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pas l’existence de croyances philosophiques précises et bien nettes, mais qui décrit plutôt un
climat diffus, une sensibilité générale» commune à des auteurs comme «Heidegger, Gadamer,
Ricoeur, Pareyson, mais aussi Habermas et Apel, Rorty et Charles Taylor, Jacques Derrida et
Emmanuel Lévinas.» 3 On pourrait tout aussi bien dire que la philosophie analytique est la
koinè de toute une autre tradition, une sensibilité générale commune à des auteurs comme
Frege, Russell, Moore, Wittgenstein, Carnap, Strawson, Ryle, Quine, Kripke, Lewis,
Davidson, Dummett, Putnam, ou Fodor. Ces koinai se distinguent aussi par des différences de
style bien palpables. Les tenants de l’herméneutique ont tendance à écrire dans le style de la
glose, du commentaire, en manifestant une grande déférence par rapport aux textes des auteurs
du passé, dans un style souvent jugé obscur par leurs adversaires. Les philosophes analytiques
ont tendance à écrire dans un style problématique, articulant des thèses et des théories, de
manière détachée par rapport aux auteurs du passé, ou en les traitant comme s’ils étaient leurs
contemporains, avec une clarté qui confine souvent à la platitude aux yeux de leurs
adversaires. Si on poursuivait dans cette veine, on opposerait leurs méthodes logiques, leur
souci des explications conceptuelles, au pathos , au goût de l’obscurité et de l’ineffable que les
tenants de l’herméneutique philosophique semblent entretenir à loisir. On opposerait aussi
l’objectivisme des analytiques, leur fascination pour des méthodes d’investigation quasi-
scientifiques (ou pseudo-scientifiques, selon le bord opposé), leur conception anhistorique de
la raison et de la vérité, à la manière essentiellement littéraire, glosante et historicisante de
leurs adversaires. On retrouverait ainsi, peu ou prou, les termes de la vulgate qui oppose les
«analytiques» aux «continentaux» dans bien des présentations.4
de la vérité à la question de la méthode.
3
G. Vattimo, Oltre l’interpretazione, Laterza, Roma-Bari, 1994,p.3.
4
Y compris dans des présentations dont le présent auteur est responsable. cf. P.Engel, La dispute, une
introudction à la philosophie analytique, Paris, Minuit, 1997.