A CTUALITÉS SUR L’ A R T H R O S E DE L’ É P A U L E Rupture de la coiffe et omarthrose excentrée Rotator cuff-tear and rotator cuff arthropathy " É. Noël* DÉFINITION DE L’OMARTHROSE EXCENTRÉE P o i n t s f o r t s # L’omarthrose excentrée est toujours la conséquence d’une rupture ancienne et massive de la coiffe des rotateurs. # La dégradation fonctionnelle (douleurs et fonction) et la réduction de l’espace sousacromial au fil des mois et des années laissent supposer que l’évolution d’une rupture de la coiffe se fait vers une extension de la rupture. # À l’examen clinique, les amplitudes passives deviennent limitées à mesure que l’atteinte de la gléno-humérale progresse. # Il existe de façon constante une amyotrophie bien visible de la fosse sous-épineuse et une amyotrophie palpatoire de la fosse sus-épineuse. Elle est toujours la conséquence d’une rupture ancienne et massive de la coiffe des rotateurs. Elle est caractérisée sur le plan radiographique par un pincement de l’espace sous-acromial (distance mesurée, sur un cliché standard de face en rotation neutre, entre le bord supérieur de la tête humérale et le bord antéro-inférieur de l’acromion) s’accompagnant de remaniements dégénératifs de type arthrosique de la partie supérieure de la tête humérale et de l’extrémité inférieure de l’acromion. Cette arthrose sous-acromiale peut évoluer et aboutir à la constitution d’une néo-articulation sous-acromiale (figure 1). L’évolution peut se faire soit vers une ostéolyse progressive de l’acromion et/ou de la tête humérale à l’occasion de crises hyperalgiques de type épaule sénile, soit vers l’association avec une arthropathie gléno-humérale, réalisant alors le tableau complet de l’omarthrose excentrée, ou arthrose sur rupture massive de la coiffe des rotateurs (figures 2 et 3, p. 14). # Il est important de rechercher une rupture du biceps car, dans ce type de pathologie, s’il n’est pas rompu, le biceps peut être luxé ou subluxé et responsable d’importantes douleurs. # L’omarthrose excentrée va évoluer radiographiquement avec une vitesse variable, en fonction de paramètres mal connus, soit au niveau de l’articulation gléno-humérale, soit au niveau de l’acromion. Mots-clés : Rupture de la coiffe des rotateurs Omarthrose - Acromion. Keywords: Rotator cuff-tear - Osteoarthritis of the shoulder - Acromion. * Rhumatologue, clinique Sainte-Anne-Lumière, Lyon. La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 Figure 1. Arthrose sous-acromiale avec perte du cintre omo-huméral et néo-articulation sous-acromiale. 13 A CTUALITÉS SUR L’ A R T H R O S E DE L’ É P A U L E Figure 2. Omarthrose excentrée avec arthrose sous-acromiale. Figure 3. Omarthrose excentrée avec conservation du cintre omo-huméral, arthrose sous-acromiale et arthrose gléno-humérale. La constatation d’une omarthrose excentrée en consultation amène toujours le praticien à retrouver un tableau ancien de douleurs et de gêne fonctionnelle de l’épaule, correspondant à une rupture transfixiante de la coiffe des rotateurs. initiale, fiable et analysable a posteriori (arthroscanner ou IRM), car ce genre d’exploration est plutôt réservé au contexte préopératoire. C’est cette rupture de coiffe qui constitue le lit de l’omarthrose excentrée, alors que, dans l’omarthrose centrée, la coiffe est intacte ou présente parfois une petite lésion de coiffe qui est toujours secondaire à l’omarthrose. ÉVOLUTION NATURELLE DES RUPTURES TRANSFIXIANTES DE LA COIFFE DES ROTATEURS Elle est mal connue, car son étude nécessite un suivi prolongé, vu la lenteur d’évolution de cette pathologie. À ce jour, aucune étude prospective n’a permis de suivre la dégradation progressive des lésions tendineuses de l’épaule au décours d’une rupture de la coiffe des rotateurs, ni de déterminer en particulier le temps que met l’épaule pour se dégrader et évoluer vers une arthrose sous-acromiale. Dans les études rétrospectives, les ruptures transfixiantes de la coiffe traitées médicalement ont assez rarement bénéficié d’une imagerie 14 La pathologie dégénérative tendineuse étant lentement évolutive, il faut avoir un recul suffisant pour pouvoir juger de son évolution. Cependant, les travaux publiés avec un recul supérieur à 4 ans sont peu fréquents. Les quelques publications existant dans la littérature sur le sujet montrent une aggravation fonctionnelle avec les années et, indirectement, une aggravation anatomique (évolution radiographique), même si aucune étude d’imagerie non radiographique ne l’a clairement démontrée. Ainsi, Wallace et Wiley (1) ont montré que, sur une population de 36 travailleurs manuels (75 % ayant eu une arthrographie), 81 % gardaient des douleurs et avaient une force au CYBEX diminuée en moyenne de 60 %, avec un recul moyen de 5 ans. Caroit et al. (2), sur une série de 71 patients, retrouvaient 40 % de bons résultats dans une étude multicentrique (évaluation selon l’indice algo-fonctionnel de Patte), avec un recul moyen de 6 ans. Dans cette série, seuls 21 % des patients avaient eu initialement un diagnostic arthrographique. Les meilleurs résultats concernaient les sujets ayant eu une amélioration clinique à court terme, et les moins bons ceux ayant eu le plus grand nombre d’infiltrations. La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 Itoi et Tabata (3) ont publié une étude portant sur une série de 62 épaules ayant une rupture de la coiffe des rotateurs prouvée par arthrographie, avec un recul moyen de 3,4 ans. Selon les critères de Wolfgang, le résultat obtenu était bon ou excellent dans 82 % des cas. Dans 23 cas, le recul était supérieur à 5 ans. Les auteurs ont montré que le résultat se dégradait à partir de la 6e année suivant le diagnostic initial. La comparaison rétrospective des bons (n = 15) et des mauvais résultats (n = 8), avec un recul moyen de 6 ans, montrait que les patients ayant à l’examen initial les meilleures amplitudes actives et une force en abduction conservée au testing manuel avaient les meilleurs résultats. Tableau I. EAH moyen et pourcentage d’EAH inférieur à 7 mm en fonction de la lésion de coiffe (6). Bokor et al. (4) ont publié une série de 53 patients ayant une rupture de la coiffe prouvée par arthrographie et revus avec un recul moyen de 7,6 ans. Subjectivement, 74 % des 39 patients interrogés étaient satisfaits. Trente-quatre ont été revus cliniquement et évalués selon le score de l’UCLA : 56 % avaient un résultat satisfaisant. Ce résultat passait à 63 % pour ceux pris en charge dans les 3 premiers mois suivant le début des symptômes et s’améliorait à mesure que le recul augmentait. Ainsi, 61,5 % des 13 malades ayant un recul de plus de 9 ans avaient un résultat satisfaisant pour le score de l’UCLA. Objectivement, à la révision, 94 % présentaient une perte de force et 56 % une amyotrophie significative. Par ailleurs, l’état des muscles de la coiffe, et en particulier leur dégénérescence graisseuse (7), peut, dans certains cas, influencer fortement la hauteur de l’EAH. Il existait une relation modérément significative (p < 0,05) entre la dégénérescence du susépineux et la diminution de l’EAH (6). Il n’existait pas, en revanche, de relation entre la dégénérescence musculaire du sousscapulaire et la diminution de l’EAH, alors qu’il y avait une très forte relation entre la dégénérescence graisseuse du sous-épineux (stade IV) et la hauteur de l’EAH (EAH < 7 mm dans 100 % des cas et EAH moyen = 2,2 mm). En 1993, nous avions étudié rétrospectivement (5) une série de 90 épaules avec rupture arthrographique de la coiffe. L’évaluation était faite selon le score de Constant, avec un recul moyen de 4,7 ans par rapport au début des douleurs. Les excellents et bons résultats représentaient 40 % des cas. Nous avions retrouvé 72,5 % d’espaces acromio-huméraux réduits par rapport à la radiographie initiale (recul moyen de 3,8 ans), ce qui témoigne indirectement de l’évolution des lésions tendineuses. Nové-Josserand et al. (6) ont étudié les paramètres qui favorisent cette ascension de la tête humérale dans les suites d’une rupture de la coiffe des rotateurs. Deux cent soixante-quatre ruptures transfixiantes de la coiffe des rotateurs (ruptures du susépineux isolées ou associées à des ruptures du sous-épineux et/ou du sous-scapulaire) opérées entre 1984 et 1994 ont été inclues. Parmi cette population initiale, 84 épaules ont eu un arthroscanner permettant l’analyse a posteriori des lésions de la coiffe et de l’état musculaire, ces lésions ayant ensuite toutes été confirmées lors de l’intervention chirurgicale. Les auteurs ont retrouvé une relation significative entre la hauteur de l’espace sous-acromial (EAH) et l’ancienneté des symptômes (p < 0,05). La hauteur moyenne de l’EAH et le pourcentage de pincement de l’espace sous-acromial (< 7 mm sur un cliché standard en position neutre) variaient en fonction de la lésion anatomique de la coiffe (tableau I). En ce qui concerne la longue portion du biceps (LPB), seule une luxation (en dedans par rapport au trochin) s’accompagnait d’une réduction significative de l’EAH moyen (LPB non rompue : EAH moyen de 9,2 mm, LPB rompue : EAH moyen de 9 mm, et LPB luxée : EAH moyen de 5,5 mm et 71 % d’EAH < 7 mm). La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 EAH moyen (mm) Épaules avec EAH < 7 mm (%) Sus-épineux 9,5 4,5 Sus- et sous-épineux 7,5 28 Sus- et sous-épineux + sous-scapulaire 5,4 63 En résumé, ces constatations de dégradation fonctionnelle (douleurs et fonction) et de réduction de l’espace sous-acromial au fil des mois et des années laissent supposer que l’évolution d’une rupture de coiffe se fait vers une extension de la rupture. Celleci s’accompagne, plus ou moins rapidement selon la localisation de la rupture et l’âge du patient, d’une ascension de la tête humérale (arthrose sous-acromiale), puis d’une arthropathie glénohumérale (pincement gléno-huméral avec ostéophyte huméral témoignant de l’ancienneté des lésions). PRÉSENTATION CLINIQUE DES OMARTHROSES EXCENTRÉES Sur le plan des symptômes, elles peuvent se présenter sous plusieurs aspects : – être symptomatiques chez des patients qui se sont bien adaptés et qui ont peu de douleurs, gardant une élévation antérieure active normale et ayant essentiellement une perte de force matérialisée par une fatigabilité à l’effort, bras au-dessus du niveau des épaules ; – se traduire par des douleurs mécaniques dans la journée, avec une recrudescence nocturne ; – s’exprimer par une perte de force maximale avec soit une épaule pseudo-paralytique (figure 4, p. 16), soit une perte de force complète en rotation externe se traduisant par le “signe du clairon” (figure 5, p. 16) ; – évoluer par crises hyperalgiques sur un fond douloureux chronique. Ces crises s’accompagnent d’un épanchement intra-articulaire de l’épaule et parfois d’un hématome, dans le cadre de la classique épaule sénile hémorragique décrite initialement par De Sèze. Ce type de tableau a été repris et décrit ultérieurement par d’autres auteurs (Milwaukee shoulder, épaule destructrice rapide, 15 A CTUALITÉS SUR L’ A R T H R O S E DE L’ É P A U L E Figure 4. Épaule pseudo-paralytique. Figure 6. Kyste acromio-claviculaire compliquant une rupture de la coiffe des rotateurs. Figure 5. Signe du clairon : disparition complète de la rotation externe active. Cuff-tear arthropathy). Chaque crise douloureuse s’accompagne d’une aggravation de l’état radiographique, avec en particulier une ostéolyse progressive de l’acromion et/ou de la tête humérale. À l’examen clinique, les amplitudes passives deviennent limitées à mesure que l’atteinte de la gléno-humérale progresse. Par ailleurs, outre la perte de force parfois maximale avec épaule pseudo-paralytique ou “signe du clairon” (perte de force complète sur les rotateurs externes), il existe de façon constante une amyotrophie bien visible de la fosse sous-épineuse et une amyotrophie palpatoire de la fosse sus-épineuse. Il est important de rechercher une rupture du biceps car, dans ce type de pathologie, si le biceps n’est pas rompu, il peut être luxé ou subluxé et responsable d’importantes douleurs. Lors des “crises articulaires”, un volumineux hématome de l’épaule et du bras peut être présent (épaule sénile hémorragique), alors qu’une tuméfaction avec épanchement peut être présente de manière chronique dans certains cas. La présence d’un kyste acromio-claviculaire (figures 6, 7) est classique mais rare. Ce kyste peut être de taille variable (de la taille d’une prune à celle d’un pamplemousse) ; il traduit la pré16 Figure 7. Kyste acromio-claviculaire vu en IRM. sence d’un important épanchement articulaire s’échappant à travers l’articulation acromio-claviculaire pour former cette tuméfaction (même mécanisme que pour le kyste poplité). ÉVOLUTION RADIOGRAPHIQUE DES OMARTHROSES EXCENTRÉES Une fois l’omarthrose excentrée installée, elle va évoluer radiographiquement avec une vitesse variable, en fonction de paramètres mal connus. Cette évolution va se faire soit au niveau de l’articulation gléno-humérale, avec évolution de l’arthropathie, soit au niveau de l’acromion, avec phénomènes d’ostéolyse progressive (figure 8). La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 CONCLUSION Il est indiscutable que l’évolution d’une rupture de la coiffe des rotateurs va se faire vers une omarthrose excentrée, qui, sur le plan de sa stricte définition, associe une arthrose sous-acromiale et une arthrose gléno-humérale. Cette définition n’est pas forcément consensuelle. La durée de cette évolution n’est pas bien connue, et il en est de même pour les facteurs qui peuvent modifier cette durée. La prise en charge thérapeutique de ces omarthroses excentrées est du domaine du traitement symptomatique (médical ou chirurgical), avec des résultats variables. Il est donc nécessaire de mieux connaître l’évolution naturelle des ruptures de la coiffe, pour mieux connaître les risques éventuels d’évolution vers l’omarthrose excentrée, car, une fois cette pathologie présente, elle peut être extrêmement invalidante et difficile à prendre en charge. # Bibliographique 1. Wallace WA, Wiley AP. The long-term results of conservative management of full-thickness tears of the rotator cuff. J Bone Joint Surg 1986;68 (B):162. 2. Caroit M, Rouaud JP, Texier T et al. Le devenir des ruptures et des perfora- Figure 8. Aspect d’ostéolyse de l’acromion apparue au décours d’épanchements articulaires à répétition sur une épaule présentant une rupture massive de la coiffe des rotateurs. La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005 tions complètes de la coiffe des rotateurs de l’épaule non opérées. Rev Rhum 1989;56:815-21. 3. Itoi EJ, Tabata S. Conservative treatment of the rotator cuff tears. Clin Orthop 1992;275:165-73. 4. Bokor DJ, Hawkins RJ, Hukell GH, Angelo RL, Schickendantz MS. Results of non operative management of full-thickness tears of the rotator cuff. Clin Orthop 1993;294:103-10. 5. Noël É. Les ruptures de la coiffe des rotateurs. Résultats du traitement conservateur. In: Simon L, Pelissier J, Herisson Ch (eds). Actualités en rééducation fonctionnelle et réadaptation, 19 e série. Paris: Masson, 1994:113-8. 6. Nové-Josserand L, Lévigne C, Noël É, Walch G. The acromio-humeral interval. A study of the factors influencing its height. Rev Chir Orthop 1996;82(5): 379-85. 7. 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