A CTUALITÉS SUR L’ A R T H R O S E DE L’ É P A U L E Traitement médical des omarthroses centrée et excentrée : deux stratégies thérapeutiques Medical treatment of primary osteoarthritis of the shoulder and rotator cuff arthropathy: two different therapeutic strategies " P o i n t s P. Goupille*, D. Mulleman* f o r t s # L’élément essentiel permettant de différencier les omarthroses centrée et excentrée est la présence d’une rupture massive et ancienne de la coiffe des rotateurs dans l’omarthrose excentrée. # L’omarthrose excentrée associe sur le plan radiographique une arthrose sous-acromiale, avec, dans les formes évoluées, un pincement gléno-huméral. # Aucun traitement n’a été clairement validé pour l’omarthrose (centrée ou excentrée). # Dans l’omarthrose excentrée, le traitement doit rester purement symptomatique. # La viscosupplémentation est en cours d’évaluation dans l’omarthrose centrée. Mots-clés : Omarthrose - Rupture de coiffe Traitement médical. Keywords: Osteoarthritis of the shoulder Rotator cuff tear - Medical treatment. * Service de rhumatologie, CHU hôpital Trousseau, Tours. La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 N ous ne disposons pratiquement d’aucune publication spécifique sur le thème du traitement médical de l’omarthrose, qu’elle soit centrée ou excentrée. La plupart des études, notamment celles évaluant l’efficacité des injections de corticoïdes, concernent pratiquement toujours des séries d’épaules douloureuses, et quasi exclusivement des pathologies de la coiffe des rotateurs et des capsulites rétractiles. Les quelques articles consacrés à l’omarthrose se contentent de rapporter l’expérience des auteurs et d’énumérer les thérapeutiques habituellement utilisées. Il n’y a donc, en 2004, aucune étude méthodologiquement correcte et, de ce fait, aucun traitement médical clairement validé de l’omarthrose. Cette constatation est probablement, au moins en partie, liée à la faible prévalence de l’affection. Ainsi, une étude portant sur 200 patients âgés en moyenne de 84,4 ans a montré que 190 des 400 épaules étaient strictement normales sur le plan clinique et radiographique ; 62 épaules étaient associées à un pincement sous-acromial (espace acromio-huméral inférieur à 7 mm), mais seules 8 d’entre elles (2 % de la population étudiée) répondaient à la définition usuelle de l’omarthrose excentrée (arthrose gléno-humérale associée à un pincement de l’espace acromio-huméral) (1). Dans cette même population de 400 épaules, on observait 10 cas d’omarthrose centrée, soit une prévalence de 2,5 %. Cette constatation est peut-être liée à un problème de définition. En effet, si la définition de l’omarthrose centrée est assez consensuelle (arthrose gléno-humérale associée à un respect de la coiffe des rotateurs, même si cette dernière peut, parfois, être le siège d’une rupture partielle ou très limitée), il n’en va pas de même pour la définition de l’omarthrose excentrée. L’élément constant semble être une large rupture de la coiffe des rotateurs ; celle-ci sera fréquemment associée à un pincement de l’espace acromiohuméral, le pincement gléno-huméral étant beaucoup plus inconstant. L’élément primordial qui semble clairement distinguer ces deux entités, et qui aura un impact considérable sur l’évolution de la maladie et la prise en charge du patient, est donc l’existence ou non d’une rupture massive de la coiffe des rotateurs. 21 A CTUALITÉS SUR L’ A R T H R O S E POURQUOI DEUX STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES DIFFÉRENTES ? Ces deux affections (omarthroses centrée et excentrée) ont des similitudes : présence d’une arthrose d’intensité variable, phénomènes douloureux et limitation des amplitudes articulaires conduisant à un handicap fonctionnel d’intensité variable. Les modalités du traitement symptomatique sont également assez similaires. Toutefois, il existe des différences notables. La plus importante, qui aura des répercussions sur les modalités pratiques de prise en charge, est l’existence dans l’omarthrose excentrée d’une large rupture de la coiffe des rotateurs, à l’origine de l’évolution arthrosique. De même, l’évolution, le pronostic, les possibilités de traitement chirurgical, ses modalités et ses résultats ne sont pas comparables. Enfin, et pour toutes les raisons énumérées, les objectifs thérapeutiques ne peuvent être les mêmes. Très schématiquement, la prise en charge d’une omarthrose excentrée avec une large rupture de la coiffe des rotateurs visera essentiellement à obtenir une antalgie satisfaisante, la restauration de la fonction et de la force paraissant illusoires ; en revanche, au cours de l’omarthrose centrée, si le contrôle de la douleur est toujours un objectif essentiel, il paraît envisageable d’améliorer, dans des proportions liées à la sévérité de l’atteinte gléno-humérale, la force et la fonction. DE QUELLES MÉTHODES THÉRAPEUTIQUES DISPOSONS-NOUS ? Très schématiquement, il faut distinguer les méthodes préventives et les mesures symptomatiques. Méthodes préventives Dans l’omarthrose centrée, certaines activités professionnelles favorisantes ont été listées, parmi lesquelles le maniement d’outils à air comprimé, l’activité de scaphandrier, etc. Il est donc utile de surveiller étroitement cette population, de réaliser des examens complémentaires en cas de symptômes douloureux et, éventuellement, de proposer un changement ou une adaptation de poste de travail en cas de détection de signes d’omarthrose centrée débutante. Il semble également logique d’éviter certains sports (aviron, volley-ball, hand-ball, etc.) susceptibles d’aggraver la symptomatologie et les lésions. Dans l’omarthrose excentrée, la mesure préventive fondamentale consiste à détecter précocement cette rupture de la coiffe des rotateurs et à proposer une prise en charge adaptée visant à prévenir le développement d’une arthrose évoluée. Mesures symptomatiques Avons-nous progressé depuis 1967 dans les mesures symptomatiques de prise en charge des omarthroses ? Un article publié en 1967 énumérait les thérapeutiques alors préconisées (2). Diverses modalités étaient proposées, soit en 22 DE L’ É P A U L E application externe (baumes tranquille, De Fiovaranti, Aroma®, Algipan® suractivé, Synthol®, Lumirelax®, pommade au néosaliode), soit au titre de médications de fond antiarthrosiques (iode, soufre, phosphore, calcium, Vitamines A, B1, B6, B12, D2, estrogènes de synthèse, androgènes non virilisants, extraits thyroïdiens, de moelle osseuse, sérum antiréticulocytaire, extraits de placenta, d’amnios, d’embryon, eau d’uriage en i.m. ou i.v., etc.). Il était également précisé : “Aucune ne s’impose, ni ne se dégage nettement, mais il y aurait faute à ne pas l’employer et à l’ignorer” ! La lecture de cet article peut aujourd’hui faire sourire les plus jeunes, mais il faut reconnaître que, 38 ans plus tard, nous n’avons pas pris la peine d’essayer de valider quelque traitement que ce soit. QUELS TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES PEUT-ON UTILISER EN 2004 ? Nous allons étudier successivement les modalités suivantes : antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens, injections intra-articulaires de corticoïdes, radiothérapie anti-inflammatoire, synoviorthèses isotopiques, antiarthrosiques symptomatiques d’action lente, injections intra-articulaires d’acide hyaluronique, techniques de rééducation. Antalgiques Si les antalgiques sont utilisés quasi systématiquement, aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une évaluation. Toutefois, il paraît logique de les proposer à un patient qui souffre. Anti-inflammatoires non stéroïdiens Là encore, aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une évaluation. En raison des effets indésirables potentiels, il paraît logique de les réserver aux échecs des antalgiques, d’autant que la population traitée est volontiers âgée et atteinte de comorbidités. Injections intra-articulaires de corticoïdes Celles-ci ne sont pas plus validées que les modalités précédentes, et il semble préférable, après échec d’une injection réalisée “à l’aveugle” au cabinet de consultation, de pratiquer une injection sous contrôle scopique avant de conclure à leur inefficacité ; en effet, plusieurs études ont montré les performances médiocres de la précision du lieu d’injection des corticoïdes. Un premier travail avait montré que l’injection intra-articulaire atteignait son but dans seulement 42 % des cas et que les injections strictement intra-articulaires avaient une plus grande efficacité (3). Ce travail a étudié la cible de 24 injections intra-articulaires d’épaules ; à la triamcinolone était associé un faible volume de produit de contraste radio-opaque permettant d’identifier le lieu exact de l’injection sur une radiographie pratiquée juste après. Les symptômes, la mobilité et la satisfaction du patient étaient évalués à deux semaines. La localisation intra-articulaire de l’injection n’était vérifiée que dans 10 des 24 injections, soit 42 % des cas ; de plus, une différence significative en termes d’efficacité, portant sur la raideur, la fonction, la mobilité (flexion, abduction) et le bénéfice apprécié par le patient, était observée chez ceux ayant effectivement reçu une injection intra-articulaire. La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 Un autre travail a montré des résultats assez similaires concernant les injections par voie sous-acromiale et également l’intérêt d’un contrôle échographique de l’injection (4). Cette étude a comparé la précision d’une infiltration sousacromiale “à l’aveugle” de 20 mg de triamcinolone (n = 20) à celle d’une infiltration sous-acromiale sous contrôle échographique de 20 mg de triamcinolone (n = 21), effectuées par le même opérateur. La cible de l’injection était contrôlée par échographie, et une évaluation était réalisée 5 jours avant et 6 semaines après l’injection par un observateur indépendant. Celle-ci a démontré une amélioration significativement supérieure du groupe échographie ; la localisation de l’injection était beaucoup plus précise dans ce même groupe échographie, suggérant ainsi un lien entre précision et efficacité. Dans le groupe “à l’aveugle” (n = 20), la localisation de l’injection était : 7 fois dans le deltoïde, 6 fois en intra-tendineux, 3 fois dans la bourse sous-acromio-deltoïdienne, 3 fois dans la bourse et le deltoïde, et une fois non détectée. Dans le groupe échographie (n = 21), la localisation de l’injection était : une fois dans la bourse sous-acromio-deltoïdienne et le deltoïde, une fois dans la bourse sous-acromio-deltoïdienne et le tendon supraspinatus, et 19 fois dans la bourse sous-acromiodeltoïdienne. Radiothérapie anti-inflammatoire Cette thérapeutique, déjà décrite en 1967 (2), semble encore être utilisée, comme en attestent des publications assez récentes (5, 6). Toutefois, la méthodologie de ces travaux n’est pas assez rigoureuse pour que l’on puisse conclure quant à son intérêt et à son efficacité. Cette thérapeutique a été évaluée entre 1984 et 1994 chez 85 patients souffrant d’arthrose, parmi lesquels 17 avaient une omarthrose (pour un total de 27 articulations), et suivis à long terme (4 ans en moyenne, extrêmes de 1 à 10 ans) (5). Les patients recevaient deux séries de 6 Gy à intervalle de 6 semaines, à raison de 3 séances par semaine, et étaient évalués à 6 mois et à long terme. Une amélioration des symptômes a été constatée chez 46 patients sur 73 (63 %), une amélioration du score de Constant étant observée pour 16 épaules douloureuses sur 27 (59 %). Un autre travail, publié en 2001, a évalué l’efficacité d’une irradiation de 6 Gy sur 10 épaules douloureuses (la pathologie incriminée n’était pas précisée) (6). L’évaluation a été réalisée à J0, J7, 7 semaines et à long terme, avec une amélioration de l’intensité douloureuse respectivement de 72 %, 85 % et 93 %, associée à une amélioration significative de la mobilité. Il apparaît clairement qu’il n’est pas possible, sur les résultats d’études avec une telle méthodologie, de recommander cette modalité thérapeutique. Synoviorthèses isotopiques Elles ont été évaluées uniquement au cours des arthropathies destructrices microcristallines (7). Trente patients (57 épaules ; 25 hommes, 5 femmes ; âge moyen de 76,1 ans ± 8 ans) ont été classés en trois groupes : – chondrocalcinose certaine (cristaux de pyrophosphate de calcium et liseré caractéristique sur la radiographie) : n = 13 ; La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 – chondrocalcinose probable (liseré caractéristique sur la radiographie) : n = 11 ; – arthropathie métabolique (pas de chondrocalcinose) : n = 6. Tous les patients avaient un épanchement, hémorragique dans 50 % des cas, récidivant malgré les injections de corticoïdes et ont reçu une injection de 186Rhenium, l’objectif étant d’évaluer la capacité à tarir cet épanchement. À 6 mois, 6 des 13 patients du groupe 1, 3 des 11 patients du groupe 2 et un des 6 patients du groupe 3 avaient constaté une disparition durable de l’épanchement. Malheureusement, ces résultats bénéfiques se sont dégradés avec le temps, puisque, à 12 mois, ils n’étaient plus constatés que chez respectivement zéro patient sur 13, un patient sur 11 et un patient sur 6 patients. Ce traitement peut donc faire partie de l’arsenal thérapeutique pour les arthropathies destructrices métaboliques rebelles avec épanchements récidivants, afin de passer un cap aigu. Antiarthrosiques symptomatiques d’action lente Aucune étude n’est disponible, et les omarthroses ne font pas partie des indications actuelles de ces produits. Injections d’acide hyaluronique Les données sont, pour l’instant, très préliminaires, et une étude doit débuter prochainement pour évaluer l’Hylan-20 dans l’omarthrose centrée. Deux travaux ont été publiés antérieurement (8, 9). Un travail a évalué le hyaluronate de sodium chez 62 patients (28 hommes, 34 femmes ; âge moyen de 65,4 ans) ayant une épaule douloureuse (sans précisions) (8). Une injection de 25 mg a été réalisée chaque semaine pendant 5 semaines (soit dans l’articulation gléno-humérale, soit dans la bourse sous-acromio-deltoïdienne), des injections supplémentaires étant éventuellement effectuées en cas de persistance des symptômes. La durée moyenne du traitement a été de 8,16 ± 0,88 semaines, le nombre moyen d’injections de 6,05 ± 0,61 ampoules ; une amélioration significative a été observée concernant la douleur au repos (75 %), la douleur à la mobilisation (73,7 %), la douleur à la pression (78,8 %), la mobilité et les activités quotidiennes. Un deuxième travail a évalué l’efficacité de 3 injections de 10 mg d’acide hyaluronique à 3 jours d’intervalle chez 29 patients ayant une épaule douloureuse (dont 23 avaient une arthrose ; âge moyen de 61 ans). Une évaluation a été effectuée après chaque injection et 11 jours après la dernière ; une amélioration significative a été observée concernant la mobilité, l’intensité de la douleur et la consommation d’antalgiques (9). Techniques de rééducation Dans l’omarthrose centrée, l’insuffisance musculaire semble globale, portant à la fois sur le sus-épineux, le sous-épineux, le deltoïde et les rotateurs internes. Les objectifs sont donc de contrôler la douleur, puis d’envisager une rééducation globale ciblée sur les rotateurs externes, les rotateurs internes et les muscles élévateurs. Toutefois, cette rééducation sera bien sûr limitée par le degré de la raideur de l’épaule liée à l’atteinte structurale de l’articulation ; les objectifs de ce travail rééducatif seront donc relativement modestes. 23 A CTUALITÉS SUR L’ A R T H R O S E Au cours de l’omarthrose excentrée, l’élément anatomique principal est constitué par la rupture massive de la coiffe ; il sera donc illusoire de vouloir améliorer la force et la fonction, et une rééducation trop active pourra même majorer la symptomatologie douloureuse. Il sera plus adapté de se contenter d’une balnéokinésithérapie visant à obtenir un certain degré d’antalgie. Dans tous les cas, il paraît important de débuter par une phase d’éducation effectuée par le kinésithérapeute ; celui-ci pourra contrôler les amplitudes et respectera la règle de la non-douleur. CONCLUSION La différence primordiale entre omarthroses centrée et excentrée est l’existence d’une large rupture de la coiffe des rotateurs au cours de cette dernière, dont il faut tenir compte pour la prise en charge thérapeutique. Les objectifs du traitement médical des omarthroses sont relativement modestes, et les modalités thérapeutiques peu ou pas du tout évaluées. Toutefois, les injections, notamment au cours de l’omarthrose centrée, de corticoïdes et d’acide hyaluronique méritent d’être mieux évaluées, et leur utilisation doit être optimisée. # 24 DE L’ É P A U L E Bibliographie 1. Noël É, Tavernier T, Nové-Josserand L et al. Omarthrose excentrée. Cahier Getroa 1995;249-58. 2. Exertier J, Francon F. Le rhumatisme chronique dégénératif de l’articulation scapulo-humérale, omarthrose et son traitement. J Med Lyon 1967;48:965-79. Eustace JA, Brophy DP, Gibney RP et al. Comparison of the accuracy of steroid placement with clinical outcome in patients with shoulder symptoms. 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