autres.
Là où il faut parfois s’égarer et débroussailler pour se frayer un chemin dans une phrase ou un
paragraphe, l’objectif devant un texte de Chris Ware est au contraire d’éviter tout écart sur une voie
taillée à la serpe.
Ce souci de précision et de clarté ne pardonne pas les approximations et le chemin semble parfois
étroit. Mais le moindre couac détonne, et se signale aussitôt. C’est aussi d’un grand confort. D’une
part, le mode de pensée analytique de Ware, qui lui donne des structures d’expression plus proches
du français que la plupart de ses compatriotes, rend le passage entre les deux langues
étonnamment évident et fluide. D’autre part, et c’est tout aussi rare, rien n’est jamais à rectifier dans
l’écriture de Ware, et cette justesse, outre le plaisir qu’elle procure, « porte » beaucoup la traduction.
Ce luxe est d’autant plus appréciable qu’il permet de se concentrer sur les points épineux. Car en
limitant la marge de manœuvre du traducteur, cette précision de la langue, si jubilatoire quand on
traduit Chris Ware au kilomètre dans certaines pages d’Acme, ne fait qu’ajouter au casse-tête dans
le cadre inflexible du roman graphique version Chris Ware.
Un espace restreint
Les contraintes d’espace de la bande dessinée
Tout d’abord, ce n’est pas parce que l’écriture de Ware est plus précise que celle de la plupart de
ses compatriotes qu’elle s’étale.
Or le passage de l’anglais au français s’accompagne d’un phénomène joliment appelé «
foisonnement », une augmentation du volume. À texte équivalent, le français occupe en moyenne
15 % d’espace en plus que l’anglais. Ce qui devient une contrainte dès lors que l’espace disponible
est préétabli, comme c’est le cas en bande dessinée.
Alors on aménage. Le traducteur opte d’instinct pour les formulations les plus concises, et s’assure de
fournir une version directement exploitable. Et il est courant qu’au lettrage, le graphiste s’autorise à
tricher en étroitisant et/ou en diminuant le corps des textes.
Mais on ne touche pas à la maquette de Chris Ware. On ne rompt pas un tel équilibre. Chacun des
trois titres parus chez Delcourt (Jimmy Corrigan, Acme et Building Stories) respecte au millimètre la
version d’origine, au point que, après des mois passés le nez dans les versions originales, je les
confonds visuellement avec mes exemplaires en français. Et quand bien même on le voudrait, le
corps du texte anglais ne permet pas d’envisager une diminution, même subtile. (En réalité, un peu
quand même, en particulier dans les titres. Le travail de Franck Debernardi, le graphiste, a été
d’autant plus colossal qu’il devait passer inaperçu.)
Roman, mais graphique : la tyrannie du mot
Je foisonne peu, mais mon premier réflexe est de traduire now par « maintenant » (foisonnement :