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PRATIQUE COMPTABLE
L’EXPERT-COMPTABLE SUISSE |
LA COMPTABILITÉ DES INSTRUMENTS FINANCIERS
les coûts de transaction et les impacts fiscaux, une entre-
prise conservant ses titres observera les mêmes effets sur ses
états financiers si elle valorise ses titres à la juste valeur, que
si elle avait vendu puis racheté ces derniers.
Toutefois, le recours à la juste valeur peut aussi faire appa-
raître de nouvelles opportunités à l’expression discrétion-
naire et/ou opportuniste des dirigeants, tout particulière-
ment sur la méthode d’évaluation de la juste valeur (i. e. les
modèles d’évaluation pour la déterminer). La sophistication
des modèles d’évaluation permet de déterminer la juste va-
leur d’actifs non cotés dans de nombreux cas. Ainsi, sur un
échantillon de 157 banques nord-américaines, entre 1994 et
1995, Nissim (2003) observe une augmentation systématique
de la juste valeur des prêts à mesure que la situation de la
banque se dégrade. La surévaluation des prêts est ainsi posi-
tivement associée au taux de pertes enregistrées sur ces prêts,
et négativement associée à la rentabilité des actifs, à la liqui-
dité et aux capitaux propres règlementaires. Bien que ce
constat laisse supposer une gestion discrétionnaire des mo-
dèles utilisés pour déterminer des justes valeurs dans le cas
de titres non cotés, il n’en demeure pas moins que la compta-
bilité au coût historique est aussi source de gestion comp-
table dans les banques (Warfield et Linsmeier, 1992; Beatty,
Chamberlain et Magliolo, 1995). Les opportunités de l’expres-
sion discrétionnaire des dirigeants avec la juste valeur ne de-
vraient donc être invoquées pour justifier le retour au coût
historique.
Par ailleurs, le principe de vérifiabilité devrait permettre
d’atténuer les risques de choix opportunistes d’un modèle
d’évaluation, dans la mesure où l’IASB exige que plusieurs
estimations de la juste valeur ne diffèrent pas significative-
ment les unes des autres. De nombreux modèles – résultats
des progrès constants de la modélisation financière – font
l’objet d’un certain consensus au sein des marchés de capi-
taux. Dans la mesure où un prix de marché ne fait que reflé-
ter un consensus sur une valeur à un moment donné, on peut
considérer qu’une valeur découlant d’un modèle «consen-
suel» est une bonne estimation de sa juste valeur (Dumontier
et Dupré, 2005).
5. CONCLUSION
Dans leur ensemble, les recherches comptables suggèrent
que la comptabilisation des instruments financiers en juste
valeur génère une volatilité accrue des résultats comptables.
Toutefois, cette volatilité ne semble pas avoir un impact né-
gatif sur la perception qu’ont les investisseurs de la compta-
bilité en juste valeur. Ainsi, les instruments financiers comp-
tabilisés dans les états financiers (plutôt que simplement
présentés en annexe) offrent un contenu informatif à l’en-
semble des investisseurs, d’autant plus que ces derniers sont
valorisés à leur juste valeur (comparativement au coût histo-
rique). Des interrogations demeurent sur la pertinence et le
contenu informatif des instruments financiers dont l’éva-
luation repose sur des modèles d’évaluation. Par ailleurs,
des doutes subsistent aussi quant aux possibilités de choix
comptables opportunistes concernant les instruments fi-
nanciers, mais tant pour le maintien du coût historique que
pour le recours à la juste valeur. n
Notes: 1) Un nombre significatif de recherches a
porté principalement sur l’impact et les raisons de
l’utilisation de la juste valeur lors des réévaluations
d’actifs corporels (cf. Missonier-Piera [2007] pour
une revue de cette littérature). 2) Hodder et al.
(2006) montrent des résultats empiriques simi-
laires. 3) Dans cette étude expérimentale, les «in-
vestisseurs» sont des étudiants de MBA nord-amé-
ricains possédant en moyenne 5 années d’expé-
rience de travail et possédant les connaissances
minimales requises en finance et en comptabilité.
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