Prix « Je lis J'élis » 2013-2014 Cycle 3 « Brindille » Rémi Courgeon Milan, 2012 Brindille, c’est Pavlina, une jeune fille frêle, surtout si on la compare aux gros costauds qui peuplent son univers très masculin. Elle est en effet la petite dernière d’une famille de garçons, et malgré ses efforts, pour le moins physiques, elle est cantonnée à un rôle de ménagère. Jusqu’au jour où... Une fille qui boxe, ce n’est pas commun, mais si elle frappe du gauche, alors là, ça change tout. Reste que la boxe, fille ou garçon, c’est pas un sport de mauviette, et il faudra à Brindille, le courage de ces femmes qui ne baissent jamais la garde, pour livrer son premier combat. À la manière d’un affichiste des années 30, Rémi Courgeon compose ici une couverture qu’on a envie d’encadrer. Reprenant les codes typographiques des marques chères à la boxe anglaise, le titre, mais aussi l’image, en disent long quant à l’aventure qui nous attend au détour des quelques 40 pages qui composent cet album coup de poing. Cette petite merveille graphique, avec ses pages de gauche savamment composées autour de lettrines qui occupent presque tout l’espace disponible, et cette tonalité chromatique, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre picturale d’un certain Raymond Savignac, est un régal pour les yeux mais aussi pour l’esprit. Biographie de l'auteur : Rémi Courgeon est né à Choisy-le-Roi, en banlieue parisienne. Il a suivi des cours d'expression visuelle à l'Ecole Estienne. Il travaille pour l'édition, la publicité et réalise des croquis de voyages. Egalement peintre, ses travaux ont fait l'objet de plusieurs expositions en France et à l'étranger. Il a une quinzaine d'albums à son actif. Son blog : http://remicourgeon.blogspot.fr/ « Les deux poissons » Frédéric Laurent D'Orbestier, 2012 A la tête de son usine, le Directeur perd la tête. Seule solution, prendre du temps et du repos. Le médecin l’ordonne, il faut obéir ! Le directeur, carré dans son costume, cravate et chapeau noirs, quitte la ville pour les rivages vastes, blonds et verts de la mer. Entre en jeu le second personnage. Jusqu’ici, le directeur occupait la page et l’histoire, à partir de là, il est remis à sa place, minuscule, à côté du pêcheur. Un mexicain, reconnaissable à ses belles moustaches, son teint basané et son grand chapeau revient de la pêche avec deux beaux poissons. Deux beaux poissons, telle est la mesure de la sobriété heureuse que prêche ce sage, dans le dialogue qu’il engage avec le directeur. Sans être totalement convaincu, le directeur change de rythme, et l’album s’achève sur une image équilibrée, paisible, les deux hommes vus de face, côte à côte, sous un auvent regardent le lecteur. La parabole évangélique du pêcheur prouve toute sa pertinence sur ce thème du travail nécessaire et libérateur face au travail qui aliène. Le traitement sobre, précis du dessin avec de grandes masses colorées, des points de vue variés qui mettent en lumière chacun des personnages selon le propos, obéit à une grammaire du récit efficace pour orienter la réflexion. Une belle leçon de sagesse. Biographie de l'auteur : Frédéric Laurent : Après avoir obtenu son diplôme à l'école des Arts décoratifs de Paris, il décider de se lancer dans l'illustration. Déterminé, il envoie ses projets de livres aux éditeurs et réussit à les séduire. D'autres albums sont prochainement à paraître chez Rêves bleus. Il a également publié des livres à l'Atelier du poisson soluble et chez Balivernes. « Madame le lapin blanc » Gilles Bachelet Seuil jeunesse, 2012 Pendant que le Lapin Blanc, toujours en retard, réfléchit politique et enchaîne les réunions (arrosées) au palais, que fait donc sa femme ? C'est à cette interrogation décalée que répond Gilles Bachelet, dans un album en forme de journal intime et de cri du cœur d'une femme au foyer. Empêtrée dans ses tâches ménagères, inquiète pour sa nombreuse progéniture, Madame le Lapin Blanc est littéralement dé-bor-dée. Évidemment, elle ne peut pas compter sur l'aide ni même sur la simple attention de son mari ... Alors elle cuisine – la carotte n'a plus de secrets pour elle depuis que son aînée veut devenir mannequin et refuse de manger. Elle emmène à l'école, ou plutôt elle traîne de force jusqu'à une classe bigarrée peuplée de créatures issues de l'imagination de Lewis Carroll. Elle réprimande aussi, car certains de ses petits seraient très précoces et inventifs . Et puis elle lave, essuie, accueille une Alice tantôt géante tantôt minuscule, repasse des montagnes de linge, surveille et console, etc. Dès qu'elle peut, elle fait une pause sur un coin de table, et écrit d'une plume vengeresse : ce sont ses regrets d'une vie provinciale, ses plaintes quant à de nombreux rôles assumés avec lassitude mais persévérance que nous suivons au fil des pages. Et elle a beaucoup à dire... ce n'est pas le vague rattrapage masculin de la fin qui la fera changer d'avis ! L'image, toujours minutieuse, détaillée à en faire perdre la tête de plaisir au lecteur, va toujours plus loin que ce qui est dit, générant immanquablement un humour malicieux et ravageur. On aime à chercher le hiatus qui mêle univers victorien et situations très contemporaines, on se plaît à retrouver les éléments de l' Alice au pays des merveilles, dont l'album tout entier constitue un hommage rare et fin, une réappropriation renversante. L'ouvrage a été élu Pépite de l'album du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2012. Biographie de l'auteur : Gilles Bachelet a suivi les cours de ENSAD de Paris, avant de devenir illustrateur indépendant pour la presse, l'édition et la publicité. Depuis 2001, il enseigne l’illustration à l’École supérieure d’Art de Cambrai et réalise des albums. Il reçoit le Prix Baobab 2004 pour « Mon chat le plus bête du monde ». « La reine du Niagara » Chris Van Allsburg Ecole des Loisirs, 2012 A la fin du XIXème siècle, la respectable professeure Annie Edson Taylor cherche un moyen de financer sa retraite. Les choix ne sont pas nombreux pour une femme... Et puis un jour, elle a l'idée : descendre les chutes du Niagara dans un tonneau, faire de la publicité autour et monnayer son témoignage. Elle invente son appareil, prend un agent, prépare minutieusement son amerrissage... C'est une réussite, qu’elle ne saura malheureusement pas valoriser. Volée par son agent, trop vieille pour attirer le public, elle finira sa vie seule et pauvre. Toutefois, son exploit sportif ne sera au fil du temps que rarement égalé et jamais par une autre femme. Chris Van Allsburg n'a pas voulu raconter de fiction comme à son habitude, et pourtant, l'histoire vraie d'Annie prend des allures de légende merveilleuse. Sur des noirs et blancs qui rappellent le sépia des photographies de l'époque, il n'est nul besoin au dessinateur de jouer d'effets de style quelconques : le propos se porte de lui-même, fort et fou. Annie est représentative de l'esprit américain conquérant de l'époque, cherchant à dépasser les limites avec courage, faisant fi des bienséances quand une récompense sonnante et trébuchante est à la clé. Bon, cet esprit en prend certes ici un petit coup dans l'aile... Mais peu importe, la grand-mère aura transcendé l'âge paisible de la vieillesse pour se réinventer avec passion : en soi, c'est une réussite qui vaut toutes les autres. Biographie de l'auteur : Chris Van Allsburg est né en 1949 à Grand Rapids dans le Michigan, dans une famille de crémiers. Très jeune, il affirme un don certain pour le dessin et commence pourtant des études de droit à l'université du Michigan. On le retrouve aux beaux-arts et il obtient un diplôme de sculpteur de la Rhode Island School of Design. Depuis, il est devenu un des grands illustrateurs de son époque aux Etats-Unis et a reçu à deux reprises la Caldecott Medal, distinction la plus importante pour le livre de jeunesse aux Etats-Unis (pour "Jumanji" en 1982 et pour "Boréal Express" en 1986). Sculpteur, peintre, il a exposé ses travaux dans des galeries et musées, notamment les célèbres MOMA et Whitney Museum. Professeur de faculté, il enseigne l'illustration à la Rhode Island School of Design. Les livres publiés en France témoignent de cet univers étrange et mystérieux qui lui est propre, où la réalité se confond avec l'imaginaire dans des jeux subtils de lumière et de perspective. "Mon objectif", dit Chris Van Allsburg, "est d'obliger le lecteur à réfléchir, et même à travailler, comme devant un puzzle ou une énigme. Mes histoires ne sont pas de celles où tout est dit et où, à la fin, tout s'éclaircit gentiment." « 3 contes cruels » Matthieu Sylvander, Perceval Barrier Ecole des Loisirs, 2013 Les poireaux n’ont pas une vie passionnante, soyons réalistes, mais un rien les amuse : « Ils n’ont guère d’autre distraction que le vent. Quand il souffle dans le potager, les poireaux auraient presque l’impression de courir dans les collines ». Leurs envies d’évasion sont telles que ces pauvres dadais sont prêts à écouter n’importe quelle baliverne. La vache qui se fait passer pour un renne de Noël, par exemple, ça ne les étonne pas un brin. Les carottes sont assez moqueuses dans leur genre, mais elles n’ont qu’un pois chiche dans la tête et pas deux sous de jugeote. Elles aussi sont prêtes à tout pour la grande évasion. Même à écouter les salades de la première chauve-souris qui passe. Mais au potager comme ailleurs, que serait la vie sans amour ? Carottes et poireaux eux aussi ont besoin de vibrer, de se sentir vivants, d’avoir la patate, quoi. Défiant toutes les lois de la morale maraichère, Roméo le poireau et Julotte la carotte se retrouvent ainsi clandestinement tous les soirs pour se conter fleurette. Entre eux tout roule, ils ne se prennent pas le chou. Tout irait pour le mieux si chacun s’occupait de ses oignons, hélas... Une imagination fertile et un esprit quelque peu farfelu sont certainement à l’origine de ces trois contes cruels parfaitement déjantés et largement illustrés dans le même veine. Biographies des auteurs : Perceval Barrier : est né à Lézignan-Corbières en 1983. Il a grandi dans le midi et a étudié le graphisme à l’ÉSAD d’Amiens. Depuis il est graphiste indépendant à Paris. Matthieu Sylvander : est sismologue, à Toulouse. Il est né en 1969, à Montélimar, et a passé son enfance et son adolescence en Haute-Savoie, en Algérie et en Arabie Saoudite. Il a suivi des études scientifiques à Annecy, Strasbourg, puis Toulouse, où il a passé sa thèse de doctorat en géophysique interne en 1996. Il a demandé à sa soeur, Marie Deparis, d'illustrer sa première histoire, « Les loups ne grimpent pas aux arbres » est leur premier livre.