Divers aspects axiomatiques en mathématiques Th. Raoux Année 2006-2007, 1er semestre 2 Introduction On a l’habitude de répartir les sciences, c’est-à-dire les activités liées à la connaissance, selon deux grandes catégories, les sciences exactes, et les sciences humaines. Cette distinction est le fruit d’une longue évolution historique et culturelle, et ne se laisse pas réduire à un unique critère. Cependant, lorsque l’on cherche à préciser ce qui distingue les sciences exactes des autres, c’est en général l’usage du raisonnement hypothético-déductif qui est mis en avant. En fait, ce terme recouvre, selon le contexte, deux sens bien différents. Les identifier permettra de mieux comprendre la place spécifique des mathématiques au sein des sciences exactes. Et pour ce faire, il est utile de préciser les deux notions suivantes. Raisonnement inductif et raisonnement déductif Le raisonnement inductif consiste à conclure, à partir de l’observation d’un ensemble de faits identiques, que ces faits sont l’expression d’une loi générale. Exemple : après s’être piqué plusieurs fois en se frottant à des orties, un enfant se convainc que toutes les orties piquent. Le raisonnement déductif consiste à prédire, à partir d’une loi générale connue a priori, une propriété concernant une situation particulière relevant de cette loi générale. Il se ramène souvent à l’usage d’un syllogisme, comme dans le célèbre exemple suivant. Exemple : Tous les hommes sont mortels ; or Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel. Ces deux modes de raisonnement sont au coeur de toute activité scientifique, même si le premier évoque plutôt l’aspect expérimental et le second la rigueur logique. D’ailleurs, dans le deuxième exemple, la loi générale utilisée pour ce raisonnement déductif (”Tous les hommes sont mortels”) provient en définitive d’un raisonnement de type inductif (c’est par l’observation de ses semblables que tout être humain s’en convainc !). 3 4 Raisonnement hypothético-déductif : les deux significations Cette expression est utilisée, dans des contextes différents, pour désigner deux types de démarches. Dans le cadre des sciences expérimentales, elle recouvre la démarche suivante : 1 On effectue une observation. Exemple : J’observe un coquelicot rouge. 2 On formule l’hypothèse (ou la conjecture) que cette observation est la manifestation d’une loi générale. Exemple : J’émets l’hypothèse que tous les coquelicots sont rouges 3 On vérifie cette loi par de nouvelles observations. Exemple : Je recherche un grand nombre de coquelicots, pour vérifier s’ils sont rouges. Remarques : l’étape 2 relève d’un raisonnement inductif. A l’étape 3, la validation expérimentale n’est jamais réellement définitive. En revanche, il suffit d’une seule observation contraire pour invalider l’hypothèse, et ce de manière définitive (par un raisonnement déductif). Dans le cadre de la logique et des mathématiques, elle s’applique au raisonnement suivant : 1 On dispose d’un certain nombre de propriétés, supposées vraies a priori. 2 On en déduit de nouvelles propriétés en respectant des règles logiques. Remarque : l’étape 2 est ici typiquement déductive. La démarche axiomatique et les mathématiques Au sein des sciences exactes, les mathématiques se distinguent par l’usage systématique qu’elles font du raisonnement hypothético-déductif, dans la deuxième acception du terme mentionnée ci-dessus. Ainsi, une théorie mathématique achevée se présente généralement sous la forme suivante : on définit des objets de base (appelés notions premières ou termes primitifs) et des règles régissant leurs relations (les axiomes), puis on en déduit de nouvelles propriétés, auxquelles on attribue le nom de théorème, proposition, lemme... selon l’importance que l’on désire leur accorder. 5 Dans ce contexte, le raisonnement hypothético-déductif peut être pris comme synonyme de démarche axiomatique. Cette conception de l’activité mathématique, qui est le résultat d’une longue évolution historique, est quelque chose de relativement récent, même si on peut considérer que les premières préoccupations de ce type remontent à l’antiquité grecque, avec les écrits d’Euclide. But et plan de ce cours Il s’agit de présenter des exemples de problèmes liés à ces préoccupations axiomatiques, en précisant dans la mesure du possible leur cadre historique. On en profitera également pour consolider la pratique de certains outils mathématiques classiques. Plan (prévu) Ch. 1 : Géométries euclidienne et non euclidiennes Ch. 2 : Notions de logique Ch. 3 : Construction axiomatique de N, puis de Z et Q. 6 Table des matières I Géométries euclidienne et non euclidiennes 1 Les Éléments d’Euclide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1 Une œuvre originale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Les principes premiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Quelques propositions du Livre 1 . . . . . . . . . . . . 2 Le cinquième postulat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1 Quelques propositions déduites du 5e postulat . . . . . 2.2 Un postulat riche de conséquences . . . . . . . . . . . 2.3 Vers les géométries elliptiques et hyperboliques . . . . 3 La géométrie de la sphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1 Sphères de l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Distance sur la sphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Cercles sur la sphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 Angles sur la sphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5 Propriétés des triangles sphériques . . . . . . . . . . . 3.6 Comparaison avec les axiomes d’Euclide . . . . . . . . 4 La géométrie elliptique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1 Les points du plan elliptique . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Les droites du plan elliptique . . . . . . . . . . . . . . 4.3 Distance dans le plan elliptique . . . . . . . . . . . . . 5 La géométrie hyperbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1 Droites et cercles orthogonaux du plan euclidien . . . 5.2 Le demi-plan de Poincaré et les droites hyperboliques 5.3 Angles et distances dans H . . . . . . . . . . . . . . . 5.4 Cercles de H . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.5 Triangles de H . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Axiomatisation de la géométrie . . . . . . . . . . . . . . . . . II Logique et mathématiques 1 Quelques éléments de logique classique . . . . . . . . 1.1 Négation, disjonction, conjonction . . . . . . 1.2 Implication et équivalence . . . . . . . . . . . 1.3 Tautologies, antinomies . . . . . . . . . . . . 1.4 Quantificateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.5 Lien avec la théorie (intuitive) des ensembles 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 9 9 9 12 14 14 15 16 17 17 18 19 19 21 23 25 25 26 26 27 28 29 31 32 33 34 . . . . . . 41 41 41 42 43 44 45 8 TABLE DES MATIÈRES 2 3 Axiomatisation de la théorie des ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Non-contradiction de l’arithmétique : théorèmes de Gödel . . . . . . . . . . 46 III Construction des ensembles de nombres N, Z et Q 1 Construction de N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1 Construction de l’addition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Construction de la multiplication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Construction de la relation d’ordre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4 Différentes formulations du principe de récurrence . . . . . . . . . . 2 Relations d’équivalences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 Lien avec les partitions d’un ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Construction de Z . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Définition de Z . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Addition dans Z . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 Écriture canonique des entiers relatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5 Différence de deux entiers relatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6 Multiplication dans Z . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.7 Relation d’ordre sur Z . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Construction de Q (cette partie n’a pas été traitée en cours) . . . . . . . . 4.1 Définition de Q . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Multiplication dans Q . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3 Addition dans Q . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4 Relation d’ordre sur Q . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 47 48 49 50 50 51 51 52 53 53 54 55 56 57 57 60 61 61 62 63 64 Chapitre I Géométries euclidienne et non euclidiennes 1 1.1 Les Éléments d’Euclide Une œuvre originale On sait peu de choses sur Euclide. Il vivait à l’articulation des 4e et 3e siècles avant J.C. dans la ville d’Alexandrie, et aurait étudié à l’Académie de Platon à Athènes. Il est surtout connu pour être l’auteur des Éléments et c’est à ce titre qu’il nous intéresse ici. Cet ouvrage se compose de treize livres. Les Livres 1 à 4 traitent de géométrie plane, les Livres 5 à 9 de la théorie des proportions et d’arithmétique, le Livre 10 aborde les grandeurs incommensurables (c’est-à-dire ce qui a trait aux nombres irrationnels) et les Livres 11 à 13 sont consacrés à la géométrie dans l’espace. Les Éléments ne constituent pas une somme du savoir mathématique de l’époque. Ils n’abordent pas, par exemple, certains grands problèmes que se posaient les géomètres grecs (quadrature des surfaces, duplication du cube, trisection de l’angle). L’originalité de ce livre réside surtout dans l’organisation des faits et concepts, construits de façon logique et déductive, à partir d’un ensemble de notions clairement énoncées au début du texte. Bien des résultats mathématiques étaient connus auparavant dans le monde grec (pensez que Thalès a vécu au 7e siècle avant J.C. et Pythagore au 6e siècle avant J.C.), sans parler des sources babyloniennes et égyptiennes ni des mathématiques chinoises et indiennes. Il n’empêche que la nature des travaux d’Euclide en fait probablement le premier acteur de ce mouvement général qui conduira à l’axiomatisation des mathématiques. Et ses Éléments ont constitué une référence et une source d’inspiration pour les mathématiciens durant pratiquement deux mille ans. 1.2 Les principes premiers La construction des Éléments montre bien la volonté d’Euclide de fonder ses résultats sur une démarche déductive. Il commence ainsi en énonçant des Définitions (c’est-à-dire 9 10 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES les notions premières de sa théorie) puis ce qu’il appelle des Demandes et des Notions Communes, qui correspondent à ce que nous appellerions les axiomes. Les voici reproduites (dans la traduction de Bernard Vitrac [EUC]). Définitions 1. Un point est ce dont il n’y a aucune partie 2. Une ligne est une longueur sans largeur 3. Les limites d’une ligne sont des points 4. Une ligne droite est celle qui est placée de manière égale par rapport aux points qui sont sur elle. 5. Une surface est ce qui a seulement longueur et largeur. 6. Les limites d’une surface sont des lignes. 7. Une surface plane est celle qui est placée de manière égale par rapport aux droites qui sont sur elle. 8. Un angle plan est l’inclinaison, l’une sur l’autre, dans un plan, de deux lignes qui se touchent l’une l’autre et ne sont pas placées en ligne droite. 9. Et quand les lignes contenant l’angle sont droites, l’angle est appelé rectiligne. 10. Et quand une droite, ayant été élevée sur une droite, fait les angles adjacents égaux entre eux, chacun de ces angles égaux est droit, et la droite qui a été élevée est appelée perpendiculaire à celle sur laquelle elle a été élevée. 11. Un angle obtus est celui qui est plus grand qu’un droit. 12. Un angle aigu est celui qui est plus petit qu’un droit. 13. Une frontière est ce qui est limite de quelque chose. 14. Une figure est ce qui est contenu par quelque ou quelques frontière(s). 15. Un cercle est une figure plane contenue par une ligne, celle appelée circonférence, par rapport à laquelle toutes les droites menées à sa rencontre à partir d’un unique point parmi ceux qui sont placés à l’intérieur de la figure, sont jusqu’à la circonférence du cercle égales entre elles. 16. Et le point est appelé centre du cercle. 17. Et un diamètre du cercle est n’importe quelle droite menée par le centre, limitée de chaque côté par la circonférence du cercle, laquelle coupe le cercle en deux parties égales. 18. Un demi-cercle est la figure contenue par le diamètre et la circonférence découpée par lui ; le centre du demi-cercle est le même que celui du cercle. 19. Les figures rectilignes sont les figures contenues par des droites ; trilatères : celles qui sont contenues par trois droites, quadrilatères par quatre ; multilatères par plus de quatre. 20. Parmi les figures trilatères est un triangle équilatéral celle qui a les trois côtés égaux ; isocèle celle qui a deux côtés égaux seulement ; scalène celle qui a les trois côtés inégaux. 21. De plus, parmi les figures trilatères est un triangle rectangle celle qui a un angle droit ; obtusangle celle qui a un angle obtus ; acutangle celle qui a les trois angles aigus. 1. LES ÉLÉMENTS D’EUCLIDE 11 22. Parmi les figures quadrilatères est un carré celle qui est à la fois équilatérale et rectangle ; est oblongue celle qui est rectangle mais non équilatérale ; un losange celle qui est équilatérale mais non rectangle ; un rhomboı̈de celle qui a les côtés et les angles opposés égaux les uns aux autres, mais qui n’est ni équilatérale ni rectangle ; et que l’on appelle trapèzes les quadrilatères autres que ceux-là. 23. Des droites parallèles sont celles qui étant dans le même plan et indéfiniment prolongées de part et d’autre, ne se rencontrent pas, ni d’un côté ni de l’autre. Demandes 1. Qu’il soit demandé de mener une ligne droite de tout point à tout point. 2. Et de prolonger continûment en ligne droite une ligne droite limitée. 3. Et de décrire un cercle à partir de tout centre et au moyen de tout intervalle. 4. Et que tous les angles droits soient égaux entre eux. 5. Et que, si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs et du même côté plus petits que deux droits, les deux droites, indéfiniment prolongées, se rencontrent du côté où sont les angles plus petits que deux droits. Notions communes 1. Les choses égales à une même chose sont aussi égales entre elles. 2. Et si, à des choses égales, des choses égales sont ajoutées, les touts sont égaux. 3. Et si, à partir de choses égales, des choses égales sont retranchées, les restes sont égaux. 4. Et si, à des choses inégales, des choses égales sont ajoutées, les touts sont inégaux. 5. Et les doubles du même sont égaux entre eux. 6. Et les moitiés du même sont égales entre elles. 7. Et les choses qui s’ajustent les unes sur les autres sont égales entre elles. 8. Et le tout est plus grand que la partie. 9. Et deux droites ne contiennent pas une aire. Les définitions reposent sur des notions destinées à être acceptées sans justification, et appellent peu de commentaires, si ce n’est l’observation que nombre d’entre elles peuvent paraı̂tre assez obscures : voir par exemple la définition des droites (Def. 4). Les demandes et les notions communes correspondent au système d’axiomes de la théorie, c’est-à-dire à l’énoncé des règles acceptées au départ comme naturellement évidentes et ne nécessitant donc pas de justification. Les demandes (que l’on appelle aussi postulats) sont distinguées par Euclide des notions communes (auxquelles la tradition réserve parfois le nom d’axiomes). Ces dernières ont en effet pour lui un caractère d’évidence plus fondamental. La 7e et la 9e mises à part, elles énoncent des propriétés d’ordre très général, tandis que les demandes sont plus spécifiquement géométriques. La lecture des demandes appelle plusieurs commentaires. 12 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Les demandes 1 et 2 expriment la possibilité de tracer un segment de droite joignant deux points donnés, et de prolonger tout segment d’une longueur arbitraire. La demande 3 affirme que l’on peut tracer un cercle en choisissant n’importe quel point pour centre et n’importe quel rayon. Ces trois demandes permettent de légitimer les constructions à la règle et au compas. Celles-ci prennent du même coup une place privilégiée... qu’elles garderont jusqu’à nos jours (alors que dès l’époque d’Euclide, on savait utiliser des courbes auxiliaires - notamment les coniques - pour résoudre certains problèmes de construction). Notons qu’Euclide n’envisage pas les droites comme des objets illimités, et qu’il n’affirme pas que le segment que l’on peut tracer en vertu de sa première demande soit unique. Il s’en sert pourtant implicitement ultérieurement. La quatrième demande complète la définition 10. Celle-ci affirme en effet qu’on appelle angles droits deux angles adjacents construits sur une droite lorsqu’ils sont égaux. Mais il n’est pas évident que tous les angles droits définis de cette façon sont bien égaux entre eux. C’est ce qu’affirme la demande 4. La cinquième demande, plus connue sous le nom de 5e postulat ou postulat des parallèles a joué un rôle essentiel dans l’histoire des mathématiques puisque les questions qu’elle a suscitées ont conduit à la découverte des géométries non euclidiennes. On y reviendra donc un peu plus loin. 1.3 Quelques propositions du Livre 1 Une fois formulés ces énoncés de base, Euclide entame la démonstration d’un certain nombre de propositions. A titre d’exemple, voici l’énoncé de la première, ainsi que la justification qu’en donne Euclide. Proposition 1. Sur une droite limitée donnée, construire un triangle équilatéral. C D A B E Soit AB la droite limitée donnée. Il faut alors construire un triangle équilatéral sur la droite AB. Que du centre A et au moyen de l’intervalle AB soit décrit le cercle BCD (Dem. 3), et qu’ensuite du centre B, et au moyen de l’intervalle BA, soit décrit le cercle ACE (Dem. 3), et que du point C auquel les cercles s’entrecoupent soient jointes les droites CA, CB jusqu’aux points A, B (Dem. 1). Et puisque le point A est le centre du cercle CDB, AC est égale à AB (Def. 15) ; ensuite, puisque le point B est le centre du cercle CAE, BC est égale à BA (Def. 15). Et il a été démontré que CA est égale à AB ; donc chacune des droites CA, CB est égale à AB ; or les choses égales à une même chose sont 1. LES ÉLÉMENTS D’EUCLIDE 13 aussi égales entre elles (N.C. 1) ; et donc CA est égale à CB ; donc les trois droites CA, AB, BC sont égales entre elles. Donc le triangle ABC est équilatéral (Def. 20) et il est construit sur la droite limitée donnée AB. Ce qu’il fallait faire. Il est remarquable que les précisions écrites en gras dans la citation ci-dessus figurent dans le texte d’Euclide lui-même : elles montrent que son souci est bien de justifier tout ce qu’il avance à partir de ses définitions et axiomes, donnant une forme très actuelle à l’usage du raisonnement déductif. Dans un registre plus anecdotique, sa façon (systématique dans tout l’ouvrage) de conclure ses preuves par la phrase Ce qu’il fallait faire ou Ce qu’il fallait démontrer (selon qu’il s’agit d’une construction ou d’une démonstration) a laissé son empreinte jusqu’à nos jours dans la culture mathématique : c’est l’origine de notre C.Q.F.D (ou du QED, Quod Erat Demonstrandum, en latin). En revanche, l’intervention du point C (soulignée dans le texte) soulève un gros problème de cohérence : aucun des axiomes posés par Euclide ne lui permet de justifier qu’un tel point existe bien (c’est-à-dire que les deux cercles construits sont bien sécants). Il ne se soucie pas non plus du nombre de solutions possibles : les questions d’unicité ne le préoccupent pas vraiment. On peut voir là une faiblesse logique dans le texte des Éléments... qui s’explique finalement assez bien quand on pense au caractère novateur qu’avait sa démarche. Le Livre 1 comporte au total 48 propositions. Les 28 premières, ainsi que la 31e ne font pas appel au 5e postulat. En voici quelques-unes, formulées en langage moderne (on n’a pas respecté l’ordre dans lequel elles sont établies ; celui-ci est indiqué par leur numéro !). Proposition I.11 - On peut construire une droite perpendiculaire à une droite donnée, passant par un point donné de celle-ci. Proposition I.13 (angles supplémentaires) - Si C est un point d’un segment AB et \ et DCB \ vaut deux D un point hors de la droite AB, alors la somme des angles ACD droits. Proposition I.15 - Lorsque deux droites sont sécantes, les angles opposés par le sommet sont égaux. Proposition I.17 - Deux angles quelconques d’un triangle ont une somme strictement inférieure à deux droits. Proposition I.23 - À partir d’une demi-droite donnée, on peut construire un angle égal à un angle donné. Proposition I.27 - Si une droite D coupe deux droites D0 et D00 en déterminant avec ces droites des angles alternes-internes égaux, alors les deux droites D0 et D00 sont parallèles. D D’ D" 14 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Proposition I.31 - Par un point donné, on peut faire passer une parallèle à une droite donnée. Il faut bien noter que cette proposition n’affirme pas que la parallèle construite est unique. Pour ce faire il faudra utiliser le 5e postulat (voir plus loin). Nous avons vu en TD comment démontrer cette proposition en construisant un angle égal à un angle donné (c’est-à-dire en utilisant la Proposition 23) pour obtenir des droites parallèles grâce à la Proposition 27. On a observé à cette occasion une nouvelle faiblesse de l’axiomatique d’Euclide : le fait de pouvoir placer un point d’un côté ou de l’autre d’une droite donnée n’est pas mentionné dans les demandes et notions communes, alors qu’Euclide l’utilise fréquemment. Les quatre propositions suivantes méritent aussi d’être citées : la première établit l’inégalité triangulaire. Proposition I.20 - Dans tout triangle, la somme des longueurs de deux côtés est supérieure à celle du troisième côté. Les trois autres sont connues sous le nom de cas d’égalités des triangles. Euclide définit l’égalité des triangles comme suit : les deux triangles ABC et A0 B 0 C 0 sont égaux (le terme correct actuel serait plutôt isométriques), si leurs côtés sont égaux deux à deux et si les angles associés sont égaux deux à deux (par exemple lorsque AB = A0 B 0 , BC = B 0 C 0 , CA = C 0 A0 ,  = Â0 , B̂ = B̂ 0 et Ĉ = Ĉ 0 ). Proposition I.4 (2e cas d’égalité) - Si AB = A0 B 0 , AC = A0 C 0 et  = Â0 , alors les triangles ABC et A0 B 0 C 0 sont égaux. Proposition I.8 (3e cas d’égalité) - Si AB = A0 B 0 , BC = B 0 C 0 et CA = C 0 A0 , alors les triangles ABC et A0 B 0 C 0 sont égaux. Proposition I.26 (1er cas d’égalité) - Si BC = B 0 C 0 , B̂ = B̂ 0 et Ĉ = Ĉ 0 , alors les triangles ABC et A0 B 0 C 0 sont égaux. 2 2.1 Le cinquième postulat Quelques propositions déduites du 5e postulat A partir de la Proposition 29, Euclide utilise effectivement pour ses démonstrations sa demande 5 (ou 5e postulat). Demande 5 - Et que, si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs et du même côté plus petits que deux droits, les deux droites, indéfiniment prolongées, se rencontrent du côté où sont les angles plus petits que deux droits. 2. LE CINQUIÈME POSTULAT 15 On rappelle ici brièvement quelques propositions dont les preuves, utilisant ce 5e postulat, ont été vues en TD. Proposition I.29 - Si une droite coupe deux droites parallèles, elle détermine avec ces droites des angles alternes-internes égaux. On reconnaı̂t dans cette proposition la réciproque de la Prop. 27. Proposition I.30 - Deux parallèles à une même droite sont parallèles entre elles. Cette proposition traduit donc la transitivité du parallélisme, à ceci près que dans les Éléments, Euclide ne considère que des droites strictement parallèles. Contrairement à notre pratique actuelle, quand il considère deux objets, il n’envisage jamais qu’ils puissent être confondus. On note ici encore une faiblesse dans la preuve d’Euclide : elle consiste à considérer d’une part deux droites parallèles à une même droite, et d’autre part une quatrième droite qui coupe les trois premières. Or rien ne permet d’affirmer qu’une telle construction est possible. Proposition I.32 - Dans tout triangle, la somme des angles vaut deux droits. 2.2 Un postulat riche de conséquences Le 5e postulat a attiré l’attention des tout premiers commentateurs d’Euclide : sa formulation est en effet beaucoup plus compliquée que celle des quatre autres demandes, et surtout son contenu semble nettement moins évident à admettre. D’ailleurs l’organisation des Éléments laisse à penser qu’Euclide lui-même donnait à ce postulat un statut bien particulier. En ne le faisant pas intervenir avant la démonstration de la 29e proposition, il semble chercher à en différer l’emploi comme s’il l’avait invoqué à contre-cœur. Très tôt les mathématiciens grecs, puis arabes (entre les 9e et 13e siècle) et enfin occidentaux (à partir de la Renaissance) vont essayer de s’en passer. L’histoire de ces tentatives s’étendra jusqu’au XIXe siècle. Certains vont tenter de le démontrer à partir des autres axiomes : le 5e postulat serait alors un axiome redondant, qu’il faudrait ôter pour obtenir un système d’axiomes indépendants. Ces tentatives seront vaines. D’autres proposeront de le remplacer par un énoncé jugé plus immédiatement évident, ce qui revient à construire un nouveau système d’axiomes, équivalent à celui d’Euclide. Nous avons vu en TD que chacune des propositions I.29, I.30 et I.32 peut être substituée au 5e postulat pour obtenir un tel système d’axiomes équivalent, et qu’il en est de même de l’énoncé suivant, beaucoup plus connu et introduit par le mathématicien anglais John Playfair (1748-1819). Axiome de Playfair - Par un point donné, on peut faire passer une parallèle et une seule à une droite donnée. 16 2.3 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Vers les géométries elliptiques et hyperboliques Parmi les nombreux mathématiciens ayant travaillé sur le 5e postulat nous allons en citer particulièrement trois. Omar Khayyam (qui fut aussi un grand poète) vécut en Iran entre 1050 et 1122 (environ). Il nous intéresse ici parce qu’en cherchant à prouver le 5e postulat, il a introduit un raisonnement associé à un quadrilatère « isocèle rectangle », qui se révélera très fécond. C D A B Son but était d’établir que si un quadrilatère ABDC a deux angles droits en A et B, et les côtés AC et BD égaux, alors il a ses quatre angles droits (autrement dit, c’est un rectangle). Il s’agissait bien entendu de le démontrer sans recourir au 5e postulat, la validité de celui-ci devant être obtenue par la suite grâce à l’existence de ce rectangle. Omar Khayyam obtient bien que Ĉ = D̂ (et nous l’avons fait en TD). Mais il ne parvient pas à obtenir que ces deux angles sont droits (nous l’avons démontré en revanche en TD en utilisant le 5e postulat). Cette tentative était vouée à l’échec, car on sait depuis que l’existence d’un rectangle équivaut au 5e postulat. Girolamo Saccheri (1677-1733) était italien. Il reprend le raisonnement de Omar Khayyam (il a d’ailleurs laissé son nom au fameux quadrilatère). Il distingue les trois cas de figure où les angles Ĉ et D̂ sont droits, aigus ou obtus, et cherche à obtenir une contradiction en considérant chacun des deux derniers cas. Il remarque d’abord que s’il existe un quadrilatère de Saccheri ABDC tel que les angles Ĉ et D̂ soient droits (resp. aigus, obtus), alors tous les quadrilatères de Saccheri partagent la même propriété. Saccheri nomme ces trois cas de figures hypothèse de l’angle droit, hypothèse de l’angle aigu et hypothèse de l’angle obtus. Il élimine l’hypothèse de l’angle obtus en montrant qu’elle conduit à contredire le caractère infiniment long des droites. En revanche, malgré les nombreuses conséquences qu’il déduit de l’hypothèse de l’angle aigu, il ne parvient pas à obtenir de contradiction (il en est réduit à conclure son ouvrage par cette affirmation pittoresque : « l’hypothèse de l’angle aigu est absolument fausse, car elle répugne à la nature de la ligne droite »). Johann Heinrich Lambert (1728-1777) était allemand. Il reprend le même type d’étude, mais en considérant un quadrilatère ayant trois angles droits. Il applique au quatrième angle chacune des hypothèses de l’angle droit, de l’angle aigu et de l’angle obtus, et cherche à obtenir une contradiction dans les deux derniers cas. Cela le conduit aux mêmes conclusions que Saccheri, mais il observe que l’hypothèse de l’angle obtus conduit à des propositions - certes contradictoires avec la longueur infinie des droites - 3. LA GÉOMÉTRIE DE LA SPHÈRE 17 mais présentant des ressemblances troublantes avec certaines propriétés connues sur la sphère. Tous ces travaux déboucheront au XIXe siècle sur les notions de : - géométrie hyperbolique (associée à l’hypothèse de l’angle aigu), due principalement au russe Nokolaı̈ Lobatchevski et au hongrois Janos Bolyai ; - géométrie elliptique (associée à l’hypothèse de l’angle obtus), due au mathématicien allemand Bernhard Riemann. Quant au système d’axiomes de la géométrie euclidienne (correspondant bien sûr à l’hypothèse de l’angle droit), il sera perfectionné par l’allemand David Hilbert : nous avons observé (notamment à propos des preuves des propositions I.1, I.13 et I.30) que malgré son grand souci de rigueur, Euclide recourt parfois à des propriétés implicitement admises, qui auraient nécessité l’introduction d’axiomes supplémentaires. 3 La géométrie de la sphère Les ressemblances - remarquées par J. H. Lambert - entre les conséquences de l’hypothèse de l’angle obtus et certaines propriétés connues pour la sphère, nous amènent à préciser quelques propriétés relatives à la géométrie de la sphère. Celle-ci a été étudiée depuis l’antiquité : en effet elle est liée entre autres aux calculs nécessaires à l’astronomie de position, c’est-à-dire au repérage des astres sur la voûte céleste et à la description de leurs mouvements. 3.1 Sphères de l’espace On note E l’espace usuel (appelé plus savamment espace affine euclidien de dimension 3), et AB la distance (euclidienne !) entre deux points A, B de E. Un point O ∈ E et un réel positif R étant donnés, on appelle sphère de centre O et de rayon R l’ensemble S(O, R) = {M ∈ E / OM = R} . Proposition 3.1 - Intersection d’une sphère et d’un plan. Soient S = S(O, R) une sphère et P un plan de l’espace E. Notons d la distance du point O au plan P (c’està-dire la distance OH où H est le projeté orthogonal de O sur P.) √ - si d < R, S ∩ P est le cercle du plan P, de centre H et de rayon R2 − d2 ; - si d = R, S ∩ P = {H} ; - si d > R, S ∩ P = ∅. Preuve - Voir TD (feuille 2, ex. 4). H M P O S 18 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Le rayon d’un tel cercle d’intersection est donc majoré par le rayon R de la sphère, et il vaut R si et seulement si le plan passe par le centre de la sphère. Dans ce cas, le cercle est appelé un grand cercle de la sphère. Les autres seront naturellement appelés petits cercles de S. Ce sont les grands cercles qui joueront sur la sphère le rôle des droites dans le plan. 3.2 Distance sur la sphère Soit S = S(O, R) une sphère de E. Deux points de S sont dits diamétralement opposés ou antipodaux s’ils sont alignés avec le centre de la sphère (et distincts !). Proposition 3.2 Deux points A et B de S sont antipodaux si et seulement si AB = 2R. Preuve - Pour tous points A et B (distincts) sur S(O, R), on a AB ≤ AO+OB, avec égalité si et seulement si O ∈ [AB] (c’est l’inégalité triangulaire). Autrement dit, AB ≤ 2R, avec AB = 2R si et seulement si O, A, B sont alignés. 2 Proposition 3.3 Soient A et B deux points de S. S’ils ne sont pas antipodaux, il existe un unique grand cercle de S passant par A et B. S’ils sont antipodaux, il existe une infinité de grands cercles passant par A et B, qui admettent tous pour diamètre le segment [AB]. Preuve - Un grand cercle de S passant par A et B est l’intersection d’un plan contenant A, B et O avec la sphère S. Dans le premier cas, il existe unique plan passant par A, B et O puisque ces point ne sont pas alignés (cf figure ci-dessous à gauche). Dans le second cas, tous les plans contenant la droite (AB) conviennent (cf figure ci-dessous à droite). 2 A B B θ O O A Définition - La distance d(A, B) de deux points A et B de S est définie ainsi : - si A et B ne sont pas antipodaux, d(A, B) est la longueur du plus petit des deux arcs de grand cercle d’extrémités A et B ; - si A et B sont antipodaux, d(A, B) est la longueur commune à tous les demi-(grands) cercles de S d’extrémités A et B, c’est-à-dire πR. 3. LA GÉOMÉTRIE DE LA SPHÈRE 19 Proposition 3.4 Soient S = S(O, R) une sphère et A, B deux points de S. On a alors \ d(A, B) = R.AOB. A B R θ O Corollaire 3.5 Sur une sphère de rayon R, la distance de deux points quelconques est majorée par πR. 3.3 Cercles sur la sphère Un point A étant choisi sur une sphère S = S(O, R) et un réel positif r étant fixé, on peut définir le « cercle » de S, de centre A et de rayon r comme on le fait avec la distance usuelle dans le plan : CS (A, r) = {M ∈ S / d(A, M ) = r} . Pour que cet ensemble ne soit pas vide, il faut bien sûr supposer que r ≤ πR (cf. corollaire 3.5). La proposition suivante permet d’ôter les guillemets autour du mot « cercle ». Proposition 3.6 Sous les hypothèses précédentes, CS (A, r) est un cercle de E. Son centre −−→ −→ est le point H défini par OH = cos(r/R) OA, son rayon est R sin(r/R) et il est situé dans le plan perpendiculaire en H à (OA). Preuve - Voir TD (feuille 2, ex. 5). 2 Remarques - a) CS (A, r) est donc en général un petit cercle de S, et c’est un grand cercle π lorsque r = R. 2 b) On a CS (A, r) = CS (A0 , πR − r), où A0 est le point antipodal de A : un cercle de S π admet donc deux centres ! Ces centres sont associés à des rayons distincts... sauf si r = R. 2 3.4 Angles sur la sphère _ _ On définit l’angle entre deux arcs de grands cercles AB et AC issus d’un point A d’une sphère comme l’angle (dans E) entre les deux demi-tangentes à ces arcs en A. On notera f \ des demi-droites [AB) et [AC) dans cet angle BAC (à ne pas confondre avec l’angle BAC f E). Nous admettrons la caractérisation suivante de BAC. Proposition 3.7 Soient A, B et C trois points d’une sphère S = S(O, R). L’angle entre _ _ f les arcs de grands cercles AB et AC vérifie BAC = B\ 0 OC0 , où B0 est le point de S tel que B0 appartient au plan (ABO), (OB0 ) ⊥ (OA) et B0 est du même côté que B par rapport à (OA) (C0 est défini de façon analogue, de sorte que le plan (OB0 C0 ) est perpendiculaire à (OA)). 20 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES A α C B O α Bo Co On en déduit cette importante formule de trigonométrie sphérique. Proposition 3.8 Soient A, B et C trois points d’une sphère S = S(O, R), et notons α _ _ l’angle entre les arcs de grands cercles AB et AC. On a alors \ = cos(AOB). \ cos(AOC) [ + cos α. sin(AOB). \ sin(AOC) [ . cos(BOC) (1) \ = c, AOC [ = b et BOC \ = a, et remarquons que Preuve - Posons AOB −−→ −→ −−→ −−→ −→ −−→ OB = cos c . OA + sin c . OB0 et OC = cos b . OA + sin b . OC0 . A B C c a b O α Bo Co On a alors d’une part −−→ −−→ OB . OC = OB × OC × cos a = R2 cos a , −−→ −→ −−→ −→ et d’autre part (du fait que OB0 ⊥ OA et OC0 ⊥ OA) −−→ −−→ −→ −−→ −→ −−→ OB . OC = (cos c . OA + sin c . OB0 ) . (cos b . OA + sin b . OC0 ) −−→ −−→ = cos c × cos b × OA2 + sin c × sin b × (OB0 . OC0 ) = R2 (cos c × cos b + sin c × sin b × cos α) . −−→ −−→ En égalant les deux expressions obtenues pour OB . OC et en simplifiant par R2 , on obtient la relation cherchée. 2 3. LA GÉOMÉTRIE DE LA SPHÈRE 21 Corollaire 3.9 Trois points quelconques A, B et C d’une sphère satisfont l’inégalité triangulaire : d(B, C) ≤ d(B, A) + d(A, C) . \ et sin AOC [ sont positifs (puisque AOB \ Preuve - On observe que dans (1) les réels sin AOB [ sont éléments de [0, π]) et que cos α ∈ [−1, 1]. Il s’ensuit que et AOC \ ≥ cos(AOB) \ cos(AOC) [ − sin(AOB) \ sin(AOC) [ = cos(AOB \ + AOC) [ . cos(BOC) \ + AOC [ ≤ π, et alors la décroissance de la fonction cosinus sur [0, π] - Ou bien AOB \ ≤ AOB \ + AOC, [ entraı̂ne BOC \ [ \ ≤ AOB \ + AOC. [ - ou bien AOB + AOC > π et on a encore BOC Dans tous les cas, il suffit de multiplier l’inégalité obtenue pour les angles par le rayon R pour obtenir l’inégalité triangulaire. 2 3.5 Propriétés des triangles sphériques Dans tout ce paragraphe, S = S(O, R) désigne une sphère de centre O et de rayon R. Un triangle sphérique d’une sphère S = S(O, R) est déterminé par la donnée de trois points A, B, C de S, non situés sur un même grand cercle (c’est-à-dire tels que A, B, C, O ne sont pas coplanaires). Cette condition interdit alors en particulier que deux d’entre eux soient antipodaux. Proposition 3.10 Soit ABC un triangle de S. En posant a = d(B, C), b = d(C, A), f c = d(A, B) et α = BAC, on a cos a b c b c = cos . cos + cos α. sin . sin . R R R R R Preuve - C’est une conséquence immédiate des propositions 3.4 et 3.8. 2 Proposition 3.11 - Formule de Girard (1625) Soit ABC un triangle de S. Notons α, β, γ ses trois angles et A son aire. Alors α+β+γ =π+ A . R2 Pour prouver cette formule, nous introduisons la notion de fuseau. Definition - On appelle fuseau d’angle α d’une sphère S la partie de S comprise entre deux demi-grands cercles de mêmes extrémités, l’angle entre ces deux arcs étant égal à α. A’ α A On admet que l’aire d’un tel fuseau est 2αR2 , où R est le rayon de S (on retrouve cette valeur en admettant que l’aire du fuseau est proportionnelle à l’angle α et en sachant qu’elle vaut 2πR2 pour la demi-sphère, c’est-à-dire lorsque α = π). 22 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Preuve de la Proposition 3.11 - Considérons un triangle ABC de la sphère S, et notons f f f respectivement α, β et γ les angles BAC, CBA et ACB. On appelle A0 , B 0 et C 0 les points diamétralement opposés aux points A, B et C. Enfin, M N P désignant un triangle sphérique quelconque, on notera A(M N P ) son aire et A(S) l’aire de la sphère S. C A α B’ γ A’ β B C’ Le fuseau de S d’extrémités A, A0 et délimité par les demi-grands cercles passant par B et C est la réunion des deux triangles ABC et A0 BC, donc 2αR2 = A(ABC) + A(A0 BC) . On obtient de même en observant le fuseau d’extrémités B et B 0 , réunion des triangles ABC et AB 0 C : 2βR2 = A(ABC) + A(AB 0 C) . On procède enfin de même avec le fuseau réunion de ABC et ABC 0 , mais on remplace l’aire de ABC 0 par celle du triangle A0 B 0 C (ces deux triangles ont même aire car ils sont symétriques par rapport au centre de la sphère). On trouve 2γR2 = A(ABC) + A(A0 B 0 C) . Ajoutons membre à membre les trois égalités précédentes, en remarquant que la réunion des quatre triangles ABC, A0 BC, AB 0 C et A0 B 0 C est une des demi-sphères de frontière le grand cercle passant par A et B. On a donc A(ABC)+A(A0 BC)+A(AB 0 C)+A(A0 B 0 C) = A(S)/2 = 2πR2 . Finalement on obtient 2(α + β + γ)R2 = 2A(ABC) + 2πR2 , et il suffit de simplifier par 2R2 pour obtenir la formule de Girard. 2 Corollaire 3.12 Sur une sphère, la somme des angles d’un triangle est toujours strictement supérieure à π. Pour terminer au sujet des triangles sphériques, nous allons énoncer des conditions d’égalités. On dit (comme pour les triangles plans) que les triangles sphériques ABC et A0 B 0 C 0 sont égaux si l’on a les six relations f f 0 A0 C 0 0 0 BAC = B d(A, B) = d(A , B ) d(B, C) = d(B 0 , C 0 ) d(C, A) = d(C 0 , A0 ) f f CBA = C 0 B 0 A0 f f ACB = A0 C 0 B 0 . 3. LA GÉOMÉTRIE DE LA SPHÈRE 23 Nous admettrons la proposition suivante. Proposition 3.13 - Cas d’égalité des triangles sphériques Soient ABC et A0 B 0 C 0 deux triangles d’une sphère S. A’ A c’ b B’ c b’ a’ C a B C’ Chacune des conditions suivantes est équivalente à l’égalité des triangles ABC et A0 B 0 C 0 : a = a0 , b = b0 et c = c0 ; (i) (ii) f f A = A0 , b = b0 et c = c0 ; f f f f f f f f (iii) A = A0 , B = B 0 et c = c0 ; (iv) A = A0 , B = B 0 et C = C 0 . f f Remarque - Notez que contrairement au cas euclidien (cf. fin du paragraphe 1.3) l’égalité des trois angles entraı̂ne l’égalité des triangles (propriété (iv)). 3.6 Comparaison avec les axiomes d’Euclide Nous avons vu qu’il était naturel de faire jouer aux grands cercles d’une sphère le rôle dévolu aux droites dans le plan. Voyons ce que deviennent les axiomes de la géométrie d’Euclide lorsqu’on les adapte aux objets de la sphère. Commençons par le 5e postulat. Rappelons que l’étude de la sphère que nous venons de mener a été motivée par le statut des parallèles, c’est-à-dire des droites n’ayant aucun point commun. Dans le cadre de son système d’axiomes, Euclide montre d’abord qu’il en existe (c’est la Proposition I-31, établie à l’aide de la Proposition I-27) ; cette preuve n’utilise pas le 5e postulat. Celui-ci est utilisé ensuite pour établir un certain nombre de propriétés dont on sait qu’elles sont en fait équivalentes à la Demande 5. Il s’agit par exemple des Propositions I-29 sur les angles alternes-internes, I-30 (transitivité du parallélisme), I-32 (la somme des angles d’un triangle vaut deux droits), de l’axiome de Playfair (unicité de la parallèle à une droite donnée menée par un point donné) ou de l’hypothèse de l’angle droit concernant les quadrilatères étudiés par Omar Khayyam et Girolamo Saccheri. Sur la sphère le problème ne se pose pas dans les mêmes termes. En effet, deux grands cercles de la sphères sont toujours sécants (car deux plans de E passant par le centre O d’une sphère S ont nécessairement une droite commune... qui coupe S en deux points antipodaux). Il n’existe donc pas de parallèles ! Les propositions I-29, I-30 et l’énoncé de Playfair sont ainsi sans objet, tandis que l’on a vu que la somme des angles d’un triangle 24 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES est toujours plus grande que deux droits (cf Corollaire 3.12) et que les quadrilatères de Saccheri vérifient l’hypothèse de l’angle obtus (cf TD feuille 3). Autrement dit, ce sont les Propositions I-27 et I-31 elles-mêmes qui sont mises en défaut... alors qu’elles ne relèvent pas du 5e postulat. L’explication est que plusieurs autres axiomes d’Euclide ne sont pas valides sur la sphère. Examinons-les en détail (en adaptant leur formulation aux objets de la sphère). Demande 1. Qu’il soit mené un arc de grand cercle de tout point à tout point. Au premier abord, cette demande est satisfaite (cf Proposition 3.3). En revanche si on impose que ce grand cercle soit unique (ce qu’Euclide n’écrit pas dans la Demande 1, mais qu’il considère dans la suite de son texte comme une conséquence de la Notion Commune 9), ce n’est plus le cas. Demande 2. Et de prolonger continûment en ligne droite un arc de grand cercle. Ici encore la formulation semble s’adapter convenablement. Mais n’oublions pas l’usage qu’en fait Euclide : il s’agit lorsque l’on prolonge un segment de droite, d’en constituer un nouveau, dont la longueur est la somme de celle du segment de départ et de la partie prolongée. Cette demande revient donc à affirmer le caractère infiniment long des droites, et n’est pas satisfaite pour les arcs de grands cercles. Demande 3. Et de décrire un cercle (sur la sphère) à partir de tout centre et pour tout rayon. Cette demande est contredite par le Corollaire 3.5, comme on l’a déjà remarqué au paragraphe 3.3. Demande 4. Et que tous les angles droits soient égaux entre eux. Cette propriété est vérifiée : elle résulte des propriétés des angles que l’on peut définir entre plans de l’espace E. Les Notions Communes ne concernent pas spécifiquement les objets géométriques et ne sont pas touchées par le changement de cadre, exceptée la 9e , qui est utilisée pour traduire l’unicité du segment de droite évoqué dans la Demande 1. Pour la sphère, elle s’écrirait ainsi. Notion Commune 9. Et deux arcs de grands cercles ne contiennent pas une aire. Ceci est contredit par l’existence des fuseaux de la sphère. Finalement, il ne subsiste pas beaucoup de propriétés, parmi celles imposées par Euclide ! Ceci explique que la géométrie de la sphère ne peut nous fournir un exemple de système d’axiomes où tous ceux d’Euclide seraient satisfaits, sauf le 5e postulat. D’ailleurs Saccheri et Lambert s’étaient déjà aperçus que l’hypothèse de l’angle obtus était incompatible avec la Demande 2 d’Euclide (cf paragraphe 2.3). Observons quand même ce que donne l’adaptation à la sphère de la Demande 5. Et que, si un grand cercle coupe deux autres grands cercles en faisant des angles intérieurs et du même côté plus petits que deux droits, ces deux grands cercles se rencontrent du côté où sont les angles plus petits que deux droits. La première partie de la conclusion est immédiatement vérifiée, puisque deux grands cercles se coupent toujours... mais pas la fin : en effet les deux points d’intersections (antipodaux) des deux grands cercles seront situés de part et d’autre du premier (sur la 4. LA GÉOMÉTRIE ELLIPTIQUE 25 figure illustrant la preuve de la formule de Girard, remarquez par exemple que les points C et C 0 sont chacun dans un des hémisphères déterminés par le grand cercle contenant A et B). Pour terminer cette étude de la géométrie de la sphère, on peut remarquer que la mise en défaut des axiomes d’Euclide repose en fait sur deux raisons distinctes : - la première conduit à contredire les Demandes 2 et 3 : c’est le caractère fini de la longueur des grands cercles. Elle est fondamentale et est apparue à Saccheri et Lambert dès qu’ils ont voulu remplacer l’hypothèse de l’angle droit par celle de l’angle obtus. - la seconde conduit à contredire la Notion Commune 9 (donc l’unicité dans la Demande 1) ainsi que la Demande 5 et permet d’attribuer deux centres à chaque cercle : c’est le rôle très particulier joué par les points antipodaux. Nous verrons dans la section suivante qu’on peut s’en affranchir, au prix d’un nouveau changement de cadre, celui de la géométrie elliptique. 4 La géométrie elliptique Les concepts de la géométrie elliptique sont d’un maniement assez délicat. Il s’agit ici d’en donner un simple aperçu. On souhaite résoudre le problème posé par l’existence des points antipodaux sur la sphère. Pour cela on va remplacer les points de la sphère par des objets, liés à ces points, mais qui coı̈ncident lorsque les points sont antipodaux. On fixe un point O de l’espace E, et on appelle S la sphère S(O, 1) de centre O et de rayon 1. 4.1 Les points du plan elliptique À chaque point A de S on associe la droite (OA). Par ce procédé, on remplace l’ensemble S des points de la sphère par l’ensemble de toutes les droites passant par O. Cet ensemble, que l’on notera P, est appelé le plan elliptique. Ainsi, A ∈ P (on dit que A est un point de P) signifie qu’il existe un point A de S tel que A = (OA). Les points de P sont les droites de E qui passent par O. A B’ O B A’ Remarquons que lorsque A et A0 sont des points antipodaux de S, ils définissent la même droite A = (OA) = (OA0 ) de E, c’est-à-dire le même point de P. 26 4.2 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Les droites du plan elliptique Considérons un grand cercle C de S (rappelons que les grands cercles jouent sur la sphère le rôle des droites dans le plan). C’est l’intersection de S avec un plan P passant par O. A chaque point de C est associée par le procédé précédent une droite de P passant par O. Il est donc naturel d’associer au cercle C = S ∩ P l’ensemble de toutes ces droites, que l’on notera DP . Cet ensemble DP = {(OM ) / M ∈ P} = {(OM ) / M ∈ C} est appelé une droite de P ou droite elliptique, que l’on l’abrégera également en e-droite. Proposition 4.1 Soient A et B deux points distincts de P. Il existe une unique droite elliptique passant par A et B. Preuve - Considérons deux points A et B de S tels que A = (OA) et B = (OB). Ces droites, supposées distinctes, ont le point O en commun et sont donc sécantes. S’il existe une droite DP (associée comme ci-dessus à un plan P de E) passant par A et B, le plan P doit contenir les deux droites (OA) et (OB). Comme celles-ci sont sécantes, le seul plan qui les contienne est le plan (AOB) de E. Et celui-ci convient bien, ce qui achève la preuve. 2 A O B’ B A’ Remarque - Autrement dit, dans P, les points et les e-droites satisfont la Demande 1 d’Euclide, y compris la propriété d’unicité. L’absence de cette propriété sur la sphère est bien liée à l’existence des points antipodaux. 4.3 Distance dans le plan elliptique Définition - Soient A et B deux points de P, et A, B deux éléments de S tels que (OA) = A et (OB) = B. La distance δ(A, B) entre A et B est l’angle des droites (OA) = A et (OB) = B. Rappelons (ou précisons) de quoi il s’agit. Si on note A0 le point antipodal de A et B 0 celui 0 OB 0 et AOB 0 OB (ce sont des paires d’angles opposés \0 = A \ \ = A\ de B, on a d’une part AOB 5. LA GÉOMÉTRIE HYPERBOLIQUE 27 \0 (ce sont des angles supplémentaires). \ = π − AOB par le sommet) et d’autre part AOB \ et L’angle des droites (OA) et (OB) est par définition le plus petit des deux angles AOB \0 . C’est donc un élément de [0, π/2]. AOB A O B’ B A’ Proposition 4.2 Trois points quelconques A, B, C de P satisfont l’inégalité triangulaire : δ(B, C) ≤ δ(B, A) + δ(A, C) . Preuve - Soient A, B, C trois points de P. Fixons d’abord A ∈ S tel que A = (OA). \ = δ(A, B). De même Notons alors B l’unique point de S tel que (OB) = B et AOB [ = δ(A, C). On a alors on désigne par C l’unique point de S tel que (OC) = C et AOC \ π − BOC), \ de sorte que δ(B, C) = min(BOC, \ ≤ BOA \ + AOC [ = δ(B, A) + δ(A, C) δ(B, C) ≤ BOC (l’inégalité du milieu résulte du corollaire 3.9). 2 Par ailleurs, il résulte immédiatement de la définition que ∀A ∈ P, ∀B ∈ P, δ(A, B) ≤ π . 2 Ainsi la distance entre les points de P est bornée (comme l’était la distance sur la sphère). Cela entraı̂ne que les Demandes 2 et 3 d’Euclide ne pourront être respectées dans P. Comme annoncé au paragraphe 3.6, cette différence avec la géométrie plane d’Euclide est fondamentale : elle est liée au fait que dans P, il n’existe pas de e-droites parallèles (de même que sur la sphère, tous les grands cercles sont sécants). En effet, deux e-droites distinctes de P sont associées à deux plans distincts de E, ayant le point O en commun. Ceux-ci se coupent donc selon une droite (qui passe par O). Cette droite de E est un élément de P, et c’est l’unique point commun des deux e-droites. 5 La géométrie hyperbolique Il s’agit de la géométrie construite à partir de l’hypothèse de l’angle aigu introduite par Girolamo Saccheri. Elle a été développée essentiellement par Nokolaı̈ Lobatchevski et Janos Bolyai (cf. paragraphe 2.3), de façon axiomatique : ils ont obtenu tout un système 28 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES logiquement cohérent de propriétés en remplaçant l’hypothèse de l’angle droit par celle de l’angle aigu, mais n’en ont pas donné de représentation concrète. Plusieurs mathématiciens ont ensuite proposé des modèles de plans hyperboliques construits à partir d’objets de la géométrie euclidienne (de même que la géométrie de la sphère a fourni un modèle de géométrie liée à l’hypothèse de l’angle obtus - perfectionné ensuite par l’introduction du plan elliptique). On peut citer l’Italien Eugenio Beltrami (18351900), l’Allemand Felix Klein (1849-1925) et le Français Henri Poincaré (1854-1912). Nous présenterons ici l’un de ces modèles, le demi-plan de Poincaré. Pour cela nous notons P un plan euclidien, et nous commençons par préciser quelques propriétés des droites et cercles de P. 5.1 Droites et cercles orthogonaux du plan euclidien Définition - Dans le plan P, on appelle angle entre deux arc de cercles (resp. un arc de cercle et un segment) de même extrémité A l’angle entre leurs deux demi-tangentes en A (resp. entre le segment et la demi-tangente à l’arc en A). Sur les deux figures ci-dessous, cet angle est noté α. B C α α B A C A Définition - Deux cercles (resp. un cercle et une droite) sont dits orthogonaux s’ils se coupent selon des angles droits. Proposition 5.1 Un cercle C(O, R) et une droite D de P sont orthogonaux si et seulement si O ∈ D. Preuve - Si C(O, R) et D sont orthogonaux, ils sont sécants. Et en désignant par A un des points communs, D doit être orthogonale à la tangente en A à C(O, R) c’est-à-dire être confondue avec (OA). Ainsi O ∈ D. Réciproquement, si D passe par O, elle est sécante au cercle C(O, R). De plus si A est un des points d’intersection, D = (OA) est orthogonale à la tangente en A à C(O, R). Ainsi C(O, R) et D sont orthogonaux. 2 Proposition 5.2 Soient C(O, R), C(O0 , R0 ) deux cercles de P. Les trois propriétés suivantes sont équivalentes. (i) C(O, R) et C(O0 , R0 ) sont orthogonaux ; (ii) OO02 = R2 + R02 ; (iii) C(O, R) et C(O0 , R0 ) sont sécants et leurs points d’intersections sont situés sur le cercle de diamètre [OO0 ]. 5. LA GÉOMÉTRIE HYPERBOLIQUE 29 Preuve - (i) ⇒ (ii). Si les cercles C(O, R) et C(O0 , R0 ) sont orthogonaux, ils sont sécants et leurs tangentes au point commun A sont orthogonales (cf. figure ci-dessous). Il en est donc de même de leurs rayons (OA) et (O0 A), de sorte que le triangle AOO0 est rectangle en A. Le théorème de Pythagore entraı̂ne donc OO02 = OA2 + O0 A2 c’est-à-dire OO02 = R2 + R02 . A O (ii) ⇒ (iii). O’ Si OO02 = R2 + R02 , on a alors (R − R0 )2 = R2 + R02 − 2RR0 ≤ OO02 ≤ R2 + R02 + 2RR0 = (R + R0 )2 d’où |R − R0 | ≤ OO0 ≤ R + R0 . Ces deux conditions montrent que les cercles sont sécants. En appelant A un de leurs points communs, on en déduit puisque OO02 = OA2 + O0 A2 que les rayons (OA) et (O0 A) sont perpendiculaires. Le point A est donc sur le cercle de diamètre [OO0 ] (matérialisé en pointillé sur la figure). (iii) ⇒ (i). Si C(O, R) et C(O0 , R0 ) se coupent en deux points situés sur le cercle de diamètre [OO0 ], notons A l’un deux. Les droites (OA) et (O0 A) sont alors perpendiculaires, et il en est de même des tangentes en A aux deux cercles : ceux-ci sont bien orthogonaux. 2 5.2 Le demi-plan de Poincaré et les droites hyperboliques Dans le plan euclidien P, considérons un repère orthonormé R, et D son axe des abscisses. On appelle demi-plan de Poincaré, ou plan hyperbolique le « demi-plan ouvert supérieur de frontière D » : H = {M (x, y) ∈ P, / y > 0} . La droite D est appelée l’horizon. Les ensembles de points de H qui joueront dans H le rôle joué par les droites dans P sont appelés les droites hyperboliques ou h-droites de H. Il y en a de deux sortes : - les demi-droites incluses dans H, d’origine sur D et perpendiculaires à D, - les demi-cercles inclus dans H et centrés sur D. Notez bien que leurs extrémités, situées sur l’horizon D, ne sont pas dans H. La figure ci-dessous montre plusieurs h-droites de H, d étant du premier type, et toutes les autres du second type. Remarquez bien que les h-droites d0 et d00 , représentées par des demi-cercles tangents en P , n’ont pas de point commun (P n’est pas un point de H). 30 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES d d’’ d’ D P Proposition 5.3 (i) Par deux points distincts de H, il passe une unique h-droite. (ii) Par un point extérieur à une h-droite donnée, il passe une infinité de h-droites qui ne la rencontrent pas. Preuve - (i) Soient A, B deux points distincts de H. Ou bien (AB) ⊥ D. Il n’existe pas de demi-cercle centré sur D passant par A et B. En revanche il y a une unique demi-droite d’origine sur D passant par A et B. B B A A Ω D D Ou bien (AB) n’est pas perpendiculaire à D. Il n’y a alors pas de demi-droite orthogonale à D contenant A et B. Par ailleurs la médiatrice de [A, B] coupe D en un point Ω. Le demi-cercle de centre Ω est une h-droite passant par A et B, et c’est la seule. (ii) La figure ci-dessous illustre la situation dans le cas où la h-droite est une demidroite d orthogonale à D. Les autres cas ont été (ou seront) vus en TD. Notez qu’aucune des h-droites représentées passant par A - même celle en pointillés - ne rencontre d. 2 d A D Remarques - 1) Cette proposition montre que dans le dei-plan de Poincaré H, la Demande 1 d’Euclide (avec l’unicité) est vérifiée, mais pas l’axiome de Playfair. 2) Avec la terminologie d’Euclide, la propriété (ii) exprime qu’en géométrie hyperbolique, par un point A donné, il passe une infinité de parallèles à une droite d donnée. 5. LA GÉOMÉTRIE HYPERBOLIQUE 31 Lobatchevski utilisait ce vocabulaire différemment : ayant remarqué que parmi les hdroites passant par A et ne rencontrant pas d, il en existe toujours deux qui séparent toutes ces h-droites de celles passant par A et coupant d (cf TD 4), il réservait à ces deux h-droites particulières le titre de parallèles. Par exemple sur la figure précédente, avec cette définition, les h-droites parallèles à d issues de A sont le demi-cercle pointillé et la demi-droite passant par A. Pour notre part, nous en resterons à la définition d’Euclide en appelant parallèles deux h-droites quelconques ne se rencontrant pas. 5.3 Angles et distances dans H Dans le demi-plan de Poincaré, un segment de droite hyperbolique (appelé plus brièvement segment de h-droite ou h-segment) est - soit un segment (inclus dans H) d’une droite perpendiculaire à D, - soit un arc (inclus dans H) d’un cercle centré sur D. Les notions d’angles et de distances dans H sont liées à des propriétés fondamentales de la géométrie hyperbolique, non abordées ici. On mentionnera seulement les définitions suivantes. Angles de deux h-segments ayant une extrémité commune - C’est l’angle qu’ils forment dans le plan euclidien P, c’est-à-dire l’angle entre arcs de cercles ou segments défini à la section 5.1. L’un des intérêts de ce modèle de plan hyperbolique est précisément que l’angle hyperbolique entre deux h-droites est le même que l’angle euclidien entre les deux objets qui les représentent dans P (on pourra donc parler d’angles sans autre précision). On traduit cela en disant que le demi-plan de Poincaré est un modèle conforme de plan hyperbolique. Distance de deux points - De même que les grands cercles sur la sphère, les h-droites jouent dans H le même rôle que les droites dans P. En particulier, la distance entre deux points de H est la longueur de l’unique h-segment qui les relie. Mais, contrairement à ce qui se passe pour les angles, cette longueur ne coı̈ncide pas avec la longueur euclidienne du segment de droite ou de l’arc de cercle correspondant. Plus précisément, soient A et B deux points de H. La distance hyperbolique entre les points A et B, notée d(A, B) est définie comme suit : - si A et B sont sur une même demi-droite perpendiculaire à D on pose ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ BP ¯ ¯ yB ¯ ¯ ¯ ¯ ¯, d(A, B) = ¯ln = ln AP ¯ ¯ yA ¯ où P est le point de D, extrémité de la demi-droite. - si A et B sont sur un même demi-cercle centré sur D on pose ¯ ¯ ¯ BP.AQ ¯ ¯ ¯, d(A, B) = ¯ln BQ.AP ¯ où P et Q sont les points de D, extrémités du demi-cercle. 32 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES A A B B D D P Q P Remarques - 1. Dans les formules ci-dessus, les notations AP , BQ etc. désignent les distances euclidiennes dans P et yB , yA sont les ordonnées de B et A dans le repère R. 2. Les points A et B sont distincts de P et Q, de sorte que les rapports sont bien définis et strictement positifs ; les logarithmes sont donc également bien définis. 3. Les valeurs absolues garantissent d’une part que d(A, B) est toujours positif et d’autre part que d(B, A) = d(A, B) pour tous A, B dans H. 4. Lorsque A = B les deux formules peuvent s’appliquer. En effet, on peut alors considérer que A, B sont d’une part sur la demi-droite perpendiculaire à D en A, et d’autre part sur une infinité de demi-cercles centrés sur D. Selon le cas, les formules donnent ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ BP ¯ ¯ BP.AQ ¯ ¯ln ¯ = | ln 1| = 0 = d(A, B) , ¯ ¯ln ¯ AP ¯ ¯ BQ.AP ¯ = | ln 1| = 0 = d(A, B) . Proposition 5.4 Soient A, B deux points d’une h-droite donnée δ, et P une extrémité (située sur D) de cette h-droite. Pour A fixé, on a lim d(A, B) = +∞ B→P B∈δ Preuve - Si δ est une demi-droite, il suffit de remarquer que lim BP.AQ demi-cercle, on a de même lim = 0. B→P BQ.AP B→P BP = 0. Si δ est un AP 2 Enfin, on admet la proposition suivante. Proposition 5.5 Trois points quelconques A, B et C de H satisfont l’inégalité triangulaire : d(B, C) ≤ d(B, A) + d(A, C) . 5.4 Cercles de H Un point A de H et un réel positif r étant donnés, on définit le h-cercle CH (A, r) comme l’ensemble CH (A, r) = {M ∈ H / d(A, M ) = r} . Les deux propositions suivantes énoncent des propriétés des h-cercles que l’on admettra. 5. LA GÉOMÉTRIE HYPERBOLIQUE 33 Proposition 5.6 Les h-cercles sont les cercles (euclidiens) de P inclus dans H. En désignant toujours par C(Ω, ρ) le cercle euclidien de centre Ω et de rayon ρ c’est-àdire {M ∈ P / ΩM = ρ}, cela signifie que - pour tout A ∈ H et tout r > 0, il existe Ω ∈ H et ρ > 0 tels que CH (A, r) = C(Ω, ρ), - pour tout Ω ∈ P et tout ρ > 0 tels que C(Ω, ρ) ⊂ H, il existe A ∈ H et r > 0 tels que CH (A, r) = C(Ω, ρ). Mais attention ! On a Ω 6= A et ρ 6= r. On pourra donc parler de cercle sans avoir à préciser s’il s’agit de cercle euclidien ou hyperbolique. En revanche on réservera les noms de centre et rayon pour les éléments notés ci-dessus Ω et ρ. Le point A et le réel positif r seront appelés le centre hyperbolique (ou h-centre) et le rayon hyperbolique (ou h-rayon). Comme pour les cercles euclidiens, on appelle diamètre hyperbolique (ou h-diamètre) d’un cercle tout h-segment ayant ses extrémités sur le cercle et passant par son h-centre. Proposition 5.7 Les h-diamètres d’un cercle C de H sont portés par les h-droites orthogonales à C. La figure ci-dessous montre trois diamètres d, d0 et d00 d’un cercle C, ainsi que son h-centre A. d" d d’ A D 5.5 Triangles de H Voici deux exemples de triangles hyperboliques (ou h-triangles). A B α β γ A C α β γ C B Nous allons citer trois propriétés concernant les triangles hyperboliques de H, que l’on pourra comparer avec certaines propriétés vues pour les triangles sphériques. 34 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Tout d’abord nous admettrons qu’on peut définir l’aire d’un triangle hyperbolique (liée à la notion de distance introduite sur H, elle n’est pas égale à l’aire euclidienne de la portion du plan P correspondante). On a alors la relation suivante, à relier avec la formule de Girard pour les triangles sphériques (sur une sphère de rayon 1). Proposition 5.8 Les angles α, β, γ et l’aire A d’un triangle hyperbolique vérifient la relation α+β+γ =π−A. En particulier, en géométrie hyperbolique, la somme des angles d’un triangle est toujours strictement inférieure à π. Ensuite, la formule de trigonométrie hyperbolique suivante est à rapprocher de celle vue pour les triangles sphériques (toujours dans le cas d’une sphère de rayon 1) : Pour un triangle hyperbolique ABC de H, en posant a = d(B, C), b = d(C, A), c = d(A, B) et en notant α l’angle en A de ce triangle, on a cosh a = cosh b cosh c − cos α sinh b sinh c . Enfin, comme en géométrie sphérique, on peut énoncer quatre cas d’égalité des triangles. Autrement dit, pour un triangle de H, les quatre conditions énoncées à la Proposition 3.13 sont équivalentes. Là encore, et contrairement aux triangles euclidiens, des triangles ayant tous leurs angles égaux (deux à deux) sont égaux. 6 Axiomatisation de la géométrie La découverte des géométries non euclidiennes (qui est l’aboutissement de plus de 2000 ans de travaux mathématiques), a posé aux mathématiciens un certain nombre de problèmes concernant le statut des concepts qu’ils manient. Avec d’autres difficultés rencontrées à la même époque dans d’autres branches des mathématiques, ces problèmes (ou plutôt les réponses à ces problèmes) ont énormément influé l’évolution de cette discipline à la charnière des XIXe et XXe siècles. 1- Les mathématiciens ont d’abord été surpris qu’il soit possible de renoncer à un axiome aussi intuitivement « évident » que l’axiome des parallèles, et de construire une théorie cohérente... dont les résultats défient par ailleurs l’intuition. Cela les a conduit à dissocier les bases de la géométrie de l’« expérience sensible » (c’est-à-dire de notre perception du monde). 2- Ils ont pris conscience de la nécessité d’être plus complet dans le choix des axiomes (Euclide par exemple n’énonce aucun axiome permettant de justifier certains arguments liés à l’ordre des points sur une droite, qu’il utilise pourtant abondamment). 3- Devenus méfiants vis à vis des recours excessifs (et souvent inconscients) à l’expérience sensible, et particulièrement attentifs aux questions d’indépendance et de non-contradiction des axiomes (les recherches de preuves du 5e postulat d’Euclide relevaient d’ailleurs dès l’origine de la première problématique), ils ont cherché comment utiliser des arguments purement logiques pour résoudre ces questions. 6. AXIOMATISATION DE LA GÉOMÉTRIE 35 Tout cela a contribué à l’axiomatisation de la géométrie (et de l’ensemble des mathématiques) à la fin du XIXe siècle, ainsi qu’au rapprochement de la logique et des mathématiques. Le système d’axiomes de Hilbert Dans « Les principes fondamentaux de la géométrie », paru en 1900 dans les Annales Scientifiques de l’École Normale Supérieure, le mathématicien allemand David Hilbert développe son système d’axiomes pour la géométrie euclidienne. Il introduit, de façon abstraite, trois systèmes d’objets : les points, les droites, les plans. Puis il explique que ces objets peuvent avoir entre eux des relations (comme « est situé sur ») dont la description précise réside dans les axiomes qu’il va détailler. Même si ces axiomes sont choisis pour correspondre aux comportements attendus des points, droites et plans de notre expérience sensible, Hilbert cherche à se détacher le plus possible de toute référence à cette expérience sensible pour s’assurer, sur des bases logiques rigoureuses, de l’exactitude des propriétés établies. Les axiomes sont répartis en cinq groupes. I. Axiomes d’association (ou d’incidence) I. 1. Deux points distincts déterminent une droite. I. 2. Deux points distincts quelconques d’une droite déterminent cette droite, et sur toute droite il y a au moins deux points. Suivent 5 axiomes relatifs aux plans de l’espace. Remarques - Ces axiomes sont à relier au Postulat 1 d’Euclide. Hilbert se préoccupe de plus de justifier qu’une droite contient bien au moins deux points. II. Axiomes de distribution (ou d’ordre) II. 1. Si A, B, C sont trois points d’une droite, et si B est situé entre A et C, il l’est aussi entre C et A. II. 2. Si A et C sont deux points d’une droite, il y a au moins un point B situé entre A et C et au moins un point D tel que C soit entre A et D. A B C D II. 3. De trois points d’une droite, il en est toujours un et un seul situé entre les deux autres. II. 4. Quatre points quelconques A, B, C, D d’une droite peuvent toujours être distribués d’une manière telle que B soit situé entre A et C et aussi entre A et D, et que C soit situé entre A et D et aussi entre B et D (cf. figure ci-dessus). A ce stade, Hilbert énonce : « le système formé par deux points A et B situés sur une droite a est dit un segment : les points situés entre A et B sont dits les points du segment AB ou encore à l’intérieur du segment AB ; tous les autres 36 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES points de la droite a sont dits à l’extérieur du segment AB. Les points A et B sont les extrémités du segment AB. II. 5. Soient A, B et C des points non situés sur une même droite, et soit a une droite située dans le plan ABC, et ne passant par aucun des points A, B ni C. Si la droite a passe par un point du segment AB, elle passera toujours ou bien par un point du segment BC, ou bien par un point du segment AC. A C B Remarques - Ces axiomes sont essentiels pour justifier un certain nombre de propriétés abondamment utilisées de façon implicite par Euclide. L’axiome II.5. est connu sous le nom d’axiome de Pasch1 . Il est utilisé pour définir les demi-plans limités par une droite. III. Axiome des parallèles (Postulat d’Euclide) III. Dans un plan α, par un point A pris en dehors d’une droite a, l’on peut toujours mener une droite et une seule qui ne coupe pas la droite a ; cette droite est dite la parallèle à a menée par le point A. Remarque - On reconnaı̂t là l’axiome de Playfair, déjà rencontré (cf paragraphe 2.2). IV. Axiomes de congruence Convention. Les segments ont entre eux certaines relations que le mot congruent en particulier sert à exprimer. IV. 1. Si l’on désigne par A, B deux points d’une droite a et par A0 un point de cette même droite ou d’une autre droite a0 , l’on pourra toujours, sur la droite a0 , d’un côté donné du point A0 , trouver un point et un seul B 0 tel que le segment AB soit congruent au segment A0 B 0 , ce que l’on écrit AB ≡ A0 B 0 . B’ A B a a’ A’ Tout segment est congruent à lui-même : AB ≡ AB. Le segmentAB est toujours congruent au segment BA : AB ≡ BA. IV. 2. Si AB ≡ A0 B 0 et AB ≡ A00 B 00 , alors A0 B 0 ≡ A00 B 00 . IV. 3. Sur la droite a soient AB et BC deux segments sans points communs, et soient ensuite A0 B 0 et B 0 C 0 deux segments situés sur la même droite ou sur une autre droite a0 , également sans points communs. Si AB ≡ A0 B 0 et BC ≡ B 0 C 0 , alors AC ≡ A0 C 0 . 1 Moritz Pasch : mathématicien allemand, 1843-1930 6. AXIOMATISATION DE LA GÉOMÉTRIE 37 A B C a A’ B’ C’ a’ Remarques - La relation de congruence entre segments définie dans ce groupe d’axiomes correspond à l’égalité de leurs longueurs. Hilbert précise les règles logiques respectées par cette relation, en faisant abstraction du lien avec les distances. L’axiome IV.1. exprime entre autres que la relation de congruence est réflexive. L’axiome IV.2. énonce une forme de transitivité de cette relation (ce n’est pas la définition standard actuelle de la transitivité). À partir de ces deux axiomes, il peut démontrer que la relation est également symétrique : si AB ≡ A0 B 0 , alors A0 B 0 ≡ AB. C’est donc une relation d’équivalence. De la même façon, la relation de congruence des angles introduite ci-dessous correspond à l’égalité de leurs mesures, et les axiomes de Hilbert en font également une relation d’équivalence. Convention. Le système formé par deux demi-droites h et k de même origine O est appelé angle < )(h, k) ou < )(k, h). IV.4. Soit, dans un plan α, un angle < )(h, k) et soit, dans un plan α0 , une droite a0 . Supposons encore que, dans le plan α0 , un côté déterminé de la droite a0 soit assigné. Désignons par h0 une demi-droite prise sur la droite a0 et issue d’un point O0 de cette droite. Dans le plan α0 , il existera alors une demi-droite k 0 et une seule, telle que l’angle < )(h, k) soit congruent à l’angle < )(h0 , k 0 ) et qu’en 0 0 même temps tous les points à l’intérieur de l’angle < )(h , k ) soient situés du 0 côté assigné de a , ce que nous exprimerons par la notation < )(h, k) ≡ < )(h0 , k 0 ). h’ k’ k O h O’ a’ Tout angle est congruent à lui-même : < )(h, k) ≡ < )(h, k) et < )(h, k) ≡ < )(k, h). IV.5. Si < )(h, k) ≡ < )(h0 , k 0 ) et < )(h, k) ≡ < )(h00 , k 00 ), alors < )(h0 , k 0 ) ≡ < )(h00 , k 00 ). IV.6. Dans deux triangles ABC et A0 B 0 C 0 , si les congruences AB ≡ A0 B 0 , AC ≡ A0 C 0 et < )BAC ≡ < )B 0 A0 C 0 sont vérifiées, alors < )ABC ≡ < )A0 B 0 C 0 et < )ACB ≡ < )A0 C 0 B 0 . Remarque - En énonçant IV.6., Hilbert prend donc pour axiome un des cas d’égalité des triangles. Notez cependant que cet axiome conclut seulement à l’égalité de deux paires d’angles, mais ne dit rien de l’égalité des troisièmes côtés. C’est dans le souci de réduire le plus possible les propriétés posées en axiomes. En effet, Hilbert démontre par la suite cette égalité des troisièmes côtés. 38 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES V. Axiome de la continuité (axiome d’Archimède) V. Soit A1 un point quelconque situé sur une droite entre les points quelconques donnés A et B. Construisons alors les points A2 , A3 , A4 , . . . tels que A1 soit situé entre A et A2 , que A2 soit situé entre A1 et A3 , que A3 soit situé entre A2 et A4 et ainsi de suite, et tels en outre que les segments AA1 , A1 A2 , A2 A3 , A3 A4 , . . . soient égaux entre eux. Alors dans la suite de points A2 , A3 , A4 , . . . il existera toujours un certain point An tel que B soit situé entre A et An . B A A1 A2 A3 A4 A5 A6 Ici, n = 6 . Remarque - Cette propriété est à relier à la propriété d’Archimède satisfaite par les réels : « pour tout ε ∈ R∗+ et tout a ∈ R∗+ , il existe N ∈ N tel que N ε > a ». Les axiomes étant ainsi définis, il reste deux questions à se poser : ce système est-il non-contradictoire ? Ces axiomes sont-ils indépendants ? Non-contradiction du système d’axiomes - On considère le modèle suivant, où le plan est l’ensemble R2 des couples de nombres réels. Ces couples sont les points du modèle. Les droites sont définies comme les sous-ensembles de R2 de la forme {(x, y) ∈ R2 / ux + vy + w = 0} , où (u, v, w) est un triplet de réels vérifiant (u, v) 6= (0, 0). On dit que le point (x2 , y2 ) d’une droite est entre les points (x1 , y1 ) et (x3 , y3 ) de cette même droite lorsque x2 est entre x1 et x3 ou lorsque x1 = x2 = x3 et y2 est entre y1 et y3 . Enfin les relations de congruences entre segments et angles sont déduites de la définition de la distance euclidienne : p d((x, y), (x0 , y 0 )) = (x − x0 )2 + (y − y 0 )2 . On peut démontrer que ce modèle vérifie tous les axiomes de Hilbert. On en déduit que ce système est non-contradictoire, si les propriétés de R sont non-contradictoires. En réalité l’ensemble R est construit à partir de l’ensemble N des entiers naturels (en passant par l’intermédiaire de Z, puis de Q). Il s’ensuit que la non-contradiction de la géométrie euclidienne repose sur celle des axiomes définissant N (c’est-à-dire sur la non-contradiction de l’arithmétique. Indépendance des axiomes - La question ne se pose pas vraiment pour les axiomes des groupes I et II, puisqu’ils sont indispensables pour définir les objets des trois autres groupes. Hilbert a vérifié de façon détaillée l’indépendance des axiomes des groupes III, IV et V, en construisant pour chacun d’eux un modèle satisfaisant tous les axiomes à l’exception de celui-ci. Par exemple, pour montrer l’indépendance de l’axiome IV.6. par rapport aux autres, Hilbert considère toujours l’ensemble R2 , avec les droites usuelles, mais il remplace la 6. AXIOMATISATION DE LA GÉOMÉTRIE 39 distance euclidienne par une autre distance. Il construit ainsi des triangles qui satisfont les hypothèses de IV.6., mais pas la conclusion. En nous référant aux éléments présentés dans ce cours, nous pouvons conclure à l’indépendance de l’axiome III par rapport aux autres, en considérant le modèle du demiplan de Poincaré H (on admettra qu’il vérifie bien tous les axiomes des groupes I, II, IV et V). Pour voir que ce modèle n’est pas contradictoire, il suffit de remarquer que H est construit à partir d’objets de la géométrie euclidienne. Sa non-contradiction repose donc sur celle des axiomes de la géométrie euclidienne, c’est-à-dire sur la non-contradiction de l’arithmétique. 40 CHAPITRE I. GÉOMÉTRIES EUCLIDIENNE ET NON EUCLIDIENNES Chapitre II Logique et mathématiques Rappelons-nous la description de la démarche axiomatique présentée dans l’introduction. Dans le premier chapitre, nous nous sommes surtout intéressés à sa première étape, en partant de préoccupations liées au choix des axiomes de la géométrie. En voyant comment ces préoccupations ont contribué au développement de nouvelles théories, nous avons été conduits à poser la question de la non-contradiction des systèmes d’axiomes. Pour garantir la validité des raisonnements, il est alors temps de se préoccuper du deuxième aspect de la démarche axiomatique : les règles logiques que l’on est en droit d’utiliser. 1 Quelques éléments de logique classique À chaque proposition (on ne cherchera pas à définir ce terme), on associe une valeur de vérité : vrai (V) ou faux (F). Certaines propositions étant données, on peut en exprimer de nouvelles, à l’aide des précédentes et des connecteurs logiques (¬, ∨, ∧, −→, ←→), introduits ci-dessous. 1.1 Négation, disjonction, conjonction Négation d’une proposition - On appelle négation d’une proposition P la proposition, notée non P ou ¬P , qui est vraie si et seulement si la proposition P est fausse. Cela se représente par la table de vérité P ¬P V F F V Disjonction de deux propositions - On appelle disjonction de deux propositions P et Q la proposition, notée P ∨ Q, qui est vraie si et seulement si l’une au moins des propositions P et Q est vraie. Conjonction de deux propositions - On appelle conjonction de deux propositions P et Q la proposition, notée P ∧ Q, qui est vraie si et seulement si les deux propositions P et Q sont simultanément vraies. 41 42 CHAPITRE II. LOGIQUE ET MATHÉMATIQUES Voici les tables de vérité des propositions associées à ces deux connecteurs : P V V F F Q V F V F P ∨Q V V V F P ∧Q V F F F Proposition 1.1 Les connecteurs ∧, ∨ et ¬ vérifient les propriétés suivantes, appelées « lois de De Morgan1 » : ¬(P ∧ Q) a les mêmes valeurs de vérité que (¬P ) ∨ (¬Q), ¬(P ∨ Q) a les mêmes valeurs de vérité que (¬P ) ∧ (¬Q). Preuve - Ces propriétés peuvent s’établir à l’aide de tables de vérités. Pour la première par exemple, on écrit P V V F F Q V F V F P ∧Q V F F F ¬(P ∧ Q) F V V V ¬P F F V V ¬Q F V F V (¬P ) ∨ (¬Q)) F V V V Il suffit alors de contrôler que les valeurs de vérité en gras coı̈ncident. 2 Remarque - Il résulte de la proposition précédente qu’on peut en fait définir le connecteur ∧ (resp. ∨) à partir des connecteurs ¬ et ∨ (resp. ¬ et ∧) : P ∧ Q = ¬((¬P ) ∨ (¬Q)) 1.2 Implication et équivalence Les théorèmes s’énoncent fréquemment sous la forme suivante : T : « Si l’hypothèse P est vraie, alors la conclusion Q est vraie ». Cette proposition énonce une relation entre les propositions P et Q, que l’on note couramment P =⇒ Q. Cette relation peut être formulée de la façon suivante : « Il est impossible que P soit vraie et que Q soit fausse ». Autrement dit, la proposition T signifie : « P ∧ (¬Q) est fausse », ce qui peut encore s’énoncer « ¬(P ∧ (¬Q)) est vraie » ou encore « (¬P ) ∨ Q) est vraie » . La proposition (¬P ) ∨ Q) sera notée P −→ Q (ce qui constitue la définition du connecteur d’implication −→). Elle peut être vraie ou fausse. En résumé la notation P =⇒ Q exprime une relation entre les propositions P et Q, qui signifie que la proposition P −→ Q est vraie. 1 Augustus De Morgan : mathématicien anglais (1806-1871) 1. QUELQUES ÉLÉMENTS DE LOGIQUE CLASSIQUE 43 On appelle implication réciproque de l’implication P −→ Q l’implication Q −→ P . Ces deux propositions peuvent être vraies ou fausses indépendamment l’une de l’autre, comme le montre la table de vérité ci-dessous. P V V F F Q V F V F P −→ Q V F V V Q −→ P V V F V (P −→ Q) ∧ (Q −→ P ) V F F V Les deux implications réciproques P −→ Q et Q −→ P sont simultanément vraies (c’est-à-dire qu’on a les deux relations P =⇒ Q et Q =⇒ P ) si et seulement si les deux propositions P et Q ont la même valeur de vérité. Cela se vérifie aussi dans la table précédente. On dit dans ce cas que P et Q sont logiquement équivalentes, et on note P ⇐⇒ Q. Cette nouvelle relation entre P et Q signifie donc que P =⇒ Q et Q =⇒ P . On note P ←→ Q la proposition (P −→ Q) ∧ (Q −→ P ) (ce qui définit le nouveau connecteur ←→). La relation P ⇐⇒ Q signifie donc que la proposition P ←→ Q est vraie. exemple - Avec ces nouvelles notations, les lois de De Morgan énoncées dans la proposition 1.1 s’écrivent : ¬(P ∧ Q) ⇐⇒ (¬P ) ∨ (¬Q) , 1.3 ¬(P ∨ Q) ⇐⇒ (¬P ) ∧ (¬Q) . (1) Tautologies, antinomies Considérons une proposition T dont l’énoncé comporte une ou plusieurs propositions variables P , Q, etc. On dit que T est une tautologie ou une loi logique, si T est vraie, quelles que soient les valeurs de vérité prises par P , Q, etc. On dit que T est une antinomie, si T est fausse, quelles que soient les valeurs de vérité prises par P , Q, etc. Par exemple, la proposition P ∨ (¬P ) est une tautologie, appelée loi du tiers exclu, tandis que la proposition P ∧ (¬P ) est une antinomie, appelée loi de contradiction. Les équivalences logiques (1) traduisent que les propositions ¬(P ∧ Q) ←→ (¬P ) ∨ (¬Q) et ¬(P ∨ Q) ←→ (¬P ) ∧ (¬Q) sont des tautologies. Une autre loi logique importante est la loi de contraposition énoncée dans la proposition suivante. 44 CHAPITRE II. LOGIQUE ET MATHÉMATIQUES Proposition 1.2 Quelles que soient les propositions P et Q, on a (P −→ Q) ⇐⇒ (¬Q −→ ¬P ) Preuve - Cette équivalence exprime que la proposition (P −→ Q) ←→ (¬Q −→ ¬P ) est une tautologie, ce dont on peut se convaincre en observant la table de vérité suivante, que l’on remplit en se rappelant que R ←→ S est vraie si et seulement si les deux propositions R et S ont même valeur de vérité. P V V F F Q V F V F P −→ Q V F V V ¬Q F V F V ¬P F F V V (¬Q) −→ (¬P ) V F V V (P −→ Q) ←→ (¬Q −→ ¬P ) V V V V Il suffit de remarquer que la dernière colonne est constituée uniquement de « V »(ou que les colonnes en gras sont identiques). 2 Définition - La proposition ¬Q −→ ¬P est appelée la contraposée de la proposition P −→ Q. 1.4 Quantificateurs Dans un texte mathématique formalisé, on utilise les symboles ∀ (appelé quantificateur universel) et ∃ (appelé quantificateur existentiel). Ces symboles sont utiles pour traiter des propositions dépendant d’une (ou plusieurs) variable(s) x (y . . .) : on note de telles propositions P (x) (ou P (x, y) . . .). L’énoncé ∃x, P (x) signifie qu’il existe au moins une valeur de x, que l’on peut noter par exemple a, telle que la proposition P (a) est vraie. L’énoncé ∀x, P (x) signifie que pour toute valeur a que peut prendre la variable x, la proposition P (a) est vraie. Les règles d’usage de ces quantificateurs découlent de leur signification intuitive. On a par exemple ¬(∃x, P (x)) ⇐⇒ (∀x, ¬P (x)) ¬(∀x, P (x)) ⇐⇒ (∃x, ¬P (x)) ∃x, (∃y, P (x, y)) ⇐⇒ ∃y, (∃x, P (x, y)) ∀x, (∀y, P (x, y)) ⇐⇒ ∀y, (∀x, P (x, y)) Mais attention - L’énoncé ∃x, (∀y, P (x, y)) n’est pas équivalent à ∀y, (∃x, P (x, y)) (cf. feuille de TD 5). Proposition 1.3 La négation d’une propriété contenant un certain nombre de quantificateurs ∀, ∃, suivis d’une propriété P , s’obtient en remplaçant chaque quantificateur ∀ par ∃, chaque quantificateur ∃ par ∀, puis la propriété P par sa négation ¬P . 2. AXIOMATISATION DE LA THÉORIE DES ENSEMBLES 1.5 45 Lien avec la théorie (intuitive) des ensembles On suppose connues les notions et symboles de la théorie intuitive des ensembles : appartenance (∈), inclusion (⊂), réunion (∪), intersection (∩), complémentaire... Supposons fixé un ensemble E. On peut associer à chaque sous-ensemble A de E la propriété PA (x), dans laquelle la variable x représente un élément de E, et telle que PA (x) est vraie si et seulement si x ∈ A. Réciproquement, on peut définir pour chaque propriété P (x), dans laquelle la variable x représente un élément de E, l’ensemble EP = {x ∈ E / P (x) est vraie}. On dit alors qu’on a défini l’ensemble EP en compréhension, par opposition à la définition en extension qui consiste à énumérer tous ses éléments (lorsque c’est possible !). On établit ainsi une correspondance entre les propositions dépendant de la variable x et les parties de E. Dans cette correspondance, si les parties A et B de E sont associées respectivement aux propositions P et Q, alors - A ∪ B est associée à P ∨ Q, - A ∩ B est associée à P ∧ Q, - la partie A complémentaire de A dans E est associée à ¬P . On a de plus les correspondances suivantes entre les relations entre propositions et celles entre parties de E : - A ⊂ B si et seulement si : ∀x ∈ E, P (x) =⇒ Q(x), - A = B si et seulement si : ∀x ∈ E, P (x) ⇐⇒ Q(x). Ainsi, les lois de De Morgan (1) ont leurs analogues pour les parties d’un ensembles : (A ∪ B) = A ∩ B , 2 (A ∩ B) = A ∪ B . (2) Axiomatisation de la théorie des ensembles La théorie des ensembles a été développée principalement par le mathématicien allemand Georg Cantor (1845-1918) à partir de 1874. Mais autour de l’année 1900, des paradoxes sont mis en évidence au sein de cette théorie, notamment par le mathématicien et philosophe britannique Bertrand Russel (1872-1970). En voici une version imagée, connue sous le nom de paradoxe des catalogues. Toute bibliothèque possède un catalogue qui recense tous les ouvrages qu’elle détient. Certains de ces catalogues se mentionnent eux-mêmes (leur rédacteur estimant qu’il constitue un ouvrage de la bibliothèque au même titre que les autres), d’autres ne le font pas (leur rédacteur pensant qu’il n’a pas le statut d’un vrai ouvrage). Un bibliothécaire décide un jour de réaliser un catalogue (appelons-le le « super-catalogue ») de tous les catalogues qui ne se mentionnent pas eux-mêmes. Question - Ce super-catalogue doit-il se mentionner lui-même ? Ce problème conduit à un paradoxe. En effet, le super-catalogue C est défini par la propriété (P) : « C est la liste des catalogues qui ne se mentionnent pas eux-mêmes ». 46 CHAPITRE II. LOGIQUE ET MATHÉMATIQUES Et selon la loi du tiers exclu (cf. paragraphe 1.3) : - ou bien C se mentionne lui-même, mais alors il ne répond plus à la définition (P), - ou bien C ne se mentionne pas lui-même... mais alors il devrait le faire selon (P). En fait ce problème est lié au suivant (plus abstrait) énonçable dans le cadre de la théorie des ensembles. Considérons un ensemble quelconque A. Toujours selon la loi du tiers exclu, - ou bien il se contient lui-même (A ∈ A), on dira qu’il est de type 1, - ou bien il ne se contient pas lui-même (A 6∈ A) et on dira qu’il est de type 2. Le second cas est le plus simple à concevoir : l’ensemble des étudiants de licence nés à Reims... n’est pas un étudiant ! Mais on peut imaginer un ensemble relevant du premier cas : notons A « l’ensemble de tous les ensembles qui peuvent être définis en français en moins de vingt mots ». On a bien A ∈ A (la définition précédente contient 17 mots !). Le paradoxe apparaı̂t lorsqu’on cherche à considérer l’ensemble T de tous les ensembles de type 2 : - ou bien T ∈ T , mais alors T est de type 1 et ne devrait pas être élément de T , - ou bien T 6∈ T , mais alors T est de type 2 et devrait être élément de T . Pour éliminer ces paradoxes, il a fallu comprendre qu’il est nécessaire d’apporter certaines restrictions dans la façon de définir des ensembles en compréhension. En particulier, il faut renoncer à considérer qu’il existe un ensemble de tous les ensembles. Ces questions ont conduit à la théorie axiomatique des ensembles (d’un abord très abstrait), due à Ernst Zermelo (1871-1953) et Abraham Fraenkel (1891-1965). Notons que cette théorie comporte un axiome (appelé axiome de fondement), qui permet d’établir que ∀x, x 6∈ x. On en tire qu’on ne peut pas définir d’ensemble de tous les ensembles, puisqu’un tel ensemble E devrait vérifier à la fois E ∈ E et E 6∈ E. 3 Non-contradiction de l’arithmétique : théorèmes de Gödel On se souvient que Hilbert a réduit la non-contradiction des axiomes de la géométrie (euclidienne ou non-euclidienne) à la non-contradiction de ceux de l’arithmétique. Cette dernière question fut donc pour lui une préoccupation essentielle. Elle figurait d’ailleurs dans la célèbre liste de 23 problèmes qu’il proposa lors du IIe Congrès International des Mathématiciens, tenu à Paris en 1900 (c’est le 2e problème de Hilbert). La réponse à cette question repose sur les travaux des logiciens Gottlob Frege (18481925) et Kurt Gödel (1906-1978). On doit à ce dernier les deux théorèmes suivants. Théorème 1 (K. Gödel, 1931) - Si l’arithmétique formelle est non-contradictoire, alors il existe au moins un énoncé de cette théorie qui est indécidable (c’est-à-dire dont on ne peut démontrer ni l’exactitude ni la fausseté dans le cadre de cette théorie). Théorème 2 (K. Gödel, 1931) - L’énoncé affirmant la non-contradiction de l’arithmétique formelle fait partie des énoncés indémontrables dans ce système formel. Ceci apporta une réponse aussi spectaculaire qu’inattendue au 2e problème de Hilbert, en mettant en évidence une limitation fondamentale à la volonté d’axiomatiser l’ensemble des mathématiques. Chapitre III Construction des ensembles de nombres N, Z et Q 1 Construction de N Dans cette section nous allons voir comment on peut établir les propriétés essentielles de N à partir des axiomes introduits en 1889 par le mathématicien Italien Giuseppe Peano (1858-1932). Axiomes de Peano - Il existe un ensemble N, une application s de N dans N et un élément (noté 0) de N tels que : (i) ∀x ∈ N, ∀y ∈ N, s(x) = s(y) =⇒ x = y , (ii) 0 6∈ s(N) , (iii) (Axiome d’induction) Soit P ⊂ N. Si P vérifie ½ 0∈P ∀x ∈ N, x ∈ P =⇒ s(x) ∈ P Alors P = N. Définitions - L’image s(x) d’un entier x par l’application s est appelée le successeur de x, et s est appelée l’application successeur. Le symbole 1 désignera le nombre s(0). Remarques - L’axiome (i) signifie que l’application s est injective et l’axiome (ii) exprime que 0 n’est le successeur d’aucun entier. Quant à l’axiome (iii), il traduit le principe de récurrence. Un outil essentiel des démonstrations qui vont suivre est l’usage de suites définies par une relation de récurrence. Le théorème suivant garantit la pertinence de leur définition. Théorème 1.1 Soient E un ensemble non vide, f une application de E dans E et a ∈ E. Il existe une unique suite u : N −→ E vérifiant les deux conditions ½ u(0) = a ∀n ∈ N, u(s(n)) = f (u(n)) . 47 48 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Remarque - Pour les besoins des rédactions de cette section, on utilise ici la notation u(n) au lieu de un pour le terme de rang n de la suite : il est considéré comme l’image de l’élément n de N par l’application u. Preuve - L’existence de la suite u est admise (la démonstration n’est pas très difficile mais fait appel à la caractérisation des applications comme graphes de relations binaires, non rappelée dans ce cours). On établit donc seulement l’unicité. Soient deux suites u et u0 satisfaisant ½ ½ 0 u(0) = a u (0) = a et ∀n ∈ N, u(s(n)) = f (u(n)) ∀n ∈ N, u0 (s(n)) = f (u0 (n)) . Posons P = {n ∈ N / u(n) = u0 (n)}. Cet ensemble vérifie P ⊂ N et 0 ∈ P (puisque u(0) = u0 (0) = a). De plus si n ∈ P , on a u(s(n)) = f (u(n)) = f (u0 (n)) = u0 (s(n)) , de sorte que s(n) ∈ P . On peut donc conclure grâce à l’axiome (iii) que P = N. Ainsi pour tout n ∈ N, u(n) = u0 (n), c’est-à-dire u = u0 . 2 1.1 Construction de l’addition Théorème 1.2 Il existe une application σ : µ N×N → N (k, n) 7→ k + n ¶ (appelée addition) vérifiant : (1) ∀k ∈ N, ∀m ∈ N, ∀n ∈ N, (k + m) + n = k + (m + n) (l’addition est associative) (2) ∀k ∈ N, ∀n ∈ N, k+n=n+k (l’addition est commutative) (3) ∀k ∈ N, k+0=0+k =k (0 est élément neutre) (4) ∀k ∈ N, k + 1 = s(k) Preuve - Pour définir l’application σ, on fixe un entier k et on applique le Théorème 1.1 avec E = N, f = s et a = k. Il existe donc une unique application sk : N −→ N telle que (?) sk (0) = k et (??) ∀n ∈ N sk (s(n)) = s(sk (n)) . Cette construction étant valable pour tout k ∈ N, on peut poser pour tout (k, n) ∈ N × N : k + n = sk (n) . On démontre d’abord la propriété (4) en écrivant pour k entier quelconque, k + 1 = sk (1) = sk (s(0)) = s(sk (0)) = s(k) . On démontre ensuite la propriété (3). On a d’une part pour tout k ∈ N la relation sk (0) = k, c’est-à-dire k + 0 = k. D’autre part, considérons l’ensemble P = {n ∈ N / s0 (n) = n}. On a 0 ∈ P puisque s0 (0) = 0. De plus, si n ∈ P , n vérifie la relation s0 (n) = n. On en tire grâce à (??) : s0 (s(n)) = s(s0 (n)) = s(n) , 1. CONSTRUCTION DE N 49 de sorte que s(n) ∈ P . Par application de l’axiome (iii), il vient P = N, c’est-à-dire ∀k ∈ N, 0+k =k . Finalement la propriété (3) est valide : 0 est élément neutre pour l’addition. On établit ensuite la propriété (1). Pour cela on pose P = {n ∈ N / ∀k ∈ N, ∀m ∈ N, (k + m) + n = k + (m + n)} . L’entier 0 appartient à P , puisque pour tout k ∈ N et tout m ∈ N, on a d’après (3) (k + m) + 0 = k + m = k + (m + 0) . Soit n ∈ P . En remarquant que (k+m)+n = k+(m+n) peut s’écrire sk+m (n) = sk (m+n), on peut écrire (k + m) + s(n) = sk+m (s(n)) (par définition de σ) = s(sk+m (n)) (d’après (??)) = s(sk (m + n)) (par la remarque ci-dessus) = sk (s(m + n)) (d’après (??)) = sk (s(sm (n))) (par définition de σ) = sk (sm (s(n))) (d’après (??)) = k + (m + s(n)) (par définition de σ) . Cela montre qu’alors s(n) ∈ P . L’axiome (iii) permet encore de conclure que P = N, c’est-à-dire que (1) est satisfaite : l’addition est associative . On ne détaillera pas la preuve de la propriété (2). Signalons seulement qu’elle résulte aussi de l’axiome (iii). On applique d’abord cet axiome à P = {n ∈ N / ∀m ∈ N, s(m + n) = s(m) + n} pour vérifier que ∀m ∈ N, ∀n ∈ N, s(m + n) = s(m) + n . Puis on l’applique à P 0 = {n ∈ N / ∀k ∈ N, k + n = n + k} pour obtenir (2). 1.2 2 Construction de la multiplication Théorème 1.3 Il existe une application π : µ N×N → N (k, n) 7→ k.n ¶ (appelée multiplica- tion) vérifiant : (1) ∀k ∈ N, ∀m ∈ N, ∀n ∈ N, (k.m).n = k.(m.n) (2) ∀k ∈ N, ∀n ∈ N, k.n = n.k (3) ∀k ∈ N, k.1 = 1.k = k (4) ∀k ∈ N, ∀m ∈ N, ∀n ∈ N, k.(m + n) = k.m + k.n (m + n).k = m.k + n.k (5) ∀n ∈ N, n.0 = 0.n = 0 (la multiplication est associative) (la multiplication est commutative) (1 est élément neutre) (la multiplication est distributive par rapport à l’addition) (0 est élément absorbant) 50 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Preuve - La preuve repose sur des arguments analogues à ceux utilisés pour démontrer le théorème 1.2. Pour définir l’application π, on fixe un entier k et on applique le Théorème 1.1 avec E = N, f = sk et a = 0. Il existe donc une unique application pk : N −→ N telle que (∗) pk (0) = 0 et (∗∗) ∀n ∈ N, pk (s(n)) = pk (n) + k . Cette construction étant valable pour tout k ∈ N, on pose ensuite pour tout (k, n) ∈ N×N : k.n = pk (n) . Les propriétés (1) à (5) s’obtiennent ensuite en appliquant l’axiome (iii) à des ensembles P convenablement choisis. 2 1.3 Construction de la relation d’ordre Le but est de retrouver la relation d’ordre usuelle sur les entiers naturels (notée ≤), en la définissant à partir des notions introduites précédemment. On peut le faire par exemple en disant que pour n et p entiers, n≤p ⇐⇒ ∃k ∈ N, p = n + k . (1) On établit ensuite les propriétés suivantes, en faisant un large usage de l’axiome d’induction (iii) (nous ne détaillerons pas les preuves ici). Théorème 1.4 a) La relation ≤ définie par (1) est une relation d’ordre : elle est réflexive : ∀n ∈ N, anti-symétrique : ∀n ∈ N, ∀p ∈ N, transitive : ∀n ∈ N, ∀p ∈ N, ∀q ∈ N, n ≤ n, (n ≤ p) ∧ (p ≤ n) =⇒ (n = p), (n ≤ p) ∧ (p ≤ q) =⇒ (n ≤ q). b) C’est une relation d’ordre total : ∀n ∈ N, ∀p ∈ N, (n ≤ p) ∨ (p ≤ n). c) Elle est compatible avec l’addition et la multiplication : ∀n ∈ N, ∀p ∈ N, ∀q ∈ N ∀n ∈ N, ∀p ∈ N, ∀q ∈ N n ≤ p =⇒ n + q ≤ p + q , n ≤ p =⇒ n.q ≤ p.q . d) Toute partie non vide de N admet un plus petit élément. On montre de plus que lorsque n ≤ p, l’entier k figurant dans (1) est unique. On l’appelle la différence de p et n et on note k = p − n. 1.4 Différentes formulations du principe de récurrence Soit Hn une propriété dépendant de l’entier n. On peut lui associer le sous-ensemble P de N défini par P = {n ∈ N / Hn est vraie } . L’axiome d’induction (le troisième axiome de Peano) prend alors la forme du théorème suivant, qu’on établira en TD (cf. feuille 6). 2. RELATIONS D’ÉQUIVALENCES 51 Théorème 1.5 - Principe de récurrence (faible) - Supposons qu’une propriété Hn (dépendant de n ∈ N) vérifie : (1) - il existe n0 ∈ N tel que Hn0 est vraie, (2) - pour tout n ∈ N tel que n ≥ n0 , on a Hn =⇒ Hn+1 . Alors la propriété Hn est vraie pour tout entier naturel n ≥ n0 . Remarques - Dans un raisonnement par récurrence, la propriété Hn est appelée l’hypothèse de récurrence, la preuve de (1) est appelée l’initialisation du raisonnement et on traduit la propriété (2) en disant que Hn est héréditaire. On déduit de ce théorème deux corollaires. Corollaire 1.6 - Principe de récurrence (forte) - Supposons qu’une propriété Hn (dépendant de n ∈ N) vérifie : (1) - il existe n0 ∈ N tel que Hn0 est vraie, (2) - pour tout n ∈ N tel que n ≥ n0 , on a (Hn0 ∧ · · · ∧ Hn ) =⇒ Hn+1 . Alors la propriété Hn est vraie pour tout entier naturel n ≥ n0 . Corollaire 1.7 - Principe de récurrence (à deux termes) - Supposons qu’une propriété Hn (dépendant de n ∈ N) vérifie : (1) - il existe n0 ∈ N tel que Hn0 et Hn0 +1 sont vraies, (2) - pour tout n ∈ N tel que n ≥ n0 + 1, on a (Hn−1 ∧ Hn ) =⇒ Hn+1 . Alors la propriété Hn est vraie pour tout entier naturel n ≥ n0 . 2 2.1 Relations d’équivalences Définition Définitions - a) Un ensemble E étant donné, une relation binaire R sur E × E est appelée une relation d’équivalence si et seulement si elle est réflexive : ∀x ∈ E, symétrique : ∀x ∈ E, ∀y ∈ E, transitive : ∀x ∈ E, ∀y ∈ E, ∀z ∈ E, xRx, xRy =⇒ yRx, (xRy) ∧ (yRz) =⇒ (xRz). b) Soient R une relation d’équivalence sur un ensemble E et x ∈ E. On appelle classe d’équivalence de x suivant R l’ensemble CR (x) = {y ∈ E / xRy}. On appelle ensemble quotient de E pour la relation R l’ensemble de toutes les classes d’équivalences d’éléments de E selon R. On le note E/R. Ainsi E/R = {CR (x), x ∈ E} . C’est un sous-ensemble de l’ensemble P(E) des parties de E. Exemple - Dans l’ensemble N, la relation définie par « n R p si et seulement si n a même reste que p dans la division par 2 » est une relation d’équivalence. Il y a deux classes d’équivalences : l’ensemble des entiers pairs (qui constitue la classe de 0) et l’ensemble des entiers impairs (qui constitue la classe de 1). Ainsi E/R = {CR (0), CR (1)}. Proposition 2.1 ∀x ∈ E, ∀y ∈ CR (x), CR (y) = CR (x) . 52 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Preuve - Soit y ∈ CR (x), autrement dit xRy. Si z ∈ CR (y), alors yRz d’où par transitivité, xRz c’est-à-dire z ∈ CR (x). Ainsi CR (y) ⊂ CR (x). On montre de même l’inclusion inverse. 2 2.2 Lien avec les partitions d’un ensemble Définition - Soit F un sous-ensemble de P(E). On dit que F est une partition de E s’il vérifie : (1) ∀F ∈ F, F 6= ∅, (2) ∀F [ ∈ F, ∀G ∈ F, F 6= G =⇒ F ∩ G = ∅, (3) F = E. F ∈F Théorème 2.2 Soit R une relation d’équivalence sur un ensemble E. L’ensemble quotient E/R est une partition de E. Preuve - (1) Pour F ∈ E/R, il existe x ∈ E tel que F = CR (x). Or R étant réflexive, on a x ∈ CR (x). Ainsi F 6= ∅. (2) Soient F et G deux éléments de E/R. Il existe x ∈ E et y ∈ E tels que F = CR (x) et G = CR (y). On raisonne par contraposition. Si F ∩ G 6= ∅, il existe z ∈ F ∩ G. On déduit de la proposition 2.1 que CR (x) = CR (z) = CR (y) [soit F = G. (3) Pour tout x ∈ E, on a CR (x) ⊂ E, de sorte que CR (x) ⊂ E. Par ailleurs, on a pour tout x0 ∈ E, x0 ∈ CR (x0 ) d’où x0 ∈ [ x∈E CR (x) et finalement E ⊂ x∈E [ CR (x). 2 x∈E Théorème 2.3 Soit F une partition d’un ensemble E. Il existe une unique relation d’équivalence sur E telle que F = E/R. Preuve - Si une telle relation R existe, elle doit nécessairement vérifier ∀x ∈ E, ∀y ∈ E, xRy ⇐⇒ (∃F ∈ F, x ∈ F et y ∈ F ). Ceci détermine R de manière unique. Reste à voir que la relation ainsi définie est bien une relation d’équivalence, et que l’on a bien E/R = F. La réflexivité découle de (3) : x ∈ E donc il existe F ∈ F tel que x ∈ F . Alors xRx. La symétrie provient du fait que x ∈ F et y ∈ F si et seulement si y ∈ F et x ∈ F . La transitivité s’obtient grâce à (2). En effet, si xRy et yRz, il existe d’une part F ∈ F tel que x ∈ F et y ∈ F , et d’autre part G ∈ F tel que y ∈ G et z ∈ G. Comme y ∈ F ∩ G il vient F = G, de sorte que x ∈ F et z ∈ F . Mais alors xRz. Pour montrer que F = E/R, on remarque d’abord que pour tout F ∈ F et tout x ∈ F , on a F = CR (x). En effet d’une part la relation y ∈ F entraı̂ne que xRy, et donc y ∈ CR (x). D’autre part, la relation y ∈ CR (x) entraı̂ne xRy, c’est-à-dire qu’il existe G ∈ F tel que x et y soient tous deux dans G. Mais alors F ∩ G 6= ∅, d’où F = G. Ainsi y ∈ F . On en déduit d’abord que F ⊂ E/R : car si F ∈ F, on sait que F 6= ∅. Considérant x ∈ F , on obtient F = CR (x) et donc F ∈ E/R. On vérifie ensuite que E/R ⊂ F : si G ∈ E/R, il existe x ∈ E tel que G = CR (x). Par ailleurs, il existe F ∈ F tel que x ∈ F . On en tire F = CR (x) = G, de sorte que G ∈ F. 2 3. CONSTRUCTION DE Z 3 53 Construction de Z 3.1 Introduction Si un ensemble E est muni d’une loi interne ∗ associative : ∀x ∈ E, ∀y ∈ E, ∀z ∈ E, (x ∗ y) ∗ z = x ∗ (y ∗ z) , admettant un élément neutre e : ∀x ∈ E, x∗e=e∗x=x, et telle que tout élément admette un symétrique pour cette loi : ∀x ∈ E, ∃x0 ∈ E, x ∗ x0 = x0 ∗ x = e , on dit que (E, ∗) est un groupe. Le groupe est dit commutatif lorsque la loi ∗ est commutative : ∀x ∈ E, ∀y ∈ E, x ∗ y = y ∗ x . Une propriété importante est que dans un groupe, tout élément est régulier, c’est-à-dire que tout élément x vérifie : ½ ∀y ∈ E, ∀z ∈ E, x ∗ y = x ∗ z =⇒ y = z ∀y ∈ E, ∀z ∈ E, y ∗ x = z ∗ x =⇒ y = z Cette propriété est importante car elle permet d’effectuer des simplifications lorsqu’on résout des équations. On la prouve en utilisant l’existence de l’élément symétrique x0 de x : on écrit par exemple x∗y = x∗z =⇒ x0 ∗(x∗y) = (x0 ∗x)∗z =⇒ (x0 ∗x)∗y = (x0 ∗x)∗z =⇒ e∗y = e∗z =⇒ y = z . Revenons à l’ensemble des entiers naturels. L’addition dans N est associative et admet 0 pour élément neutre. Mais (N, +) n’est pas un groupe, car 0 est le seul élément admettant un élément symétrique (on a vu en TD que ∀(n, p) ∈ N × N, n + p = 0 =⇒ n = p = 0). Cependant, on a la proposition suivante. Proposition 3.1 Tout élément de N est régulier pour l’addition. Preuve - On raisonne par récurrence. En effet il s’agit de montrer (compte tenu de la commutativité de l’addition) que pour tout entier n, la propriété Hn : ∀p ∈ N, ∀q ∈ N, p + n = q + n =⇒ p = q est vraie. • H0 est vraie du fait que 0 est élément neutre. • Supposons que Hn soit vraie pour un certain n ∈ N. Montrons que Hn+1 est vraie. Considérons deux entiers p et q tels que p + (n + 1) = q + (n + 1). On tire de l’associativité de l’addition que (n + p) + 1 = (n + q) + 1 c’est-à-dire s(n + p) = s(n + q) (où s désigne l’application « successeur »). Comme l’application s est injective, on a nécessairement 54 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q n + p = n + q. On peut alors conclure grâce à Hn que p = q. On a ainsi établi que Hn+1 est vraie. Finalement, le principe de récurrence permet de conclure : Hn est vraie pour tout n ∈ N. 2 On cherche à construire un ensemble Z ⊃ N, muni d’une loi interne qui en fasse un groupe, et qui coı̈ncide avec l’addition lorsqu’on l’applique à des entiers naturels. La construction va utiliser la remarque suivante. Si n, p sont deux entiers naturels, on a vu que la différence n − p (c’est-à-dire l’entier k tel que n = p + k) est définie seulement dans le cas où p ≤ n. De plus, lorsque p ≤ n et p0 ≤ n0 , on a l’équivalence suivante : n − p = n0 − p0 ⇐⇒ n + p0 = n 0 + p . En effet, notons k = n − p. Si n − p = n0 − p0 , alors n0 = p0 + k et donc n + p0 = p + k + p0 = p + n0 . Réciproquement, si n + p0 = n0 + p, on peut écrire p + k + p0 = n0 + p, c’est-à-dire 0 (p + k) + p = n0 + p : par usage de la proposition 3.1 (p est régulier), on obtient n0 = p0 + k, soit n0 − p0 = n − p.. On remarque cependant que, contrairement au membre de gauche qui ne peut prendre de sens que pour p ≤ n et p0 ≤ n0 , le membre de droite a un sens quelque soit l’ordre des entiers p, n (et p0 , n0 ). 3.2 Définition de Z On définit sur N2 = N × N la relation R par ∀(n, p) ∈ N2 , ∀(n0 , p0 ) ∈ N2 , (n, p) R (n0 , p0 ) ⇐⇒ n + p0 = n0 + p . Proposition 3.2 La relation R est une relation d’équivalence sur N2 . Preuve - Le réflexivité et la symétrie sont immédiates. Vérifions la transitivité. Soient (n, p), (n0 , p0 ) et (n00 , p00 ) trois éléments de N2 tels que (n, p) R (n0 , p0 ) et 0 (n , p0 ) R (n00 , p00 ). On a alors n + p0 = n0 + p et n0 + p00 = n00 + p0 , d’où en ajoutant membre à membre, n + p00 + (n0 + p0 ) = n00 + p + (n0 + p0 ). Comme n0 + p0 est régulier pour l’addition (proposition 3.1), on en tire n + p00 = n00 + p, c’est-à-dire (n, p) R (n00 , p00 ). 2 Définition - L’ensemble quotient N2 /R est noté Z et ses éléments sont appelés les entiers relatifs. Exemples - Le couple d’entiers naturels (1, 4) définit l’entier relatif CR ((1, 4)) = {(0, 3), (1, 4), (2, 5), . . .} = {(k, k + 3), k ∈ N} , et le couple (0, 0) définit l’entier relatif CR ((0, 0)) = {{(k, k), k ∈ N}. 3. CONSTRUCTION DE Z 3.3 55 Addition dans Z On commence par définir l’addition dans N2 , à partir de celle de N. Pour tous (a, b) et (c, d) dans N2 , on pose (a, b) + (c, d) = (a + c, b + d) . Proposition 3.3 L’addition ainsi définie dans N2 est associative, commutative et admet le couple (0, 0) pour élément neutre. Preuve - Cela découle directement des propriétés de l’addition dans N. 2 Une propriété essentielle pour la suite de la construction est la suivante. Proposition 3.4 La relation R est compatible avec l’addition dans N2 : si les couples (a, b), (a0 , b0 ), (c, d), (c0 , d0 ) vérifient (a, b) R (a0 , b0 ) et (c, d) R (c0 , d0 ), alors [(a, b) + (c, d)] R [(a0 , b0 ) + (c0 , d0 )] . Preuve - Si (a, b) R (a0 , b0 ) et (c, d) R (c0 , d0 ), on a a + b0 = a0 + b et c + d0 = c0 + d. En ajoutant membre à membre ces deux égalités, on obtient : (a + c) + (b0 + d0 ) = (a0 + c0 ) + (b + d) , c’est-à-dire (a + c, b + d) R (a0 + c0 , b0 + d0 ). 2 Cela signifie que si on fixe deux entiers relatifs n et p dans Z, on peut choisir n’importe quel représentant (a, b) ∈ N2 de n (c’est-à-dire n’importe quel couple d’entiers naturels (a, b) tel que n = CR ((a, b))) et n’importe quel représentant (c, d) de p (c’est-à-dire n’importe quel couple (c, d) tel que n = CR ((c, d))), la somme (a + c, b + d) définira toujours la même classe d’équivalence CR ((a + c, b + d)). Il est alors possible de définir l’addition de deux entiers relatifs de la façon suivante. Définition - Soient n, p deux entiers relatifs et (a, b), (c, d) des représentants respectifs de n et p. On pose n + p = CR ((a + c, b + d)) . Proposition 3.5 L’addition ainsi définie dans Z est commutative, associative et admet la classe CR ((0, 0)) pour élément neutre. De plus, tout entier relatif admet un élément symétrique pour l’addition (qu’on appelle son opposé). Autrement dit, (Z, +) est un groupe commutatif. Preuve - Les trois premières propriétés découlent de la proposition 3.3. L’existence de l’élément symétrique d’un entier relatif s’obtient en remarquant que pour tout (a, b) ∈ N2 , (a, b) + (b, a) = (a + b, a + b) et que (a + b, a + b) R (0, 0). Ainsi on a CR ((a, b)) + CR ((b, a)) = CR ((0, 0)) : la classe de (b, a) est l’opposée de la classe de (a, b). 2 56 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q 3.4 Écriture canonique des entiers relatifs Proposition 3.6 Tout entier relatif admet un unique représentant dont au moins l’un des termes est nul. Preuve - Soit n = CR ((a, b)) un entier relatif. S’il admet un représentant de la forme (m, 0), cela signifie que a + 0 = m + b. Cela suppose donc que b ≤ a, et dans ce cas on a nécessairement m = a − b. Si n admet un représentant de la forme (0, m), cela signifie que a + m = 0 + b. Cela suppose donc que a ≤ b, et dans ce cas m vaut nécessairement b − a. Finalement, comme ≤ est une relation d’ordre total sur N, on a nécessairement a ≤ b ou b ≤ a. Si b ≤ a, alors n = CR (a − b, 0)), et si a ≤ b, alors n = CR (0, b − a)). 2 Notations - Pour tout m ∈ N, la classe CR (m, 0) est notée +m, et la classe CR (0, m) est notée −m. Dans les deux cas, m est appelé la valeur absolue de l’entier relatif, et on écrit m = | + m| = | − m| . On remarque que 0 est le seul entier naturel m tel que +m = −m. En effet, si m vérifie +m = −m, on a CR ((m, 0)) = CR ((0, m)), c’est-à-dire m + m = 0. Mais alors m = 0 (on a vu en TD que dans N, k + m = 0 =⇒ k = m = 0). Réciproquement 0 convient puisque +0 = −0 = CR (0, 0). On convient alors de noter plus simplement 0 la classe de (0, 0), qui coı̈ncide avec +0 et −0. On est désormais en mesure de définir les notations classiques Z+ = {+m, m ∈ N}, Z− = {−m, m ∈ N}, Z+∗ = {+m, m ∈ N∗ }, Z−∗ = {−m, m ∈ N∗ } . Proposition 3.7 (i) On a Z+ ∪ Z− = Z, Z+ ∩ Z− = {0}. (ii) Les ensembles Z+ et Z− sont stables par l’addition. Preuve - Le point (i) provient de la proposition 3.6 : tout entier relatif n s’écrit +m ou −m avec m ∈ N, et s’il peut s’écrire à la fois +m et −m0 , on a CR ((m, 0)) = CR ((0, m0 )) d’où m + m0 = 0, ce qui impose m = m0 = 0 et donc n = 0. Le point (ii) signifie que pour tous n, p dans Z, n ∈ Z+ et p ∈ Z+ =⇒ n + p ∈ Z+ , n ∈ Z− et p ∈ Z− =⇒ n + p ∈ Z− . Cela découle du fait que pour tous m, m0 dans N, (m, 0) + (m0 , 0) = (m + m0 , 0) , (0, m) + (0, m0 ) = (0, m + m0 ) , par définition de l’addition dans N2 . (2) 2 La proposition suivante permet d’identifier les éléments de Z+ et ceux de N. µ ¶ N → Z+ Proposition 3.8 L’application ϕ : est une bijection qui vérifie m 7→ +m ∀m ∈ N, ∀m0 ∈ N, ϕ(m + m0 ) = ϕ(m) + ϕ(m0 ) . On dit que ϕ est un isomorphisme de (N, +) sur (Z+ , +). Preuve - L’application ϕ est bien bijective, car pour tout n ∈ Z+ , il existe un unique m ∈ N tel que n = CR ((m, 0)), d’après la preuve de la proposition 3.6. L’égalité proposée provient simplement de la première égalité dans (2). 2 Notation - Finalement, on pourra écrire pour tout m ∈ N, m = +m = | + m| = | − m|. 3. CONSTRUCTION DE Z 3.5 57 Différence de deux entiers relatifs On introduit d’abord la notation (−n) pour l’opposé de l’entier relatif n (cette notation est bien cohérente avec les notions précédemment introduites : si n ∈ N, −n est l’entier relatif opposé de +n, que l’on a identifié avec n lui-même). Proposition 3.9 Pour n et p dans Z, il existe un unique élément d de Z tel que p = n+d. Cet élément est la somme de p et de l’opposé de n : d = p + (−n). Preuve - Le nombre d = p + (−n) convient puisque n + (p + (−n)) = (n + (−n)) + p = 0 + p = p. C’est le seul possible car si d0 vérifie p = n + d0 , on a n + d0 = n + d et donc d0 = d. 2 Définition - Le nombre d défini ci-dessus est appelé la différence de p et n et noté p − n. Remarques - a) Notez que le symbole « − » recouvre trois sens bien distincts : - dans l’écriture −3, c’est le signe de l’entier relatif CR ((0, 3)), - dans l’écriture −n (où n ∈ Z) il sert à désigner l’opposé de n, - dans l’écriture p − n, il désigne la différence de p et n. b) La proposition 3.9 est en fait valable dans n’importe quel groupe commutatif dont la loi est notée additivement. Proposition 3.10 Pour tout (n, p) ∈ Z2 , on a −(n+p) = (−n)+(−p) et n−p = −(p−n). Preuve - Soient (n, p) ∈ Z2 . L’entier −(n) + (−p) est bien l’opposé de n + p puisque (n + p) + (−n) + (−p) = n + (−n) + p + (−p) = (n + (−n)) + (p + (−p)) = 0 + 0 = 0 . De même n − p est bien l’opposé de p − n car (n − p) + (p − n) = n + (−p) + p + (−n) = (n + (−n)) + ((−p) + p) = 0 + 0 = 0 . 2 3.6 Multiplication dans Z On dispose de deux méthodes pour définir la multiplication dans Z. Première méthode - C’est celle qui a été présentée en cours. Elle correspond à l’introduction qui est faite au collège. Les entiers relatifs n et p étant donnés, on définit leur produit q = np en précisant sa valeur absolue et son signe : - |q| = |n|.|p| , - Si (n, p) ∈ (Z+ )2 ∪ (Z− )2 , alors q ∈ Z+ ; si (n, p) ∈ (Z+ × Z− ) ∪ (Z− × Z+ ), alors q ∈ Z− . La proposition suivante résume les propriétés de cette opération. Proposition 3.11 a) La multiplication dans Z prolonge celle de N. b) La multiplication dans Z est commutative, associative et distributive par rapport à l’addition. Elle admet le nombre 1 = +1 = CR ((1, 0)) pour élément neutre. c) Les nombres 1 et −1 sont les seuls éléments de Z admettant un symétrique pour la multiplication. d) Pour tout n et p dans Z, np = 0 =⇒ n = 0 ou p = 0. e) Pour tout n, p, q dans Z, n.0 = 0, n(−p) = −(np) et n(p − q) = np − nq. f )Tout élément non nul de Z est régulier pour la multiplication : ∀n ∈ Z∗ , ∀p ∈ Z, ∀q ∈ Z, np = nq =⇒ p = q . 58 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Remarques - L’ensemble Z est muni des deux lois internes + et × qui vérifient : (Z, +) est un groupe commutatif, et la loi × est associative et distributive par rapport à l’addition. On traduit ceci en disant que (Z, +, ×) est un anneau. Cet anneau est dit commutatif du fait que la loi × est commutative, et unitaire du fait qu’elle admet un élément neutre. Enfin on traduit la propriété d) en disant que Z est un anneau intègre. Preuve de la proposition 3.11 - a) Ce point découle directement de la définition de la multiplication et de l’identification entre N et Z+ . b) La commutativité se lit directement sur la définition. Pour montrer l’associativité, on observe que si n, p, q sont trois entiers relatifs, les entiers relatifs (np)q et n(pq) ont la mème valeur absolue : |(np)q| = |np| |q| = (|n| |p|) |q| = |n| (|p| |q|) = |n| |pq| = |n(pq)| , mais aussi le même signe (cela se voit en dressant un tableau présentant toutes les combinaisons possibles de signes pour n, p et q). La distributivité est plus fastidieuse à démontrer : il faut établir pour n et p dans Z que s’ils sont de même signe, |n + p| = |n| + |p| et que s’ils sont de signes contraires, |n + p| = ||n| − |p||. Nous ne le détaillons pas ici. c) et d) proviennent des propriétés de la multiplication dans N (raisonner sur les valeurs absolues de n, p et np). e) Les deux premières égalités peuvent s’établir facilement à l’aide des valeurs absolues et de la règle des signes. Voici une autre preuve, plus générale, valable dans tout anneau. Soient (n, p, q) ∈ Z3 . La distributivité de la multiplication par rapport à l’addition permet d’écrire d’une part n.0 = n(0 + 0) = n.0 + n.0 d’où on tire n.0 = 0, et d’autre part np + n(−p) = n(p + (−p)) = n × 0 = 0 , ce qui montre que n(−p) est bien l’opposé de np. La troisième égalité s’obtient en écrivant : n(p − q) = n(p + (−q)) = np + n(−q) = np + (−(nq)) = np − nq . On a utilisé successivement la distributivité de la multiplication par rapport à l’addition, le point a) puis la définition de la différence. f) est une conséquence de d) et e) : plus généralement, dans un anneau intègre, tout élément non nul est régulier pour la multiplication. Pour le voir il suffit d’écrire que np = nq entraı̂ne np − nq = 0 et donc n(p − q) = 0 (d’après e)), puis de déduire de d) que n 6= 0 implique p − q = 0. 2 Deuxième méthode - Celle-ci a été tout juste esquissée pendant le cours. En voici une présentation détaillée. Elle consiste à définir d’abord une opération convenable sur N2 , qu’on notera aussi multiplicativement. Mais celle-ci est définie de façon moins immédiate que l’addition. On souhaite en effet que cette multiplication dans N2 soit distributive par rapport à l’addition, mais aussi qu’elle conduise aux résultats attendus suivants, correspondant à la « règle des signes » : 3. CONSTRUCTION DE Z 59 (m, 0) × (m0 , 0) = (0, m) × (0, m0 ) = (mm0 , 0) , (m, 0) × (0, m0 ) = (0, m) × (m0 , 0) = (0, mm0 ) . Ces contraintes imposent alors pour tous (a, b) et (a0 , b0 ) dans N2 : (a, b) × (c, d) = [(a, 0) + (0, b)] × [(c, 0) + (0, d)] = (a, 0) × (c, 0) + (a, 0) × (0, d) + (0, b) × (c, 0) + (0, b) × (0, d) = (ac, 0) + (0, ad) + (0, cb) + (bd, 0) = (ac + bd, ad + cb) , d’où la définition suivante. On pose pour tous (a, b), (c, d) dans N2 , (a, b) × (c, d) = (ac + bd, ad + bc). Proposition 3.12 La multiplication définie ci-dessus est commutative, associative et distributive par rapport à l’addition (de N2 ). Elle admet le couple (1, 0) pour élément neutre. Preuve - La commutativité et le fait que (1, 0) soit élément neutre se voient directement sur la définition. L’associativité et la distributivité par rapport à l’addition demandent plus d’efforts. On considère trois couples d’entiers (a, b), (c, d) et (e, f ), et on vérifie d’une part que [(a, b) × (c, d)] × (e, f ) = (ac + bd, ad + bc) × (e, f ) = ((ac + bd)e + (ad + bc)f, (ac + bd)f + (ad + bc)e) = (ace + bde + adf + bcf, acf + bdf + ade + bce) = (a(ce + df ) + b(cf + de), a(cf + de) + b(ce + df )) = (a, b) × (ce + df, cf + de) = (a, b) × [(c, d) × (e, f )] , et d’autre part que (a, b) × [(c, d) + (e, f )] = (a, b) × (c + e, d + f ) = (a(c + e) + b(d + f ), a(d + f ) + b(c + e)) = (ac + ae + bd + bf, ad + af + bc + be) = (ac + bd, ad + bc) + (ae + bf, af + be) = [(a, b) × (c, d)] + [(a, b) × (e, f )] . Comme dans le cas de l’addition, il faut se préoccuper de la propriété suivante. Proposition 3.13 La relation R est compatible avec la multiplication dans N2 : si les couples (a, b), (a0 , b0 ), (c, d), (c0 , d0 ) vérifient (a, b) R (a0 , b0 ) et (c, d) R (c0 , d0 ), alors [(a, b) × (c, d)] R [(a0 , b0 ) × (c0 , d0 )] . 60 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Preuve - Si (a, b) R (a0 , b0 ) et (c, d) R (c0 , d0 ), on a a + b0 = a0 + b et c + d0 = c0 + d. On commence par établir que [(a, b) × (c, d)] R [(a0 , b0 ) × (c, d)]. Pour cela on tire de la relation a + b0 = a0 + b les deux égalités ac + b0 c = a0 c + bc et a0 d + bd = ad + b0 d , que l’on ajoute membre à membre : (ac + bd) + (b0 c + a0 d) = (a0 c + b0 d) + (ad + bc). Cela exprime que (ac + bd, ad + bc) R (a0 c + b0 d, a0 d + b0 c) c’est-à-dire la relation cherchée. La multiplication dans N2 étant commutative, on peut réutiliser ce résultat et déduire de la relation (c, d) R (c0 , d0 ) que [(a0 , b0 ) × (c, d)] R [(a0 , b0 ) × (c0 , d0 )]. On achève alors la preuve grâce à la transitivité de la relation R : [(a, b) × (c, d)] R [(a0 , b0 ) × (c, d)] et [(a0 , b0 ) × (c, d)] R [(a0 , b0 ) × (c0 , d0 )] entraı̂nent [(a, b) × (c, d)] R [(a0 , b0 ) × (c0 , d0 )]. 2 On peut alors procéder comme on l’a fait pour l’addition. Définition - Soient n, p deux entiers relatifs, et (a, b), (c, d) des représentants respectifs de n et p. On pose np = CR ((ac + bd, ad + bc)) . Proposition 3.11’ a) La multiplication sur Z prolonge celle de N. b) La multiplication dans Z est commutative, associative, distributive par rapport à l’addition et admet le nombre 1 = +1 = CR ((1, 0)) pour élément neutre. c) Pour tous n ∈ Z et p ∈ Z : - |np| = |n| |p|, - si (n, p) ∈ (Z+ )2 ∪ (Z− )2 , alors np ∈ Z+ , - si (n, p) ∈ (Z+ × Z− ) ∪ (Z− × Z+ ), alors np ∈ Z− . d) Les entiers relatifs 1 et −1 sont les seuls éléments de Z qui admettent un symétrique pour la multiplication. e) L’anneau Z est intègre. f ) Pour tout n, p, q dans Z, n.0 = 0, n(−p) = −(np) et n(p − q) = np − nq. g) Tout élément non nul de Z est régulier pour la multiplication. Preuve - a) provient du fait que pour tout a, c dans N, (a, 0) × (c, 0) = (ac, 0). b) est une conséquence de la proposition 3.12. c) En posant m = |n|, m0 = |p| et en appliquant la définition du produit, on obtient np = +mm0 lorsque (n, p) ∈ (Z+ )2 ∪ (Z− )2 , et np = −mm0 lorsque (n, p) ∈ (Z+ × Z− ) ∪ (Z− × Z+ ). d), e), f) et g) se démontrent comme les points c), d), e), f) de la proposition 3.11. 2 3.7 Relation d’ordre sur Z On définit ainsi la relation ≤ sur Z : ∀n ∈ Z, ∀p ∈ Z, n ≤ p ⇐⇒ p − n ∈ Z+ . Proposition 3.14 La relation ≤ est une relation d’ordre total sur Z, compatible avec l’addition et la multiplication par un entier positif. 4. CONSTRUCTION DE Q (CETTE PARTIE N’A PAS ÉTÉ TRAITÉE EN COURS)61 Preuve - La relation ≤ est réflexive, car pour tout n ∈ Z, n − n = 0 ∈ Z+ , donc n ≤ n. Elle est antisymétrique car n ≤ p et p ≤ n entraı̂nent d’une part p − n ∈ Z+ et d’autre part n − p ∈ Z+ d’où p − n = −(n − p) ∈ Z− ; alors p − n ∈ Z+ ∩ Z− = {0} soit p = n. Elle est transitive car si n ≤ p et p ≤ q, on a p − n ∈ Z+ et q − p ∈ Z+ , donc q − n = (q − p) + (p − n) ∈ Z+ , c’est-à-dire que n ≤ q. C’est donc une relation d’ordre, et cet ordre est total car Z = Z+ ∪ Z− , donc pour n et p dans Z on a p − n ∈ Z+ (et alors n ≤ p) ou p − n ∈ Z− (et alors n − p ∈ Z+ d’où p ≤ n). Elle est compatible avec l’addition et la multiplication par un entier positif, car si les entiers n et p vérifient n ≤ p, on a - pour tout q dans Z, (p + q) − (n + q) = p − n ∈ Z+ donc n + q ≤ p + q, - pour tout r dans Z+ , rp − rn = r(p − n) ∈ Z+ donc rn ≤ rp. 2 4 4.1 Construction de Q (cette partie n’a pas été traitée en cours) Définition de Q On a vu que dans Z, seuls deux éléments (1 et −1) admettent un inverse (c’est-à-dire un symétrique pour la multiplication). On cherche à construire un ensemble Q ⊃ Z, muni de deux lois internes, qui coı̈ncident avec l’addition et la multiplication déjà définies lorsqu’on les applique à des entiers relatifs, et qui en plus de toutes les propriétés énoncées ci-dessus pour les opérations dans Z, permettent d’attribuer à tout élément non nul un inverse. Pour cela, on s’inspire de l’écriture attendue des rationnels comme quotients d’entiers : p p0 on veut que les fractions et 0 soient égales si et seulement si pq 0 = p0 q. q q On définit donc la relation S sur Z × Z∗ par ∀(p, q) ∈ Z × Z∗ , ∀(p0 , q 0 ) ∈ Z × Z∗ , (p, q) S (p0 , q 0 ) ⇐⇒ pq 0 = p0 q . Notez la similitude de cette définition avec celle de la relation R qui a servi à définir Z. Proposition 4.1 La relation S est une relation d’équivalence sur Z × Z∗ . Preuve - Comme pour la proposition 3.2, la réflexivité et la symétrie sont immédiates. Détaillons la transitivité. Soient (p, q), (p0 , q 0 ) et (p00 , q 00 ) trois éléments de Z × Z∗ tels que (p, q) S (p0 , q 0 ) et 0 (p , q 0 ) S (p00 , q 00 ). On a alors d’une part pq 0 = p0 q, d’où l’on tire pq 0 q 00 = p0 qq 00 , et d’autre part p0 q 00 = p00 q 0 qui permet d’écrire p0 q 00 q = p00 q 0 q. en observant les deux égalités obtenues, on obtient pq 0 q 00 = p00 q 0 q soit (pq 00 )q 0 = (p00 q)q 0 . Or q 0 est régulier pour la multiplication puisqu’il est non nul (cf. proposition 3.11). On a donc pq 00 = p00 q c’est-à-dire (p, q) S (p00 , q 00 ). 2 Définition - L’ensemble quotient (Z × Z∗ )/S est noté Q et ses éléments sont appelés les nombres rationnels. La classe d’équivalence d’un couple (p, q) de Z × Z∗ pour la relation p S se note sous forme fractionnaire CS ((p, q)) = . q −1 Exemples - Le couple d’entiers relatif (−1, 4) définit le rationnel c’est-à-dire 4 CS (−1, 4) = {(−1, 4), (1, −4), (−2, 8), (2, −8), (−3, 12), (3, −12), . . .} = {(−k, 4k), k ∈ Z∗ } , 62 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q et les couples (0, 1) et (1, 1) définissent respectivement les rationnels 0 = CR (0, 1) = {(0, k), k ∈ Z∗ } et 1 4.2 1 = CR (1, 1) = {(k, k), k ∈ Z∗ } . 1 Multiplication dans Q La construction est analogue à celle de l’addition dans Z. On commence par définir une multiplication sur Z × Z∗ , en posant pour tous (p, q) et (p0 , q 0 ) dans Z × Z∗ : (p, q) × (p0 , q 0 ) = (pp0 , qq 0 ) . Les entiers relatifs q et q 0 étant tous deux non nuls, le produit qq 0 est bien dans Z∗ . Proposition 4.2 La multiplication ainsi définie dans Z×Z∗ est commutative, associative, et admet le couple (1, 1) pour élément neutre. Preuve - Cela découle directement des propriétés de la multiplication dans Z. Puis on établit la propriété suivante. 2 Proposition 4.3 La relation S est compatible avec la multiplication dans Z × Z∗ : si les couples (a, b), (a0 , b0 ), (c, d), (c0 , d0 ) vérifient (a, b) S (a0 , b0 ) et (c, d) S (c0 , d0 ), alors [(a, b) × (c, d)] S [(a0 , b0 ) × (c0 , d0 )] . Preuve - Si (a, b) S (a0 , b0 ) et (c, d) S (c0 , d0 ), on a ab0 = a0 b et cd0 = c0 d. En multipliant membre à membre ces deux égalités, on obtient : (ac)(b0 d0 ) = (a0 c0 )(bd) , c’est-à-dire (ac, bd) S (a0 c0 , b0 d0 ). 2 Il est alors possible de définir la multiplication de deux rationnels de la façon suivante. Définition - Soient x, y deux rationnels, et (a, b), (c, d) des représentants respectifs de x et y. On pose ac a c . xy = CS ((ac, bd)) c’est-à-dire × = b d bd Proposition 4.4 La multiplication ainsi définie dans Q est commutative, associative et 1 admet le rationnel = CS ((1, 1)) pour élément neutre. De plus, tout rationnel non nul 1 admet un élément symétrique pour la multiplication (qu’on appelle son inverse). En particulier, (Q∗ , ×) est un groupe commutatif. Preuve - Les trois premières propriétés découlent de la proposition 4.2. L’existence de l’élément symétrique d’un rationnel non nul s’obtient en remarquant que pour tout (a, b) ∈ Z∗ × Z∗ , (a, b) × (b, a) = (ab, ab) et que (ab, ab) S (1, 1). Autrement a b dit l’inverse du rationnel non nul est le rationnel . 2 b a 4. CONSTRUCTION DE Q (CETTE PARTIE N’A PAS ÉTÉ TRAITÉE EN COURS)63 4.3 Addition dans Q Là encore, on définit d’abord une opération, notée additivement, dans Z × Z∗ . Pour qu’elle corresponde à l’addition des fractions (avec la réduction au même dénominateur), on pose pour (a, b) et (c, d) dans Z × Z∗ : (a, b) + (c, d) = (ad + bc, bd) . Proposition 4.5 L’addition ainsi définie dans Z × Z∗ est commutative, associative et admet le couple (0, 1) pour élément neutre. Preuve - La commutativité et le fait que (0, 1) soit élément neutre sont immédiats. Montrons l’associativité. Soient (a, b), (c, d) et (e, f ) trois éléments de Z × Z∗ . [(a, b) + (c, d)] + (e, f ) = (ad + bc, bd) + (e, f ) = ((ad + bc)f + bde, bdf ) = (adf + b(cf + de), bdf ) = (a, b) + (cf + de, df ) = (a, b) + [(c, d) + (e, f )] . Proposition 4.6 La relation S est compatible avec l’addition dans Z × Z∗ : si les couples (a, b), (a0 , b0 ), (c, d), (c0 , d0 ) vérifient (a, b) S (a0 , b0 ) et (c, d) S (c0 , d0 ), alors [(a, b) + (c, d)] S [(a0 , b0 ) + (c0 , d0 )] . Preuve - Comme (a, b) S (a0 , b0 ) et (c, d) S (c0 , d0 ), on a ab0 −a0 b = cd0 −c0 d = 0. Par ailleurs, (a, b) + (c, d) = (ad + bc, bd) et (a0 , b0 ) + (c0 , d0 ) = (a0 d0 + b0 c0 , b0 d0 ). En calculant (ad + bc)b0 d0 − (a0 d0 + b0 c0 )bd = (ab0 − a0 b)dd0 + (cd0 − c0 d)bb0 = 0 , on voit que (ad + bc, bd) S (a0 d0 + b0 c0 , b0 d0 ). 2 On peut donc définir une addition sur Q en posant CS ((a, b)) + CS ((c, d)) = CS ((a, b) + (c, d))) c’est-à-dire ad + bc a c + = . b d bd Proposition 4.7 L’addition ainsi définie dans Q est commutative, associative et admet 0 le rationnel = CS ((0, 1)) pour élément neutre. De plus, tout rationnel admet un élément 1 symétrique pour l’addition (qu’on appelle son opposé), et la multiplication dans Q est distributive par rapport à l’addition. Preuve - Les trois premières propriétés découlent de la proposition 4.5. L’existence de l’élément symétrique d’un rationnel s’obtient en remarquant que pour tout (a, b) ∈ Z × Z∗ , (a, b) + (−a, b) = (ab + (−a)b, b2 ) = (0, b2 ) et que (0, b2 ) S (0, 1). Ainsi −a a on a CS ((a, b)) + CS ((−a, b)) = CS ((0, 1)) : le rationnel est l’opposée de . b b 64 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Pour établir la distributivité, on calcule (a, b)[(c, d) + (e, f )] = (a, b)(cf + de, df ) = (acf + ade, bdf ) puis (a, b)(c, d) + (a, b)(e, f ) = (ac, bd) + (ae, bf ) = (b(acf + ade), b(bdf )) . Onµ en tire¶ que (a, b)[(c, d) + (e, f )] S [(a, b)(c, d) + (a, b)(e, f )] ce qui traduit bien que a c e ac ae + = + . 2 b d f bd bf Remarque - Finalement (Q, +, ×) est un anneau unitaire tel que tout élément non nul admet un inverse : on dit que (Q, +, ×) est un corps. De plus ce corps est dit commutatif du fait que la multiplication est commutative. np o La proposition suivante permet d’identifier Z au sous-ensemble A = ; p ∈ Z de Q 1 et montre que les opérations définies sur Q prolongent celles de Z. Proposition 4.8 µL’ensemble A ¶est stable pour l’addition et la multiplication de Q et Z → A l’application ψ : est un isomorphisme de (Z, +, ×) sur (A, +, ×). p 7→ p/1 Preuve - La stabilité s’obtient en calculant pour p et q dans Z : p.1 + 1.q p q pq p q p+q pq + = et × = 2 = . = 1 1 12 1 1 1 1 1 Ces calculs montrent au passage que ψ(p+q) = ψ(p)+ψ(q) et ψ(pq) = ψ(p).ψ(q). Pour voir que l’application ψ est un isomorphisme, il ne reste qu’à montrer qu’elle est bijective. Elle est surjective par construction, et injective du fait que ψ(p) = ψ(q) entraı̂ne p × 1 = 1 × q c’est-à-dire p = q. 2 4.4 Relation d’ordre sur Q On commence par définir les ensembles Q+ et Q− . a . b 0 0 - Ou bien a = 0. Tout autre représentant (a , b ) de x vérifie alors a0 = 0. - Ou bien ab ∈ Z+∗ . Tout autre représentant (a0 , b0 ) de x vérifie alors a0 b0 ∈ Z+∗ . - Ou bien ab ∈ Z−∗ . Tout autre représentant (a0 , b0 ) de x vérifie alors a0 b0 ∈ Z−∗ . Proposition 4.9 Soient x ∈ Q et (a, b) ∈ Z × Z∗ tel que x = Preuve - Comme b 6= 0, les trois cas ab = 0, ab ∈ Z+∗ et ab ∈ Z−∗ conduisent aux trois situations envisagées dans la proposition. a0 Considérons un couple (a0 , b0 ) de Z × Z∗ tel que x = 0 c’est-à-dire tel que ab0 = a0 b. b Si a = 0, on a nécessairement a0 b = 0 et donc a0 = 0. Lorsque a 6= 0, le produit aa0 bb0 est le carré de l’entier non nul ab0 et est donc dans +∗ Z . Si ab ∈ Z+∗ , on a nécessairement a0 b0 ∈ Z+∗ puisque sinon aa0 bb0 serait dans Z−∗ . On montre de même que si ab ∈ Z−∗ , alors a0 b0 ∈ Z−∗ . 2 4. CONSTRUCTION DE Q (CETTE PARTIE N’A PAS ÉTÉ TRAITÉE EN COURS)65 Avec les notations de la proposition précédente, le fait que a = 0, ab ∈ Z+∗ ou ab ∈ est indépendant du représentant (a, b) choisi pour le rationnel x. Le premier cas est caractéristique de x = 0. On appelle Q+∗ l’ensemble des rationnels x qui vérifient la deuxième propriété et Q−∗ l’ensemble des rationnels x qui vérifient la troisième. Ainsi les ensembles {0}, Q+∗ et Q−∗ constituent une partition de Q. Z−∗ On pose Q+ = Q+∗ ∪ {0} et Q− = Q−∗ ∪ {0}. On peut alors procéder comme on l’a fait pour Z au paragraphe 3.7. On note (−x) l’opposé d’un rationnel x, puis on définit la différence y − x = y + (−x) de deux rationnels x et y (comme dans la proposition 3.9), qui vérifie les mêmes propriétés que dans Z (proposition 3.10 et distributivité de la multiplication sur la soustraction énoncée à la proposition 3.11-e). On définit alors la relation ≤ ainsi : pour x, y dans Q, x ≤ y ⇐⇒ y − x ∈ Q+ . Proposition 4.10 La relation ≤ ainsi définie est une relation d’ordre total sur Q, compatible avec l’addition et la multiplication par un rationnel positif. Preuve - La preuve est la même que dans Z (cf proposition 3.14). Pour la développer, on a besoin d’établir que Q+ est stable pour l’addition et la multiplication. Cela vient de ce que si (a, b) et (c, d) sont des éléments de Z × Z∗ tels que ab ∈ Z+ et ad + bc a c vérifie cd ∈ Z+ , alors d’une part la fraction + = b d bd (ad + bc)bd = (ab)d2 + b2 (cd) ∈ Z+ . Et d’autre part la fraction ac a c × = vérifie (ac)(bd) = (ab)(cd) ∈ Z+ . b d bd 2 66 CHAPITRE III. CONSTRUCTION DES ENSEMBLES DE NOMBRES N, Z ET Q Bibliographie [COL] Collette Jean-Paul, Histoire des mathématiques, Vuibert (1979). Sur les géométries euclidienne et non euclidiennes [BER] Berger Marcel, Géométrie, Vol. 1 et 2, Nathan (1990). [EUC] Euclide, Les Éléments, Vol. 1 - Livres I à IV : géométrie plane, Presses Universitaires de France (1990). [LEH] Lehmann Daniel, Initiation à la géométrie, Presses Universitaires de France (1988). Sur la logique et la théorie des ensembles [SCH] Schwartz Laurent, Analyse I : théorie des ensembles et topologie, Hermann (1991). 67