson MA : maladie d’Alzheimer ; MMSE : Mini Mental State Examination. 1502 ces médicaments retardent aussi la perte d’autonomie fonctionnelle et ont un effet positif sur les troubles du comportement, en particulier sur l’apathie. Les effets indésirables sont principalement d’ordre digestif (nausées, vomissements, anorexie) et peuvent être atténués par la prise pendant les repas et une titration très progressive des doses au début du traitement. Un excès de décès cardiovasculaires a été observé dans un essai sur la galantamine dans le déclin cognitif léger (Mild Cognitive Impairment [MCI]) [5], mais la méta-analyse portant sur les essais de la galantamine dans la maladie d’Alzheimer n’a pas montré de surmortalité liée au traitement [6]. Si dans les essais cliniques contre placebo, ces différents effets sont objectivés par des échelles appropriées de façon significative statistiquement, la question de la pertinence clinique de tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Prise en charge de la maladie d’Alzheimer Ta bl e au I II Principales données d’efficacité et de tolérance à 6 mois issues des 2 méta-analyses récentes (2006) de la Cochrane Library portant respectivement sur les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et la mémantine dans la maladie d’Alzheimer Inhibiteurs de l’acétylcholinestérase Mémantine 13/7298 6/2763 Essais/patients (n) Mise au point troubles cognitifs et démences Stade Léger à modéré 3/1766 Modéré à sévère 3/997 0,1 [0,01 à 0,25] 0,3 [0,1 à 0,4] Effet global (impression globale de l’aidant) Odd ratio amélioré ou stable/aggravé 1,6 [1,3 à 1,8] Odd ratio amélioré/stable ou aggravé 1,8 [1,5 à 2,3] Différence du score CIBIC Effets cognitifs Différence du score ADAS-Cog -2,7 [-3,0 à -2,3] 1,0 [0,2 à 1,8] Autonomie significativement meilleure dans le groupe traité Pas de différence significative d’autonomie entre les groupes Autonomie significativement meilleure dans le groupe traité Différence de score SIB Effets sur l’autonomie (diverses échelles en fonction des études) 3,0 [1,7 à 4,3] Effets sur le score global de comportement Différence de score NPI Effets indésirables (fréquence sign. augmentée avec le traitement actif) Interruption du traitement (odd ratio : taux d’interruption du traitement actif/placebo) -2,4 [-4,1 à -0,8] -0,25 [-1,5 à 0,7] -2,8 [-4,6 à -0,9] Nausées, vomissements, diarrhée, asthénie, anorexie, perte de poids, hallucinations, tremblements, œdème périphérique, douleurs abdominales, crampes musculaires, insomnie, cauchemars, céphalées, malaises, syncope Aucun Aucun (agitation sign. plus fréquente dans le groupe placebo) 1,8 [1,5 à 2,0] 1,2 [0,8 à 1,8] 0,7 [0,5 à 0,9] ADAS-Cog : Alzheimer’s Disease Assessment Scale-Cognitive, donnant un score de 0 (meilleur état cognitif) à 70 ; CIBIC : Clinical Interview-Based Impression of Change, donnant un score de 1 (aggravation la plus marquée) à 7 ; NPI : Neuropsychiatric Inventory donnant un score de 0 (meilleur état comportemental) à 144 ; SIB : Severe Impairment Battery, donnant un score de 0 (état cognitif le plus altéré) à 100. Les résultats sont donnés en différence moyenne entre groupes (traitement actif et placebo) ou odd ratios avec intervalle de confiance à 95 %. Les résultats concernant la mémantine sont présentés séparément pour le stade léger à modéré et pour le stade modéré à sévère (défini par un score au Mini Mental Status Examination ou MMSE < 15). tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 intéressante sur l’entourage des patients. Ces différentes notions, ainsi que le fait qu’il n’existe pas d’autre alternative thérapeutique médicamenteuse pour ces patients font que les IACE sont toujours prescrits chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer au stade débutant ou modéré. En 2006, le NICE est revenu sur sa position de demande de déremboursement des IACE et a reconnu qu’ils pouvaient être utilisés dans le traitement de la maladie d’Alzheimer au stade modérément sévère (score MMSE ou Mini Mental State Examination compris en 10 et 20) [7]. Si l’efficacité des IACE au stage léger ou modéré de la maladie d’Alzheimer a été bien établie [8], leur efficacité au stade sévère de la maladie est moins bien documentée. La métaanalyse de la Cochrane Library concluait que si leur efficacité au stade sévère était mal établie, il n’y avait pas non plus d’indication montrant que les IACE étaient moins efficaces à ce stade [9]. Récemment un essai randomisé en double aveugle a comparé l’efficacité du donépézil au placebo chez 248 patients 1503 leurs effets a été soulevée. En effet, l’amplitude des différences entre les scores des groupes placebo et des groupes traités est relativement faible et l’implication de ces différences pour la vie quotidienne des patients a été discutée. Par exemple, la différence entre groupes traitement actif et placebo est de l’ordre de 3-4 points sur l’échelle ADAS-Cog (Alzheimer’s Disease Assessment Scale-Cognitive), une échelle cognitive qui va de 0 à 70 points. Le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) au Royaume-Uni a même proposé aux autorités de santé anglaises de dérembourser ces médicaments en raison du caractère modeste de leur efficacité. Pourtant, dans les études d’efficacité contre placebo en double aveugle, l’utilisation d’échelles subjectives d’impression clinique globale a permis de montrer qu’aussi bien l’aidant familial principal que le médecin percevaient que l’état global des patients était meilleur dans les groupes traités que dans les groupes placebo. De plus, les effets même modestes sur la perte d’autonomie semblent avoir une répercussion positive Belmin J, Péquignot R, Konrat C, Pariel-Madjlessi S 1504 ayant une maladie d’Alzheimer au stade sévère, définie par un score au MMSE de 0 à 10 [10]. Comparé au placebo, le traitement actif a montré un meilleur résultat sur les scores cognitifs et l’autonomie. Avant la publication de cet essai et compte tenu de la relative incertitude concernant l’efficacité des IACE au stade sévère de la maladie, certains auteurs conseillaient d’arrêter les IACE chez les patients qui atteignaient le stade sévère de la maladie au cours de l’évolution. Toutefois, plusieurs études ont documenté une aggravation des patients lors de l’interruption des IACE. Ces données, ainsi que la publication d’un essai randomisé documentant l’efficacité de donépézil au stade sévère, incitent à poursuivre ces traitements chez les malades qui atteignent le stade sévère. Parmi les 3 IACE disponibles, y a-t-il des différences cliniquement importantes ? Au plan pharmacologique, si les 3 IACE inhibent l’acétylcholinestérase, la rivastigmine inhibe aussi la butiryl-cholinestérase, une autre enzyme cérébrale qui dégrade aussi l’acétylcholine. La galantamine exerce une modulation allostérique sur les récepteurs nicotiniques présynaptiques. Le donépézil et la galantamine font l’objet d’un métabolisme hépatique impliquant les enzymes CYP2D6 et CYP3A4 du cytochrome P450, et peuvent interagir avec les médicaments qui inhibent ces enzymes. Du fait de différences de pharmacocinétique, le nombre de prises quotidiennes varie aussi entre les IACE (tableau II). Nous n’avons trouvé que 2 études randomisées comparant l’efficacité et la tolérance de 2 IACE. Celle de Wilcock [11] a comparé le donépézil à la galantamine chez 182 patients [11]. À un an, il n’y avait pas de différence entre les 2 traitements concernant l’effet sur les fonctions cognitives et l’autonomie, ni le nombre d’interruption de traitement. Une autre étude randomisée en double aveugle a comparé le donépézil à la rivastigmine chez 994 patients suivis pendant 2 ans [12]. L’efficacité sur les fonctions cognitives était similaire dans les 2 groupes, mais l’efficacité sur l’autonomie fonctionnelle était meilleure dans le groupe rivastigmine. Toutefois, les effets indésirables et les interruptions de traitement ont été significativement plus fréquents dans le groupe rivastigmine au début du traitement (phase de titration). Globalement, ces essais montrent que la galantamine et la rivastigmine ont une efficacité semblable à celle du donépézil. Concernant la conduite pratique du traitement, il est important de souligner que les IACE font partie en France des médicaments à prescription restreinte. Le traitement doit être débuté par un médecin expérimenté dans le diagnostic et le traitement de la maladie d’Alzheimer (spécialistes neurologues, gériatres ou psychiatres, ou généralistes titulaires de la capacité de gérontologie), le renouvellement pouvant être fait par tout médecin. Il semble complètement illogique d’associer aux IACE des médicaments ayant des effets anticholinergiques, tels que les antidépresseurs tricycliques ou des neuroleptiques classiques, qui atténuent ou annulent leurs effets pharmacologiques. Mémantine La mémantine (Ebixa®) est un antagoniste non compétitif du récepteur NMDA (N-méthyl-D-aspartate) au glutamate. Ce neuromédiateur excitateur et son récepteur NMDA ont un rôle important dans les processus d’apprentissage et de mémorisation. Dans la maladie d’Alzheimer, il a été mis en évidence une augmentation d’activité du système glutamatergique et une stimulation soutenue des récepteurs NMDA pouvant jouer un rôle délétère sur les fonctions neuronales. La mémantine agirait en s’opposant aux effets de la surstimulation glutamatergique [13]. Une méta-analyse récente de la Cochrane Library a fait le point sur les essais randomisés en double aveugle de la mémantine dans la maladie d’Alzheimer. Elle a conclu à une efficacité modérée de la mémantine dans la maladie d’Alzheimer au stade modérément sévère et au stade sévère et a trouvé des éléments indiquant que la mémantine serait efficace au stade léger à modéré [14]. Plus récemment, un essai en double aveugle a montré aussi son efficacité dans la maladie d’Alzheimer au stade léger à modéré [15]. Les effets du traitement se manifestent sur le plan cognitif, mais aussi sur le plan de l’autonomie et du comportement, en particulier sur l’agitation et l’agressivité. De façon intéressante, une étude en double aveugle a montré que la bithérapie mémantine-donépézil avait un effet supérieur à la monothérapie placebo-donépézil [16]. La mémantine est un médicament bien toléré, et la seule limite à son utilisation concerne l’insuffisance rénale (pour une clairance de créatinine entre 40 et 60 mL/min : réduction de moitié de la posologie ; < 40 mL/min : pas de données disponibles). La mémantine fait partie en France des médicaments à prescription restreinte et la prescription initiale répond aux mêmes impératifs que celle des IACE. Médicaments psychotropes Si les médicaments psychotropes n’ont pas d’effet direct sur la maladie d’Alzheimer, ils sont souvent très utilisés à titre symptomatique en cas de dépression, de délire ou d’hallucination et/ou de troubles du comportement. Ces troubles sont très fréquents au cours de la maladie d’Alzheimer et on estime qu’environ 70 à 100 % des patients en font l’expérience à moment ou un autre de leur maladie. Ces manifestations sont très gênantes pour l’entourage familial et professionnel que le patient soit à domicile ou en institution et la pression exercée sur le médecin pour qu’il les contrôle est importante. Pourtant, il n’y a pas de données scientifiques bien établies qui encouragent l’utilisation de psychotropes chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Médicaments antidépresseurs Seulement 5 études randomisées en double aveugle ont évalué le traitement de la dépression chez des patients ayant une tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Prise en charge de la maladie d’Alzheimer Médicaments neuroleptiques et antipsychotiques atypiques La question de la prescription des neuroleptiques et des antipsychotiques atypiques est souvent discutée au cours de la maladie d’Alzheimer en raison de la fréquence des troubles du comportement. Pourtant aucun des médicaments de ces classes thérapeutiques n’a obtenu d’indication dans ce cadre qui soit validée par les autorités de santé. Les effets recherchés par les médecins qui les prescrivent sont fondés sur leurs propriétés antipsychotiques et sédatives pour lesquels ils sont utilisés en psychiatrie dans les psychoses, délires et tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 hallucinations. La tolérance de ces médicaments est médiocre chez les sujets âgés. En particulier, les neuroleptiques classiques ont des effets anticholinergiques qui peuvent aggraver le déficit cérébral de ce neuromédiateur lié à la maladie d’Alzheimer et qui tendent à atténuer l’effet des IACE. De plus, ils sont pourvoyeurs de syndromes extrapyramidaux, d’hypotension orthostatique, de chutes, de constipation, de rétention urinaire et de sécheresse de la bouche. Les neuroleptiques classiques et les antipsychotiques atypiques peuvent entraîner une sédation souvent dose-dépendante. Les antipsychotiques atypiques entraînent moins fréquemment que les neuroleptiques classiques des syndromes extrapyramidaux et des effets anticholinergiques, mais n’en sont pas totalement dénués. Aussi, leur utilisation a progressivement supplanté celle des neuroleptiques classiques. Toutefois, des travaux de pharmacovigilance ont alerté la communauté médicale sur une augmentation de mécanisme inexpliqué de l’incidence des accidents vasculaires cérébraux chez les patients recevant de l’olanzapine (Zyprexa®) [24] ou de la rispéridone (Risperdal®) [25], 2 antipsychotiques atypiques. Plusieurs études ont examiné le risque d’accident vasculaire cérébral et la mortalité liée à l’utilisation des neuroleptiques atypiques. Schneider a publié en 2005 une méta-analyse des effets des antipsychotiques sur la mortalité des patients atteints de démence [26, 27]. Sur les 15 essais retenus ayant 10 à 12 semaines de suivi, une augmentation significative de la mortalité a été enregistrée avec le traitement actif par rapport au placebo (3,5 versus 2,3 %, OR = 1,54 IC95 % : 1,06-2,23). Une autre étude de cohorte portant sur plus de 20 000 sujets de plus de 65 ans qui ont débuté un traitement par neuroleptique ou antipsychotique atypique montrait que le risque relatif de mortalité dans les 6 mois suivant le début du traitement était significativement plus élevé chez les utilisateurs de neuroleptique classique par rapport aux utilisateurs d’antipsychotique atypique (RR = 1,37, IC95 % : 1,29-1,49) [28]. Deux méta-analyses de la Cochrane Library ont évalué l’efficacité et la tolérance de l’halopéridol (Haldol®) [29], un neuroleptique classique, et des antipsychotiques atypiques [30, 31] dans les troubles du comportement associés à la démence. La méta-analyse concernant l’halopéridol a porté sur 5 essais randomisés en double aveugle contre placebo chez des patients déments ayant une agitation. Si une faible efficacité sur le symptôme agressivité a été mise en évidence, aucune efficacité n’est ressortie sur l’agitation. Par ailleurs, les effets secondaires des neuroleptiques classiques sont bien mis en évidence. La méta-analyse concernant les antipsychotiques atypiques a porté sur 5 essais pour la rispéridone, 4 essais pour l’olanzapine et 2 essais pour 2 autres antipsychotiques (quetiapine [non commercialisé en France], aripiprazole [Abilify®]). La rispéridone (1 et 2 mg) est plus efficace que le placebo pour améliorer le comportement global, réduire l’agitation et l’agressivité. Parmi ses effets indésirables, il 1505 maladie d’Alzheimer. Lyketsos a publié en 2003 un essai sur 44 patients montrant que la sertraline (Zoloft® et génériques), un inhibiteur de la recapture de la sérotonine, avait un effet supérieur au placebo sur les symptômes dépressifs et était bien toléré. Aucun effet n’était enregistré au plan cognitif [17]. Mais un autre essai randomisé conduit chez 31 patients ayant une maladie d’Alzheimer au stade sévère n’a montré aucun effet de la sertraline sur les symptômes dépressifs [18]. Une autre étude a évalué l’effet de la fluoxétine (Prozac® et génériques) chez 41 patients ayant une maladie d’Alzheimer et n’a pas objectivé de supériorité par rapport au placebo [19]. Deux autres études ont évalué l’effet d’antidépresseurs tricycliques : l’imipramine (Tofranil®) [20] et la clomipramine (Anafranil® et génériques) [21]. Dans les 2 études, les médicaments se sont montrés plus efficaces que le placebo sur les symptômes dépressifs, mais avec des effets négatifs sur l’état cognitif. Enfin une dernière étude a comparé la fluoxétine à l’amitriptyline (Laroxyl®) et n’a pas montré de différence d’efficacité entre ces 2 traitements, mais une moins bonne tolérance de l’amitriptiline [22]. En conclusion, les résultats de ces études ne sont pas homogènes. Les antidépresseurs tricycliques semblent efficaces sur la dépression associée à la maladie d’Alzheimer mais ont des effets négatifs au plan cognitif, ce qui s’explique par leurs propriétés anticholinergiques. Les résultats concernant l’efficacité des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont contradictoires. Si un inhibiteur de la recapture de la sérotonine est utilisé, il faut noter que la fluoxétine, la fluvoxamine ou la paroxétine ont des effets inhibiteurs du cytochrome P450 et que leur utilisation comporte un risque d’interaction avec le donépézil et la galantamine. Enfin la paroxétine a des effets anticholinergiques modérés, si bien que son association avec les IACE n’est pas logique. Les antidépresseurs ont aussi été proposés pour améliorer les troubles du comportement chez les patients ayant une démence. Les quelques essais randomisés examinant leur efficacité n’ont pas été très concluants. Toutefois, dans un essai contrôle portant sur 85 patients, le citalopram (Seropram® et génériques) s’est montré plus efficace que le placebo pour améliorer le comportement des patients déments hospitalisés [23]. Mise au point troubles cognitifs et démences Belmin J, Péquignot R, Konrat C, Pariel-Madjlessi S faut noter une augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral (OR : 3,7 [1,7 à 7,8]). La fréquence des effets extrapyramidaux est liée à la dose (OR 1,8 à 1 mg/j, 3,4 à 2 mg/j), et certains effets indésirables sont observés à 2 mg/j et non à 1 mg/j : chutes, troubles de la marche, infections respiratoires. En ce qui concerne l’olanzapine, elle a amélioré plus que le placebo les items agressivité, anxiété et euphorie de l’échelle de l’inventaire neuropsychiatrique (NPI). Les effets indésirables plus fréquents qu’avec le placebo sont les troubles de la marche, l’hostilité, somnolence et fièvre. Depuis cette méta-analyse, un important essai en double aveugle (Catie-AD) a comparé chez 421 patients ayant une maladie d’Alzheimer et une agitation, une agressivité ou des symptômes psychotiques l’olanzapine, la rispéridone et la quetiapine (à doses ajustées) au placebo [32]. À 12 semaines, sur une échelle d’impression globale (Caregiver global impression of change), une amélioration était notée chez 32 % des patients traités par olanzapine, 26 % de ceux traités par quetiapine, 29 % de ceux traités par rispéridone, et 21 % de ceux prenant le placebo (p = 0,22). Dans le groupe placebo, 5 % des patients ont arrêté le traitement pour effet indésirable contre 18 à 24 % dans les groupes recevant un traitement actif. De plus, Tariot [33] a comparé la quetiapine à l’halopéridol et au placebo chez 284 patients ayant une maladie d’Alzheimer avec symptômes psychotiques. Il n’y a pas eu de différence d’efficacité entre les traitements au vu d’une échelle portant sur les symptômes psychotiques évalués par une échelle d’impression clinique globale. L’halopéridol était moins bien toléré que la quetiapine. En conclusion, l’évaluation du rapport bénéfice/risque des neuroleptiques et des antipsychotiques atypiques pour traiter l’agitation, l’agressivité ou les symptômes psychotiques de la maladie d’Alzheimer est largement défavorable à leur utilisation. L’efficacité est modeste et se manifeste principalement sur l’agressivité, alors que des effets indésirables sérieux sont observés (surmortalité pour les neuroleptiques classiques et les antipsychotiques, et accidents vasculaires cérébraux pour les antipsychotiques). Autres psychotropes 1506 D’autres psychotropes sont parfois essayés pour contrôler les troubles du comportement des patients déments. Les thymorégulateurs et en particulier l’acide valproïque ont fait l’objet de plusieurs essais et en 2004, Lonergan [34] a tenté d’en faire une méta-analyse. Sur les 3 essais randomisés et contrôlés identifiés, la méta-analyse n’a pas pu être conduite du fait de la méthodologie des études. L’analyse individuelle des études suggère que le traitement n’est pas efficace à faible dose, et qu’à dose plus forte il est mal toléré. Depuis, Tariot a publié un essai en double aveugle comparant le divalproex au placebo chez 153 patients institutionnalisés ayant une maladie d’Alzheimer avec agitation qui n’a montré aucune efficacité [35]. Nous n’avons pas trouvé d’essais randomisés contrôlés évaluant les benzodiazépines ou apparentés (carbamates notamment) pour améliorer l’agitation, l’anxiété ou les troubles du sommeil dans la maladie d’Alzheimer, ni d’essais évaluant l’effet du zolpidem (Stilnox® et génériques) ou de la zopiclone (Imovane® et génériques) pour les troubles du sommeil dans ce contexte. L’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés n’est pas logique chez ces patients en raison des troubles de la mémoire et de l’attention qu’ils peuvent induire. Prises en charge non médicamenteuses D’une façon générale, la prise en charge non médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer contribue à atteindre les objectifs thérapeutiques. Elle vise principalement à fournir au patient et à son entourage des moyens pour aider à gérer les conséquences de la démence sur la vie quotidienne. Il existe divers types d’actions non médicamenteuses pour cette maladie. De nombreuses actions non médicamenteuses trouvent leur justification sur des bases logiques, pour répondre à des besoins identifiés chez les patients et les aidants. Certaines actions ont fait l’objet d’évaluation, mais il est difficile de connaître avec précision leur efficacité, car l’analyse de la littérature dans ce domaine est très complexe. Les études réalisées sont souvent des essais de petite taille, avec des interventions diverses et souvent des défauts méthodologiques comme l’absence de randomisation ou encore l’absence de groupe contrôle. En 2003, la Haute autorité de santé (HAS) a édité un rapport d’évaluation technologique sur l’analyse de la littérature sur ce sujet et a classé ces interventions en 6 catégories : stimulation cognitive et psychocognitive, stimulation du comportement, stimulation sensorielle, stimulation de l’activité motrice, aménagement de l’environnement, et enfin surveillance médicale [36]. La conclusion de cette revue de littérature est explicite : « Aucune conclusion valide ne peut donc être tirée sur ces études en nombre insuffisant et de qualité méthodologique très médiocre. Toutes ces techniques restent insuffisamment évaluées, de nombreuses questions restent posées ». Ce jugement lapidaire est toutefois tempéré par un autre constat : certaines « revues [de la littérature] semblent plutôt favorables à l’ensemble des approches évaluées, en particulier sur l’amélioration des interactions sociales, de la communication, et la réduction des troubles du comportement. Ces bénéfices restent néanmoins très modestes et aucune amélioration sur le déclin cognitif n’a été observée ». D’autres interventions de santé non analysées dans la revue de la HAS, car publiées ultérieurement ou entrant dans un champ différent de celui étudié (interventions envers les aidants ou effets de la luxthérapie), ont montré des effets intéressants. Case management Une étude récemment publiée dans le JAMA a étudié l’effet d’une organisation structurée de la prise en charge coordontome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Prise en charge de la maladie d’Alzheimer Un programme d’ergothérapie à domicile Un essai randomisé contrôlé a été conduit chez 135 sujets de plus de 65 ans ayant une démence légère à modérée vivant à domicile et a évalué l’effet d’un programme d’ergothérapie sur l’autonomie des patients et le fardeau des aidants familiaux [39]. Le programme consistait en une série de 10 séances d’une heure pendant 5 semaines, séances destinées à la fois au patient et à son aidant, et réalisées par un ergothérapeute formé. L’évaluation réalisée à 6 et 12 semaines a montré une amélioration significative de l’autonomie des patients et une réduction significative du fardeau des aidants dans le groupe ayant bénéficié de l’intervention. Effets de la lumière vive Plusieurs auteurs ont essayé d’exposer les patients atteints de la maladie d’Alzheimer à une lumière vive (luxthérapie ou luminothérapie) avec des protocoles divers selon l’intensité, la durée ou encore l’horaire d’administration. Cette technique dont l’utilisation est répandue en psychiatrie a des effets biologiques qui ont conduit à l’évaluer dans la maladie d’Alzheimer. Forbes a conduit une méta-analyse sur ces essais pour contrôler les troubles du sommeil et du comportement dans la maladie d’Alzheimer [40]. Sur les 5 essais randomisés identifiés, 3 ont été retenus et la conclusion était négative quant à l’effet de la lumière vive. Toutefois, l’hétérogénéité des études et la faible puissance statistique n’ont pas permis de conclure définitivement quant à l’intérêt potentiel de cette approche pour gérer ces complications, notamment en institution. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Prise en charge de répit On peut aussi proposer au patient et à sa famille la prise en charge en accueil de jour. Ces structures permettent l’accueil du patient pendant une partie de la journée et proposent des activités occupationnelles et une aide pour réaliser les gestes de la vie quotidienne durant la présence dans la structure [41]. Les prestations et tarifs de ces accueils de jour sont très disparates ; ces structures le plus souvent de type associatif sont encore peu nombreuses et leur répartition sur le territoire n’est pas homogène. Les accueils de jour sont considérés comme faisant partie des prises en charge de répit, dont on attend principalement une aide pour l’entourage du patient plus que pour le patient lui-même. Les prises en charge de répit peuvent aussi être envisagées sous la forme de séjours de durée limitée dans une maison de retraite, ce qui peut permettre à l’aidant principal de réaliser un projet comme un voyage ou une intervention chirurgicale. Toutefois, le nombre d’établissements qui proposent ces prestations est encore limité. Si ces prises en charge de répit peuvent être utiles à certains aidants, les études qui ont cherché à évaluer leurs effets sur le fardeau de l’aidant se sont montrées décevantes [42]. Programmes éducatifs et psycho-éducatifs envers les aidants familiaux Plusieurs équipes ont évalué d’intérêt d’actions éducatives ou psycho-éducatives envers les aidants familiaux des patients. Ces démarches ont plusieurs objectifs : • améliorer les connaissances de l’aidant et lui apprendre à utiliser les ressources du système de santé ; • l’aider à mieux comprendre le patient et son comportement, et apprendre à contrôler ses émotions face au patient ; • exercer un renforcement positif de l’aidant en valorisant son action et en l’encourageant à maintenir/développer ses liens sociaux ; • encourager l’aidant à préserver sa santé physique et mentale. Ces actions ont pour buts d’atténuer le fardeau de ces aidants et de retarder l’entrée en institution. L’évaluation de ces actions à travers la littérature médicale est complexe pour de nombreuses raisons : études menées sur des effectifs relativement faibles, interventions de natures diverses, délai d’évaluation, variabilité des critères de jugement. Malgré ces écueils, il se dégage une impression globalement positive vis-à-vis de ces actions. En particulier, les méta-analyses conduites sur ce sujet par Sorensen en 2002 [42] et par Brodaty en 2003 [43] ont conclu que les interventions étaient efficaces pour améliorer les connaissances des aidants, diminuer leurs symptômes dépressifs. Certaines études montrent aussi une diminution des troubles du comportement du patient ainsi qu’une tendance à un retard à l’entrée en institution. Une des études les mieux conçues a montré qu’un programme éducatif asso- 1507 née par une infirmière appelée par leurs auteurs “collaborative care” [37]. Dans ce travail, 153 patients atteints de la maladie d’Alzheimer ont été répartis par tirage au sort en 2 groupes : un recevant les soins habituels, et l’autre des soins selon une stratégie structurée dite collaborative. Elle consistait en un suivi direct du patient et de son aidant par une infirmière spécialement formée se rendant à leur domicile, travaillant avec l’aidant et avec le médecin traitant. Elle disposait de protocoles de soin permettant de conseiller l’aidant et le médecin pour la prise en charge, mais aussi de se mettre en lien avec l’équipe spécialisée en cas de nécessité. Cette intervention a duré un an. L’évaluation à la fin de l’intervention et 6 mois plus tard a montré que dans le groupe intervention, il y avait significativement moins de troubles du comportement que dans le groupe soin usuel, et que le retentissement sur l’aidant et ses symptômes dépressifs étaient significativement moindres. Toutefois, l’intervention n’a pas eu d’effet significatif sur l’incidence des hospitalisations ou de l’entrée en institution des patients. Une autre étude randomisée comparant le case management au soin usuel avait montré que le taux d’hospitalisation des aidants familiaux était significativement diminué par ce type de prise en charge [38]. Mise au point troubles cognitifs et démences Belmin J, Péquignot R, Konrat C, Pariel-Madjlessi S cié à des actions de soutien (aide téléphonique par le centre de référence) était capable de retarder de façon significative l’entrée en institution en moyenne d’un an [44, 45]. Interventions combinées envers les patients et les aidants Teri et al. ont mené une étude intéressante [46] qui a combiné une intervention de santé comportant un programme d’activité physique pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer et un programme d’éducation pour les aidants familiaux : 153 couples aidants-patients ont été randomisés et ont reçu soit l’intervention soit les soins usuels pendant 3 mois. Dans le groupe intervention, il était constaté chez les patients une amélioration significative du fonctionnement physique et un meilleur niveau d’activité motrice et une diminution significative des scores de symptômes dépressifs par rapport aux patients ayant reçu les soins usuels. Santé globale des patients atteints de la maladie d’Alzheimer Gérer mes comorbidités est un aspect important de la prise en charge de ces patients. En effet, les comorbidités sont fréquentes en raison du grand âge des patients et peuvent interagir avec leurs fonctions cognitives, leur autonomie ou leur comportement. Il est important de bien contrôler l’hypertension artérielle, ce qui semble avoir un effet positif sur l’évolution des fonctions cognitives. La correction de troubles sensoriels (presbyacousie, cataracte) peut aider les patients à bien communiquer avec leur entourage. La survenue chez un patient atteint de la maladie d’Alzheimer de maladies graves imposant des traitements lourds peut soulever des questions éthiques si le patient n’est pas en mesure d’exprimer ses choix vis-à-vis des traitements proposés. Parmi de nombreux exemples on peut citer la survenue d’une insuffisance rénale requérant une hémodialyse ou bien d’un cancer nécessitant des traitements anticancéreux agressifs. Dans ces situations, le rôle de la personne de confiance et plus généralement de l’entourage familial du patient est crucial. Le recueil des directives anticipées du patient exprimées à un stade précoce de sa maladie est aussi une approche intéressante, mais très peu répandue dans la pratique aujourd’hui. de coordination (CLIC) de son bassin de vie. Ces CLIC disposent de personnels pouvant les aider et les informer sur les prestations sociales dont ils peuvent bénéficier et sur les ressources du système de santé qui peuvent les soutenir. On peut facilement obtenir les coordonnées des CLIC de son département en s’adressant à sa mairie ou sur le site internet du ministère de la Santé. En cas de perte d’autonomie, il faut proposer diverses aides : interventions de services de soins infirmiers à domicile ou d’une infirmière à domicile, emploi d’une auxiliaire de vie, recours à une aide ménagère. Il faut aussi conseiller au patient et à l’aidant de demander une prestation sociale l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) spécifiquement destinée aux personnes de plus de 60 ans ayant une perte d’autonomie définie par un groupe GIR (groupe isoressources) de 1 à 4 déterminé au moyen de la grille Aggir. Il faut conseiller aux aidants de se mettre en contact avec des associations de familles de patients atteints de démence, qui souvent mettent en œuvre des systèmes d’entraide et de solidarité. L’entrée en institution gériatrique concerne un nombre important de patients âgés atteints de démence. Aujourd’hui, ces maladies et leurs conséquences représentent une cause majeure Organisation de la prise en charge médicosociale 1508 La mise en œuvre des actions non médicamenteuses dépend très largement du système de santé et de son organisation, et aussi des ressources du patient et de la société [1]. En France, la maladie d’Alzheimer fait partie de la liste des affections de longue durée, et il faut faire une demande auprès de l’assurance-maladie pour faire bénéficier le patient d’un meilleur remboursement des soins et ainsi faciliter en faciliter le déroulement [1]. D’une façon générale, il est utile de mettre en contact le patient et son aidant avec le Comité de liaison et F ig u r e 1 Différents types possibles d’effets des interventions thérapeutiques La courbe rouge représente le déclin cognitif observé au cours de l’évolution naturelle de la maladie d’Alzheimer sans traitement. Les médicaments dits “symptomatiques” améliorent les symptômes mais ne ralentissent pas la dégradation cognitive (traitement 1), ce qui se traduit par une pente identique à celle de l’évolution naturelle. La recherche de traitements capables de ralentir la dégradation cognitive (traitement 2) ou de la stopper (traitement 3) est très active. L’objectif de la recherche est d’obtenir l’effet représenté par le traitement 4, avec récupération fonctionnelle des altérations cognitives. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 Prise en charge de la maladie d’Alzheimer d’entrée en institution. Parmi les facteurs augmentant le risque d’entrée en institution figurent l’âge avancé (> 80 ans), le stade plus évolué de la maladie, l’existence de troubles du comportement, le sexe féminin, et l’isolement. Perspectives La recherche d’agents capables de ralentir ou même d’arrêter l’évolution de la maladie d’Alzheimer est aujourd’hui une réalité. Différents scenarios d’actions sur la maladie et son retentissement cognitif peuvent être imaginés (figure 1). Chez des souris transgéniques modèles de la maladie, une immunothérapie dirigée contre le peptide bêta-amyloïde, un des composés principaux des lésions neuropathologiques de la maladie, a montré des effets spectaculaires : non seulement le développement de la maladie était prévenu par l’immunothérapie administrée chez les animaux jeunes, mais de plus celle-ci régressait lorsque l’immunothérapie était administrée chez les animaux âgés ayant déjà des dépôts cérébraux de peptide bêta-amyloïde [47]. Malgré ces espoirs, le premier essai chez l’homme a été interrompu prématurément en raison de méningoencéphalites chez 6 % de sujets traités. Toutefois, l’approche n’est pas abandonnée avec le développement de techniques d’immunisation de seconde génération contre ce peptide conçues pour être mieux tolérées. D’autres espoirs sont placés dans la recherche portant sur les agents modulant le métabolisme du peptide bêta-amyloïde. Ce peptide est formé par le clivage d’une protéine précurseur appelée APP par des protéases, les bêta et gamma-sécrétases. La recherche d’inhibiteurs de ces protéases est une première approche pharmacologique pour diminuer la production de ce peptide. Un second type d’approche vise à inhiber son agrégation dans le tissu cérébral ou à favoriser sa dégradation. D’autres voies de recherche visent à atténuer les conséquences des lésions sur le fonctionnement cérébral. Des recherches portent sur les effets de facteurs de croissance ou encore sur l’action de substances antioxydantes [48]. Les progrès de la recherche sur la maladie d’Alzheimer ont largement contribué à faire progresser la prise en charge des démences liées à d’autres maladies. Certains IACE se sont montrés efficaces dans la démence à corps de Lewy et dans la démence associée à la maladie de Parkinson et dans la maladie d’Alzheimer avec lésions cérébrovasculaires. De même, des essais intéressants ont été réalisés avec ces médicaments dans la démence vasculaire. Si les connaissances sur les traitements et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer ont beaucoup progressé au cours des dernières années, la prise en charge des patients évolue plus lentement et reste en retard, et à ce jour la majorité des patients ne reçoivent pas de traitements médicamenteux. Il est estimé que chez environ la moitié des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, le diagnostic n’a pas été fait, et donc ils ne reçoivent pas de traitement spécifique [1]. De plus, dans l’étude des 3 Cités, 38 % des patients chez qui le diagnostic de maladie d’Alzheimer a été posé ne reçoivent pas de traitement médicamenteux spécifique. Par ailleurs, le développement des prises en charge non médicamenteuses reste très insuffisant [49]. Ces points soulignés dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé [1] devraient s’améliorer dans les années à venir grâce aux plans de santé publique mis en œuvre. Mise au point troubles cognitifs et démences Conflits d’intérêts : aucun Références 2 3 4 5 6 Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé. La prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. Rapport de Cécile Gallez 2005 (n° 2454/466). Paris : Assemblée Nationale ; 2005. Klafki HW, Staufenbiel M, Kornhuber J, Wiltfang J. Therapeutic approaches to Alzheimer’s disease. Brain. 2006; 129: 2840-55. Birks J. Cholinesterase inhibitors for Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev. 2006; 1 (CD005593). Birks J, Harvey RJ. Donepezil for dementia due to Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev. 2006; 1 (CD001190). Loy C, Schneider L. 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L’atrophie corticale est un terme couramment employé pour décrire l’élargissement des sillons corticaux et des ventricules cérébraux en imagerie cérébrale. Elle peut être objectivée chez des sujets âgés indemnes de troubles cognitifs. Inversement, certains patients atteints de la maladie d’Alzheimer n’ont pas de signes radiologiques d’atrophie corticale. ✓ ❏ ❏ 3. L’épilepsie, les chutes et les pneumopathies infectieuses sont des complications de la maladie d’Alzheimer. L’épilepsie est une complication de la maladie d’Alzheimer, survenant habituellement sous la forme de crises partielles au stade avancé de la maladie. Les chutes sont fréquentes à tous les stades de la maladie et s’expliquent par les troubles de la marche et de l’attention. Enfin, les pneumopathies infectieuses sont favorisées par les troubles de la déglutition ; elles représentent une cause importante de mortalité au stade sévère de la maladie. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2 1511 Troubles cognitifs et démences 1512 Test de lecture troubles cognitifs et démences Vrai Faux ✓ ❏ ✓ ❏ ❏ ❏ ❏ ✓ ❏ ✓ ❏ ❏ ❏ ❏ ✓ ❏ ✓ ❏ ✓ ❏ ❏ ❏ ✓ ❏ ❏ ✓ ❏ 4. Chez les patients ayant une démence débutante, les éléments suivants sont en faveur du diagnostic de démence à corps de Lewy : • Syndrome extrapyramidal • Hallucinations visuelles • Hallucinations auditives • Maladie de Parkinson • Paralysie de l’oculomotricité • Altération marquée des fonctions exécutives • Caractère fluctuant des symptômes cognitifs • Crises épileptiques Chez un patient ayant une démence débutante, les signes en faveur d’une démence à corps de Lewy sont le syndrome extrapyramidal, des hallucinations visuelles, une altération marquée de fonctions cognitives et un caractère fluctuant dans le temps des symptômes cognitifs. Une intolérance sévère à un traitement neuroleptique est aussi un élément évocateur. Les hallucinations auditives font plutôt rechercher des causes psychiatriques. En présence d’une maladie de Parkinson caractérisée, on parle plutôt de démence associée à la maladie de Parkinson, même si cette entité présente des similarités avec la démence à corps de Lewy. Une paralysie de l’oculomotricité doit faire rechercher une paralysie supra nucléaire progressive. Des crises épileptiques sont observées dans les démences déjà installées ou encore dans la maladie de Creutzfeld-Jacob. 5. Les inhibiteurs de la cholinestérase sont indiqués dans le Mild cognitive impairment ou déclin cognitif léger. À ce jour, ces médicaments, qui sont indiqués dans la maladie d’Alzheimer, n’ont pas montré d’efficacité dans le Mild cognitive impairment ou déclin cognitif léger. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2